Cʜᴀᴘɪᴛʀᴇ 18 - ᴶᵒˢᵉᵖʰ - Automne 1943
♫ : Måneskin - The Loneliest
_____
Chapitre 18
Point de vue de Joseph
_____
Automne 1943.
André est parti, transféré ailleurs. Il me manque beaucoup. Il a toujours été mon soutien pour tout ici alors je dois apprendre à me débrouiller sans lui.
Le gardien Friedrich Weimer passe désormais son temps à me ridiculiser, se moquant ouvertement de moi et me jetant par terre à la moindre occasion. C'est sans doute pas autant que mon frère - je sais qu'il s'est fait... je n'ose le dire tellement cela me répugne - mais il n'en est pas moins compliqué. Je ne sais pas comment André a fait pour encaisser tout ceci.
Je n'ai toujours pas quitté le bloc des homosexuels, ce qui m'inquiète beaucoup. Je ne le suis pas donc je n'ai aucune raison de m'y trouver. Je m'y sens comme une proie vis à vis de tous. Les triangles roses sont les plus malmenés du camp, par les gardes mais aussi par les autres détenus. Je ne porte pas ce symbole mais le fait d'être avec eux me nuit.
Je m'accroche comme je peux. Je pense aux souvenirs passés pour me donner espoir. Je ne veux pas sombrer au risque de ne jamais sortir d'ici vivant un jour.
Je me rappelle de ma famille entière. Des mes camarades de résistance. De mes amis... Notamment Louise. Je n'ai pas pu la revoir depuis l'incident chez elle...
***
Seul. Je suis seul parmi une foule entière de prisonniers. Je broie du noir mais je suis pas encore complètement vide. Les Boches n'auront pas mon humanité.
J'ai faim tellement cela fait un moment que je n'ai rien d'avalé de consistant. L'espèce de soupe sans goût et peu épaisse, les maigres légumes ne suffisent pas, ainsi que le petit bout de pain.
Il est rare qu'on ait de la viande et lorsque c'est le cas, elle semble tout aussi minuscule que le reste. Par ailleurs, la plupart du temps, on nous sert que du porc ; je me contente de l'échanger contre du pain avec des détenus.
La charrette contenant la nourriture approche de nous - c'est aussi celle qui transporte les cadavres le reste du temps.
Sous pression, complètement affamés, certains commencent à se pousser pour être servis les premiers et avoir le plus possible. C'est monnaie courante ici ; en plus des vols. Les Allemands n'interviennent jamais, amusés de nous voir nous entretuer comme des animaux sans conscience.
Friedrich fait plusieurs pas vers moi, bol en main. Stressé, je l'observe. Je ne sais pas ce qu'il veut mais cela ne présage rien de bon.
- Je suis très très mécontent. Tu sais pourquoi ?
Je secoue négativement vivement la tête.
- On m'a rapporté que tu ne mangeais pas tout ce qu'on te donne... Nous sommes déjà suffisamment généreux avec vous autres. Peut-être devrais-je réduire les quantités ?
Je le supplie du regard de ne pas faire cela. Cela nous conduirait directement à la mort.
- Alors, tu vas me faire le plaisir de manger ce que je t'ai rapporté, ordonne-t-il en me donnant le contenant.
A l'intérieur, je peux observer du lard en grande quantité.
- Maintenant et devant moi.
Il sait que vis-à-vis de ma religion, je ne mange pas de porc car c'est prohibé. Je n'ai jamais été très religieux mais j'ai toujours respecté cette règle.
Tremblant, j'attrape lentement un morceau. J'ai les larmes aux yeux. C'est terriblement humiliant. Comment peut-il être aussi intolérant et me forcer ?
- Dépêche-toi. Tu vas goûter à ma cravache sinon.
Le garde possède toujours une cravache ou une cane, de manière élégante et autoritaire, prêt à s'en servir à la moindre occasion. J'y ai déjà eu droit à la première et je ne tiens pas à me rappeler l'expérience.
Je porte le bout de la viande fumée à mes lèvres et l'entre en grimaçant.
- C'est bien. Mâche bien et avale.
J'obéis. Je tousse lorsque cela passe enfin dans mon œsophage. Le goût paraît bon, bien qu'un peu salé, mais c'est le fait d'être obligé qui me dérange.
- Termine tout. Ne laisse rien.
Je prends mon temps pour continuer.
- Dépêche toi sinon je t'enfoncerai un tuyau dans la gorge afin de te gaver comme une oie.
Par crainte qu'il le fasse vraiment, je bourre le reste dans ma bouche, utilise mes dents pour broyer l'aliment.
L'Allemand attrape ensuite brusquement ma mâchoire avec ses doigts gantés - ne voulant jamais toucher un juif de manière directe -, m'ouvrant le gosier pour vérifier que je n'ai rien caché.
- Interdit de recracher.
***
Je suis de corvée de latrines dans le camp aujourd'hui. Je dois rassembler, porter et transporter, puis vider les sceaux à l'extérieur de l'enceinte.
Ça pue horriblement. Beaucoup sont malades à cause du manque d'hygiène et de la mauvaise qualité et quantité de nourriture. Certains se vident complètement, ayant la dysenterie.
Pour faire ses besoins, il faut se rendre à l'espace dédié. Celui-ci ne laisse aucune intimité, obligeant tous les détenus à se soulager devant tous, assis les uns à côté des autres. Des trous aménagés sont alignés les uns contre les autres, permettant d'y déféquer. Aucune porte ni séparation n'est présente.
Les Allemands ont pris toutes nos affaires lors de notre arrivée : valise, chaussures, vêtements, lunettes, prothèses, bol, nourriture... Tout y est passé. Ceux qui n'ont pas voulu leur donner leurs bijoux les ont caché et ont décidé de les mettre discrètement dans les latrines. Cela oblige les Boches à plonger leurs mains dans la merde s'ils veulent les récupérer. C'est bien fait pour eux ; il n'est pas question que je le fasse à leur place.
Les sceaux à la main, je titube jusqu'à l'extérieur du camp, accompagné de deux gardes afin d'empêcher toute évasion. Ils ont ordre de tirer si je tente quoi que ce soit. Je ne suis pas assez stupide pour essayer de m'enfuir ainsi.
Les contenants sont tellement lourds que je peine à avancer tout en les portant, si bien que je finis par trébucher sur un gros cailloux. Au sol, je grimaçe de douleur en me tenant le genou.
- Dépêche-toi de te relever, dit Friedrich Weimer avec autorité, impatient.
Blessé, sentant le sang couler le long de ma jambe sous mon pantalon rayé, je me redresse avec difficulté. Je tiens à peine debout. Je retombe sur le coup, incapable de tenir sur mes deux jambes.
Le contenu des sceaux s'est répandu sur la terre, non loin de moi, sans pourtant m'être Je vais passer un mauvais quart d'heure.
L'autre gardien dégaine son pistolet, retire la sécurité et le pointe vers mon front pour m'abattre.
C'est la fin. Je ferme les yeux, attendant mon sort qui n'est autre que la mort. Je ne suis pas si triste... Cela semble une délivrance pour moi puisque je pourrais ainsi quitter cet endroit déshumanisant.
Les secondes passent. Lorsque le coup de feu est tiré, je réalise que cela ne m'a pas touché et que je suis toujours en vie. J'ouvre alors brusquement les yeux pour réaliser qu'il a visé à côté de moi, poussé par Friedrich.
L'autre Allemand regarde Weimer, à la fois énervé et surpris par son geste. Aucun de nous ne comprend réellement la situation.
- Ne le tue pas.
- Pourquoi ? Il n'a plus aucune utilité.
Lorsque les prisonniers s'écroulent par blessure ou par épuisement, les Boches ont tendance à les fusiller sur le champ s'ils ne se relèvent pas rapidement.
- Parce que c'est mon souffre-douleur et que je compte encore bien l'utiliser.
- Choisis-en un autre. Il y en a des centaines ici.
- Ce n'est pas pareil. Je me fais un plaisir de m'occuper de lui après m'être occupé de son frère.
L'autre ricane, amusé par le sadisme de son collègue.
- En attendant, il n'est même pas capable de marcher. Il ne sert donc plus à rien. On peut le tuer.
Observant mon tortionnaire habituel, je reste silencieux, attendant sa réponse.
- Non. Je vais le porter jusqu'au camp et le conduire à l'infirmerie pour qu'il s'y rétablisse.
Je ne suis pas vraiment étonné. En aucun cas il se montre gentil en proposant cela. Il souhaite simplement que je survive pour me malmener encore plus longtemps.
Il se penche vers moi pour me soulever sans difficulté, comme une princesse. Je parais être un poids plume tellement je suis maigre - bientôt squelettique si cela continue -, mal nourri par rapport aux efforts physiques fournis.
Je le laisse faire, m'accrochant légèrement à lui pour ne pas chuter. Épuisé, mes yeux luttent pour ne pas se fermer. En vain. Je m'endors contre lui alors qu'il me transporte tranquillement jusqu'au camp.
_____
Des petits commentaires et des votes font toujours plaisir...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top