Neuvième plume
15 jours ....
Joo-Hee ouvrit les yeux et jeta un coup d'œil à la lumière grise qui filtrait à travers les rideaux.
15 jours depuis cette conversation.
15 jours où elle se levait comme une automate, enfilait une tenue de sport, allait courir, rentrait prendre son petit déjeuner et recommençait une journée identique à celle de la veille.
15 jours à discuter avec les uns et les autres comme si de rien n'était, ignorant les regards interrogateurs qui parfois se posaient sur elle.
15 jours à distribuer des cartes et des sourires factices.
15 jours à passer des coups de fils à heures fixes, pour s'entendre dire qu'aucun nouvel élément n'était apparu.
15 jours à prier pour le réveil de son frère.
15 jours à attendre le signe de tête que ne manquait pas de faire Jimin, quand il la croisait dans l'enceinte du Casino.
Juste ça.
15 nuits ...
Où les ombres la rattrapaient une fois son masque enlevé.
Où la douleur qu'elle avait anesthésié, comme un vampire qui aurait fui les rayons du soleil, se réveillait pour étendre ses tentacules dans la moindre parcelle de son corps.
Où son âme, épuisée de lutter contre son mal-être, déversait des torrents de larmes sur ses joues pour essayer d'éteindre le brasier de peine et de fureur qui l'habitait.
360 heures...
Où elle avait perdu ce qu'elle n'avait jamais eu, dans une fin de non recevoir violente qui l'avait laissée à terre, aussi sûrement que le plus violent des coups.
360 heures de haine envers lui, pour l'avoir mis devant une vérité qu'elle refusait d'entendre, pour ses sourires qu'il continuait de distribuer comme si cela ne lui faisait rien, pour sa froideur alors qu'il l'avait détruite avec juste quelques paroles.
Elle détestait le fait qu'il se soit fait la voix de la raison qu'elle avait tu.
21600 minutes...
Où ses cernes s'agrandissaient, cachées à grand renfort de fond de teint.
Où sa gorge, douloureuse des mots non dits, l'étouffait un peu plus à chaque minute.
Elle était passée par toutes les étapes.
La folie d'avoir cru que quelque chose existait.
Le déni de refuser ses mots.
Le doute de penser que peut-être il pouvait mentir.
Mais il n'avait fait qu'énoncer une vérité.
Elle avait failli, elle était tombée amoureuse de l'ennemi et l'état dans lequel elle se trouvait, n'était que la juste punition de ses manquements.
La fin ne serait jamais heureuse.
Elle détestait Park Jimin autant qu'elle l'aimait.
...
Elle arracha son regard à la fenêtre, que le rideau venait caresser sous la brise matinale et se leva, détournant les yeux de son lit en bataille qui témoignait des nuits agitées qu'elle vivait, peuplée de cauchemars d'abandon et de mort.
Elle ne se reconnaissait plus, elle qui avait fait face à tous les coups durs de sa vie sans jamais flancher, comment avait-elle pu en arriver là?
Dépendante d'un homme, qui n'avait jamais été fait pour elle et qui ne le serait jamais, qui ne lui avait clairement laissé aucun espoir.
Pour une raison qu'elle ignorait, elle était tombée pour cet homme, brutalement, violemment, comme elle aurait chuté dans un ravin.
Elle se détestait de se trouver si pathétique, guettant un signe ou un sourire qui aurait pu faire croire que cette conversation n'avait jamais existé, qu'elle ne s'était pas bêtement confessée.
Ouvrant son cœur qu'elle avait cadenassé depuis toujours, refusant l'accès à quiconque aurait pu la faire souffrir .
Le traumatisme de la mort de ses parents, assassinés par un homme qu'elle avait aimé, avait dicté son futur, choisi sa future profession et cloisonné ses sentiments dans une bulle en verre trempé inviolable, pour ne plus jamais à souffrir de la perte de l'être aimé.
Min-ho était un petit ami parfait, bien sous tout rapport, beau garçon.
Joo-Hee se sentait comme une princesse à ses côtés et n'avait jamais voulu voir que celui-ci l'avait approché par intérêt.
Ses parents avaient une situation aisée, une maison agréable remplie d'œuvres d'art que le couple collectionnait.
Ils l'avaient accueilli comme un fils, heureux de voir leur fille comblée et épanouie.
Tout aurait pu finir comme un conte de fées, si le jeune homme n'avait pas été habité par la cupidité et l'envie.
Il avait tout calculé, le cambriolage devait avoir lieu quand la maison était censée être déserte, mais rien ne s'était passé comme prévu.
Ils étaient rentrés plus tôt que prévu de leur soirée chez des amis, le jeune Jungkook ayant été pris de maux de ventre, ils étaient tombés nez à nez avec les cambrioleurs.
Le père de Joo-Hee avait voulu les arrêter, il avait été abattu d'une balle dans la tête devant sa femme et ses propres enfants.
Joo-Hee avait réussi à assommer celui qu'elle pensait être l'homme de sa vie, l'immobilisant ainsi alors que son complice masqué prenait la fuite, la police avait pu intervenir mais l'épreuve avait à jamais marqué sa famille.
Sa mère incapable de supporter la douleur de la perte de son époux et les souvenirs de sa mort brutale, avait commis l'irréparable, laissant ses deux enfants, seuls, face à la vie.
Joo-Hee avait alors fait taire son cœur pour ne se consacrer qu'à Jungkook, lui servant de père et de mère de substitution.
L'argent ne manquait pas et elle avait pu poursuivre ses études, rentrant comme dans une évidence à l'école de Police en même temps que son meilleur ami, suivie quelques années plus tard par son jeune frère.
Et même, si elle avait tremblé pour lui face à ce choix de carrière, elle l'avait toujours soutenu car ils savaient l'un et l'autre que cela ne relevait pas du hasard, mais de la volonté d'empêcher que de telles choses se reproduisent pour d'autres.
Les deux seules personnes ayant la clé de la porte de son cœur dorénavant, était son petit frère, qui gisait toujours dans le coma, et son meilleur ami, qui avait traversé cette épreuve à ses côtés.
Sur la tombe de ses parents, elle s'était jurée de n'aimer plus personne et pourtant ...
Elle était tombée pour lui ...
La seule chose qui la maintenait à flots était de savoir que Jungkook se réveillerait bientôt. Les nouvelles qui arrivaient de l'hôpital et que Namjoon lui transmettait étaient chaque jour meilleures et même si elle détestait Park Jimin, elle savait qu'il ferait tout pour le protéger, chose que même elle, sa sœur, ne pouvait pas faire à ce jour.
...
Joo-Hee enfila une tenue de jogging après s'être rafraîchie et se dirigea vers la porte, bien décidée à faire taire les pensées qui tournaient en vain dans son esprit.
Elle avait commencé à courir chaque matin depuis quelques jours, épuisant son corps et vidant sa tête l'espace d'un court moment.
Namjoon avait condamné cette habitude, arguant qu'elle ne pouvait être protégée à l'extérieur de l'hôtel, mais Joo-Hee n'en avait cure, on lui avait déjà interdit les contacts avec Taehyung à part le bref coup de fil qu'elle lui passait chaque jour, on ne lui enlèverait pas ce maigre loisir qui lui permettait pendant une heure de respirer un air autre que celui de Jimin.
Le parc qui jouxtait l'hôtel était très agréable et si étendu qu'on aurait pu le comparer à Central Park.
L'automne qui arrivait, remplissait l'air d'une senteur de terre et de feuilles en décomposition que Joo-Hee adorait. La fine bruine qui tombait, désertait les allées de ses passants.
Au fil de ses foulées sur la terre battue, elle sentait ses pensées parasites s'éloigner les unes après les autres, au gré du vent qui fouettait son visage.
Elle finissait toujours son tour en marchant pour reprendre son souffle, chantonnant en rythme de la musique que ses écouteurs diffusaient, faisant fi de l'humidité qui avait imprégné ses vêtements et de l'orage qui commençait à gronder au-dessus de sa tête.
Elle se fit la réflexion que seul ce moment en tête à tête avec elle-même, arrivait à lui apporter un peu de sérénité.
Cependant, celle-ci fut de courte durée .
Au moment où elle abordait le dernier virage où la façade de l'hôtel devait apparaître dans son champ de vision, elle sentit son bras se faire happer et elle fut brutalement tirer en arrière.
Ses réflexes, guidés par son instinct de protection, se réveillèrent aussitôt et elle attrapa la main qui s'était posée sur elle pour tordre violemment le bras de son agresseur dans son dos et se dégager d'un coup de pied dans le bas des reins de l'homme.
Alors que l'homme s'écroulait sur le sol avec un gémissement de douleur, elle entendit un rire résonner à ses côtés.
Elle releva la tête pour rencontrer le regard de Kim Seokjin, appuyé nonchalamment sur la carrosserie rutilante d'une berline noire, un parapluie déployé au-dessus de sa tête, tenu par l'un de ses gardes.
Il était vêtu d'un complet bleu nuit et lui souriait d'un air charmeur, comme s'ils venaient de se rencontrer au détour d'un cocktail à la mode.
- Ma chère, vous avez été bien brutal avec ce pauvre Rufus, dit-il en jetant un coup d'œil à l'homme qui se relevait en époussetant son costume noir maculé de boue.
- Rufus devrait savoir qu'il y a des façons moins brutales d'aborder une dame, Monsieur Kim.
- En effet, très chère, je ne manquerais pas de lui rappeler les bonnes manières à notre retour.
Il ouvrit la portière de sa voiture et fit signe à Joo-Hee en lui montrant l'intérieur de l'habitacle.
- M'accorderiez vous quelques minutes?
Joo-Hee jeta un coup d'œil méfiant à l'homme et essuya son visage sur lequel des gouttes de pluie glissaient en silence. Elle rabattit la capuche de son coupe-vent sur sa tête et croisa les bras sur sa poitrine.
- Tout comme je n'apprécie pas les manières de votre homme de main, Monsieur Kim, je me targue de ne pas suivre d'inconnus dans leurs voitures.
Elle vit une expression fugace passer sur le visage de son interlocuteur, celle-ci dénotant une certaine contrariété. L'homme avait l'habitude de se faire obéir au doigt et à l'œil et n'appréciait apparemment pas son refus, aussi poli soit-il.
- C'est dommageable Mademoiselle Lee, à moins que je doive vous appeler Mademoiselle Jeon? Je voulais vous faire part de quelques informations concernant votre jeune frère, Jungkook c'est ça?
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