Chapitre 72 : K A Y S S I

Tout le monde était arrivé. Je suis d'ailleurs un peu plus détendu depuis que Bartolomew et Anastasie, les amis d'Andrea que j'avais déjà rencontrés, sont là. En effet, la jeune femme -qui a désormais les cheveux dans une teinte rosé et violine- se débrouille un peu en français et semble beaucoup s'intéresser à ma relation avec mon châtain, ce qui fait qu'elle me pose sans relâche des questions sur nous, nos habitudes, et d'autres choses bien plus indiscrètes, elle s'entendrait bien avec Clothilde.

Nous nous sommes installés à table depuis un petit moment, il est déjà près de 21h00 et nous avons commencé l'apéritif avec l'entrée de saumon, mais Kayssi, ainsi que son frère Assaël manquent toujours à l'appel.

Au moment où Abraham sort la dinde du four et la pose sur la table, son téléphone émet un vibrement. Il se débarrasse des gants de cuisine pour lire le message qu'il a reçut. Immédiatement, il fronce les sourcils.

« Fuck ! I'll kill this asshole ! »

Sans rien dire de plus, il saisit sa veste, et sort de la maison. Je fronce les sourcils et me tourne vers tous les autres convives qui ne semblent pas l'avoir vu quitter la pièce, absorbés par leurs discutions.

Je sens que quelque chose va définitivement de travers ce soir. Je me lève à mon tour, répondant d'un regard à la question muette d'Andrea, lui signifiant de ne pas s'en faire, et je sors à la suite de son frère. Je dois courir pour parvenir à taper à la vitre de sa voiture sur laquelle il avait déjà enclenché la marche arrière.

« Il y a un problème ? » Demandé-je simplement, sourcils froncés, tout en reserrant ma veste sur mes épaules pour me protèger du froid mordant.

« Non, rien de grave, du moins je l'espère. Je devrais être revenu d'ici quelques minutes, t'en fais pas. »

Dubitatif, je relève :

« Tu menaces souvent de tuer des gens quand il n'y a rien de grave toi ? »

« Juste une affaire que je dois régler. Mais t'inquiètes, trois fois rien. Tu peux retourner à l'intérieur. Vous pouvez même commencer la dinde, ce serait dommage de la manger froide. »

Sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit de plus, il reprend sa marche arrière et s'éloigne de la maison dans laquelle je retourne. Une fois dans la cuisine, j'attrape Andrea par le coude et l'écarte un peu des autres personnes présentes.

« Il y a un truc bizarre. »

Sans comprendre, il fronce ses sourcils clairs, ses mirettes ambrées bordées de questions.

« Ton frère vient de partir je ne sais où en voiture juste après avoir reçu un sms. Je sens qu'il y a un truc pas net. Il n'était pas serein quand il est parti, il a pas voulu m'en dire plus, juste qu'il avait des truc à régler... Tu penses qu'il serait capable de faire venir tes parents ? » Hasardé-je seulement parce que c'est tout ce qui me vient à l'esprit.

Je vois la crainte traverser les yeux de mon châtain avant qu'il ne les ferme et ne secoue résolument la tête.

« Non. Non il ne ferait pas ça. Pas comme ça, pas le jour du réveillon de Noël. En plus à ce que je sais, il ne reparle plus à nos parents. Enfin plus à ma mère c'est sûr, mon père je sais pas. Dans son cas, c'est lui qui a choisi de tirer un trait sur nous tous... Mais Ab' n'aurait jamais fait ça. »

Je pose mes mains sur ses joues et le force à me regarder.

« Non ? Bien sûr que non. Je ne sais même pas pourquoi j'ai pensé ça. Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur. C'était stupide. Je suis sûr qu'il y a une explication tout à fait logique. »

Ça me fout la rage de voir que rien que le fait de penser que sa mère pourrait venir le rend si mal. Je me sens coupable une fois de plus, sans réelle raison. Juste parce que ça me fait mal de voir ses yeux embués de larmes cruelles.

La sonnette retenti et il va ouvrir la porte, laissant nos interrogations de côté. Il retient une exclamation de stupeur au moment où il ouvre la porte, une main en travers de ses lèvres. J'imagine immédiatement le pire, mais la voix que j'entends me rassure.

« Alors, ça me donne un air viril et complètement bad-boy, pas vrai ? »

Je n'aurais jamais cru dire ça un jour, mais à ce moment, entendre le timbre bien particulier, à la fois chaud et trainant d'Assaël, me fait plaisir.

« Mais que... Comment ? Et qui ? C'est... »

Je le rejoins devant la porte pour voir ce qui le fait tant perdre ses mots, et je découvre avec stupeur qu'une cicatrice barre le visage du noiraud, sur son œil gauche, du haut de son sourcil au milieu de sa pommette.

« Oh mais tu as amené ton petit-ami avec toi ! Heureux de te revoir Éos. »

Comme s'il ne le savait pas, et qu'Andrea ne le lui avait pas dit au téléphone, mais étonnement, il a réellement l'air heureux. Ça me surprend un peu, mais je lui rends son sourire. Il se tourne ensuite de nouveau vers Andrea.

« Avoue, ça me donne un charme mystérieux, un peu comme Scar. Et avoir le look d'un méchant Disney, c'est quand même vachement cool, non ? »

Andrea approche sa main de la marque indélébile laissée sur son visage.

« C'est douloureux ? »

Assaël lâche un petit rire comme si la question était entièrement stupide.

« C'est cicatrisé depuis un moment déjà. Ne t'en fait pas pour ça, juste un petit accrochage, il y a six mois avec un des kamés du quartier, rien de bien grave. »

« Pardon, mais tu as vu la cicatrise que tu as ? En plus je suis sûr que tu aurais pu perdre un œil avec ça. Tu traînes dans des trucs pas nets ou quoi ? »

« Mais non, c'était juste un type stupide qui avait forcé sur l'ecsta, moi j'avais un peu trop bu, il y a eut une insulte, puis une autre, et enfin celle de trop, j'étais avec un ami plus jeune, il a dit des trucs que Léonard n'aurait jamais dû avoir à entendre, j'ai deraillé, on s'est frappé, avant que je le vois, il avait sorti un couteau à cran d'arrêt. J'ai eut de la chance, j'ai pas eut beaucoup de points de sutures et ils sont discrets, mais la cicatrise restera. BREF, comme je te l'ai dit, rien de dramatique, il n'y a pas mort d'homme après tout. Bon tu te décides à me faire rentrer ou on va rester là toute la soirée, sur le pas de la porte ? »

« Oh merde, oui, vas-y, entre. »

Au même moment, les phares du pick-up d'Abraham éclairent la cour. Abraham en descend, et quelques instants plus tard, Kayssi, le visage fermé, fait de même. Il porte la veste de son aîné. Au moment où il passe la porte, Assaël l'attrape par le bras, soucieux.

« Il s'est passé quoi ? »

« Rien du tout. »

« Kay' je te connais, t'es mon frère et je vois bien quand il y a quelque chose qui ne va pas. »

« C'est bon j'te dis. »

Le jeune noiraud se dégage de la poigne de son frère et part vers sa chambre. Alors Assaël se tourne vers Abraham qui vient de refermer la porte d'entrée derrière lui et lui lance un regard interrogateur. Ce dernier hoche  négativement la tête, comme pour signifier qu'il ne lui dirait rien lui non plus.

C'est là que je remarque la couleur violacée que prenait doucement l'arrête de sa mâchoire. Voyant mon regard, il élude en un souffle une fois à ma hauteur :

« Le patron de Kayssi. Un connard, comme je l'avais dit. Dis rien à Andrea, il s'inquiéterait pour rien. »

J'acquiesce discrètement alors qu'il part rejoindre Kayssi dans la chambre.

Ils réapparaissent bientôt, Kayssi changé et le sourire aux lèvres, comme s'il avait tout oublié de l'élément perturbateur de ce soir que, je crois, personne n'a réellement comprit, et la soirée peut réellement débuter, tout le monde présent et souriant. Je me note mentalement de me renseigner auprès d'Abraham, mais pas ce soir, pas quand tout le monde a un si joli sourire et pas le soir du réveillon.

Les mains sous la table, je fais nerveusement tourner ma bague autour de mon majeur. En réalité, c'est plutôt la bague d'Andrea, il me l'avait passé pour me porter chance le jour de mon entretien d'embauche chez le photographe. Je ne la lui ait pas rendue. Je crois qu'il le sait, mais qu'il fait exprès de ne pas le voir. Je crois qu'il est content que je la garde, ou quelque chose comme ça. Une fois je l'aisurprit à sourire en la regardant orner mes doigts. Mais depuis, j'ai aussi développé ce tic nerveux -de la faire tourner autour de mon doigt- dès que je suis stressé, comme maintenant. Parce que je vois les joues de toute la tablée rosies par le vin, et que j'aimerais partager cette euphorie. Il serait si simple d'attraper cette bouteille et de me servir un verre. Rien qu'un tout petit, juste pour accompagner leurs rires un peu trop forts. Je sers mon poing, la bague à l'intérieur, jusqu'à m'en faire mal. Il faut que je résiste, ou je vais encore tout gâcher. Et au fond que crois que c'est là ma plus grande phobie. Mais c'est plus fort que moi, je tends une main incertaine vers la bouteille, alors que personne ne regarde, j'effleure le goulot du bout des doigts, avec cette impression misérable d'être un enfant en train de faire une bêtise, pouvant se faire prendre à tout moment la main dans le sac -ou plutôt la main sur le goulot- et quelque part c'est un peu ce que je suis, un enfant capricieux qui peine à se contenir devant ses addictions...

D'un geste rapide, presque précipité, je me lève, faisant tomber la chaise derrière moi. Je ne prens pas même la peine de la ramasser, je m'enfuis dehors. Une fois à l'extérieur, saisit par la morsure du froid, j'ai l'impression d'enfin respirer. Je prends une grande goulée d'air. Dans ces moment, j'aimerais avoir une cigarette pour me détendre, mais ça aussi j'ai arrêté. Et ça a été beaucoup plus facile. Il a suffit que je le décide... A la lueur jaunâtre des lampadaires, je regarde les flocons de neige tomber doucement, puis je pose les yeux sur la bague d'Andrea qui a laissé une marque rouge sur ma paume. Je ne me suis pas rendu compte que je serais si fort. Je la remet à mon doigt et embrasse le métal froid du bout des lèvres. Derrière moi, la porte de la maison s'ouvre. Je ne dis rien, laissant l'importun parler à ma place, sans me retourner.

"Je suis passé par là aussi."

C'est avec surprise que je reconnais la voix d'Assaël. De tous ceux qui auraient pu venir me remonter le moral, c'est celui que j'attendais le moins.

"Moi aussi, j'ai passé des mois et des mois à me débattre contre mes démons en essayant de garder la face, pour n'inquiéter personne. Et c'est comme ça, dans une guerre, il arrive que l'on perde des batailles, ou qu'il y ait match nul. Ce soir on peut dire que pour toi c'est match nul. Tu n'as pas pu faire comme si tout allait bien, mais tu n'as pas bu non plus. Un partout balle au centre. Je vais pas te sortir un truc à la con comme quoi ne pas laisser l'adversaire gagner est déjà une victoire. Non. Un match nul est un match nul. Ce vaut ce que ça vaut. Rien. C'est ni mieux ni pareil qu'une défaite. Tout ce que tu as à faire c'est de continuer à te battre jusqu'à enchaîner les victoires. C'est ni simple, ni marrant, mais crois-moi, ça vaut le coup. Vraiment. Aller viens, on rentre à l'intérieur avant que tu n'attrapes la crève."

Avec une grande inspiration, je le suis. Je ne réponds rien à ce qu'il m'a dit, de toute façon je doute qu'il attende une réponse de ma part, je me contente de le remercier silencieusement d'un simple petit signe de tête qu'il me rend tout aussi sobrement.

J'eus la désagréable surprise d'apprendre qu'ils faisaient tous partie de l'équipe qui ouvrait les cadeaux seulement le lendemain matin. Alors après un énième verre de vin pour toute la tablée -de coca pour moi- nous sommes montés nous coucher. Assaël, qui, après sa petite intervention auprès de moi au sujet des batailles et de la guerre, a passé près de la moitié de la soirée au téléphone avec ce Léonard -nom qui me dit réellement quelque chose, mais je n'arrive pas à me souvenir quoi- est rentré chez lui, après avoir promis à son frère de revenir le lendemain pour les cadeaux. Les autres sont restés dormir, entre le canapé et les deux trois matelas disposés au sol dans le petit salon. Quant à Andrea et moi, nous avons eut le privilège de pouvoir profiter de la chambre d'ami, petite et au lit qui grince -ce qui ne laisse que très peu de possibilités pour les activités nocturnes- mais au moins nous n'avons pas eut à supporter les ronflements de Krys, l'ami d'Abraham. Et ça, c'est pas plus mal.

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J'espère que le chapitre vous a plu.

A partir de demain, je recommence à poster un chapitre par jour. Et jusqu'à la fin du livre, si j'y arrive.

Avec amour et dévotion,

Paradoxalementparadoxale

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