Chapitre 4

— Tout ça me rappelle un roman que j'ai lu, soupira Seokjin après que je lui ai raconté la rencontre avec le mystérieux Jung Hoseok et le bijou qu'il avait laissé derrière lui.

— Papa, j'ai faim, couina Noah en tirant sur le tablier de son père pour capter son attention.

Comme chaque mercredi, il passait la matinée avec ses parents au café, ensuite, Namjoon l'emmenait pour aller faire des activités extrascolaires en début d'après-midi.

Son père ne réagissant pas, je partageai mon toast en deux et lui en tendit la moitié. Il prit place à côté de moi et mâchouilla son pain en écoutant Seokjin d'un air absent. Il nous racontait avec entrain la trame du roman qu'il avait lu quelque temps auparavant et qui d'après lui, était semblable en tout point avec mon histoire.

Je hochai la tête d'un air entendu en faisant mine de suivre, mais j'avais décroché au moment où il avait mentionné un elfe et une quête mystique.

Un mal de tête lancinant vrillait mes tempes et c'est avec soulagement que j'entendis le carillon de la porte émettre sa douce musique.

Jungkook passa le seuil et s'arrêta en me voyant attablé au comptoir.

— Tu n'es pas censé être à la boutique à cette heure ? demanda-t-il en jetant un coup d'œil à l'horloge sur le mur qui indiquait dix heures passées.

Je retins la remarque cinglante qui me vint à l'esprit, sachant qu'il n'avait jamais été à l'heure.

— Dois-je te rappeler qui est le patron ?

Il haussa les épaules et vint prendre place à côté de moi.

— Salut morveux, dit-il à Noah en ébouriffant ses cheveux après s'être assis.

— Salut Kook.

— Il caille ce matin, râla-t-il en frottant ses mains l'une contre l'autre.

Aussitôt, Seokjin fit glisser devant lui un bol de lait chaud parfumé à la cannelle avec une brioche dont les effluves vinrent caresser mon odorat.

— De quoi vous parlez ? demanda mon cher employé et ami avant d'engloutir la totalité de la viennoiserie dans sa bouche.

— Seokjin fait un exposé littéraire.

— Hey ! s'écria l'intéressé en me donnant un coup de torchon. Ce n'est même pas vrai, mais avoue que cette histoire de bijou est intrigante.

— J'ai fait des recherches cette nuit, dit Jungkook, je n'ai absolument rien trouvé de similaire.

— J'en ai fait également et cela n'a rien donné, répondis-je en me levant.

— Tu vas faire quoi du coup ? me demanda Seokjin, les yeux pétillants de curiosité.

— Je vais aller travailler.

— Ce n'est pas ce que je te demande ! s'insurgea-t-il.

— Je n'en sais absolument rien, cependant je ne manquerai pas de te le faire savoir et ne t'avise pas d'ébruiter cette histoire, menaçai-je en agitant le doigt dans sa direction avant de me diriger vers la porte.

Je l'entendis souffler et retins un sourire. Le mari de Namjoon n'aimait rien de plus que les potins, seules distractions de la ville à la basse saison.

— Jungkook, appelai-je.

Il leva la tête de son bol fumant, une moustache de lait accrochée à sa lèvre supérieure.

— Quoi ?

Je levai les yeux au ciel.

— Laisse tomber, finis ton petit déjeuner.

Un sourire vint aussitôt orner ses traits.

Je lançai un au revoir à la cantonade et sortis dans le froid pour rejoindre la boutique.

J'ouvris le rideau métallique qui émit son couinement habituel, je réprimai un soupir de contrariété et allumai les lumières.

Jungkook fit son apparition dix minutes plus tard, un croissant coincé entre les dents.

Toute la journée, je ne pus m'empêcher de scruter les visages des gens qui rentraient dans la boutique dans l'espoir de voir le fameux Hope, mais, comme je m'en doutais, il ne se présenta pas.

Le bijou ne m'avait pas quitté, je résistai à l'envie de le sortir de ma poche pour l'observer.

Il semblait détenir des réponses auxquelles je n'avais pas accès.

Namjoon et Noah passèrent devant la vitrine en début d'après-midi alors que je m'occupai d'un client qui cherchait une montre à gousset du 19ᵉ siècle. Je leur adressai un signe de la main.

Le reste de la journée passa à la vitesse de l'éclair et c'est avec soulagement que nous fermâmes alors que la nuit commençait à tomber sur la ville.

Je retrouvai un semblant de paix en rentrant chez moi. Ma nuit écourtée de la veille pesait sur mes épaules et la seule envie que j'avais était de manger un repas chaud et de me glisser dans les draps pour me laisser aller dans les bras de Morphée.

Je réchauffai un reste de soupe et allai prendre une douche brûlante.

Je laissais les tensions de la journée s'écouler avec l'eau. C'est plus détendu que je me mis au lit, pourtant mon esprit restait préoccupé. Mon regard ne cessait d'être attiré par le bijou que j'avais reposé sur la table de nuit en rentrant.

Je finis par le prendre dans ma main et le fis rouler dans ma paume. J'eus l'impression qu'il se réchauffait à mon contact comme à chaque fois que je le touchais.

La lumière tamisée de la lampe de chevet lui donnait une couleur presque mauve que je trouvai fascinante.

J'avais beau y avoir réfléchi toute la journée, je ne savais pas quoi en faire. Son origine incertaine m'en interdisait la vente et, même si cela n'avait pas été le cas, je ne pouvais me résoudre à m'en débarrasser d'une façon ou d'une autre, bien que la logique aurait voulu que je signale cet étrange incident à la police.

Je soulevai la chaine argentée et portai le médaillon à hauteur de mes yeux. Les minuscules pierres qui étaient prisonnières de la bulle de cristal émirent un doux tintement. C'était une mélodie très particulière, si basse qu'on pouvait penser l'avoir imaginé. Le croissant en aigue-marine se balançait doucement au bout de son anneau dans un mouvement hypnotique. Je ne pouvais en détacher les yeux. Il semblait vouloir me conter mille histoires.

L'envie de le passer autour de mon cou faisait trembler mes doigts comme s'il me dictait sa volonté.

Jamais encore je n'avais été autant fasciné par un bijou, malgré les merveilles que j'avais pu rencontrer au cours de ma carrière.

J'avais l'impression qu'il vibrait faiblement entre mes doigts, je cédai à l'impulsion qui me taraudait et le passai autour de mon cou. Il vint se loger contre ma poitrine, tout près de mon cœur, comme s'il y avait été toujours à sa place.

Je posai ma main dessus et une douce chaleur m'envahit. Je me laissai glisser dans les draps et fermai les yeux. Mes doigts se resserrent inconsciemment sur le médaillon comme une promesse de protection avant que le sommeil ne m'engloutisse.

Les rêves commencèrent cette nuit-là.

...

J'étais dans une petite rue, des façades collées les unes aux autres se dressaient le long des trottoirs. Chacune possédait un petit escalier de quelques marches qui menaient à des portes d'entrée à la peinture écaillée sur lesquelles de vieux heurtoirs de bronze avaient verdi à cause de l'usure du temps.

De grands arbres jetaient des ombres sur la route le long de laquelle étaient garées des voitures à l'état incertain.

Les fenêtres étaient ouvertes pour profiter de la douceur de la température ambiante. Des effluves de cuisine s'en échappaient ainsi que des airs de musique bigarrés. Ici du jazz, là une plainte lancinante de fado. Un vieux transistor avait été posé sur le trottoir et crachait un air de country qui ne parvenait pas à couvrir le brouhaha ambiant. Les mélodies se télescopaient comme les différentes langues des habitants qui s'apostrophaient d'un côté à l'autre.

Des enfants jouaient au baseball à force de cris et d'éclats de rire. Les nuances de leurs couleurs de peau se mélangeaient dans un tableau vivant.

Le quartier me rappela Brooklyn avant sa réhabilitation, quand les familles d'immigrés venues des quatre coins de la planète s'étaient retrouvées au même endroit et avaient créé un microcosme de cultures dans moins de deux cents kilomètres carrés.

— Yoongi !

Je levai la tête vers l'une des maisons. Une femme se tenait à la fenêtre, elle cherchait quelqu'un du regard en fronçant les sourcils d'inquiétude. Je supposai qu'elle appelait l'un de ses enfants. Un petit garçon était posé sur sa hanche, il essayait d'attraper la soie noire des cheveux de sa mère qui lui tombait sur la poitrine.

Elle retira une mèche de ses petits doigts potelés avant de déposer un baiser sur son front. Le rire de l'enfant s'envola dans les airs. Elle se pencha et réitéra son appel.

— Yoongi !

Je la vis se pencher un peu plus et suivis son regard. Un jeune garçon arrivait en courant. Ses cheveux noirs un peu trop longs battaient ses joues rosies par sa course. Il s'arrêta devant moi et posa les mains sur ses cuisses à bout de souffle avant de relever la tête.

— Je suis là, maman.

— Dépêche-toi de venir faire ta toilette, ton père va rentrer du travail d'une minute à l'autre et Taehyung a faim.

Le bambin dans ses bras poussa une exclamation et j'en déduisis que c'était de lui dont il était question. Le dénommé Yoongi le vit faire et agita la main dans sa direction. Aussitôt, l'enfant tressauta de joie dans les bras de sa mère. Elle eut un doux sourire.

Elle était belle, aussi belle que ses enfants qui portaient ses traits délicats. L'ainé lui rendit son sourire, ses yeux disparurent derrière ses joues qui portaient les rondeurs de l'enfance.

Je le vis se redresser et partir en courant pour escalader deux par deux les quelques marches du perron. Il posa une main sur la poignée et s'arrêta avant de se retourner dans ma direction.

Son regard glissa sur moi et se planta dans le mien, je lui souris. Il détourna la tête et entra dans la maison.

Il ne m'avait pas vu.

...

Je me réveillai aux aurores avec son prénom sur les lèvres. Yoongi...

Je jetai un coup d'œil à travers la fenêtre dont je n'avais pas tiré les rideaux. Le ciel était bas et lourd de nuages.

Je restai ainsi perdu dans la contemplation de son dégradé de gris alors que mon esprit me portait vers mon rêve.

C'était étrange, je me souvenais rarement de mes aventures oniriques, pourtant, aujourd'hui, j'avais l'impression de pouvoir en redessiner chaque image.

Je finis par me lever, bizarrement apaisé. Je descendis dans la cuisine pour me faire un café. Il était encore tôt et, pour une fois, je n'avais pas à me précipiter.

Le ronron de la machine à café emplissait l'espace, j'en profitai pour aller ouvrir les volets dans le salon. Mon regard accrocha ma silhouette dans le grand miroir qui occupait l'entrée.

Le pendentif attira mon attention, je le pris dans les mains et le regardai de plus près, sa couleur avait changé. Il n'était plus mauve comme la veille, il était devenu d'un rose très clair, le même rose qui avait orné les joues rondes de l'enfant dont j'avais croisé le regard.

Yoongi...

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