Chapitre 56 : L U L L
Je descends de la voiture et Andrea en fait de même. Le vent souffle par bourrasques et soulève doucement ses mèches châtains. Je l'attire contre moi et pose ma veste sur ses épaules. Il lève les yeux au ciel mais ressert tout de même les pans du vêtement autour de ses épaules.
Le temps sent la pluie, l'odeur du béton mouillé, et je sens que nous allons avoir droit à un orage énorme cette nuit. Le vent fait déjà craquer les branches des arbres.
J'ouvre la bouche, mais ne trouve que dire et la referme. Je déteste plus que tout ce sentiment... Celui de ne pas savoir quoi lui dire. J'ai l'impression de revenir deux ans en arrière quand j'ignorais ce qu'étaient les sentiments et tout ce qui s'y rapporte. Pourtant je sais que je dois avoir une discussion sérieuse avec Andrea. Parce que je sais qu'il n'est pas non plus au mieux de sa forme. Qu'il a encore des choses à régler avec lui-même et je ne veux pas qu'il mette sa vie entre parenthèses pour ma petite personne. Par exemple, depuis combien de temps m'a-t-il pas appelé son frère ? Je suis en train de le faire s'isoler et de le concentrer seulement autour de moi.
Une fois dans sa chambre, il enlève ma veste et me la repasse.
« Ça va Éos ? Tu as l'air un peu ailleurs. »
« Je pensais juste à cette soirée dont tu m'as parlé dans la voiture... »
« Oh, si ce n'est que ça... »
« Tu as réellement envie d'y aller, n'est-ce pas ? »
« Je me disais que ce pourrait être sympa, mais... Je comprends que tu ne sois pas prêt pour cela. Ne t'en fais pas... »
« Vas-y. Moi je n'en serais pas capable, mais toi tu le peux. Tu ne vas pas rester enfermé ici jusqu'à ce que je sois totalement... Guérit. Sors et vas t'amuser. »
« Mais... Et toi ? »
« Je ne vais pas mourir à une soirée seul. Et puis je pourrais toujours aller chez Nuccya qui... »
« Pourquoi tout revient toujours à elle ? Tu passes plus de temps chez elle qu'avec moi ! Alors c'est quoi, tu compte aller carrément vivre chez elle aussi tant que tu y es ? »
Je savais bien que cette discussion allait arriver, tôt ou tard. Il fallait bien qu'il se rende compte que je passe tout mon temps avec Nuccya ces derniers temps. Et ses reproches sont tout à fait légitimes.
« Ne me fais pas dire ce que je n'ai as dit. Nuccya est devenue... Presque comme une amie, je sais qu'elle nous a fait du mal, mais en réalité c'est une fille gentille, et attentionnée. Ce qu'elle a fait pour moi est juste... Je crois que je commence à m'en sortir, et je lui en suis reconnaissant. Son soutient m'a été, est m'est toujours d'une grande aide, tu comprends cela j'espère ? » Soufflais-je on m'asseyant sur le lit en tapotant la place à coté de moi.
Nous devons avoir cette discussion, même si je n'en ai pas la moindre envie.
« Ouais, ouais, je vois. Désolé. J'ai fait la gueule l'autre jour pour ta crise de jalousie et voilà que je fais la même chose. » Avoue-t-il les joues rouges.
« T'inquiètes. C'est rien. D'ailleurs, je suis désolé. J'ai sur-réagit la dernière fois, et je n'ai toujours pas pris le temps de m'excuser proprement... Je ne veux pas que l'on soit ce genre de couple qui s'offre des choses pour éviter de devoir de s'excuser. Je te donne ma voiture parce qu'elle te sera plus utile qu'à moi, mais pas pour que tu me pardonnes. Ça je veux que tu le fasses uniquement parce que tu en as envie, et parce que tu me crois quand je te dis que je ne serais plus jamais le genre de connard que j'ai été quand tu as voulu me présenter ton ami Djalah. D'ailleurs, si tu veux, tu pourrais l'appeler, et on irait faire un truc avec lui un de ces jours. Tu en dis quoi ? »
« Vraiment ? Ouais...Ça me ferait vraiment plaisir ! »
Je hoche la tête et laisse mon regard vagabonder sur les draps clairs de son lit retraçant les motifs floraux du bout des doigts. Je m'efforce de ne ressentir aucune jalousie quand je pense à cela, mais ce n'est pas une mince affaire parce qu'après tout il y a des milliards de garçons mon psychotiques que moi qui le rendraient bien plus heureux. Je n'ai jamais rien ressenti d'aussi ingérable et stupide à la fois. C'est vrai, il n'y a aucune raison d'être jaloux, après tout, j'ai confiance en Andrea !
« J'aimerais que tu prennes du temps pour toi, tu oublies ta famille et tes amis à cause de moi et de mes problèmes. Tu as été super pour me soutenir mais il ne faut pas que tu l'oublies dans l'équation. »
« Mais c'est mon rôle de t'épauler dans les épreuves que tu traverses. »
« Non, ton rôle est de penser à toi, d'être heureux pour toi. »
« Pourquoi ça ressemble à des adieux ? » Demande-t-il la voix tremblante
« Mais non, pas du tout, qu'est-ce que tu vas inventer ? »
« J'en sais rien, je flippe un peu c'est tout. »
« Pour mon traitement, j'ai le docteur Duflot et même si ça ne te plait pas, j'ai aussi Nuccya. »
Il hoche négativement la tête et avoue :
« Mon chat, je te fais confiance. L'aide n'est pas toujours là où l'on s'attends à la trouver. Et tu dois faire ce qui est le mieux pour toi. Pour t'aider à t'on sortir. »
« Tu es réellement parfait. Je ne sais même pas pourquoi tu penses que je te mérites. »
Il secoue la tête et se blotti contre moi. Enfin une soirée qui semble finalement vouloir se passer de manière normale
« Tu sais, ça fait un moment que tu ne m'as pas raconté tes séances avec le docteur Duflot, tout se passe bien ? Tu me dirais si quelque chose n'allait pas, n'est-ce pas ? »
« Mais oui, ne t'en fais pas pour cela. »
« Tu es sûr ? »
« Certain. »
« Mais... Même si tout va bien, tu veux pas m'en parler ? J'aimerais bien en tout cas. »
« Oh, ouais, pas de soucis alors... »
Je ne sais pas trop quoi lui dire, en réalité, si j'ai arrêté de lui en parler, c'est pour éviter d'avoir à lui mentir, et de me perdre ensuite dans mes mensonges. De nouveau mon regard se pose sur les draps à fleurs de son lit, ces motifs de grand-mère m'arrachent un petit sourire, ça donne à la pièce un petit côté vintage, et quand je vois Andrea dessus, je vois comme une photo d'il y a trente ans, avec quelques défauts, un peu trop de grains sur le papier et une couleur trop orangée. Mais jolie, rendue merveilleuse pas son petit sourire en coin.
« J'ai commencé à prendre des stabilisateurs d'humeurs, le docteur dit que ça m'aidera à gérer les crises. Elle dit que c'est normal que je me sente désorienté, et je ne sache plus trop bien comment appréhender les choses, qu'il va falloir que je réapprenne tout cela, que je recommençais sur une nouvelle page et qu'il fallait que je mesure un peu l'écart avec les marges, que j'allais un peu dépasser, raturer, mais que j'allais trouver le juste milieu et un équilibre. Au début, j'ai refusé de les prendre, j'avais trop peur que ça me fasse ressembler à ma mère, mais j'ai décidé qu'il faudrait peut-être mieux que je les prenne. »
Sans que je ne m'y attende, Andrea souffle, surement plus pour lui que pour moi :
« J'aurais aimé connaitre ta mère. »
« Hein quoi ? » Demandé-je éberlué.
« Ta mère, j'aurais aimé la rencontrer.. »
« Mais... Pourquoi ? Elle était folle Andrea. »
« Pour comprendre. Comprendre d'où tu viens. Te comprendre. »
« Connaitre ma mère ne t'aidera pas à mieux me comprendre, tout comme connaître la tienne ne m'a jamais aidé. Nos parents forgent une partie de ce que l'on pourrait devenir, pas qui nous sommes. »
« Tu as raison. Mais... »
« Oui ? »
« Je ne sais pas si je dois te demander ça... »
« Tu peux tout me demander. »
« C'est délicat... »
J'attrape son menton pour le regarder dans les yeux, contempler les paillettes d'or de ses mirettes ambrées et lui dit :
« Tout. Tu m'entends, tu peux tout me dire. »
Et je le pense vraiment, j'ai pas été à la hauteur ces derniers temps. Et mettre tout cela sur le compte de la cure et des médicaments serait se cacher une nouvelle fois dans la facilité des mensonges.
« Il y a un truc que je me suis toujours demandé, tu as été placé en famille d'accueil dans ton enfance, mais ton père, tu n'as pas gardé contact avec ? Est-ce qu'il est... »
« Oh non, non, mon père n'est pas mort. Enfin je ne pense pas. »
Je me rends compte seulement maintenant que cela fait des années que je n'ai pas eut de nouvelles, les rares que je recevais encore m'étaient transmises par les centres et familles d'accueil dans lesquels je vivais, et donc plus rien depuis que je les ai quittés.
« Tu ne penses pas que tu pourrais... Je ne sais pas, aller le voir, ou au moins lui écrire une lettre, ça pourrait peut-être t'aider à faire la paix avec ton passé et avec toi-même. »
Sa voix est hésitante, faible, presque inaudible et je déteste ça, je déteste cette sensation que j'ai, d'avoir l'impression qu'il redoute que je me mette en colère. Je sais que j'ai pu avoir de violents sauts d'humeurs ces temps-ci, mais je ne me suis pas rendu compte que c'était à ce point. J'ai cette détestable impression d'être rentré dans la peau du bourreau, du petit-ami violent et instable, même si je sais que je n'aurais jamais été capable de lui faire du mal, physiquement j'entends, je sens comme un doute qui chercher à s'immiscer insidieusement en moi et c'est juste horrible. Tout cela m'explose à la gueule au même moment où je prends conscience d'à quel point j'ai pu être blessant et invivable avec lui ses dernières semaines, tout cela parce que je refusais de prendre les neuroleptiques que l'on m'avait prescrit, et j'enfouis mon visage dans mes mains. Parce que je sens que si je continue de le fixer, de regarder ce trait d'inquiétude entre ses sourcils châtains, je vais finir par fondre en larmes, bourré de remords.
« Oh merde, je savais que je n'aurais pas dû te poser cette question, c'était stupide, j'aurais pas dû remuer ce qui ne me concerne pas. » Se lamente presque Andrea, mordant sa lèvre rose en un tic nerveux.
Sans réfléchir, je l'attire à moi et me laisse tomber en arrière sur le couvre-lit fleurit.
Et je voudrais lui dire que ce n'était pas stupide, qu'il a eut raison de demander, mais les mots restent bloqués dans ma gorge et j'y sens grossir une boule d'angoisse, à tel point qu'elle me fait mal. Je sens mes joues s'humidifier, et je le serre plus fort, tandis qu'il ne doit pas franchement comprendre. J'arrive tout juste à articuler « Excuses-moi, j't'en prie. » que ma voix s'envole de nouveau, laissant libre court à mes larmes. Il semble comprendre que pleurer me fait du bien, que quelque part, j'en ai besoin, car il ne dit rien, il ne cherche pas à en savoir plus et se contente de caresser doucement mon dos tremblant, et c'est le geste le plus rassurant que l'on m'a adressé depuis bien longtemps.
_
Ils ont enfin comprit qu'ils avaient besoin de se parler tous les deux ♡
Ils n'ont pas encore mit tous les points au clair mais c'est en bon chemin, vous ne trouvez pas ? :)
Avec amour et dévotion,
Paradoxalementparadoxale.
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