Chapitre 1

L'automne à New Haven était certainement ma saison préférée.

Nous sortions enfin de la fournaise infernale de l'été où la moiteur de la ville vous collait à la peau comme si elle ne devait plus jamais vous laisser respirer.

On disait que la ville ne dormait jamais, ce n'était pas tout à fait vrai pour qui savait la connaître.

L'été, elle était en apnée, livrée à la horde de touristes qui venaient prendre le frais loin de la chaleur étouffante de New York.

Je m'en sentais souvent dépossédé à cette période, comme si l'on m'en volait son essence.

Un vent frais vint caresser mon visage, il était gorgé d'humidité et annonciateur de pluie. Je remontai le col de ma gabardine et accélérai le pas vers le café qui jouxtait la boutique et dans lequel j'avais mes habitudes.

Je poussai la porte qui émit une petite musique de bienvenue. Aussitôt, Seokjin leva la tête et eut un grand sourire.

— Un café noir, brûlant comme l'enfer et aussi amer que mes années fac pour Monsieur Park, cria-t-il à l'attention de Célia, son employée qui leva les yeux au ciel.

Je lui adressai un sourire complice. Seokjin était le compagnon de Namjoon, mon meilleur ami, et j'avais l'habitude de faire face à son humour, qui ne faisait rire que lui.

Je pris place sur l'un des tabourets hauts qui longeaient le bar.

Une tranche de pain grillée vint aussitôt se glisser devant moi. Je la pris et la croquai avec appétit.

C'était mon rituel du matin. Je m'arrêtais chez Seokjin et prenais mon petit déjeuner en sa compagnie avant de rejoindre ma boutique qui se situait à quelques pas de là.

Lui et Namjoon avaient ouvert le café quelques années auparavant quand je les avais informés qu'un local se libérait dans la rue.

Ils avaient quitté leurs emplois bien rémunérés de La City pour réaliser leur rêve.

Une grande partie de leurs économies y était passée. Il avait fallu tout refaire, de fond en comble, dans cet endroit qui avait abrité naguère une épicerie de quartier.

Le couple avait été mis à rude épreuve pendant cette période, cependant l'envie d'une meilleure vie pour leur fils Noah avait balayé les doutes et les nuits sans sommeil.

Namjoon avait gardé quelques activités de consulting qu'il traitait depuis son bureau aménagé à l'arrière du café. Cela leur permettait d'arrondir les fins de mois.

Je lui adressai un signe à travers la verrière qui le séparait de la salle. Il avait son téléphone à l'oreille et m'adressa une grimace. Je levai mon majeur en guise de réponse avec un sourire en coin.

— Ne distrais pas mon homme, me tança Seokjin en posant un gobelet de café devant moi.

J'en soulevai le couvercle et respirai son arôme qui me mit l'eau à la bouche.

— Je te ferai remarquer que ton homme se distrait très bien tout seul, dis-je en pointant du doigt le bureau dans lequel, Namjoon, toujours au téléphone, s'amusait à faire des lancers francs dans sa poubelle avec des boules de papier.

J'eus une grimace en le voyant louper tous ses tirs. Si j'étais féru de basket et de sport en général, mon meilleur ami semblait souffrir d'une aversion profonde pour tout ce qui constituait une activité nécessitant un minimum d'agilité.

— J'espère qu'il n'est pas aussi maladroit dans tous les domaines, marmonnai-je avant de tremper mes lèvres dans mon café brulant.

— Tu n'as visiblement aucune idée de ce qu'il est capable de faire avec ses doigts.

Je manquai de m'étouffer en avalant de travers. Je relevai la tête vers Seokjin qui me regardait un sourire aux lèvres.

— Et crois bien que je te remercie de ne pas m'en informer !

— T'informer de quoi ? demanda l'intéressé qui avait enfin terminé son appel.

Il s'approcha de sa moitié et lui déposa un baiser sur les lèvres.

J'enviais leur relation, malgré les tempêtes qu'ils avaient traversées, ils étaient amoureux comme au premier jour.

— Jimin ne veut pas savoir ce que tu es capable de faire de tes doigts.

— Je me passerai aussi de le savoir, dit Célia en passant devant le comptoir pour aller servir des clients en salle.

Namjoon éclata de rire en voyant la moue contrariée de son mari. Il lui caressa les cheveux avant de se tourner vers moi.

— Jungkook a appelé, il sera en retard et il te remercie de faire l'ouverture.

Je jetai un coup d'œil à ma montre avec une grimace. J'avais l'habitude de lambiner un peu au café avant de rejoindre la boutique. Or, il semblerait que ce ne serait pas le cas aujourd'hui.

— Je peux savoir pourquoi MON employé t'appelle pour t'informer de son retard.

— Peut-être parce que tu ne réponds pas aux appels et que tu ne lis jamais tes messages.

— Alors là, c'est faux !

Je sortis mon téléphone de ma poche et appuyai sur l'écran. Aussitôt, une notification m'informa que j'avais dix messages non lus et trois appels en absence.

— Bon OK, probablement, concédai-je de mauvaise foi en me levant et en récupérant mon gobelet de café. J'y vais du coup, sinon je vais être en retard.

— Et ne hurle pas sur ce pauvre garçon ! me cria Seokjin alors que je passai le pas de la porte.

Je levai la main sans me retourner et sortis dans la rue.

Quelques gouttes avaient commencé à tomber, j'accélérai le pas.

J'arrivai rapidement devant ma boutique et insérai la clé qui permettait l'ouverture de la grille métallique. Elle se releva lentement avec un crissement lancinant qui m'arracha une grimace.

Jungkook devait l'huiler, mais il avait visiblement encore oublié.

Ce gamin, qui n'en était plus vraiment un, allait me rendre fou. Je l'avais embauché trois ans auparavant. Il cherchait un petit boulot pour payer son loyer après des études de joaillerie qu'il avait terminées avec brio. Il était d'une intelligence vive, cependant, il n'avait pas anticipé la difficulté d'intégrer une grande maison en tant que créateur.

Plusieurs mois de recherche lui avaient ôté ses illusions. Il avait sauté sur l'occasion quand j'avais émis une petite annonce pour un poste à mi-temps dans ma boutique d'antiquité spécialisée en bijoux anciens. La façon qu'il avait d'observer chaque pièce comme un trésor unique m'avait convaincu de l'embaucher.

Je m'étais vite aperçu qu'il passait plus de temps à rêvasser, son cahier d'esquisses à la main, qu'à faire preuve d'efficacité, néanmoins ses connaissances en la matière étaient sans égal.

Nous avions fini par devenir amis, statut dont il usait et abusait régulièrement, notamment quand il n'arrivait pas à l'heure parce qu'il avait passé des heures à scroller sur internet à la recherche d'un prochain site d'urbex à visiter. C'était un passe-temps dont il était féru et dans lequel je l'accompagnais parfois. Cela me valait souvent quelques frayeurs que ce casse-cou ne manquait pas de me provoquer.

Je poussai la vieille porte de bois qui était restée la même depuis mon grand-père et fis quelques pas dans une semi-obscurité pour atteindre les commandes d'éclairage.

La boutique, qui était plongée dans la pénombre, se révéla.

J'avais tout fait refaire quand mon grand-père me l'avait léguée à sa mort.

J'y avais conservé l'esprit d'alors tout en y incluant des touches de modernité.

Les vitrines en bois précieux s'étaient vues octroyer un éclairage doux qui mettait en valeur les bijoux exposés. Ils brillaient de mille couleurs sur un velours d'un noir profond. Ils étaient classés par époque, ma préférée était celle des années 20. Le style Art déco était alors à son apogée et avait inspiré des artistes qui avaient créé des merveilles.

J'avais appris le métier sur le tas auprès de mon aïeul qui lui-même l'avait appris ainsi. Il était une bible de l'histoire de la bijouterie, j'avais été son élève le plus attentif. Je pouvais l'écouter parler pendant des heures.

La continuité de l'activité avait été une évidence, j'avais fait mes études en conséquence.

Je gardais un souvenir ému des années durant lesquelles nous avions travaillé côte à côte avant qu'il ne nous quitte brusquement alors que je le croyais immortel.

Je posai mon gobelet sur le comptoir et murmurai une prière à son encontre.

Du sang cheyenne qui coulait dans mes veines, je croyais comme eux que les esprits des morts nous accompagnaient toute notre vie.

J'avais parfois l'impression de sentir son regard bienveillant sur moi qui me murmurait que je faisais au mieux.

Ma grand-mère, dont je tenais ces origines, avait coutume de dire que j'avais reçu le don, cette capacité à sentir l'énergie de ceux qui étaient partis.

Je n'y avais jamais vraiment cru, mais je savais malgré tout qu'il était là, près de moi, comme il avait été de son vivant.

Je fus tiré de mes pensées par le doux bruit du carillon.

Un homme pénétra dans la boutique, je jetai un coup d'œil à ma montre et constatai qu'il me restait une dizaine de minutes avant l'ouverture.

Je l'observai à la dérobée. Il se tenait à contre-jour. De lui, je ne distinguais qu'une silhouette vêtue d'un jean et d'un sweat à capuche, rabattue sur sa tête pour se protéger de la pluie qui avait redoublé d'intensité.

Il ne correspondait en rien à ma clientèle habituelle qui était souvent fortunée. Les bijoux anciens se monnayaient bien plus cher que les nouvelles créations. On payait leur histoire autant que leur rareté.

J'en déduisis qu'il s'agissait d'un vendeur.

Ils étaient de toutes natures. Des héritiers qui se débarrassaient d'un legs encombrant, d'une histoire familiale trop lourde à porter, de souvenirs qu'ils préféraient oublier. Il arrivait aussi que certains ne cherchent que l'appât du gain.

Le trafic de bijoux volés était une affaire florissante, ce qui nous obligeait à tout consigner dans des registres que la police pouvait consulter à tout moment en cas de besoin.

Je m'approchai de quelques pas. Une subtile odeur d'ambre vint m'entourer.

— Puis-je vous aider ? demandai-je aimablement.

Il se tourna vers moi avec un sourire éclatant.

— Peut-être, à moins que ce soit moi qui ne vous vienne en aide...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top