𝟏 | 𝓓euxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin

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Malgré les qualités indéniables que présente votre roman, nous sommes dans le regret de vous informer qu'il ne correspond pas à notre ligne éditoriale.

Nous vous remercions pour l'intérêt que vous portez à nos publications et espérons que votre œuvre saura trouver sa place dans le milieu littéraire adapté.

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Dixième refus.

Izuku renonça une fois de plus à contrôler les larmes de frustration qui inondaient ses joues en continu depuis des semaines. Pour être honnête, il ne tentait plus vraiment de les retenir, laissant sa nature sensible prendre le pas sur son optimisme habituel.

En quelques mois, le jeune écrivain avait vu son rêve piétiné à de trop nombreuses reprises : par les éditeurs, qui lui renvoyaient systématiquement son manuscrit sans aucun commentaire constructif, mais aussi par ses proches, qui ne le soutenaient pas pour la plupart et estimaient que son projet professionnel ne se concrétiserait jamais.

Izuku le savait bien, pourtant : vivre de sa plume au vingt-et-unième siècle tenait plus de l'utopie que du possible – ce qui ne l'avait empêché à aucun moment d'écrire des centaines d'histoires. Son roman, sa réalisation la plus conséquente et celle dont il était le plus fier, avait selon son humble avis ce qu'il fallait pour percer dans ce monde cruel qu'est la littérature. Il y avait mis ses tripes, son âme, sa fantaisie et ses secrets.

Ce qui, apparemment, ne suffisait pas.

Que lui manquait-il donc? Que devait-il faire afin de parfaire sa création, la rendre irrésistible aux yeux du lectorat? Peut-être n'était-il simplement pas assez bon dans ce domaine, après tout. Déprimé, il quitta son bureau sans cesser de pleurer en silence, et rejoignit la minuscule chambre adjacente.

Son appartement minable, ses meubles minables, ses fringues minables – sa vie minable ne pourrait s'améliorer que s'il prenait la décision la plus difficile de son existence.

Abandonner. Repartir de zéro et construire un futur raisonnable, qui lui permettrait au moins de gagner l'argent qui manquait cruellement à son confort. Laisser derrière lui le petit garçon qu'il avait été, et ranger au fond d'un placard ses fantasmes sans avenir.

« Bouge! »

Plongé dans un sommeil agité, Izuku ne réagit pas assez vite au goût de l'entité penchée au-dessus de lui. Elle s'empara donc de sa couette et commença à tirer, s'empêchant tant bien que mal de brailler.

« Bordel de... Lève-toi, crétin! »

Le vert avait toujours eu le sommeil lourd.

Dommage pour lui.

« Oh et puis merde! »

Le linge de lit valdingua, dévoilant le pyjama bleu pastel de l'endormi, adorablement décoré de motifs divers : livres, crayons, lunettes – le parfait attirail d'un artiste des mots.

« Non mais t'as quel âge, toi? »

Émergeant à peine et se frottant les paupières avec difficulté, il ne parvint pas à formuler une réponse adéquate, ni à se rendre compte de la dangerosité de la situation.

« Attendez... » articula-t-il finalement. « Mais vous êtes qui? »

Devant lui, escorté d'une lueur dorée qui voletait autour de son visage, se tenait un jeune homme d'à peu près son âge. Blond et doté d'iris d'un joli grenat, il affichait un air mécontent. Son impatience finit de réveiller Izuku, qui ne put que le fixer bêtement.

Plutôt canon, ce cambrioleur. Ou plutôt un serial killer?

« Vous êtes venu me tuer? » demanda-t-il sans trembler. « Parce que, si c'est le cas, permettez-moi de vous dire que vous êtes sacrément nul. Pourquoi vous n'avez pas agi pendant que je dormais? Vous êtes un genre de psychopathe sadique, c'est ça? »

Estomaqué, l'inconnu perdit un peu de sa hargne.

« Si vous voulez, on peut en parler avant que vous passiez à l'acte. » poursuivit la présumée victime. « Vous savez, je suis moi-même au fond du trou et j'ai plus rien à perdre, donc si je peux vous aider à évacuer ce que vous avez sur le cœur, hésitez pas. »

« Tu peux la fermer? »

Izuku s'exécuta docilement, déçu. Il pensait pouvoir négocier une mort indolore, mais ses chances venaient d'être réduites à néant.

« Écoute, je suis pas là pour te tuer. » le rassura l'intrus d'un ton bourru. « Je suis là pour te faire quitter ton trou à rats. Considère-moi comme ton prince charmant. »

« Vous avez pris de la drogue? »

« Putain, sors ton cul de là et suis-moi! »

« Attendez, je peux pas vous suivre dans cette tenue... »

« Arrête de me faire perdre mon temps! Attrape un foutu peignoir ou une foutue veste et ramène-toi. »

Le vert l'écouta et s'empara du gilet trop large abandonné au pied de son lit, avant d'enfiler ses chaussons balancés sur le tapis. Il ne savait absolument pas pourquoi il ne ressentait aucune inquiétude à l'idée de suivre ce criminel potentiel, mais ça valait toujours mieux que de penser au lendemain pourri qui l'attendait.

Lui qui inventait des récits fantastiques chaque jour espérait que cet événement lui offrirait une dernière aventure.

« Je suis prêt. » annonça-t-il.

« Pas trop tôt. » approuva le blond en se dirigeant vers la fenêtre ouverte.

« Vous êtes passé par là? »

« Bah ouais. Tu t'en inquiètes seulement maintenant? »

« Mais on est au onzième étage... »

« Prends ma main. »

Tout plutôt que de me trahir.

Sans hésiter, Izuku entremêla ses doigts à ceux tendus pour lui. Son regard et ses cheveux émeraude, ses cernes marqués, son allure débraillée, troublèrent leur propriétaire. Les Enfants Perdus avaient omis quelques informations, apparemment...

Sans laisser une occasion de s'alarmer à son nouveau compagnon, il se jeta au-dehors en l'entraînant dans son sillage, s'attendant à entendre son hurlement paniqué. À la place, ce fut le silence qui lui répondit.

Me dis pas qu'il a claqué?

Il se tourna vers Ochaco qui, d'un battement d'ailes imperceptible, les saupoudra d'une bonne couche de paillettes. Cette petite luciole bavarde qui l'accompagnait partout était l'une de ses plus fidèles alliés.

« Tu es une fée? » s'enquit soudain un Izuku imperturbable malgré leur chute libre.

« Oui. » acquiesça la concernée. « Et toi, tu es vraiment un humain? »

« Pas sûr. » intervint son ami tandis que la magie commençait à faire effet. « Il est trop barré, c'est sans doute une erreur de classement. »

Un courant d'air ascendant les récupéra quelques étages seulement avant un impact mortel, leur donnant l'élan nécessaire pour s'élever dans les cieux.

« Je suis en train de rêver. » chuchota le supposé terrien.

« Nan, t'es juste suffisamment cinglé. » rétorqua son guide.

« Je pensais que... que j'allais mourir. » avoua-t-il, penaud.

« C'est ce que tu aurais voulu? »

« J'en sais rien. Je crois que j'ai perdu espoir. »

« Ça tombe bien, je suis là pour te le rendre. Je vais te faire rêver un bon coup, ça devrait te remettre les idées en place. »

Au-dessus d'eux, la voûte céleste brillait de tous ses feux, sublimée par de fins nuages aux teintes bleutées. Cette vision enchanteresse provoqua une vive émotion chez le vert, son quotidien pathétique soudain renvoyé au second plan.

« Au fait... » reprit son kidnappeur. « Moi, c'est Katsuki. »

D'abord, la laideur des villes polluées fut remplacée par la beauté de la nuit. Puis, sans qu'Izuku ait le temps de s'en apercevoir, la réalité disparut pour laisser place à un lieu auquel il se rappela avoir cru dur comme fer étant petit...

Deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin.

« Bienvenue au Pays Imaginaire. » lui lança son guide.

Sous eux se dévoilaient des décors emblématiques qui lui avaient inspiré de nombreux songes : là-bas, la Lagune des Sirènes, baignée d'une eau turquoise et parsemée de rochers aux reflets nacrés ; à l'opposé, la Réserve Indienne d'où s'échappaient des colonnes de fumée signalant les tipis des occupants ; au centre, une immense baie dans laquelle un navire à l'allure familière était amarré ; plus loin encore, le repaire macabre des parfaits rêveurs, auquel se balançait un nœud coulant peu accueillant...

« Katsuki? »

« Quoi, encore? »

« Vous êtes sûr que je ne suis pas décédé? »

Le blond, exaspéré, se contenta de secouer la tête en marmonnant des termes peu flatteurs à l'encontre de son protégé. Les Enfants Perdus allaient l'entendre.

« Il n'est pas comme je l'imaginais. » chuchota Ochaco à son oreille.

« Il a pas paniqué, pas fui, pas gueulé... » énuméra son ami. « Il s'est tellement préservé du monde réel jusqu'à maintenant qu'il en a oublié ses dangers. »

Quelques secondes plus tard, le célèbre Arbre du Pendu leur servit de piste d'atterrissage, ses branches grinçant comme pour les saluer. Izuku s'y rattrapa maladroitement, soutenu par la poussière de la petite fée, qui ne pouvait s'empêcher de le trouver touchant. Elle qui avait pourtant aidé des centaines de personnes n'avait jamais eu l'occasion d'approcher un tel spécimen, imperméable à la peur et dépourvu de l'instinct de survie le plus basique. Lui qui semblait avoir perdu son envie de vivre pouvait-il réellement être sauvé?

« Vous voilà enfin! »

Jaillissant d'un trou dissimulé à la base du tronc, deux individus vêtus d'étranges kigurumis animaliers les rejoignirent : l'ours avait des cheveux pourpres soigneusement ébouriffés, assortis à un regard rieur de la même teinte ; le lapin une crinière à peine plus foncée que celle de Katsuki, rendue quasi électrique par le doré de ses iris. L'écrivain en herbe les apprécia d'emblée, charmé par la vague de bonne humeur qu'ils amenaient avec eux.

« Dites, vous deux... » les interpella Katsuki, menaçant.

« Bah alors, vous faisiez quoi? On se posait des questions... » ricana le premier venu.

« J'ai galéré à le sortir de son pieu. Mais c'est pas le sujet, putain! »

« J'comprends, vous n'étiez pas pressés de rentrer... » le taquina le second, un sourire coquin au coin des lèvres.

Ils sont en train de nous imaginer faire des trucs ensemble, là?

Mortifié, Izuku sentit ses joues se colorer de gêne et... d'un peu d'envie?

« Vous me devez des explications, les connards. » fulminait son ravisseur. « Vous m'avez pas averti de l'état mental de ce type! »

« Tu sais, je suis juste à côté de toi... » tenta le type en question.

« On t'a pas sonné, si? » fut-il aussitôt rembarré. « Bon, est-ce que les autres sont là? Autant que je vous casse la gueule à tous, ce sera ça de fait. »

« Mais tu comprends pas! » s'insurgea le rouge. « Si Denki et moi t'avons envoyé vers lui, c'est parce que... »

« Abrège, Eijiro! »

« ... parce que toi seul peux l'empêcher de sombrer dans le monde des adultes. » acheva le jaune en recouvrant son sérieux. « Les fées l'ont prédit, figure-toi. »

« Qu'est-ce que tu me chantes, l'illuminé? Ochaco me l'aurait dit si... »

Au vu de la culpabilité clairement affichée sur l'adorable frimousse, il ne finit même pas sa phrase.

« Il reste peu de temps. »

Une jeune femme cornue entièrement rose, déguisée en renard, quitta l'arbre à son tour. La sclère de ses yeux était aussi sombre que le ciel, lui conférant une aura quasi mythique – rattrapé par ses réflexes, Izuku eut envie de la dessiner dans un de ses nombreux carnets afin de l'incorporer à un récit. Elle était suivie d'un grand brun au sourire apaisant, arborant quant à lui un costume de raton laveur.

« Mina, Sero? Qu'est-ce que vous racontez, bordel? » s'agaça Katsuki, les poings serrés. « Vous me cachez un truc depuis plusieurs jours et vous savez que je déteste ça. »

« On ne peut ni t'expliquer ni t'aider. » déplora Sero, abandonnant son air jovial. « C'est une mission que tu dois accomplir sans nous, de ce qu'on en sait. Si tu ne fais rien, il va se perdre... définitivement. »

Un silence pesant s'installa, au cours duquel Eijiro, Denki, Mina et Sero attendirent avidement la réponse de leur camarade. Leur inquiétude se discernait sans mal au travers de leurs attitudes stressées, ce qui ne fit qu'accentuer la perplexité du vert. Il ne parvenait décidément pas à saisir ce qui se passait, et ce même s'il était vraisemblablement le principal concerné.

« J'ai vingt-quatre ans. » jeta-t-il brusquement. « Je suis déjà adulte. »

« Boucle-la. » le tança Katsuki, l'œil mauvais. « Tu sais pas de quoi tu parles. »

Il lâcha un soupir interminable, visiblement partagé. Pourquoi cette mission pourrie lui tombait-elle dessus, hein?

« Bon. Je suppose que j'ai pas le choix. » grogna-t-il en tendant une main incertaine vers Izuku.

Lorsque celui-ci l'attrapa sans hésitation, les traits des Enfants Perdus se détendirent. Il subsistait peut-être un peu d'espoir, finalement.

Le Pays Imaginaire s'avéra encore plus merveilleux qu'escompté.

En survolant ses paysages divers et ses lieux emblématiques, Izuku ne sentait même plus la paume de Katsuki fermement maintenue contre la sienne. Il en oubliait presque la mort certaine qui l'attendait s'ils se lâchaient ne serait-ce qu'une seconde – Ochaco avait en effet choisi de rester auprès de ses congénères féériques, qui logeaient également à l'Arbre du Pendu. Une quiétude bancale avait donc fini par s'installer entre les deux voyageurs, que le blond n'avait que brièvement interrompue afin d'expliquer au vert qu'il ne devait se détacher de lui sous aucun prétexte : seule la magie héritée de ses amies ailées pouvait les faire voler.

Ils se baladaient entre les nuages, caressant parfois du bout des doigts la cime de grands feuillus, admirant leurs reflets dans les étendues d'eau claire. Malgré son désir de bavarder, Izuku n'avait plus prononcé un mot depuis leur départ, craignant de réveiller le courroux dévastateur qu'il avait subi jusqu'à présent. Il savourait ce moment hors du temps, entre émerveillement et douceur.

« T'en as eu assez, c'est bon? » claqua alors Katsuki.

Il ne sut que répliquer. Il n'avait jamais été très doué pour les joutes verbales, domaine dans lequel excellait ce râleur de compétition.

« Pourquoi tu me détestes à ce point? » se contenta-t-il de demander, délaissant le vouvoiement.

« J'te déteste pas. »

« J'ai pas entendu. »

« J'ai dit : je te déteste pas, putain! »

« Très convaincant. »

Leur cap changea sans qu'ils s'en rendent compte, trop occupés à se chamailler.

Quelques minutes suffirent à leur faire rencontrer l'une des montagnes créant le relief si particulier de l'île – une rencontre douloureuse. Déconcentré, Katsuki perdit le contrôle et ils s'écrasèrent plus bas, heureusement stoppés par des roches recouvertes de mousse.

« Est-ce que tout va bien? » s'inquiéta Izuku en se relevant, anxieux.

« Évidemment, tu crois quoi? J'suis pas en sucre! » cria l'autre.

« Pas la peine de t'énerver, je voulais juste... »

« Tu voulais juste quoi? Trouver une nouvelle façon de me gonfler? »

L'écrivain recula légèrement, sur le point de craquer. C'était comme s'il venait de se prendre une gifle monumentale.

Ses grands yeux se remplirent de larmes, qu'il tenta de retenir – en vain. Elles coulèrent librement, leur flux s'intensifiant à chaque seconde. Bientôt, des sanglots blessés lui échappèrent.

Katsuki paniqua et en oublia sa fureur. Il se précipita vers celui qu'il était censé protéger et le secoua. On aurait dit qu'il essayait de comprendre le fonctionnement d'un jouet cassé.

« Mais qu'est-ce que t'as? » répétait-il en boucle.

Izuku était incapable de formuler une phrase cohérente. Il ne se maîtrisait plus, l'horreur de ces dernières semaines l'ayant percuté en pleine face avec l'entrain d'un TGV. Les propos de son guide venaient de réveiller sa peur dévorante de l'abandon, sa phobie de l'échec, sa terreur absolue de la vie responsable qu'on lui imposait sans cesse.

Jamais personne ne lui avait offert un soutien entier et sincère – non, il n'avait droit qu'à des doutes, des rictus gênés et d'atroces rejets.

« Izuku? » s'obstina Katsuki. « D-Deku? »

Une énième ancienne blessure se rouvrit à la mention de ce surnom humiliant. Le harcèlement scolaire, la violence physique et psychologique, les blagues vaseuses sur sa famille pauvre, les insultes envers sa silhouette maigrichonne, les vols de ses devoirs et de ses goûters...

Deku. Le bon à rien.

« C-comment oses-tu utiliser ça contre moi? » hurla-t-il en repoussant durement le blond.

« Bah c'est comme ça qu'on t'appelait quand t'étais petit, non? »

« Je veux rentrer chez moi. Maintenant. »

« A-attends, pourquoi tu... »

« Je sais pas comment tu as su et ça m'est bien égal. C'est la goutte de trop. Ramène-moi dans le monde réel. Tout de suite.»

« Écoute, je... »

« Non. Épargne-moi tes conneries. »

« Je suis désolé, OK? »

« M'en fiche. »

« Mais écoute-moi, je... Je t'en prie, Izuku. »

Le calme dans cette voix, couplé à un désespoir naissant, l'adoucit. Dans sa grande mansuétude, il accepta de lui donner une ultime chance et le toisa, sans parvenir à effacer le froncement sévère de ses sourcils.

« Je suis vraiment désolé. » s'excusa Katsuki en rougissant. « Quand on m'a demandé d'aller te chercher, j'ai dû consulter pas mal de tes souvenirs pour te trouver... sans avoir le droit de les déchiffrer entièrement. C'est comme ça que j'ai su pour ce surnom. Je te jure que je n'avais pas connaissance de sa signification. »

Le regard soudainement attiré par ses pieds, il ajouta d'un ton presque timide :

« À mes oreilles, ça sonnait plus comme un encouragement que comme une insulte, en fait. »

Un encouragement?

« Bref, je comprendrais si tu... »

« J'te pardonne, c'est bon. » l'interrompit Izuku.

« Hein? V-vraiment? »

« Ouais. Tu viens de donner un sens plus... positif à ce nom, et ça m'apaise plus que j'aurais pu le souhaiter. Donc... excuses acceptées. Je crois. »

« T'es vraiment incroyable. »

Devenant franchement cramoisi, Katsuki se détourna. Les mots étaient sortis sans son accord, aussi essaya-t-il de toussoter afin de les disperser.

Compliment enregistré. Merci.

De cette altercation naquit une affection authentique. Ils se connaissaient à peine, n'avaient chacun que de rares bribes d'informations sur l'autre, mais le simple fait d'avoir su échanger leurs caractères l'espace de quelques minutes avait tout changé – une compréhension mutuelle s'était éveillée.

Pour autant, Izuku ne chercha pas à se renseigner sur la fameuse mission de Katsuki. Ce n'était pas qu'il s'en fichait, loin de là, mais il jugeait ces informations rationnelles peu utiles pour le moment. Il était si heureux, comme un auteur baignant littéralement dans une source d'inspiration divine. Seuls comptaient ce lieu merveilleux et les mystères fabuleux qu'il dissimulait.

La Lagune des Sirènes fut l'endroit qu'il préféra découvrir. Les vagues turquoises, les rochers nacrés sur lesquels de sublimes créatures se prélassaient, les rayons du soleil qui dévoilaient les trésors cachés sur le sable des profondeurs, les coquillages multicolores aux formes improbables...

Il aima aussi particulièrement le Jolly Roger, bateau du célèbre Capitaine Iida. Peuplé de pirates maladroits et bizarrement polis, ce navire lui mit des étoiles dans les yeux, lui remémorant les premiers romans que lui lisaient ses parents avant qu'il s'endorme. Combien de fois s'était-il imaginé chef d'un pareil équipage, voguant sur des flots impétueux, admirant son drapeau décoré d'une tête de mort menaçante?

Katsuki l'emmena partout, lui fit découvrir les moindres recoins de son univers. Son agressivité habituelle disparut au fil des visites, fondant comme neige au soleil face au regard émerveillé de son nouvel ami. Ils discutèrent de longues heures, de sujets anodins et de moments précieux de leurs existences. Cependant, pas une seule fois le rôle qu'était censé jouer le blond ne fut abordé.

Le vert se révéla être une personne adorable, portée par ses rêves d'enfance. Celle-ci n'avait d'ailleurs pas été idyllique, marquée par une cruauté bien réelle : mère et père décédés pendant l'adolescence, passages éphémères dans des foyers plus ou moins légaux, harcèlement scolaire omniprésent, solitude pesante... Et pourtant, il était devenu cet être si compréhensif et bienveillant.

Un être qui s'apprêtait à se transformer en adulte contre sa volonté.

Les jours et les nuits s'enchaînèrent à l'Arbre du Pendu, où les Enfants Perdus se pliaient en quatre afin de mettre leur invité à l'aise, à grand renfort de plats mijotés succulents, de plaisanteries aléatoires et de nombreux câlins. Même les fées, encouragées par Ochaco, s'amusaient à le divertir en effectuant des tours qui l'enchantaient, malgré leur simplicité.

Cela faisait très longtemps qu'Izuku ne s'était pas senti aussi... accepté. Plus rien ne comptait pour lui en dehors du Pays Imaginaire. Si ce n'était qu'un rêve, il souhaitait ne jamais le quitter.

Cette plongée au cœur de la fantaisie la plus pure, dépourvue des considérations manichéennes des adultes, lui donnait envie de s'y noyer sans regret.

Finalement, plusieurs semaines s'écoulèrent ainsi, au cours desquelles Izuku se familiarisa avec les merveilles cachées de l'île et ses habitants. Les Enfants Perdus lui avaient confectionné plusieurs habits assortis aux leurs, inspirés de divers animaux de la forêt. Le vert fut plus que ravi de se séparer de son vieux pyjama rapiécé.

Ce jour-là, alors que le crépuscule s'emparait petit à petit des cieux, il volait en compagnie de Katsuki, comme toujours vêtu d'une tenue dans les tons pistache. Plus que jamais, il ressemblait à un Peter Pan rebelle... ce qui n'était pas pour lui déplaire, il devait bien l'admettre.

Plus loin se dressait leur destination : le sommet de la plus haute montagne. Leurs mains fermement enlacées, ils s'élançaient afin de ne surtout pas louper le coucher de soleil qui s'annonçait magistral. En se posant à l'endroit désigné par le blond, Izuku ressentit immédiatement une vive émotion.

Plus encore : la sensation d'avoir trouvé sa place exacte dans l'univers.

Les nuages les entouraient, parés de leurs plus belles couleurs : orange, rose, mauve, beige – toutes sublimées par la lumière éclatante que renvoyait l'astre mourant. C'était comme si chaque élément du Pays Imaginaire était enveloppé d'une couche de magie supplémentaire, propre à le rapprocher de la notion de perfection.

« Deku. » l'interpella alors Katsuki.

Il avait finalement conservé cette appellation, bannissant sa connotation négative. Ses lèvres parvenaient à lui conférer ce sens qu'il chérissait désormais.

Le Deku qui donne du courage.

Son guide en avait-il besoin actuellement?

« Je pense qu'on doit parler. »

« Vraiment? »

Il rechignait à détourner son regard du spectacle solaire.

« Ouais. Tu as un choix à faire et... je veux que tu aies connaissance de tout. » insista Katsuki.

« C'est moi ou tu as peur? » s'étonna Izuku en lui accordant enfin son attention.

« Bah... Peut-être bien. » admit-il, penaud.

Leurs doigts toujours entremêlés, ils se dirigèrent naturellement vers un rocher plat derrière eux, rendu brillant grâce au mica qu'il contenait. Presque graves, ils s'y assirent.

« Je te demande de m'écouter sans me couper, d'accord? » commença Katsuki, visiblement stressé.

Un acquiescement inquiet plus tard, il se lança dans le discours qu'il avait minutieusement préparé – décousu par la solennité de l'instant.

« Notre rôle est de sauver l'âme d'enfant qui sommeille en chacun de nous. Chez énormément de personnes, elle meurt trop brutalement pour qu'on puisse intervenir ; plus rarement, chez d'autres, elle survit même après la fin de l'adolescence... C'est le cas de la tienne. »

Reportant ses iris grenat vers les étoiles naissantes, il continua :

« Quand quelqu'un perd totalement espoir, ça signifie qu'elle est sur le point de disparaître. C'est un événement définitif – aucun moyen de revenir en arrière... Raison pour laquelle j'ai été envoyé dans ton monde. Je suis le seul apte à traverser la frontière. J'ai récupéré une infinité d'âmes, on leur a redonné la capacité de rêver, puis je les ai systématiquement reconduites... Mais, pour la première fois, j'ai envie d'en garder une. »

Tremblant, il se força à regarder Izuku.

« Quand tu as débarqué ici, tu m'as effrayé. J'imagine qu'au fil des siècles, je me suis habitué aux réactions humaines. Tu es le premier à avoir bouleversé mes croyances, prêt à tout pour rester fidèle à toi-même, jusqu'à en mourir... Tu m'as touché en plein cœur, Deku. Si j'ai pu ranimer cette part originelle en toi, sache que tu as accompli quelque chose de bien plus grand en moi. Je t'avais dit que j'étais là pour te redonner espoir ; au final, c'est surtout toi qui a ravivé le mien. »

Sa respiration se bloqua à plusieurs reprises, l'émotion lui serrant la gorge.

« Deku, j'ai envie que tu restes. J'ai envie de te faire vivre les plus beaux songes des mondes. Je veux que tu m'aides dans ma mission, que tu rendes le sourire à d'autres rêveurs en difficulté. Que tu les sauves comme tu m'as sauvé, moi. Tu... Tu m'as dit que je te faisais penser à Peter Pan. Est-ce que... Est-ce que tu accepterais de devenir une sorte de... Wendy? Ou de Fée Clochette? Ou de n'importe quel personnage capable de voler au côté de ce crétin? »

Izuku n'avait pas conscience de ses joues couvertes de larmes.

« Le choix dont je te parlais plus tôt est le suivant : tu peux rentrer chez toi, réussir en tant qu'écrivain, fonder une famille... Ou tu peux vivre ici en abandonnant ces perspectives. Tu ne verras alors plus le temps s'écouler, ton corps sera figé dans tes vingt-quatre ans. Tu seras un Enfant Perdu. »

Avalant sa salive avec difficulté, Katsuki contempla son Deku sans rien ajouter, dans l'expectative. Peu importait sa réponse. Dans tous les cas, son existence avait déjà été bouleversée pour l'éternité à venir.

« Je ne serai pas perdu tant que tu seras avec moi. »

Une joie intense éclata dans sa poitrine, réchauffant son palpitant.

« Je serai celui qui te tiendra la main dans le ciel, Kacchan. »

Là, tandis que la lune se levait lentement, une histoire commença. Elle était de celles comme on en lisait peu, plus belle encore que toutes celles écrites par Izuku.

Celle de Peter Pan, qui avait enfin trouvé l'amour de sa vie.

Celle de Wendy, qui lui offrait son âme d'enfant.

Celle de deux êtres en perdition qui avaient enfin accosté, dans la mer du Jolly Roger.


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