Chapitre 67 : D A D

{J'ai pas d'images pour ce chapitre, parce que cette chanson -qui au passage est merveilleuse- convient parfaitement mieux !}
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Andrea se gare sur le petit parking de l'immeuble indiqué par mon père dans son sms et coupe le contact. Il se tourne ensuite vers moi qui en suis presque à le ronger les ongles à sang. Je suis stressé, inexorablement, implacablement. Il pose sa main sur la mienne et l'éloigne de ma bouche.

« Ça va aller ? »

Je prends un moment pour répondre. Pour une fois je réfléchis vraiment à cette question qui est beaucoup trop souvent simplement rhétorique. Je me demande réellement si je serais capable d'affronter les choses qui vont venir et je n'en suis pas certain, mais j'ai besoin de le faire, de laisser toute une partie de ma vie derrière moi, et ce sera fait que si je me montre fort et que je l'affronte. Alors je sers la main d'Andrea et répond :

« Ouais, ça va aller. Je crois que je suis prêt, du moins autant que je puisse l'être... »

Nous sortons de la voiture, et je me dirige vers l'interphone, avant de me laisser le temps d'hésiter, j'enfonce la touche Privelsy. Ça me fait étrange de voir mon nom sur un autre interphone que le mien. La porte se déverrouille et nous entrons dans le hall, je me précipite pour retenir la porte de l'ascenseur et monte avec une femme et un petit garçon d'une dizaine d'années. Elle nous sourit et demande gentiment :

« Quel étage ? »

« Cinquième. »

Je réponds sans réfléchir tant je me suis répété l'adresse dans ma tête tout le long du trajet.

Immeuble Les mauricettes, placette Rimbaud, cinquième étage, appartement 303...

« Comme nous ! » S'exclame le petit garçon comme si cela avait une quelconque importance.

« Oui, comme nous trésor. »

Andrea lui sourit, les enfants le font toujours craquer, et moi je ne le trouve que plus adorable.

Pendant la montée des cinq étages, seuls les babillements joyeux du petit se font entendre, et je suis trop mal à l'aise pour y prêter la moindre attention.

Le petit ding de l'ouverture des portes me fait sursauter, et je reprends mon souffle en sortant de l'ascenseur, comme au sortir de dix minutes d'apnée.

Je fais quelques pas dans le couloir, et attends Andrea. Il me rejoint et nous prenons le couloir opposé à celui dans lequel la femme et son fils ont disparut il y a quelques secondes. Nous parcourons quelques mètres dans le couloir silencieux avant qu'Andrea ne m'arrête en retenant ma main.

« C'est quel numéro ? L'appartement ? »

Je me tourne vers lui et remarque que je ne fais depuis tout à l'heure absolument pas attention aux numéros affichés sur les portes palières de chaque logement.

« Oh... Euh le 303. »

Je lève les yeux et remarque qu'il y a autour de nous les portes 253, 252, 251, 250...

« On va dans le mauvais sens. » Constate simplement Andrea en me tirant vers l'endroit d'où l'on vient. Il me fait repasser devant l'ascenseur et l'on arrive bientôt sur le palier de l'appartement 303.

« Voilà. Tu y es. » Souffle-t-il doucement mais sans pour autant lâcher ma main.

Et heureusement, parce que sa main dans la mienne est le seul encrage qu'il me reste avec la réalité. Sans cela, je sais que je me serais perdu dans mes penses qui s'entrechoquent si bruyamment en une cacophonie étourdissante. Et que j'aurais depuis longtemps pris mes jambes à mon cou.

Je sens qu'il voudrait dire quelque chose mais qu'il se retient, car il sait que j'ai besoin d'un petit moment pour moi, pour trouver le courage de dépasser cette étape, et je lui en suis reconnaissant.

Je lève la main vers la petite sonnette et laisse mon mouvement en suspend, envahi par les doutes et questionnements, puis je rabaisse le bars et me tourne vers Andrea, sentant mes yeux se remplir inexplicablement de larmes. Je souffle son prénom pour l'interpeller, parce que j'ai besoin de croiser son regard pour y puiser sa force, qu'importe si le mien est honteusement bordé de perles salées.

« Je vais pas y arriver. » Affirmé-je parce que je suis certain de ne pas en être capable.

Immédiatement il se rapproche de moi et m'entoure d'une douce étreinte pleine de réconfort.

« Hé, bien sûr que tu vas y arriver. Tu en es capable. Je le sais. Je le vois. Je le vois quand je te regarde, parce que je sais très bien tout le chemin que tu as déjà parcouru, et je sais aussi que ce sont les premières marches les plus compliquées à gravir. Alors si tu as su en arriver jusque là, tu sauras monter les suivantes. Comme hum... un théorème de récurrence. Tu sais ce que l'on dit, si tu regardes la montagne, jamais tu ne commenceras à marcher, mais si tu fais un pas après l'autre sans te poser de questions, tu arriveras au sommet sans même t'en rendre compte. »

J'expire les lèvres tremblotantes.

« Mais si tu veux, je peux t'aider à faire ce premier pas. » Propose-t-il doucement.

Je hoche la tête en me dégageant doucement de son étreinte et le regarde enfoncer la sonnette avant de se reculer pour me laisser devant, sa main posée dans mon dos en guise de soutient.

Le cliqueti de la porte se fait entendre et je mords ma joue pour tenter d'évacuer le stress. Puis la porte s'ouvre sur la femme de l'ascenseur. Je la dévisage un moment avant de bafouiller quelques mots m'excusant, soufflant doucement que j'ai dû me tromper d'appartement. Elle me sourit et me dit qu'il n'y a aucun mal à cela. Mais avant qu'elle n'ait pu refermer la porte, une voix d'homme se fait entendre depuis l'intérieur de l'appartement.

Et mon père apparaît dans l'embrasure. Je le reconnais immédiatement, même si cela fait plusieurs années que je ne l'ai pas vu, il a toujours les même jeux vers, dont j'ai hérité, et la même barbe et coupe de cheveux, bien que désormais toutes deux grisonnantes.

Je reste figé, à la limite de trembler.

« Aller, entre. » Dit ce dernier en se décalant pour me laisser entrer, Andrea à ma suite.

L'appartement est assez petit mais chaleureux. D'ailleurs, je suis surpris que cet endroit me paraisse si apaisant et convivial, j'aurais cru ressentir du dégoût, un genre de mal-être ou encore de l'aversion, mais non, rien. Seulement une très légère boule au ventre, en répétant dans ma tête ce que je pourrais bien dire à mon père comme un comédien qui aurait apprit son texte par cœur.

« Café, thé, chocolat ? » Demande la jolie femme de l'autre côté du plan de travail en sortant plusieurs tasses.

Je me crispe un peu, parce que je n'ai pas envie de m'éterniser, même si l'atmosphère est loin de l'ambiance tendue que j'aurais imaginé. Andrea de son côté répond tout sourire :

« Un chocolat chaud pour moi. Merci. »

Elle se tourne vers moi et je hoche négativement la tête signifiant que je ne veux rien du tout.

Mon père s'installe sur le canapé en face de moi et plonge son regard dans le mien. Pendant plusieurs minutes, nous nous regardons sans rien dire. Et contre toute attente, je suis le premier à parler.

« Alors c'est comme ça que tu as refait ta vie ? Je suppose que je fous un peu la merde, je fais tâche sur la jolie toile que tu as reconstruite. »

« Non, non, non ce n'est absolument pas vrai, tu... Éos, j'ai pas fais les bons choix, j'ai pas réussi à gérer, et c'est retombé sur toi alors que tu étais si petit et sans défense... Mais je ne regrette pas la famille que j'ai fondé avec ta mère, ni le fait que tu sois mon fils. Ce que je regrette c'est que tout cela soit parti en fumé sans que je ne sache rien faire. Alors oui, j'ai refondé une famille, mais il m'a fallu du temps, et je m'estime très heureux d'avoir eu le droit à cette nouvelle vie. »

« Si tu ne regrettes pas que je sois ton fils, pourquoi tu n'as jamais essayé de me revoir ? » Demandé-je alors que je connaissais pertinemment la réponse.

« La honte. J'avais honte d'avoir sombré dans l'alcool alors que j'aurais dû prendre soin de mon gamin de huit ans. Honte qu'il m'ait été enlevé et placé en foyer, puis en famille d'accueil. Je me suis bêtement persuadé que ta vie serait meilleure sans moi. »

Je le savais. Je le savais parce que je connais moi aussi ce sentiment de culpabilité, à croire que j'ai plus en commun avec mon père que ce que je veux bien croire.

« Elle l'a été. » Cinglé-je parce qu'au fond j'ai comme un besoin de me venger de l'abandon qu'il m'a fait subir. Mais j'ajoute : « Du moins pendant un certain temps. Après, je suis tombé aussi bas que toi. Je sors tout juste d'une cure de désintox' que je n'ai même pas eut le cran de faire complètement en hôpital, tout ça parce que ça me rappelait les rendez-vous chez le psy où tu laissais Maman m'emmener alors qu'elle y faisait à chaque fois des crises de démence, me hurlait dessus et que même les médecins l'avaient fortement déconseillé. »

J'avais besoin que cela sorte, et même si je l'avais voulu, ce n'aurait pu se faire d'une autre manière que par des mots cinglants, faits pour blesser. Parce que mon père et moi n'avons jamais su communiquer autrement qu'en se faisant du mal réciproquement. Voyant que je peine à garder le contrôle, à ne pas balancer les pires immondices juste pour être foncièrement méchant et me défouler sur mon géniteur, Andrea colle doucement son genoux au mien en un geste discret, mais qui se veut apaisant. Je prends une grande inspiration et tente de me calmer un peu alors que mon père se lève et se met face à la bibliothèque, comme pour être sûr de ne pas croiser mon regard qui doit être foudroyant à l'heure qu'il est.

« Je sais Éos, je sais que je n'ai jamais été un bon père pour toi. Et les médecins nous avaient tous mis en garde qu'élever un enfant serait très compliqué pour ta mère qui a toujours eut des tendances bipolaires, même bien avant que tout dérape. Elle a failli avorter, mais au dernier moment, je ne l'ai pas laissé faire. Je ne pouvais me résoudre à ce que l'on tue mon enfant. Je croyais que je pourrais être assez fort pour t'enlever tout en soutenant ta mère. Mais je me suis surestimé. Grandement. Mais ne va pas croire que je regrette ma décision. A ta naissance j'étais le plus heureux des hommes. J'avais enfin la famille dont j'avais toujours rêvé. Une épouse que j'aimais et un magnifique petit garçon. Tu étais la lumière de nos vie. Notre petit lever de soleil à nous, Éos. »

J'essuie rapidement les larmes qui manquent de s'échapper de dessous de mes paupières que je viens de clore. Parce que je me rends compte qu'il est beaucoup plus facile de détester une personne sans se poser aucune question, sans chercher à la comprendre. Parce que dès que l'on commence à comprendre, on se met à aimer, et haïr devient bien plus ardu. Détester sans chercher d'explications est une attitude tellement faible...

« Tu as toutes les raisons de m'en vouloir. Je n'ai pas été là pour toi. Jamais. Mais je suis heureux que tu m'accordes une chance de m'expliquer. Et de voir à quel point tu es devenu un homme. »

Son timbre de voix laisse trahir une émotion aussi vive que celle qui me tenaille le cœur, et il continue :

« Je sais que ça ne rattrapera rien du tout, mais à ta naissance, ta mère et moi avions ouvert un compte pour que tu aies quelques économies devant toi quand tu prendrais ton envol. Je ne pensais pas que je serais celui qui inconsciemment, à cause de ma dépendance à l'alcool, te pousserais du nid, mais toujours est-il que ce compte existe toujours, il était au nom de ta mère, maintenant il est au mien, mais cet argent est pour toi. J'ai continué à mettre dessus, même après que tu sois allé en famille d'accueil, en centre éducatif où que tu aies demandé l'émancipation, même si je n'étais plus ton tuteur. Je n'ai jamais eut à cœur de couper le versement automatique, je ne sais pour quelle raison, parce que je ne pensais pas que tu chercherais un jour à reprendre contact, sans doute parce que de cette manière, le fait de t'avoir abandonné me paraissait lâchement un peu plus supportable. Il doit y avoir sur ce compte près de 15 000 euro. Et ils sont pour toi. »

« Qu... Quoi ? Non. Je ne peux pas l'accepter. Je... Je veux dire c'est beaucoup et... »

Je plonge mon regard dans celui d'Andrea, parce que d'un côté cet argent nous permettrait une certaine stabilité pour les prochains mois, nous pourrions même envisager d'acheter un appartement plutôt que de louer. Mais je me sentirais comme un profiteur si je le prenais. Je suis venu voir mon père pour faire la paix avec mes démons, pas pour lui extorquer de l'argent, qu'importe s'il dit que c'est mon argent.

Je regarde ensuite son fils, mon demi-frère, qui dessine tranquillement à la craie Grasse sur une feuille, installé à même le sol et déclare.

« Donne-le lui cet argent. C'est ton fils. Celui pour lequel tu seras vraiment un père. Je ne suis pas venu pour réclamer quoi que ce soit. Je me débrouillerais, comme je l'ai toujours fait. Mais en échange, promets-moi que ce coup-ci, tu feras vraiment les choses bien. Au final, on ne se connais pas si bien que ça, mais tu m'as l'air d'avoir réussi à changer, à devenir quelqu'un de bien. Alors continue. C'est tout ce que je veux. Que même si cette famille vole en éclat, tu sois là pour ce gosse. »

Je me lève en suite, parce que je sais que nous n'avons plus rien à nous dire, le passé est ce qu'il est et il nous a trop amoché pour que lon puisse l'ignorer, et je prends ma veste. Andrea qui n'a trop rien dit se lève en même temps que moi et mon père me retient avec quelques mots :

« Je suis contant que tu aies un ami sur qui compter quand tu dois faire face à une épreuve. »

« Petit-ami. » Le corrigé-je, comme si je le mettait au défi de me juger.

« Petit-ami. » Répéte-il dans un sourire.

Il nous raccompagne jusqu'à la porte, conscient lui aussi que nous n'avons pas grand-chose d'autre à faire ensemble, trop de temps à passé.

Une fois sur le palier, il me demande :

« C'est la dernière fois que l'on se voit, n'est-ce pas ? »

« Ouais. Je compte passer à autre chose. Tu as refais ta vie, je dois refaire la mienne et en enterrer quelques morceaux sous les fondation pour être sûr que ce sera stable. »

Il hoche la tête, résigné. Parce que lui comme moi savons que se revoir ne serait d'aucune utilité, mais il reste difficile de tirer un trait sur une partie entière de notre vie.

Il hésite, puis fini par céder et me prend dans ses bras, murmurant :

« Je suis fier de l'homme que tu es mon fils, même si tu as dû te construire seul. »

Il a tort, personne ne se construit jamais seul. On est toujours influencé par quelqu'un ou quelque chose. Si je suis celui que je suis, c'est en grande partie grâce à Andrea. Rien que le fait que je sois venu ici aujourd'hui est de son fait.

J'offre néanmoins un signe de tête à mon paternel avant de souffler :

« Merci. »

Je ne sais pas de quoi je le remercie, mais je sentais que j'avais besoin de le faire. Il m'offre un signe de tête et un petit sourire en guise d'adieu, et, ma main rejoingnant celle d'Andrea, je me dirige vers l'ascenseur pour descendre, même si j'ai plutôt l'impression que je pourrais m'envoler tant un lourd poids semble avoir quitté mes épaules.

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Wow, j'ai vraiment eut du mal a écrire ce chapitre, je ne savais pas comment m'y prendre et je ne sais même pas si l'on ressent l'émotion que je voulais faire passer, jai peur qu'il soit légèrement trop fade, vous en pensez quoi ?

Avec amour et dévotion,

Paradoxalementparadoxale.

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