Épisode trois : 𝐓𝐞𝐬𝐭𝐚𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐨𝐟 𝐘𝐨𝐮𝐭𝐡
© 𝘛𝘢𝘬𝘢𝘵𝘰 𝘠𝘢𝘮𝘢𝘮𝘰𝘵𝘰
༊*·˚
« La jeunesse est l'esprit d'aventure et d'éveil. C'est une période d'émergence physique où le corps atteint la vigueur et la bonne santé qui peuvent ignorer la prudence de la tempérance. La jeunesse est une période d'intemporalité où les horizons de l'âge semblent trop éloignés pour être remarqués. »
𝙴𝚣𝚛𝚊 𝚃𝚊𝚏𝚝 𝙱𝚎𝚗𝚜𝚘𝚗
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Un vieil homme, un verre d'eau à la main, s'avançait dans le long couloir au papier peint démodé. Il avait les épaules voûtées et le parquet grinçait à chacun de ses pas. Ses cheveux d'un gris clair étaient brossés en arrière, dégageant son visage. Les rides et taches brunes parsemaient sa peau, mais, même de cette façon, il était aisé de reconnaître qu'il avait été très bel homme durant sa jeunesse. Il ouvrit la porte et celle-ci laissa échapper une plainte qui ne fit que l'irriter un peu plus. À la faible lueur de la lampe de chevet, il remarqua sa moitié qui l'attendait sagement sur le lit, comme un enfant attendant ses parents pour la lecture du soir. Son amant avait le teint pâle, de petits yeux et l'immense couette qui le recouvrait ne permettait pas de distinguer son corps. Lorsque celui-ci vit son compagnon, verre d'eau en main, il esquissa un faible sourire.
-La faucheuse en pantoufles.
Taehyung n'esquissa même pas un sourire. Le temps de rigoler sur ce qui arrivait à celui qu'il avait toujours aimé était révolu. Parce qu'il n'y avait plus assez de temps pour rire. Plus de temps pour pleurer, espérer, croire, prier. C'était fini. Il s'assit sur le lit près de son amant et déposa le verre à ses côtés. Il caressa de ses mains vieillies son front, remettant certaines de ses mèches derrière son oreille. Il avait la mine soucieuse et ne voulait pas détacher son regard, admirant les traits de la personne qui avait été la plus importante de sa vie. Mais, remarquant le regard brillant de son âme-sœur, il se racla la gorge.
-Il faut que je t'avoue quelque chose...
Jungkook se redressa autant que ses maigres forces le lui permettaient, curieux et inquiet. Taehyung s'abaissa, collant son front contre le sien et soupira.
-Si j'avais su, soixante ans plus tôt, que c'est à ça que tu ressemblerais en étant vieux, peut-être que...
Jungkook ricana légèrement et tapa l'épaule de Taehyung, amusé.
-Vieux con, répondit-il en s'allongeant à nouveau confortablement.
Taehyung sourit à son tour et avisa le médicament posé juste à côté du verre d'eau. Là, son sourire s'estompa. Il détailla à nouveau Jungkook qui lui transmettait tout son réconfort depuis un simple regard. Et quel regard. Depuis soixante-quatre ans exactement, il ne cessait de l'aimer. Toutes les émotions passaient dans ce regard et devenaient alors aussi claires que de l'eau de roche. Soixante-quatre ans à voir passer la colère, la tristesse, la fierté, la joie, le désir, l'amour et bien d'autres dans ces deux grands yeux. C'était si beau. Et en ce moment-même, Taehyung voyait la résignation et la détermination dans ces pupilles dont il était tant épris.
Jungkook avait refusé de passer les derniers jours de sa vie comme un légume. Et si tous s'accordaient à dire qu'il fallait énormément de courage pour suivre un traitement lorsque les derniers espoirs s'étaient envolés, il en fallait bien plus pour décider de tout arrêter soit-même. C'était la décision de Jungkook et Taehyung l'avait respectée. C'était sa vie, son corps, ses choix. Il le respectait parce qu'il ne saurait dire s'il aurait été capable de la même force.
-C'est la fin, prononça alors Jungkook.
Taehyung hocha la tête et lui donna le verre d'eau accompagné de la mort en capsule. Jungkook regarda le médicament dans sa main fripée et Taehyung en fit de même. Le silence régnait dans la chambre, seul le tic-tac de l'horloge se faisait entendre.
Des décisions, ils en avaient prises, mais celle-ci, ça resterait la plus importante.
Jungkook leva la tête et sourit.
-Je ne serai pas seul, tu sais. Les autres seront là.
Taehyung hocha à nouveau la tête.
« Les autres. »
Tous ceux que le temps avait pris au fil des ans.
Les personnes les plus chères de leur vie s'en étaient allées une par une, réduisant leur monde au fur et à mesure.
Les autres, c'étaient leurs précieux amis.
C'était Jimin, Yoongi et Seokjin.
Jimin, était celui qui s'en était allé le premier. Pourtant, c'était inattendu. Vingt-huit ans, c'était encore jeune. Mais le problème avec la mort, c'est qu'elle ne prévient pas. Il avait suffit que la route soit plus glissante ce jour-là et que le temps ne soit pas avantageux pour qu'il perde le contrôle de son volant. Mais Park Jimin, c'était quelque chose. Taehyung était persuadé que Jimin faisait partie de cette catégorie de personnes qui mourraient jeune pour la simple et bonne raison que c'est ce qu'ils étaient pour l'éternité. Des personnes pour qui il était impossible de vieillir. Des personnes qui ne succombaient pas aux ravages du temps. La vie de Jimin avait été éphémère, comme le serait celle d'un papillon, et tous les garçons se souviennent alors seulement de lui comme lors de son vivant : beau, pétillant, souriant, espiègle.
Le deuxième était Yoongi. Celui-ci aurait pu vivre encore de nombreuses années s'il n'avait pas trouvé son réconfort après la mort de Jimin dans la consommation de cigarettes. Le cancer l'avait foudroyé et, durant les derniers mois de sa vie, parler lui était devenu difficile, la parole ayant été remplacée par d'incessantes quintes de toux. Et les rares fois où il parlait, c'était toujours pour dire des phrases cinglantes. Ce qui le définissait si bien. Mais si Jungkook n'avait pas voulu prendre de traitement, c'était en partie à cause de l'état dans lequel cela avait mis Yoongi. L'ainé qu'il respectait tant ne semblait avoir été plus que l'ombre de lui-même durant les derniers instants de sa vie.
Et le troisième était mort de la manière la plus agréable qui soit. Il s'était endormi un soir et ne s'était alors jamais réveillé de son rêve. Seokjin avait bien vécu et sur la fin de sa vie, il était devenu exactement ce qu'il ne voulait pas être étant plus jeune. Un vieux gâteux qui passait sa matinée à lire son journal et à râler contre le gouvernement. Il se relaxait à écouter les débats politiques sur la radio et sa seule sortie de la journée était lorsqu'il se prenait d'affection pour les volatiles du parc. Seokjin avait été grincheux tout au long de son existence, mais dans les dernières années, ça s'était empiré.
Les trois s'en étaient allés, à des périodes différentes, à des âges différents et maintenant, c'était au tour de Jungkook.
Il ne resterait alors plus que Namjoon, Hoseok et lui. Mais c'est à peine si le deuxième se souvenait de qui il était. Taehyung avait tout simplement l'impression que la vie était un jeu de loto. Son numéro n'était juste pas encore sorti.
-Jimin va en apprendre des choses, il a manqué tellement...
Jungkook ricana.
-Je ne pense pas, murmura-t-il. Il était présent lors des moments les plus importants, après tout.
Et c'était vrai. Jimin était là lorsque tout a commencé et que tout s'était concrétisé. Il avait eu le temps de vivre le meilleur de leur aventure et lorsque Taehyung y repensa, il esquissa un sourire. Jungkook le remarqua et haussa son sourcil broussailleux dans sa direction.
-Qu'est-ce qu'il y a ?
Taehyung secoua la tête.
-Rien.
Jungkook baissa à nouveau le regard sur la pilule et l'amena doucement à ses lèvres avant de la poser sur sa langue. D'une main tremblante, il but l'entièreté du verre d'eau. Taehyung regarda la scène, le cœur vacillant entre la tristesse et la tendresse. Jungkook laissa échapper un soupir et reposa le verre maintenant vide avant de regarder son amant.
-On y est.
Taehyung se redressa lentement et sortit de la pièce sous les yeux paniqués de Jungkook. Peut-être était-ce égoïste de sa part que de lui demander de le soutenir dans un moment pareil. Il s'agissait de sa mort, après tout. Mais il n'en fut rien. Quelques minutes plus tard, Taehyung entra à nouveau dans la chambre. Lentement il posa un carton au pied du lit et le déballa. Jungkook se redressa doucement et échappa une exclamation de surprise en voyant ce qui se trouvait à l'intérieur. Taehyung déposa une par une les marionnettes sur le lit. Il les avait confectionnés lui-même. Il avait toujours su le faire. Jungkook remarqua que les marionnettes les représentaient eux, mais pas seulement. Il y avait aussi leurs meilleurs amis. C'étaient plusieurs marionnettes les représentant à des âges différents. Il y avait aussi de petits accessoires et Jungkook remarqua la voiture, l'appartement délabré, la maison,... Tant d'objets qui lui firent monter les larmes aux yeux, la nostalgie berçant son cœur.
-Taehyung... Ça fait des années que tu t'es arrêté.
-Je sais, répondit celui-ci en continuant de déballer son matériel.
Lorsque tout fut disposé sur le lit, il ressortit à nouveau et Jungkook n'entendit alors plus que le bruit horripilant d'un meuble que l'on déplaçait avec difficulté. Taehyung réapparut et, avec peine, amena la longue table en bois face au lit. Une fois fait, il hocha la tête, heureux. Il regarda Jungkook et lui sourit.
-Tu as encore un peu de temps.
-Du temps pour quoi ?
-Pour assister au dernier spectacle de ta vie, répondit doucement Taehyung.
Jungkook écarquilla légèrement les yeux et hocha la tête. Il positionna son coussin plus confortablement contre la tête de lit et regarda les marionnettes, le regard brillant comme un enfant.
Taehyung prit alors de sa vieille main les sept marionnettes et joua premièrement avec les deux qui les représentaient lorsqu'ils étaient enfants. Il les fit d'abord bouger de manière hésitante, n'étant plus habitué, puis reprit très vite la main. Avec la croix en bois, il commença à les animer avec plus d'aisance et lorsqu'il fut sûr de lui, il regarda son amant pour être certain que celui-ci était prêt.
Jungkook détaillait les marionnettes, impatient, un petit sourire sur son visage et Taehyung commença alors.
Jungkook partirai avec le spectacle de leur aventure défilant sous ses yeux. Et Taehyung était sûr qu'il n'aurait jamais pu lui faire de plus beau cadeau.
-Il y a soixante-quatre ans....
*
1956
Iksan était une petite ville se situant dans la province du Jeolla du Nord. Elle était microscopique, si bien que tout le monde se connaissait. C'était comme une immense famille et les enfants aimaient beaucoup cette perspective. Plus on est de fous, plus on rit. L'un de ces chenapans était d'ailleurs en ce moment-même en train de descendre, à la vitesse de l'éclair, la petite colline qui surplombait la ville pour aller rejoindre ses amis dans le petit champ, juste en bas. Il revenait du centre-ville et avait vu quelque chose d'extraordinaire sur la place du marché. Il fallait qu'il leur raconte. Dans sa course, il ne fit pas attention et trébucha, salissant alors ses belles chaussures cirées et sa chemise blanche. Mais il s'en fichait. Couvert d'herbes, il continua sa lancée jusqu'à s'arrêter face à ses compagnons.
Le remarquant, l'un d'entre eux s'avança jusqu'à lui et laissa échapper une exclamation de surprise avant d'enlever toute la crasse qu'il avait sur ses beaux habits à l'aide de sa main. Mais il avait l'air de passer plus de temps à taper le garçon qu'à réellement lui enlever la saleté.
-Arrête Seokjin !
Il le poussa brusquement et ledit Seokjin perdit légèrement l'équilibre avant de froncer les sourcils.
-Non, mais t'as vu dans quel état tu es, Hoseok ? On t'a vu détaler comme un lapin depuis le haut de la colline. Tu aurais pu te faire mal !
Hoseok leva les yeux au ciel et imita le plus âgé avec une grimace, se prenant un autre coup de sa part comme vengeance. Il laissa échapper une plainte et le petit garçon qui était alors jusque-là occupé à faire un bouquet de fleurs avec les pâquerettes se releva, le visage soucieux. Il s'avança vers son ami et mit sa main devant sa bouche, horrifiée.
-Oh non...tes beaux vêtements du dimanche, murmura-t-il. Il va dire quoi pépé quand il va voir ça ?
Pépé, c'était de cette manière qu'ils appelaient tous le grand-père d'Hoseok. C'était lui qui s'occupait de lui depuis qu'il était né et tout le monde l'appelait comme ça en ville. Sauf que pépé, il était bien gentil, mais fallait pas déconner avec. Son petit-fils lui en faisait voir de toutes les couleurs et peu importe qu'il lui file une bonne correction, ce gosse n'apprenait jamais rien. Hoseok grimaça et, avant qu'il ne réponde, un autre le fit.
-Il va s'prendre deux trois taloches qui vont le remettre dans le droit chemin, comme d'habitude.
Hoseok n'aimait pas le sourire de Yoongi actuellement, et c'est pour cette raison que, les poings serrés, il lui sauta dessus. Les deux garçons se roulèrent dans l'herbe comme des chiens cherchant à se gratter le dos et se balancèrent des coups aussi forts que leurs âges le leur permettaient. Le petit Jungkook, pâquerette en mains, cria à ses deux amis d'arrêter, mais aucun des deux ne l'écouta. Il était l'heure d'étaler leur virilité d'enfant de onze et douze ans.
L'un d'entre eux s'assit d'ailleurs en tailleur à même le sol, admirant la scène avec grand intérêt. Son visage reposait nonchalamment contre la paume de sa main, tandis qu'il regardait ses deux amis se battre comme deux ivrognes sortant de la taverne. Il sourit et tourna la tête vers Seokjin dont l'expression blasée était semblable à celle d'une vieille personne qui se lamenterait des réformes politiques ou autres conneries du genre. Il n'avait que treize ans, mais on aurait dit qu'il avait déjà tout vu.
-Une bille sur Yoongi, lança-t-il joyeusement à son encontre.
Seokjin avisa la main tendue de Jimin face à lui et réfléchit quelques instants, hésitant. Il ne devrait pas faire ça, mais Jimin avait les plus belles billes de toute l'école. Il s'assit aux côtés de son ami avant de claquer sa paume de la sienne.
-Tenu.
Jungkook était totalement dépassé. Ses aînés ne semblaient pas prêts à bouger le moindre petit doigt pour séparer les deux garçons. Il mit alors son petit bouquet de pâquerettes dans la poche avant de sa chemise en laine et s'avança vers la masse informe qui se battait toujours dans l'herbe. Il réussit à attraper une godasse dont les lacets étaient défaits et tira dessus aussi fort qu'il pouvait.
-Arrêtez de vous battre !
Et il continua à tirer dessus aussi fort que possible sous le regard émerveillé de Jimin et Seokjin. Si les deux auraient pu partager un bol de bonbons devant ce spectacle, aucun doute qu'ils l'auraient fait. Jimin avait l'impression d'être au cinéma et c'était bien plus intéressant encore que de voir les décolletés plongeants des actrices américaines.
-Mais qu'est-ce qu'il se passe ici ?!
Seokjin sursauta et se retourna vers Namjoon qui venait d'arriver. Celui-ci avait les yeux grands ouverts et il semblait même que les verres de ses lunettes accentuaient la grosseur de ses yeux. On aurait dit l'un de ses personnages que l'on trouvait dans les bandes dessinées.
-T'arrives pile poil au bon moment, répondit Jimin. On avait personne pour parier sur le joueur Jeon.
Il ricana et se tourna vers Namjoon, la brise emmêlant ses beaux cheveux bruns.
-Tu veux parier une bille sur lui ? Il est peut-être minuscule, mais je pense qu'il ne faut pas le sous-estimer, il fit un signe de tête en direction du joueur en question, celui-ci étant toujours en train de se battre avec la chaussure.
C'était comique comme scène.
Namjoon ouvrit et referma la bouche plusieurs fois d'affilée, complètement dépassé par la situation. Mais soudain, la semelle de la chaussure vient s'abattre fortement contre le plus petit et il tomba alors violemment à la renverse avant de s'écraser sur le sol dans un gros boum dont ses fesses se souviendraient. Surpris, il ouvrit d'abord grand les yeux avant de renifler, son regard se couvrant de larmes. Jimin se releva à la vitesse de l'éclair et s'approcha du plus jeune, inquiet. Yoongi et Hoseok arrêtèrent leur petite dispute et se détachèrent l'un de l'autre, comme si rien n'était jamais arrivé, pour s'approcher de Jungkook avec une mine coupable.
Tout le monde se trouvait autour du petit garçon qui voulait seulement passer son après-midi à ramasser des fleurs. Jimin le berça doucement, s'en voulant de ne pas être intervenu, de même que pour Seokjin. Yoongi donna à Hoseok un coup d'épaule pour que celui-ci s'excuse et l'autre s'énerva en répondant que c'était aussi de sa faute. Mais sous le regard peu amène de Namjoon, les deux amis finirent par s'excuser auprès du plus jeune avec une petite voix.
Tendrement, Hoseok prit sa paume dans la sienne et le releva. Il prit son visage et chassa ses dernières larmes de ses pouces.
-J'ai quelque chose à te montrer, je pense que ça va te plaire, chuchota-t-il.
Jungkook, curieux, prit la main d'Hoseok et Jimin prit l'autre de disponible. Main dans la main, les six garçons se dirigèrent vers la ville. Sur la place du marché, certaines personnes claquaient leur langue, le regard désapprobateur en voyant l'état de la tenue de Yoongi et Hoseok.
Et dans les étales de marchands qui criaient que leurs poissons étaient frais et les vendeuses de légumes qui étaient prêtes à faire partie de la chorale de l'église tant leurs voix chantaient la qualité de leurs asperges, une petite scène joliment décorée se trouvait au milieu.
C'était une petite scène faite en bois ancien avec de petits rideaux rouges de chaque côté. En son centre, des marionnettes semblaient raconter leurs aventures. Les garçons remarquèrent l'homme qui les faisait vivre avec des doigts agiles, un grand sourire sur le visage. Certains de leurs camarades d'école se trouvaient là, rigolant à chaque situation comique que les deux marionnettes interprétaient. Leurs parents avaient dû les laisser là le temps qu'ils fassent leurs petites emplettes.
Jungkook détacha sa main de celles de ses aînés et s'approcha, émerveillé, sous le sourire bienveillant de ses amis. C'était la première fois qu'il voyait un spectacle de marionnettes et il trouvait ça magnifique. Lentement, il s'assit lui aussi en tailleur à côté des autres enfants, le regard brillant.
Les autres finirent par le rejoindre et, ensemble, ils s'amusèrent devant ce spectacle inédit.
Et lorsque les marionnettes tirèrent leurs révérences et que l'homme fit tomber les rideaux rouges, tout le monde applaudit. Les parents vinrent reprendre leurs enfants et Jungkook, déçu que le spectacle soit déjà fini, s'approcha de l'homme qui rangeait son matériel. Doucement, il tira sur son pantalon en tuile, attirant l'attention du marionnettiste.
-Dites, monsieur, est-ce qu'il y aura d'autres spectacles ?
Le visage déçu du petit garçon le fit sourire et il se baissa à sa hauteur. Sur le ton de la confidence, il lui dit :
-Chaque dimanche, bonhomme, il ébouriffa ses cheveux et pointa du doigt une direction. Mais tu peux demander à mon fils là-bas, de t'en faire un, si tu veux.
Jungkook remarqua le petit garçon en retrait qui s'amusait lui aussi avec une marionnette. La sienne était plus petite, mais il savait aussi s'en servir, cela se voyait. Jungkook remarqua aussi que ce garçon était le plus joli qu'il ait jamais vu. Il hocha la tête et partit rejoindre ses amis qui l'attendaient.
-Alors, c'est quand le prochain spectacle ? demanda Namjoon.
-Dimanche prochain, répondit Jungkook avec une petite moue.
Il lança un rapide coup d'œil en direction du garçon un peu plus loin et se mit à jouer avec ses doigts, les joues rougies.
-Mais le monsieur m'a dit que le garçon là-bas pouvait peut-être en faire un...
Ses amis échangèrent un regard, surpris de la réaction du plus petit. D'un même mouvement synchronisé et pas du tout discret, ils regardèrent dans la direction du garçon qui s'amusait seul avec sa marionnette.
-Bah, va le voir, proposa Jimin.
Jungkook releva la tête et gémit, le regard hésitant.
-Mais je lui dis quoi ?
-Tu lui demandes s'il veut bien faire un spectacle de marionnettes pour toi, dit Seokjin.
Jungkook se mordit la lèvre inférieure. Il avait un peu peur d'aller voir ce garçon qu'il ne connaissait pas.
-Bon, t'es un homme ou t'es pas un homme ? déclara Yoongi, agacé. T'as bien un service trois-pièces, non ?
Jungkook tourna sa tête à la vitesse de l'éclair vers son aîné et fronça les sourcils. En colère, il tapa du pied sur le sol.
-Pour sûr que j'en ai un !
Le petit garçon s'en alla alors en direction du petit marionnettiste d'un pas guindé et, une fois hors de portée, Yoongi explosa de rire. Il s'était retenu pour ne pas blesser Jungkook, mais la manière dont il avait affirmé qu'il avait un service trois-pièces avec fermeté du haut de ses huit ans était hilarant. Jimin soupira.
-Lui dis pas des trucs comme ça, après il va le répéter à tata et on va encore se prendre un savon.
À chaque fois que Jungkook rentrait à la maison et qu'il répétait le nouveau mot qu'il avait appris avec ses aînés, le cœur de sa mère battait plus vite. Jungkook rentrait chez lui, tout guilleret, et sa mère l'attendait sur une chaise, l'appréhension lui rongeant le ventre comme une mère sachant ses fils partis à la guerre.
-T'as vu comment il était ? On aurait dit Hoseok lorsqu'il ne savait pas comment déclarer sa flamme à Ae-cha.
Tous firent un bruit d'approbation, comme des vieux, se souvenant très bien de ce moment. C'était il y a deux ans, Jungkook ne pouvait pas encore sortir explorer le monde avec eux, sa mère le décrétant trop jeune et ils jouaient alors avec lui dans son jardin. Mais quelque fois, ils partaient à l'aventure à cinq et Hoseok leur avait avoué, lors de l'une de leur escapade, avoir une amoureuse. Yoongi s'était arrêté de jouer avec son bâton.
-C'est qui ? avait-il demandé, curieux.
-Ae-cha, répondit Hoseok les joues rouges.
Yoongi avait balancé son bâton un peu plus loin et s'était relevé, jaloux.
-T'as pas le droit de prendre Ae-cha, avait-il hurlé sur Hoseok.
Jimin avait croqué sa sucette et s'était approché d'Hoseok en sautillant.
-Tu lui as fait un bisou sur la bouche ?
Un long silence s'ensuivit. Le vent avait emmêlé leurs cheveux et tous attendaient la réponse d'Hoseok. Mais celle-ci tardait à venir avait remarqué Namjoon. Hoseok avait le regard dans le vide et son ami lui fit alors le même effet que son grille-pain lorsqu'il tombait en panne. Ça arrivait souvent et son père hurlait toujours, priant pour que la machine redémarre, comme si le bon Dieu était le seigneur de ses toasts grillés.
Ae-cha était la plus jolie fille de l'école et Hoseok était Hoseok. Soudain, tout lui sembla clair.
-Ae-cha est au courant que c'est ton amoureuse ? demanda-t-il.
Les joues d'Hoseok prirent une teinte écrevisse et ils avaient alors leur réponse.
Non.
Seokjin soupira alors.
-Tu peux pas dire que c'est ton amoureuse si elle n'est même pas au courant !
-Mais je fais quoi alors ? avait demandé Hoseok d'une toute petite voix.
Ils s'étaient alors tous rassemblés pour monter un plan visant à s'emparer du cœur d'Ae-cha. Yoongi avait protesté, étant lui aussi amoureux d'elle, avant que Jimin ne lui glisse à son oreille que, de toute façon, les deux garçons n'avaient aucune chance.
Et c'était bien vrai. Hoseok s'était pris un râteau mémorable. Celui du mois, de l'année, du siècle, de sa putain d'existence. Et il maudirait toute sa vie Ae-cha d'avoir brisé son cœur de petit garçon.
Une fois le souvenir remémoré, Hoseok donna un coup d'épaule à Yoongi.
-Tu veux encore rouler dans l'herbe ?
Celui-ci ricana.
Quant à Jungkook, il s'approcha doucement du petit marionnettiste et, une fois face à lui, détailla un peu plus encore son joli minois. Il rougit et balbutia des mots incompréhensibles sous le regard interloqué de son homologue. Il voyait ce petit bout lui expliquer quelque chose, mais il n'arrivait pas à comprendre de quoi il s'agissait tant il articulait peu. Il vit que le petit garçon tourna brièvement la tête et il remarqua les cinq autres enfants qui regardaient la scène de loin.
Jungkook s'en voulait de perdre ses moyens. Il avisa la marionnette du joli garçon et se fit la réflexion qu'il le voulait vraiment, son spectacle. Il inspira brusquement et sortit son bouquet de pâquerettes avant de le tendre au petit marionnettiste, les joues rougies.
-T-tu veux bien me faire un spectacle avec ta marionnette ?
Attendri par ce petit ange, le garçon bougea ses doigts avec une dextérité semblable à celles des pianistes et prit le petit bouquet de fleurs entre les deux mains de sa marionnette. Jungkook regarda les gestes du garçon, émerveillé. Celui-ci le remarqua et sourit avant d'attraper le bouquet de sa dextre et de le placer derrière son oreille. Il reprit ensuite le contrôle de sa marionnette et lui fit lever une main dans sa direction. Jungkook regarda ce membre en bois, interloqué, avant que la marionnette ne secoue son bras avec insistance. Jungkook comprit et gloussa. Il attrapa la main en bois de sa petite paume et la serra. Les deux garçons se sourirent alors mutuellement.
-Taehyung.
-Jungkook !
Et les marchands pouvaient bien se vanter en gueulant que leurs produits étaient les meilleurs du marché, ça n'arrêta en rien ce moment précieux. Celui de la rencontre de deux âmes innocentes qui ne se lâcheraient plus jamais.
Mais il y avait bien une chose qui pouvait tout détruire.
Une seule et unique chose.
Une voix.
-Putain de bon Dieu, mais j'y crois pas ! Qu'est-ce que t'as encore foutu pour te retrouver dans un état pareil ?!
La voix de pépé.
Hoseok s'était tourné en direction de cette voix, le regard horrifié et à deux doigts de se faire dessus dans son joli short du dimanche.
Le petit marionnettiste du nom de Taehyung ainsi que Jungkook avaient stoppé leur contemplation de l'un et de l'autre pour regarder la scène qui se profilait plus loin.
Entre les étales, pépé se dressait de son 1m80, sa poigne serrant fortement son sac de course. Jimin avisa le chou qui dépassait du panier en osier et grimaça. D'un pas menaçant, le vieux s'approcha de son petit-fils, les gens s'écartant à son passage comme Moïse qui fendait la mer en deux.
Hoseok, en voyant son grand-père, commença alors à réciter des paroles religieuses, ouvrant ses bras, prêt à rejoindre son créateur. Mais force était de constater qu'il ne connaissait absolument aucune prière. Yoongi le remarqua et ricana.
Hoseok ne cessait de murmurer des choses qui n'avaient ni queues ni têtes telles que : « Oh grand seigneur, ayez pitié de mon âme. Accueillez-moi dans votre pays, avec cette brioche que le pasteur nous donne chaque dimanche. »
Yoongi se pencha vers son ami et lui chuchota :
-C'est dans quel verset, ça ?
-Ta gueule, grommela Hoseok.
-En plus tu jures ! Attends que je t'attrape toi, tu vas voir.
Hoseok ne perdit pas de temps, il détala à la vitesse de l'éclair, très vite suivi par Jimin dont le rire résonnait sur la place. Yoongi partit à son tour, parce qu'il ne voulait pas manquer une occasion de voir pépé foutre une raclée à son ami. C'était l'amour vache entre les deux. Namjoon et Seokjin trottinèrent alors vers Jungkook et le prirent par la main.
-Il faut que tu viennes, vite ! Y'a que toi qui peut l'attendrir.
Et c'était vrai. Jungkook était bien le seul qui pouvait sauver Hoseok d'une correction qui laisserait ses fesses rougies pendant un ou deux jours. Il était le seul à avoir réussi à attendrir le cœur de pierre de pépé. Et quand on voyait sa petite bouille, il n'y avait pas trente-mille explications.
Alors que ses amis le traînèrent de force, il lança un dernier regard à Taehyung, triste de déjà le quitter.
*
Park Jimin était un élève brillant. C'était ce que chantait à tue-tête sa maîtresse en tout cas. Mais le problème, avec ce gamin, c'est qu'il était partisan du moindre effort. Il faisait toujours le minimum et que ce soit ses parents ou sa maîtresse, tous s'en arrachait les cheveux.
Le petit garçon était présentement avachi sur sa petite table en bois, faisant rouler une bille de manière distraite avec son index. On était lundi, le week-end était passé et cela signifiait une nouvelle semaine de torture à apprendre des choses qui le laissaient bien plus endormi que réellement intéressé.
Un enfant prit possession de la table juste à côté de la sienne et il releva lentement les yeux. Il fut surpris de tomber sur ce visage qu'il n'avait vu que de loin. Avec sa chemise blanche, son petit short noir, ses chaussures vernies et ses chaussettes hautes, le petit marionnettiste qui avait fait l'émerveillement du plus jeune de la bande se tenait là, droit comme un piquet et toute la nervosité criant sur les traits de son visage.
Jimin le regarda quelques instants et, dans un bruit horripilant, fit crisser sa chaise sur le sol pour s'approcher de l'autre garçon. Et une fois assez proche, Jimin se mit à le détailler, curieux. Il fallait dire que son nouveau camarade était bien le plus beau lardon de l'école, si ce n'est même de la ville.
Taehyung déglutit, mal à l'aise, et tourna un regard incertain en direction de Jimin qui le fixait comme s'il était son goûter. Taehyung avait la sensation de ressembler à une putain de pâte de fruits. Hésitant, il prononça alors :
-J'ai quelque chose sur le visage ?
Et sa voix était tellement douce, tellement délicate...Tout le contraire de Jimin.
-Bienvenue en enfer, mon pote.
Quelle phrase d'accueil.
Taehyung remua sur sa chaise, nerveux, tandis que Jimin ne l'avait toujours pas quitté du regard. On aurait dit qu'il essayait de prendre possession de ses pensées à le regarder de cette façon, avec de gros yeux.
-Tu viens d'arriver en ville ? demanda-t-il.
Taehyung hocha légèrement la tête et Jimin fit un bruit d'acquiescement. Et soudain, le silence. Retour à la case départ. Taehyung regardait fixement le tableau à craie devant lui et Jimin dévisageait fixement Taehyung. Mais soudain, un attroupement se fit autour de la table du nouveau venu, dérangeant sa contemplation matinale agréable.
-Ma maman elle me dit que ton père, ce qu'il fait, c'est pas un vrai métier et que si je travaillais pas bien à l'école, j'allais finir aussi pauvre que toi.
La vieille peau de vache qu'était madame Lee n'en manquait pas une pour colporter ses ragots. Les garçons en avaient déjà pâti avec elle. Madame Lee avançait toujours dans la ville, marchant avec une lenteur semblable à celle d'un escargot, comme si elle portait le poids du monde sur ses épaules. Ou le poids de ses ragots, peut-être. Les garçons ne s'étaient jamais dit que, si elle avançait de cette façon, c'était peut-être parce que sa corpulence ne lui permettait pas forcément de faire un pas devant l'autre de manière décente.
Mais lorsqu'on lui promettait un secret sur le voisinage à la clé, il fallait la voir. Madame Lee, un cul large comme une moissonneuse-batteuse et des jambes comme des piliers d'église, galopait comme un zèbre.
Et son fils était exactement pareil que sa mère. Un petit con parfaitement peigné qui s'amusait à martyriser les plus jeunes et à s'en prendre aux nouveaux. Il avait un rire de porcin et Jimin jurait à tue-tête à tous ses amis que son caleçon devait avoir des traces bizarres.
Et Jimin contempla le visage de Taehyung se décomposer lentement. Pas étonnant que le pauvre garçon ait été aussi tendu pour son premier jour, il avait eu raison. On l'attaquait dès les premières minutes de son arrivée. Ça se voyait qu'il ne savait pas vraiment quoi répondre, il avait été pris au dépourvu. L'expression de son visage dansait entre la honte et la tristesse.
Jimin ne supporta pas de voir ça.
Alors que le fils de madame Lee était en train de rire avec ses amis, il ressentit une vive douleur dans son épaule. Il écarquilla les yeux et laissa échapper un cri semblable à un chien qui s'était coincé la queue. Il tourna la tête en direction de Park Jimin et avisa le lance-pierres que celui-ci tenait en main.
Jimin s'amusait comme un fou. De l'autre côté de la classe, il visait son camarade avec une précision sans égale. Tac sur le ventre. Tac sur les fesses. C'était hilarant de voir son camarade sauter à chaque billes qu'il lui envoyait comme un gros chat surpris.
-Park ! Arrête ! hurlait-il, le visage rouge, en s'avançant tant bien que mal jusqu'à son camarade.
Jimin gloussa et monta sur une table avant de sauter tel une gazelle tout autour de la classe, écrasant de ses chaussures les cahiers de ses camarades. Et il ne s'arrêtait que lorsqu'il décidait qu'il était à nouveau temps que le fils Lee s'en prenne une dans la couenne.
Et Taehyung admira avec de grands yeux ce garçon qui volait de table en table avec un grand sourire, un regard espiègle et ses cheveux s'éparpillant autour de son visage.
Jimin aurait pu continuer longtemps à tourner Joon-gi en bourrique si la maîtresse n'était pas entrée dans la classe au même moment. Elle avait regardé la scène sous ses yeux, horrifiée. Tous ses élèves étaient en train d'encourager Jimin comme des supporters galvanisant leur équipe favorite alors que celui-ci sautait comme un lapin de table en table. Elle croyait halluciner. Son visage vira doucement au rouge, furieuse.
-Park Jimin ! cria-t-elle. Tu vas me faire le plaisir de descendre de cette table et tout de suite !
Il se stoppa illico-presto et descendit de la table sur laquelle il était. Il s'approcha de sa maîtresse qui lui fit un signe de tête en direction du mur et Jimin râla en levant les yeux au ciel. Il connaissait beaucoup trop bien ce coin, maintenant.
Alors que Taehyung ne voyait plus que le dos de son sauveur, la maîtresse s'approcha de lui avec un grand sourire.
-Tu as eu un peu de temps pour te familiariser avec tes nouveaux camarades ? demanda-t-elle.
Taehyung ne répondit pas tout de suite. À la place, il avisa la silhouette de Park Jimin qui semblait grommeler contre le mur où il était consigné et se fit la réflection que, ce garçon, c'était quand même quelque chose.
Et lorsque l'heure de la récréation sonna, Taehyung regarda le petit groupe au loin dans la cour. Jimin semblait expliquer à ses amis ce qu'il s'était passé dans la classe puisque, soudainement, six paires d'yeux se tournèrent dans sa direction. Gêné, il fit des arabesques avec le bout de sa chaussure sur le gravier.
Jungkook lui fit un signe de main, un grand sourire sur le visage qui faisait ressortir ses petites joues rondes et Taehyung avança lentement vers eux. Une fois face au groupe d'amis, il eut à peine le temps de les saluer que Jimin posa son bras sur ses épaules.
-Vous voyez ? C'est le seul qui peut sortir avec Ae-cha. Vous n'avez vraiment aucune chance, les gars.
Hoseok grommela des paroles inaudibles et Yoongi fit claquer sa langue, irrité.
-C'est qui Ae-cha ? demanda Taehyung.
Jimin prit sa tête de ses deux mains et la tourna en direction de l'aire de jeux de l'école. Là-bas, une jolie fille semblable à une poupée poussait une de ses amies sur une balançoire, riant aux éclats. C'était une très belle fille et elle semblait toute douce avec sa jolie robe rose bonbon.
-Elle est belle, hein ?
Taehyung tourna la tête et son regard fut comme aspiré par deux grandes étoiles. Le petit garçon qu'il avait rencontré sur la place le regardait, son visage peint d'innocence et ses deux grands yeux brillants de mille-feux. Il se fit la réflexion que c'était la première fois qu'il voyait des yeux aussi grands de toute sa vie. Mais qu'est-ce qu'ils étaient beaux...Et alors, il réalisa qu'il trouvait Jungkook bien plus beau qu'Ae-cha.
Mais c'était étrange.
Alors il se tourna simplement vers Jimin et lui offrit un petit sourire.
-Ouais, super belle.
*
1958
Deux ans ont passé. Deux années depuis le jour où leur petit groupe s'était agrandi avec l'arrivée de Taehyung. Et quels gamins insupportables ils étaient devenus. Ils n'en manquaient pas une pour rendre chèvre les habitants de la ville.
Pépé avait abandonné depuis longtemps l'idée de faire d'Hoseok un homme convenable et se contentait de regarder son petit-fils, ses yeux baignés de désespoir. Mais il y avait bien une fois ou deux où il lui mettait une sacrée correction quand même. Peu importe qu'il ait grandi, la fessée, il se la prenait encore. Et Yoongi aimait toujours autant assister à ça.
Ce soir, c'était Halloween et Pépé leur avait formellement interdit d'aller gambader en ville. Ils devaient rester dans le jardin à jouer avec un ballon. Pas que le vieux se méfiait, mais entre son petit-fils et le gamin Park, il y avait de quoi s'inquiéter de la tranquillité de sa soirée. Il fallait dire que ce dernier, sous sa gueule d'ange, était un véritable démon qui n'en manquait pas une.
Il avait toujours des idées saugrenues. À Halloween dernier, il avait attaché des casseroles à la queue d'un chien et l'avait envoyé cavaler en ville dans un capharnaüm sans nom.
Alors quand Pépé leur dit une dernière fois de rester discret avant de rentrer à l'intérieur de la maison, Yoongi stoppa de son pied le ballon avec lequel ils s'amusaient distraitement et lança un regard entendu en direction d'Hoseok.
-Combien de temps ?
Hoseok s'approcha de la maison et regarda son grand-père se battre avec la vieille radio comme David se mesurant à Goliath. Une fois fait, son grand-père s'avachit sur le fauteuil à bascule et alluma son cigare.
Il se tourna alors vers ses camarades et déclara d'un ton solennel :
-Environ dix minutes.
Dix minutes avant que Pépé ne s'endorme. Suite à la réponse de leur ami, les six autres garçons s'activèrent. Jimin courut derrière la maison avant de revenir avec un linge humide, une ficelle et une épingle à nourrice. Hoseok regardait son grand-père, histoire qu'ils ne se fassent pas surprendre, mais celui-ci semblait déjà piquer du nez sur son cigare.
Une fois tous rassemblés autour de Jimin, ils se détaillèrent comme s'ils préparaient une tactique de guerre visant à vaincre l'ennemi. Et on en était pas loin.
-Tout est bon ? demanda Namjoon.
Jimin hocha religieusement la tête. Taehyung, qui avait son menton posé sur l'épaule du plus petit et qui serrait fermement sa taille de ses bras, rigola.
-J'ai hâte de voir la tête de la vieille Lee !
Ils avaient tous hâte. Tout doucement, ils quittèrent le jardin pour s'aventurer jusqu'à la grande maison de la famille Lee.
Il était vingt et une heures environ, heure à laquelle Jungkook était censé rentrer chez lui. Il suffisait que sa daronne sorte sur le seuil de sa maison et donne trois coups d'un sifflet de police pour que sa progéniture, blêmissante, prenne congé dare-dare et rentre ventre à terre. Ah ça, il le détestait ce fichu sifflet.
Et les autres ne se gênaient pas pour se foutre de sa gueule à chaque fois qu'ils entendaient le sifflet retentir de loin. Sa mère était un tantinet trop inquiète pour lui. Ou peut-être qu'elle était inquiète parce que son fils traînait avec les enfants Jung et Park et que ces deux garçons n'avaient pratiquement aucune notion du danger.
Le dimanche soir, c'était grande soirée radio. La vieille Lee s'installait dans une chaise à bascule bien capitonnée, juste en face de leur énorme poste Zénith à l'œil de cyclope. Sur le côté, monsieur Lee et leurs fils, Joon-gi, le porcelet, étaient assis sur un sofa près de la fenêtre, là où les garçons les espionnaient.
C'était Joon-gi qui était officiellement chargé de régler les stations. Chaque famille avait ainsi son opérateur attitré. Chez les Jung, c'était Hoseok. Il fallait avoir le don. Lui seul était capable de trouver l'émission que tout le monde voulait écouter. Parfois Pépé essayait, pour finir par renoncer dans une bordée de jurons et beugler : « Fiston ! Viens ici me régler ce truc, nom de Dieu de nom de Dieu ! »
Finalement, Hoseok était bien utile pour quelque chose.
Dans la pénombre, Jimin retourna se dissimuler dans le buisson avec les autres. Il y avait du givre dans l'air. Sous le seringat, là où l'herbe ne poussait jamais par manque de lumière, la terre était sèche et avait cette odeur sans vie, comme la poussière d'un grenier ou des vieux journaux dans une cave.
-Le moment est venu, décréta Yoongi.
Flanquer à cette famille la frousse de leur vie, c'était leur objectif commun.
Jimin tendit la ficelle au maximum, à la limite d'arracher l'épingle à nourrice du store. Puis, lentement, il se mit à frotter le bout qu'il tenait avec le linge humide, ce qui, ils le savaient, donnait dans la pièce l'impression d'un fantôme gémissant d'une voix rauque.
À l'intérieur, la famille s'était levée d'un bond. Et Jimin continua alors son manège, sans répit.
Et là, quelque chose se passa.
On entendit des chocs retentissants dans la pièce. Une lampe se renversa. La vieille Lee s'enfuit de la maison en hurlant comme une furie. Son mari lui cria de revenir tout de suite et la suivit sur la terrasse. Elle manqua son virage et s'étala de tout son long. Mais elle se releva frénétiquement, mains jointes comme en prière, et piqua un nouveau sprint. Et soudain, les garçons explosèrent de rire simultanément.
S'ils s'attendaient à ça ! C'était mieux que ce qu'ils avaient espéré.
Mais leurs rires se stoppèrent très vite. Dévalant la rue, ils entendirent la voix lointaine de la vieille Lee hurler: « Il faut aller voir Pépé ! »
Le visage d'Hoseok se décomposa.
-Putain de bordel de merde. Il faut qu'on y aille, maintenant ! dit-il, battant déjà maladroitement l'herbe de ses jambes pour prendre de l'élan. C'était ton idée à toi !
Tous les garçons le regardèrent tandis qu'il courait. Il avait seulement pris le temps de faire savoir à Jimin comment il témoignerait au tribunal.
-L'enflure, siffla Yoongi.
Jimin donna une secousse à la ficelle pour l'arracher du store, mais ne s'attarda pas pour l'enrouler. Hoseok avait déjà atteint la clôture au fond du jardin. Les garçons foncèrent à leur tour, piétinant un parterre d'iris sauvages, un coin de tulipes précieuses qu'ils dispersèrent en tout sens et sautèrent une haie basse. Les pieds de Jungkook atterrirent dans la marre et il se lamenta avant que Taehyung ne le tire par la main. Ses godillots trempées faisaient gicler de l'eau glacée à chaque pas de sa fuite criminelle. Avec sa faible agilité, Hoseok essayait désespérément de passer par-dessus la clôture. Mais Jimin, comme vengeance, se servit de son postérieur comme d'un appui, s'agrippa au sommet et le franchit sans se retourner.
Qu'il aille se faire foutre.
Yoongi était dans le même état d'esprit puisqu'il arriva à sa hauteur et le poussa, envoyant Hoseok bouffer l'herbe humide. Il ricana et passa à son tour par-dessus la clôture. Seokjin et Namjoon aidèrent Hoseok à faire de même et lorsque Jungkook arriva près d'eux, le plus âgé se proposa de l'aider à monter. Mais Taehyung gifla sa main tendue en lui disant qu'il s'en chargerait. Ainsi, le petit marionnettiste aida son protégé à passer la clôture et, tous deux, se mirent à courir comme si leur vie en dépendait.
Ils remontèrent l'allée en quatrième vitesse et atteignirent le jardin de derrière au moment même où la vieille Lee arrivait par devant en hurlant.
Putain, c'est qu'ils avaient eu chaud. Encore heureux qu'ils soient jeunes et en bonne santé.
-Pépé ! Pépé ! Priez le Seigneur ! s'égosilla-t-elle avant de s'écraser sur la terrasse.
Le vieux sortit précipitamment du porche, un peu de bave sur son menton.
-Putain, mais c'est quoi tout ce raffut ?! gronda-t-il.
Les sept garçons restèrent en retrait et Jimin sut tout de suite que les prochains événements allaient être, encore une fois, mieux que les films du cinéma.
-Notre heure a sonné, Pépé. Préparez-vous à rencontrer notre Seigneur. Prions ensemble.
Et elle voulut faire agenouiller de force le vieil homme.
Le truc, c'est que c'était Mémé la croyante de la famille. Hoseok savait que la vieille Lee et elle faisait partie de la chorale de l'église et en étaient de fidèles membres. Mais Pépé...
Il n'en avait rien à foutre de toutes ces conneries dans le fond.
Mais sur son lit de mort, Mémé avait fait promettre au vieux de donner une éducation religieuse à Hoseok alors même qu'il n'y croyait pas pour un sou. Il se faisait autant chier que son petit-fils lors des messes du dimanche.
Pépé se tourna d'ailleurs vers celui-ci.
-Pour moi, elle a une araignée au plafond, décréta Hoseok.
Taehyung s'était retenu de rire.
-Reniflez un peu son haleine, conseilla Yoongi. Moi j'pense qu'elle s'est envoyé une petite lampée d'un truc pas net.
Pépé lui fit les gros yeux, l'heure n'était pas à la plaisanterie. Mais, apparemment, Taehyung n'était pas de cet avis puisqu'il explosa de rire. Jungkook dut couvrir sa bouche de sa main, souriant lui aussi grandement. Taehyung s'arrêta de rire et admira ce regard espiègle et brillant. Jungkook était beau, sous la lumière de la lune. Alors, sans comprendre, il embrassa la main qui lui couvrait la bouche. Le plus jeune écarquilla les yeux, mais ne dit rien. Ils se regardèrent l'un,l'autre, comme s'il n'y avait plus personnes autour. Comme lors de leur première rencontre, finalement.
-Des démons ! Des démons ont envahi la maison ! hurla la vieille Lee avant de s'écrouler au sol en sanglotant.
Merde, il y avait toujours un truc pour briser leur moment.
Pépé ordonna à tout le monde de rentrer à l'intérieur de la maison. Le vieux vit les chaussures trempées du plus jeune et haussa un sourcil.
-Où est-ce que t'es allé te fourrer toi ?
C'était une question qui n'attendait pas de réponse. Pépé s'approcha de la vieille Lee et voulut la couvrir d'une couverture mais celle-ci se débattit. Elle prit de force les mains de Seokjin et Namjoon entre les siennes et commença à chanter des chants religieux, la tête penchée vers le tout-puissant. Elle voyait presque la lumière.
Mais c'était juste la vieille ampoule qui grésillait au plafond.
Pépé regarda la scène, interdit, aux côtés de son petit-fils. À vrai dire, Hoseok ne croyait pas en Dieu et tous ces trucs-là, de même que son grand-père, même s'il était tabou d'en parler. Ils le savaient tous les deux.
Et pendant que la vieille Lee attendait un quelconque signe du tout-puissant depuis la vieille ampoule grésillante, sa main tenant fermement celle de Namjoon et Seokjin sans aucune échappatoire possible, Pépé alla s'allumer un cigare. Il s'assit sur son fauteuil et regarda la scène comme si une pièce de théâtre se jouait devant lui.
Jimin le rejoignit et sortit de sa poche latérale une flasque emballée dans un papier kraft, dévissa le bouchon, et s'en offrit une bonne rasade devant Dieu, madame Lee, Pépé et toute l'assemblée, comme si c'était la chose la plus normale qui soit venant d'un garçon de douze ans.
Le vieux lui fit de gros yeux.
-Dis-donc, c'est quoi que t'as là, toi ?
Jimin agita sa flasque devant lui.
-Du whisky de mon père, vous en voulez ?
Le père de Jimin avait une sacrée cave et dieu sait que son whisky devait être divinement bon.
-Bah merde alors, répondit Pépé. Donne-moi un peu ça.
Cet Halloween là, ils s'en souviendront toute leur vie. Et de loin, le sifflet avait même retentit. Mais aucun d'entre eux n'y fit vraiment attention.
*
1964
C'est qu'ils avaient grandi, les jeunes. Ce n'étaient plus des gamins et Hoseok avait passé l'âge de se prendre une correction de son grand-père, au grand dam de Yoongi. Mais s'ils avaient changé physiquement, devenant chacun de plus en plus beau au fil des ans, ils semblaient que la maturité n'avait pas vraiment poussé chez certains.
Jimin, dix-huit ans, travaillait dans le cinéma de la ville et ce qu'il aimait faire par-dessus tout, c'était faire profiter ses amis. Ils leur arrivaient ainsi d'avoir la chance de bénéficier d'une salle rien que pour eux sans débourser le moindre sou. À l'heure avancée de la nuit, Jimin profitait de son passe-partout du cinéma pour offrir, à ses amis et lui, une soirée mémorable.
Hoseok, quant à lui, travaillait dans l'épicerie du coin. Et s'il se faisait chier à mourir, il trouvait au moins le réconfort dans la revue pornographique que lui laissait son patron à chaque fin de mois avec une enveloppe remplie de billets. Et Hoseok était alors sûr que c'était le boulot de rêve juste pour avoir le privilège de mater des filles à poil sur du papier glacé. Mais Taehyung ne s'intéressait pas à ces revues.
Il n'avait d'yeux que pour le plus jeune qui le laissait dans un état fébrile à chaque regard échangé. Et Taehyung en crevait littéralement. Il était devenu tellement beau que toutes les filles de la ville avaient son nom à la bouche, de même que les vieilles. Même Jimin passait les trois-quarts de sa journée à lui faire des blagues graveleuses. Mais Taehyung s'en foutait. Il n'avait jamais donné d'importance à toutes ces filles et encore moins aux vieilles qui gloussaient sur son passage comme des minettes de vingt ans. Son cœur appartenait à Jungkook et il se demandait si ça n'avait pas été le cas depuis ce jour-là, il y a huit ans.
Jungkook devenait de plus en plus beau chaque jour, chaque mois, chaque année qui passait. Son visage enfantin avait laissé place aux traits masculins d'un jeune homme de son âge. Mais ces yeux...Ces yeux n'avaient jamais changé. Toujours aussi hypnotisants, avec l'immensité qui les caractérisaient si bien. Et Taehyung aimait se perdre dedans à chaque fois qu'ils se parlaient.
Mais Taehyung ne trouvait pas ça normal. Il trouvait ça étrange de ressentir ce genre de chose pour un garçon. Du désir, de l'amour. Parce que oui, c'était bien ça. Chaque fois qu'il serrait le plus jeune dans ses bras, son cœur battait un peu plus vite.
-Et qu'est-ce que tu penses de celle-ci ?
Il tourna lentement la tête vers Jimin qui lui montrait des voitures de sport sur un magazine. Celui-ci, sans aucun scrupule, était passé dans l'épicerie d'Hoseok pendant ses heures de travail et avait tout simplement chaparder l'une des revues. Normal, venant de Jimin. Les deux garçons étaient assis sur l'herbe du petit champ, la brise printanière caressant leur visage de la plus agréable des manières. Jimin lui montrait les différentes automobiles, comme s'il avait les moyens de s'en payer une. Mais rêver, c'était essentiel.
-Ouais, pas mal, répondit platement Taehyung.
Jimin referma son magazine et détailla longuement son ami avec ce regard que Taehyung détestait tant. Celui qui disait qu'il n'était pas con et avait bien compris que quelque chose n'allait pas.
-Parle, mon enfant.
Et Taehyung n'y réfléchit pas vraiment avant de répondre.
-Je suis amoureux de Jungkook.
Jimin le dévisagea interminablement avant d'ouvrir de nouveau son magazine, comme si de rien n'était.
-Putain, classe l'intérieur en cuir de celle-là.
Et il siffla pour appuyer ses dires. Taehyung se demanda si son ami avait bien compris l'ampleur de ce qu'il venait de lui dire ou s'il avait lui-même été coincé dans une sorte de magie où le temps s'était arrêté de son côté.
-Jimin, t'as entendu ce que je viens de te dire ?
Son meilleur ami souffla longuement, comme s'il était irrité.
-Oui, j'ai compris. Qu'est-ce que tu veux que je te dise, Taehyung ? Va lui en parler.
-Mais c'est un garçon ! s'exclama Taehyung.
-Je suis pas con, j'avais remarqué. Je te signale qu'on nageait à poil dans le lac quand on était petits donc j'ai bien vu, merci.
Pourquoi est-ce que Jimin réagissait comme si tout cela était normal ? Taehyung restait sans voix.
-C'est toi qui l'aime alors pourquoi c'est toi le plus indigné par ça ? continua-t-il. Franchement, j'en ai rien à foutre que t'aies envie de lui poncer la quille, moi.
Il reprit sa lecture avant d'ajouter.
-Même les autres ils en n'auraient rien à cirer.
Et Taehyung réfléchit alors. S'il ne disait pas à Jungkook ce qu'il ressentait, il allait le regretter toute sa vie. Mais il n'avait aucun moyen de le lui révéler sans être sûr de ne pas se défiler. Il se mordit la lèvre inférieure avant d'arracher distraitement l'herbe sous ses doigts.
-Je sais pas comment lui dire...
Et Jimin claqua sa langue contre son palais, comme s'il parlait à un enfant emmerdant qui ne voulait pas le laisser tranquille. Mais pour lui, tout paraissait si simple. Tout avait toujours été évident pour Park Jimin. On n'avait qu'une vie, pourquoi se la gâcher en se prenant la tête ?
-En quoi es-tu doué Taehyung ?
Taehyung fixa son ami du regard et comprit alors. Les marionnettes. Il avait toujours été doué avec les marionnettes. Son père lui avait appris et lorsque celui-ci avait pris sa retraite, il l'avait remplacé. C'était désormais Taehyung qui animait le spectacle de marionnettes sur la place. Et il adorait cela, le rire des enfants et leurs sourires. Il comprenait pourquoi son père avait décidé d'en vivre, maintenant. Lorsqu'il bougeait ses petits personnages, qu'il leur insufflait une âme, les œillades admiratives qu'on lui lançait n'avaient pas de prix. Et celles de Jungkook, encore plus. Parce qu'à chaque spectacle, le plus petit de la bande allait le voir, toujours avec ces deux grands yeux brillants et ce somptueux sourire. Taehyung était alors pleinement heureux.
Il avait alors passé de nombreux jours à confectionner des marionnettes ressemblant à Jungkook et lui. Il les avait peintes, insistant bien sur la couleur des yeux de celui qu'il aimait. Son père, caché dans l'ombre, l'avait regardé s'atteler à sa tâche, un sourire tendre sur les lèvres. Il avait deviné bien avant son fils l'importance que Jungkook avait pour lui.
Depuis huit ans, Taehyung n'avait que son nom à la bouche. Il était ravi que sa progéniture s'en soit enfin rendu compte et, secrètement, lui souhaita bonne chance.
Taehyung lui avait donné rendez-vous dans son petit appartement, profitant du fait que son père soit sorti pour déclarer ses sentiments. Jungkook était entré timidement et Taehyung lui avait laissé le temps de ne rien faire qu'il l'avait pris par la main avant de l'asseoir sur une chaise, face à la table. Lorsqu'il sortit les deux marionnettes les représentant, le plus petit applaudissa dans ses mains, impatient de voir ce que lui réservait son aîné.
Taehyung avait alors timidement fait bouger les marionnettes, lançant de temps en temps des regards incertains à Jungkook qui regardait le spectacle avec un grand sourire. Les marionnettes se tenaient par la main, puis doucement, l'une d'entre elles s'était agenouillée face à sa moitié et avait sorti un bouquet de fleurs. Le plus jeune était confus. Le jour de leur rencontre, c'était lui qui avait tendu un bouquet à Taehyung. Alors pourquoi c'était la marionnette le représentant qui le faisait ? Soudain, sa marionnette se releva et, timidement, offrit un baiser sur les lèvres de bois de celles de Jungkook.
Et le plus jeune avait alors compris.
Et il ne saurait décrire à quel point il était touché par le spectacle de Taehyung. Il avait trouvé le meilleur moyen de se confesser à lui et il en était infiniment heureux. Cet homme, ce magnifique garçon l'aimait. Il l'aimait, lui. Pas les autres. Son cœur battait furieusement dans sa poitrine. Le résultat d'années passées à réprimer ses sentiments qu'il pensait sans espoir. C'était comme si tout son amour déferlait telle une puissante vague.
Sans hésiter, il se releva de sa chaise et se jeta sur les lèvres de Taehyung. Celui-ci, surpris, laissa tomber les marionnettes sur la table et vint emprisonner le corps du noiraud entre ses bras, répondant à son baiser avec ferveur, le cœur comblé.
Et cette fois-ci, rien ne vint briser leur moment.
Et lorsqu'ils l'avaient annoncé à leurs amis, leurs réactions avaient été épiques. Hoseok s'était précipité sur Jungkook avant de prendre son visage entre ses mains.
-Est-ce que ça fait mal ? J'ai entendu dire que ça faisait mal, déblatéra-t-il à toute vitesse.
Yoongi le poussa et prit sa place.
-T'es un homme ? Ça y est, t'es plus puceau ? il se tourna ensuite vers Hoseok. Putain, il t'a devancé, quoi.
Yoongi avait l'air penaud et Hoseok se mit à sa poursuite dans l'idée de lui donner une bonne leçon, touché dans sa fierté.
Jimin riait seulement aux éclats face à la chamaillerie habituelle de leurs deux amis. Quant à Seokjin, il approuva leur union d'un signe de tête, les bras croisés contre son torse, comme un ancien. Et Namjoon, tout en remettant ses lunettes sur son nez, prononça seulement : « Bah ça alors. »
Ils l'avaient bien pris dans l'ensemble. Et même Pépé avait eu une réaction inattendue. Un après-midi, le vieux avait vu les deux amoureux s'embrasser et s'était alors figé sur le pas de la porte.
-C'est quoi comme jeu encore ? grommela-t-il.
Hoseok avait éclaté de rire avant d'entrer dans la pièce et de s'asseoir sur un canapé, ses pieds se posant naturellement sur les cuisses de Seokjin qui grogna.
-Oh, tu sais Pépé, t'as pas vu le pire.
Le vieux s'était tourné vers lui, sourcils haussés, tandis que Taehyung et Jungkook restaient interdits, complètement terrifiés de la réaction du vieil homme.
-Comment ça ?
-Disons que, dans leurs beaux jours, ils sont plus d'humeur à se frotter comme des chiens en chaleur que de faire un simple lavage buccale.
-Se frotter comme des chiens ?
-Bah ouais, baiser quoi, répondit Hoseok, le regard vissé sur la vieille télé. Faire grimper la belle aux rideaux. Ramoner la cheminée. Jouer à touche-pipi. Faire pleurer le p'tit Jésus. Tu vois de quoi je parle, non ?
Hoseok avait terminé la fin de sa phrase en pointant du doigt la braguette du vieil homme. Celui-ci jura avant de partir de la pièce d'un pas lourd. Taehyung se tourna vers Hoseok, furieux.
-Mais t'es complètement con ou quoi ?
Comme si c'était une manière douce d'annoncer les choses. Pépé était plutôt vieux jeu, toute la ville l'était si ce n'était pas le pays entier même. Tous étaient conservateurs et dans une ville aussi croyante qu'Iksan, l'homosexualité était proscrite. Taehyung était sûr que certains ne savaient même pas que ça existait.
Pépé réapparut alors, carabine en mains et Jungkook écarquilla les yeux, horrifié. Le vieux la chargea et, surprenant tout le monde, la pointa sur son petit-fils.
-Je te laisse cinq secondes d'avance, cours vite.
Hoseok balbutia quelques mots incompréhensibles et Pépé commença alors à faire le décompte. S'il était encore en train de faire ses prières à deux sous, pas sûr que Dieu l'entende avant que la fureur du vieux n'explose. Hoseok se releva alors vivement du canapé et ouvrit la porte à la volée avant de courir dans le jardin sous les regards interloqués de Yoongi et Jimin qui faisaient une partie de golf. Mais ceux-ci comprirent bien vite la situation en voyant Pépé débarquer, carabine en main, prêt à canarder son petit-fils.
Jungkook se posta auprès du grand-père, complètement affolé.
-Calme-toi, petit. C'est des balles à blanc, dit-il en fermant un oeil, prêt à faire feu.
Et aussi naturellement qu'il lui répondit, il commença à tirer, manquant de peu le cul d'Hoseok. Jimin s'extasia.
-C'est la version améliorée de la fessée ?
Yoongi haussa mollement des épaules, trop pris dans sa contemplation. Hoseok était en train de traverser le quartier en hurlant comme un fou, attirant la curiosité des voisins. Putain, ce qu'il était en train de voir était extraordinaire. Il s'approcha de Pépé, une excitation à peine contenue dans sa voix.
-Je peux essayer ?
Pépé accepta et lui refila sa carabine. Alors que Yoongi n'avait aucun scrupule à lâcher les balles sur son ami comme une mitraillette de guerre complètement affolée, Taehyung et Jungkook regardaient la scène, ahuris. Pépé se tourna alors vers eux et leur dit sur le ton de la confidence :
-Franchement, je lui ai pas appris à parler comme ça à ce gosse. Je sais pas ce qui tourne pas rond chez lui.
Pépé n'en avait pas grand-chose à foutre de leur relation. Du moment qu'il avait son cigare et sa vieille radio, c'était un homme comblé.
Le père de Taehyung avait été la deuxième personne à apprendre la nouvelle et il l'avait évidemment très bien prise. L'idée de rejeter son fils unique lui était impensable, pas alors que c'était le plus beau cadeau que sa femme lui ait laissé. Il avait toujours été fier de son fils et le fait qu'il aime un garçon n'effacera jamais cela. Mais il les avait prévenus, ce serait difficile. Peu de personnes seraient enclines à accepter leur relation.
Et ils auraient dû l'écouter.
Le problème étant que les deux garçons se sont sentis pousser des ailes. Pépé, vieux comme un fossile les avaient acceptés. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour les parents de Jungkook ? Grossière erreur. Lorsque le plus jeune avait annoncé la nouvelle, son père avait hurlé à en réveiller tout le voisinage et sa mère l'avait regardé, comme s'il était un monstre. Ses yeux horrifiés à l'attention de son propre fils, la chair de sa chair, avaient brisé le cœur de Jungkook. Pour eux, il en était absolument hors de question. Ils pensaient que Taehyung avait manipulé leur fils, qu'il était une sorte de démon.
Le père de Jungkook n'avait alors pas réfléchi à deux fois avant de tout simplement virer son fils de chez lui, lui hurlant qu'il n'était même pas la peine qu'il remette les pieds ici tant qu'il n'aurait pas retrouvé le droit chemin.
C'est Pépé qui l'avait recueilli. Le vieux avait toujours aimé ce gosse, plus que les autres et il était hors de question qu'il le laisse à la rue. Jungkook, en larmes devant lui, lui avait alors demandé pourquoi sa relation avec Taehyung ne le dérangeait pas.
-T'es un bon gamin et le petit Kim aussi, non ? avait-il prononcé de sa voix grave. Vous n'avez pas tué quelqu'un à ce que je sache.
Pépé avait une vision aussi simple des choses que Jimin.
Mais la situation s'empira à partir du moment où la mère de Jungkook était allée voir la vieille Lee pour lui demander conseil. Elle était désespérée pour son fils et avait demandé de l'aide à la pire personne qui soit. Du jour au lendemain, toute la ville était au courant. En un claquement de doigts, Taehyung et Jungkook étaient devenus les bêtes de foire.
Mais ce n'était pas eux deux contre le reste du monde. C'était eux sept. Parce que les problèmes, ils les affrontaient ensemble. Ils ne formaient qu'une seule et même identité. Sans Seokjin, ce ne serait pas la même chose. De même pour Namjoon, Yoongi, Hoseok et Jimin. Tous avaient leur importance. Taehyung s'émerveillait chaque jour de ces personnes exceptionnelles qui étaient tombés sur sa route.
Namjoon n'accepta pas ce que madame Lee avait fait. Et pour la première fois, les garçons assistèrent à la fureur du plus discret de leur groupe. Et c'était quelque chose. Sur la place du marché, Namjoon ne s'était pas gêné pour hurler ses quatre vérités à madame Lee. Il avait beuglé si fort que tous les marchands et habitants s'étaient arrêtés, surpris. Et la vieille Lee s'était ratatinée sur elle-même, morte de honte.
Hoseok et Yoongi les défendaient assez bien, cassant la gueule à ceux qui auraient l'audace de dire une seule parole déplacée. Il fallait les voir lorsqu'ils s'étaient munis de leur batte de baseball pour aller régler leur compte à Joon-gi et ses amis qui avaient eu le malheur de cracher sur Jungkook. Hoseok était parti d'un pas guindé, et avait alors fait à Jimin le même effet que ses héros dans les films américains. Pépé avait vraiment été fier de son petit-fils. Il lui avait donné une tape sur l'épaule avant de lui offrir son premier cigare. Le cigare de la victoire. Hoseok l'avait savouré en toussant.
Mais la pression était constante. Chaque jour, les garçons se réveillaient avec la boule au ventre. Ils ne se sentaient plus chez eux, dans cette ville. Alors, un soir, alors qu'ils étaient tous réunis sur le vieux chemin de fer, Jimin avait soumis une idée.
-Partons.
Namjoon s'était tourné vers lui en fronçant les sourcils.
-Partir ? Mais pour aller où ?
Jimin leva les bras, en tournant sur lui-même, un grand sourire sur les lèvres. Avec la nuit étoilée au-dessus de sa tête, la scène avait quelque chose de chimérique pour les six autres garçons. De cette façon, Jimin semblait insaisissable.
-À Séoul.
Séoul ? C'était trop grand, trop beau. Évidemment que les gamins qu'ils avaient étés en avaient rêvé. C'était la capitale, après tout. Là où tout était possible. Mais était-ce raisonnable pour des garçons venant de la campagne de ne serait-ce qu'effleurer ce rêve ?
Jimin vit que ses compagnons n'étaient pas totalement emballés et il s'arrêta alors face à eux, forçant ses amis à faire de même.
-Combien de temps allons-nous continuer à supporter ça ? commença-t-il. Jusqu'à ce que l'un d'entre nous se fasse poignarder ? Nous sommes devenus les parias de cette ville, il glissa un regard en direction des deux amoureux. Ça ne peut plus continuer, je refuse. On mérite mieux, putain !
Jimin avait les yeux brillants de larmes. Il avait raison, tous le savaient. Alors que Jimin baissa sa tête vers le sol, ses amis se regardèrent silencieusement. Ils partaient tous ensemble ou rien. Chacun avisa la décision de l'autre d'un simple coup d'œil.
Jimin détaillait de ses yeux embués les graviers sous ses chaussures, à bout. Soudain, une main se posa sur son épaule et il releva la tête. Namjoon lui souriait.
-Séoul, dit celui-ci.
Jimin regarda ses autres camarades par-dessus son épaule. Tous avaient un grand sourire sur les lèvres. Un sourire d'excitation mêlée à l'appréhension. Il essuya ses yeux et courba ses lèvres à son tour, ses mirettes se fermant tandis qu'une unique larme coula sur sa joue.
-Séoul !
Ils partaient.
*
1965-1968
Les garçons n'avaient pas vraiment touché le rêve qu'ils attendaient tant. À Séoul, la vie était chère et les offres d'emploi, peu nombreuses. Ils avaient débarqué, les yeux pleins d'étoiles et la chute fut brutale. Ils avaient bataillé pendant pas mal de temps avant que l'un d'entre eux ne trouve un job. Le premier avait été Seokjin. L'aîné avait été embauché en tant que commis de cuisine dans un petit restaurant qui ne payait pas de mine et avait eu tout juste assez pour payer le loyer du vieil appartement délabré dans lequel les sept garçons étaient entassés.
Le deuxième était Yoongi. Dans le vieux quartier pauvre où ils habitaient, le garagiste s'était pris d'affection pour la grande gueule qu'il était et en avait fait son apprenti.
C'était grâce à eux deux si les garçons mangeaient et dormaient sous un toit.
La situation était difficile, mais bizarrement, les trois années qu'ils passeraient dans ce vieil immeuble, se battant avec la pauvreté, seraient les plus belles de leur vie.
Parce qu'ils étaient ensemble et que, putain, il s'en était passé des choses.
Lors de leur premier mois de cohabitation tous ensemble, Taehyung avait très vite remarqué un très gros problème. L'intimité. Il n'y en avait absolument aucune. Il y avait seulement une chambre dans le vieil appartement et les garçons se la partageaient à tour de rôle. Pour le reste, ils dormaient dans le petit salon sur des vieux matelas de fortune ou le canapé. Ce qui faisait que le seul moment où Taehyung pouvait avoir un peu d'intimité avec son bien aimé était lorsque leur nuit d'avoir cette putain de chambre arrivait. Et il fallait le voir.
Kim Taehyung, dix-neuf ans, se cramponnait au plus jeune de la bande durant toute la sainte journée comme un drogué en manque de sa seringue. Namjoon trouvait toujours cela navrant et Taehyung aboyait en retour. Et il lui faisait alors penser à ce chien bizarre qui avait toujours de la bave qui coulait de la gueule et des yeux rouges, injectés de sang, prêt à vous sauter dessus à n'importe quel moment.
En bref, Taehyung était incontrôlable. Il était constamment en manque et, disons-le clairement même, en chaleur.
C'était la même chose pour Jungkook, mais celui-ci était plus discret. Il se retenait de gémir, suppliait Taehyung avec des yeux craintifs de grogner moins fort, tandis que l'autre s'attelait à sa tâche avec une voix sortant des tréfonds des enfers. Et tout le monde trouvait ça mignon, la manière dont Jungkook pouvait s'inquiéter que les autres les entendent.
Mais ils n'étaient pas nés de la dernière pluie. Chaque lendemain, Hoseok, qui prenait le lit pour la nuit suivante, changeait les draps du matelas avec une expression lasse. Ah ça, il était habitué. Mais ce que Jungkook ne savait pas, c'était que les murs de l'appartement étaient aussi fins que du papier. Alors le grincement et les ressorts du lit qui souffraient, ils l'entendaient bien, les autres. Et ça, personne n'osa jamais lui dire.
Cependant Taehyung eut une idée pour remédier à ce problème. Il fallait tout simplement attendre que les autres soient partis pour qu'ils puissent s'adonner aux plaisirs de la chair. Simple comme bonjour.
Mais rien ne se passa comme prévu le jour où il décida de mettre cette idée en pratique.
-P-putain...
Taehyung, la langue enroulée autour du membre de son protégé et deux doigts caressant sa prostate, était en train de faire voir les étoiles à Jungkook. Celui-ci n'était plus qu'une masse tremblante et gémissante sur le canapé. Ces yeux étaient embués de larmes, le plaisir faisant recroqueviller ses doigts de pieds. Taehyung se consacrait à sa tâche avec une grande attention et était particulièrement doué. Il avait découvert que ses mains n'étaient pas seulement faites pour manipuler des marionnettes, mais aussi pour manipuler le fessier callipyge de Jungkook, apparemment.
Le plus jeune, trempé de sueur, emmêla de ses doigts les cheveux bruns de Taehyung. C'était trop intense, trop bon. À chaque coup de langue, à chaque doigté titillant sa prostate, les jambes de Jungkook se refermaient un peu plus sur Taehyung. Et celui-ci ne s'arrêtait dans sa tâche que lorsque la chair blanche et tendre de l'intérieur de ses cuisses fermes l'appelaient, le suppliant de les embrasser et de les mordre.
Jungkook étouffa un gémissement et tourna la tête. La vision trouble, il crut apercevoir...
Non, ce n'était pas possible.
Il papillonna des yeux, ses cils s'humidifiant de larmes et remarqua alors Jimin qui les fixait, assis sur une chaise, tout en s'empiffrant d'une barre chocolatée. Celui-ci était tout simplement en train de les mater et aucun des deux garçons ne s'en était rendu compte.
-Jimin..., gémit Jungkook.
Son but n'avait pas été de prononcer son nom de cette manière, mais Taehyung avait été beaucoup trop habile de sa langue au même moment et il n'avait pas pu l'empêcher.
Taehyung fit glisser le membre de Jungkook d'entre ses lèvres et se redressa légèrement, les sourcils froncés.
-Je rêve ou tu viens de gémir le nom de ce satané Park, là ?
-Un peu qu'il l'a fait.
Taehyung aurait pu se briser le cou vu la vitesse à laquelle il avait tourné la tête. Jimin, son meilleur ami, avait son cul posé sur une chaise et admirait le spectacle, léchant ses doigts enduits de chocolat. Taehyung croyait être en train de rêver. Brusquement, il recouvra le corps de Jungkook du vieux plaid qui trainait au sol, comme si Jimin n'avait pas eu le temps de tout voir depuis les dix minutes qu'il avait passées à se rincer l'œil.
-Je peux savoir ce que tu fous ?! feula Taehyung.
Innocemment, Jimin se releva et épousseta son vieux pantalon avant de regarder les deux garçons avec une petite moue. Jungkook essayait de réguler sa respiration, encore dans les vapes, tandis que Taehyung était prêt à sauter sur son meilleur ami.
-J'ai pas trouvé de job, alors je suis rentré plus tôt, murmura-t-il en s'avançant doucement. Je dois avouer que je suis pas vraiment branché saucisse, mais ce que vous faisiez avait quand même l'air vachement cool.
Taehyung l'écoutait déblatérer et avait déjà un nombre incalculable de pensées qui grouillaient dans sa tête sur la manière dont il pourrait mettre fin à son existence.
-Je vous rejoins ?
Taehyung bondit du canapé et Jimin ne perdit pas de temps avant de détaler, ouvrant la porte et descendant les escaliers à une vitesse fulgurante, faisant grincer le vieux bois à chacun de ses pas déchaînés pour échapper à la bête.
Il sortit et galopa dans le quartier en rigolant tandis que Taehyung, torse nu, lui courait après en hurlant. Tous les voisins étaient amusés par la scène qui se profilait devant eux. Il fallait dire que, depuis la venue de ces sept jeunes hommes, la vie dans le coin semblait bien plus amusante.
*
Et quelques mois plus tard, Hoseok avait trouvé l'amour. C'était la voisine du troisième étage. Elle était incroyablement belle, douce, gentille et celle-ci disait ne voir que par lui. Hoseok était aux anges et, chaque soir, il la vendait à ses amis comme si ceux-ci ne connaissaient pas déjà toute sa vie.
Hoseok avait trouvé l'amour avec Hana et il n'était plus puceau. Miracle. Yoongi avait été comme un fou en apprenant la nouvelle et Hoseok avait donc expliqué comment cela s'était passé. La manière dont il avait raconté sa première expérience sexuelle avait fait penser à Taehyung à la manière dont un vieux soldat raconterait sa guerre, s'enfonçant dans les lignes ennemies. Sauf que là, le soldat, c'était Hoseok et que les lignes ennemies, c'était plutôt la chatte d'Hana. C'était moins glorieux. Il avait raconté absolument tout et peut-être avec un peu trop de détails.
Vraiment trop de détails.
Jusqu'à conter la chaleur et l'humidité de sa cave avec un sourire béat. Jungkook avait grimacé.
Mais comme Ae-cha, Hana lui brisa le cœur. La jolie demoiselle avait toujours été très discrète quant à ses activités. Elle lui disait qu'elle était masseuse.
Si masseuse voulait dire masser les couilles de ses clients alors Taehyung avait besoin de sérieusement se remettre à la page.
Hana avait omis de lui dire que son travail était un petit peu plus profond que simple masseuse, genre réellement profond. Et il avait fallu qu'Hoseok débarque chez elle pendant qu'elle se faisait tringler (profondément ) par quelqu'un d'autre pour qu'elle lui avoue tout.
Un peu tard.
Hoseok s'était senti trahi. Il était hors de lui. La dispute de leur séparation eut lieu sur le pas de l'appartement des garçons. Jimin et Yoongi avaient passé leurs têtes dans l'entrebâillement de la porte et ce dernier avait détaillé le peignoir mal fermé d'Hana en se faisant la réflexion qu'elle était vraiment bien roulée, quand même.
-Tu comptais me le dire quand ?! hurla Hoseok.
Le mascara d'Hana coulait sur ses yeux et elle n'avait plus grand-chose de la jolie fille coquette. On aurait plutôt dit une folle.
-Mon ourson...
Jimin se retint de rire et se retourna vers les autres garçons qui attendaient des nouvelles des deux soldats du front. Il mima le surnom mielleux qu'Hana attribuait à Hoseok en faisant mine de vomir et Jungkook gloussa, emmitouflé dans les bras de son amoureux.
-C'est pas si grave, continua-t-elle.
Hoseok écarquilla les yeux.
-C'est pas si grave ?! Tout Séoul est passé avant moi et c'est pas si grave ?!
Hoseok croyait nager en plein cauchemar. Il était complètement déboussolé et ce fut bien pour cette raison que la phrase qui suivit ne fit que perdre ses amis.
-T'étais en train de te faire baiser par un mec en bottes, merde ! Qui baise avec des bottes, sérieusement ? C'était qui, John Wayne ?
Jimin explosa de rire et ce ne fut vraiment pas discret. Son amour des films américains avait contaminé tous ses amis et chacun d'entre eux connaissait les acteurs légendaires. Jimin expliqua alors aux autres pourquoi il rigolait et tout le monde le suivit dans son hilarité. Mais Hana ne connaissait pas John Wayne, alors elle se contenta de fixer Hoseok avec ses deux grands yeux larmoyants.
-C'est fini, soupira-t-il.
Le visage d'Hana se décomposa. Elle essuya ses larmes du dos de sa main, comme pour reprendre contenance, mais ne fit qu'étaler son mascara un peu plus. Elle fronça les sourcils et se pinça les lèvres.
-De toute façon, t'es le pire coup que j'ai jamais eu, prononça-t-elle. Deux minutes et tu lâches la purée.
Yoongi gonfla ses joues. Hoseok venait de se prendre une gifle verbale, touché au plus profond de sa virilité. Exploser de rire devant lui n'était pas une bonne idée. Jimin, quant à lui, se tourna de nouveau vers le reste de l'assemblée pour leur faire part de la situation.
-Nan tu déconnes, murmura Seokjin. Elle a pas dit ça quand même ?
-Deux minutes, c'est plus que ce qu'on pouvait espérer.
Jungkook donna un coup dans les côtes de sa moitié tandis que celui-ci ricanait comme une hyène, fier de sa blague. Taehyung s'excusa, frotta son nez contre celui du plus jeune et resserra sa prise sur sa taille.
-Pardon ?! s'offusqua Hoseok.
Hana croisa ses bras contre son torse, un rictus fier au coin des lèvres.
-En plus tu sanglotes à chaque fois que tu jouis.
Oh bah merde, Yoongi était sur le cul. Et sur ce coup-là, même lui avait de la peine pour la situation d'Hoseok. C'était vache de la part d'Hana surtout que, leur rupture, c'était de sa faute. Elle n'aurait jamais dû lui cacher la vérité.
Mais Yoongi vit le visage de son ami viré au rouge, complètement hors de lui. Là, elle l'avait vraiment mis en rogne, le Jung.
-Dégage, bordel ! Bouge de là !
Hana sursauta, surprise et apeurée face à la fureur de son ex-amant. Elle prit ses jambes à son cou et monta rapidement les escaliers.
-Avec ta vieille chatte gluante ! beugla Hoseok.
Tous l'immeuble l'avait entendu là, pour sûr. Cette phrase avait fini par achever Jimin. Et lorsqu'Hoseok entra dans l'appartement et le vit qui se roulait par terre, les larmes aux yeux, il fusilla ses amis du regard.
-Vous êtes vraiment les pires.
-Même sans Jimin et Yoongi, on vous entendait gueuler comme des putois, répondit Namjoon. Tout le quartier vous a entendus, d'ailleurs.
-Ouais, tout le monde sait que tu lâches la sauce en deux minutes maintenant, prononça Jimin avec difficulté.
Hoseok se retenait. Il hésitait entre se laisser tomber à genoux et chialer toutes les larmes de son corps ou se jeter depuis la fenêtre pour abréger ses souffrances. La main de Yoongi se posa sur son épaule.
-Avec ta vieille chatte gluante...murmura-t-il. J'adore.
Hoseok leva les yeux au ciel et partit s'enfermer dans la chambre. Normalement, c'était au tour de Namjoon de dormir dedans. Mais vu l'humiliation qu'il venait de se prendre, il voulait bien la lui laisser.
Ainsi, le grand amour d'Hoseok s'acheva.
*
Le temps passa, tous avaient fini par trouver un petit boulot, hormis le plus jeune. C'était toujours la misère, mais ils rigolaient bien, mine de rien. Et même si chacun avait maintenant assez d'argent pour se payer un autre appartement minable dans le quartier, réglant alors ce problème d'unique chambre, aucun n'était vraiment prêt à partir.
Et Jimin eut vingt ans.
C'était quelque chose. Ils avaient tous décidé de marquer le coup pour l'anniversaire de leur ami.
Jimin était un fan de voiture alors, à la sueur de leur front et à l'épuisement d'heures de travail supplémentaire, les cinq garçons lui offrirent une voiture. C'était une vieille voiture que Yoongi avait retapé au garage. Son patron lui avait dit qu'elle était là depuis des années et que son propriétaire l'avait tout simplement abandonnée. Il n'était jamais revenu. Ils l'avaient rachetée à un prix dérisoire mais qui restait tout de même une petite somme dans le porte-monnaie des garçons.
Et lorsque Jimin avait vu, depuis la fenêtre, ses six amis réunis autour de la Ford noire à deux portes, il avait hurlé de joie. Il avait descendu les escaliers à toute vitesse et avait serré chacun de ses amis dans ses bras, les larmes aux yeux.
Seokjin lui avait confié les clés et Jimin était monté au volant, Namjoon à ses côtés. C'était lui qui allait vivre la première conduite du plus jeune avec sa nouvelle voiture. Et il n'était pas serein.
-Tu as déjà conduit auparavant, n'est-ce pas ? lui demanda-t-il.
-Ouais, un tracteur.
Jimin lui avait répondu tout en mettant le contact. Un tracteur. Ce n'était pas du tout la même chose. Namjoon lança un regard de détresse à Jungkook depuis la vitre. Mais le plus jeune ne comprit pas et, avec toute l'innocence du monde, lui fit un sourire suivi de signes de mains digne d'un enfant.
La voiture démarra alors.
-C'est parti !
Namjoon se cramponna à son siège, affolé. Il avait tellement peur que Jimin les fonce droit dans un mur.
Mais vue de dehors, c'était autre chose. Jimin avait mis le contact, démarré, et soudain, tous les garçons explosèrent de rire.
Jimin conduisait en utilisant uniquement la seconde et la marche arrière et hésitait tant à relâcher l'embrayage que la Ford sautillait à en casser les cervicales. On aurait dit un chameau hoqueteux. Et ça continua jusqu'à ce que, presque une rue plus loin, Jimin se décide enfin à embrayer complètement.
Certains habitants du quartier qui avaient assisté à la scène avaient bien ri, eux aussi. Mais le pire, c'était les enfants qui courraient derrière la voiture et claquaient l'aile arrière comme si c'était une jument qu'il fallait faire avancer.
Et Namjoon restait assis, droit comme un I, un regard fixé sur la ligne d'horizon, tentant de maintenir sa dignité autant que possible.
Taehyung s'approcha de Yoongi, la mine soucieuse.
-Tu veux pas lui montrer comment utiliser la première et la troisième ?
Son ami, les bras croisés contre son torse, se tourna vers lui.
-Tu déconnes ?
Il avait été si amusé et émerveillé face à ce spectacle qu'il refusa de contribuer à lâcher Jimin dans la nature autrement qu'en seconde.
Et il en a fallu, du temps, pour que celui-ci comprenne enfin. Et jusqu'à ce que ce jour n'arrive, personne ne voulut monter dans sa voiture.
Mais l'autre problème avec Jimin, c'était qu'il ne savait foutrement pas garder un boulot. Il en changeait comme il changeait de chemise. Et ce n'était pas parce que ça le faisait chier, mais parce qu'il trouvait tout le temps le moyen de se faire virer. Et ça agaçait autant que ça amusait les autres.
Et un jour, celui-ci leur apprit qu'il venait d'être embauché dans un bordel. Les garçons l'avaient regardé, complètement perdus.
-C'est une blague ? demanda Seokjin.
-Non ! répondit joyeusement Jimin.
Hoseok s'était avancé vers lui et, le visage peiné, avait posé sa main sur son épaule.
-Tu n'es pas obligé de faire ça...Donner ton corps, Jimin, c'est...
Jimin mit du temps avant de comprendre. Il repoussa la main de son ami, complètement horrifié.
-Mais je me prostitue pas, putain ! s'exclama-t-il. Je suis serveur !
-C'est une blague ? demanda à nouveau Seokjin.
Le bordel dans lequel il travaillait était caché dans le fin fond d'une ruelle. C'était un établissement bas de gamme et le patron de Jimin était complètement terrifiant. Bizarrement, il faisait un peu penser à une sorte de Dieu à Hoseok. La manière dont il choisissait les personnes qui entraient dans son bordel en les détaillant longuement, le visage vide de toute expression, lui faisait un peu penser au tout-puissant aux portes du paradis qui choisirait de faire entrer ou non les morts en son sein.
Et Jimin avait alors proposé aux garçons de passer. Pour Taehyung, il en était hors de question. Mais son meilleur ami lui avait assuré que c'était un bar normal et que les filles se trouvaient à l'étage du dessus. Après avoir bataillé longuement, Jimin obtint gain de cause. Tous étaient donc partis dans ce bordel pour voir leur ami. Et lorsqu'Hoseok passa sous le regard du patron, qui semblait analyser jusqu'à son âme, il déglutit.
-Je suis sorti avec une prostituée.
Il ne savait pas vraiment pourquoi il avait lâché ça. Surtout qu'il avait su qu'Hana était une prostituée seulement au moment où il s'était séparé avec. Pas sûr que ça valait quelque chose. Le patron haussa ses sourcils quelques instants.
-Passe.
Hoseok cria de joie et entra à l'intérieur, passant un bras autour des épaules de Namjoon.
-J'ai réussi à entrer au paradis !
Namjoon ne comprenait pas pourquoi son ami lui disait ça. Mais si le paradis se résumait à un bordel pour Hoseok, c'était navrant. Hélas, il ne saura jamais toute la profondeur de cette phrase.
Et Jimin avait raison. En bas, c'était un simple bar. Seuls les hommes qui revenaient de l'étage en fermant leur braguette leur rappelaient là où ils se trouvaient. Jungkook n'était pas très rassuré et passait donc son temps à se coller à Taehyung qui lui caressait discrètement le dos.
Mais le patron, ayant vu Taehyung de loin, se dit qu'il était le genre de client que ses filles aimeraient avoir. Il monta en haut et leur expliqua la situation. Peu de temps après, cinq filles curieuses descendirent, se postant sur les marches d'escaliers. Elles gloussèrent, agréablement surprises. Quel bel adonis. Elles l'admiraient de loin. Le jeune homme, verre à la main, discutait avec ses amis tout en rigolant sans se douter des yeux brillants qui le fixaient. Taehyung était un steak, apparemment. Jimin les vit et grimaça, peu serein. Il aimait bien les filles et s'entendait à merveille avec, mais c'étaient de véritables vampires. Et elles suceraient jusqu'à la dernière goutte de sang du corps de Taehyung si la moindre occasion se présentait. (Goutte de sang ou de sperme, c'est une manière de voir les choses.)
Mais elles n'en firent rien. Elles le contemplaient juste de loin, ce beau garçon au regard intense et au sourire magnifique. Et lorsque la soirée se termina après le service de Jimin, les sept garçons rentrèrent chez eux dans une ambiance bonne enfant.
Ça se chamaillaient, rigolaient et parlaient du passé, du présent et du futur. Les rêves continuaient de danser sous leurs yeux. Et s'il y avait bien une chose dont ils étaient sûrs, c'est qu'ils seraient toujours ensemble. Ils n'étaient pas seulement des amis pour l'un et pour l'autre, mais une famille, des frères. Et c'était magnifique.
Mais sur la route, ils tombèrent sur deux ivrognes et l'ambiance bonne enfant s'en alla alors. De loin, les deux hommes complètement saoules marchaient dans leur direction, s'indignant de l'homosexualité avec des termes peu élogieux. Jungkook baissa la tête, son sourire avait laissé place à une mine bien triste. Alors que les deux hommes passaient devant Jimin et lui, il entendit l'un d'entre eux.
-T'imagine si ces pédales pouvaient se marier, franchement ? articula-t-il, horrifié.
-Arrête de dire des conneries, y'a pas moyen, répondit son acolyte. C'est dégueulasse.
Et au moment où l'un d'eux soumit l'idée de tous les tuer, Seokjin mit son pied devant, laissant alors un des ivrognes s'étaler de tout son long sur la chaussée. Son acolyte rigola de son état d'ivresse et les garçons rentrèrent en silence. Plus aucun rire. Les cinq garçons observèrent les amoureux qui avançaient au loin, le cœur serré. C'était injuste.
Et lorsque Taehyung vint rejoindre son bien-aimé dans la chambre, il s'agenouilla en face de lui. Jungkook jouait distraitement avec la couette, la tête baissée. Ce soir-là, il n'avait pas du tout envie de faire l'amour. Taehyung caressa le dos de sa main.
-Tu aurais dit oui ?
Jungkook releva la tête, perdu, et Taehyung reprit.
-Si c'était possible pour nous de se marier et que je t'aurais demandé de m'épouser, tu aurais dit oui ?
Les yeux de Jungkook s'embuèrent de larmes. Un mélange de tristesse et de tendresse.
-Bien sûr, répondit-il en reniflant.
Taehyung se releva alors, le visage sombre, avant de prendre son amant dans ses bras et d'embrasser ses cheveux, le cœur aussi serré que le sien.
Tous les garçons avaient entendu cette conversation. Ils avaient été touchés et tristes pour leurs deux amis. Ils étaient amoureux et, pourtant, tout le monde les voyait comme des monstres. Alors même que leur relation était si belle...
Et Jimin eut soudain une idée. Les garçons écoutèrent son plan, complètement sous le charme de la suggestion du plus jeune.
Jimin était un génie.
Parce que Jimin voyait la vie simplement.
Les jours qui suivirent, Jungkook et Taehyung ne comprirent pas vraiment pourquoi Yoongi venait et les prenait par la main pour inspecter leurs doigts. Ils avaient beau lui demander, sa réponse restait la même : « Je t'en pose, moi, des questions ? »
Seokjin semblait rentrer plus tard du travail, Namjoon passait son temps dans l'arrière-cour de l'immeuble, Jimin était excité comme une puce et Hoseok s'était même invité à un mariage pour, comme il le disait si bien, profiter du buffet.
Les deux amants avaient l'impression de manquer quelque chose, d'être complètement à la ramasse.
Et un soir, ils se retrouvèrent seuls à l'appartement. Ils ne savaient pas du tout où étaient les autres. Jungkook, depuis la fenêtre, regardait la rue, la boule au ventre à l'idée que quelque chose soit arriver à ses amis.
-C'est pas normal, dit-il en se tournant vers Taehyung. Ils devraient déjà être là.
Taehyung enserra son amant par derrière, le berçant doucement. Lui aussi était inquiet, mais c'était une expression qui n'allait pas à son ange. Jungkook méritait de sourire à chaque seconde de sa vie, chaque respiration qu'il prenait. C'était ce que Taehyung voulait.
Soudain, la porte s'ouvrit et les deux amoureux se détachèrent. À l'entrée, Jimin et Namjoon les regardaient avec une joie non dissimulée. Jungkook s'approcha d'eux, énervé.
-Vous étiez où ?! On s'est inquiété !
Son expression furieuse n'avait rien de menaçante. Il avait la même bouille que ce jour-là, presque dix ans plus tôt, lorsqu'il s'était énervé contre Yoongi parce qu'il n'osait pas aller voir Taehyung.
Jimin et Namjoon ne firent pas vraiment attention aux jérémiades du plus jeune et tirèrent le couple par la main.
-Mais qu'est-ce qui vous prend ? s'irrita Taehyung alors qu'il essayait de se dégager de la poigne de Namjoon.
Aucun des deux ne lui répondit. En revanche, ils se regardèrent avec un grand sourire.
L'arrière-cour, personne n'y mettait les pieds. Elle était à l'abandon à tel point que les chaises avaient rouillé et que la végétation avait pris place dessus. Il restait quelques vestiges de la vie, comme le petit vélo pour enfants ou l'éternelle tasse fissurée. Mais c'était tout. C'était comme si l'arrière-cour s'était figé dans le temps.
Aucun d'entre eux n'y s'aventurait mais, ce soir-là, les cinq garçons avaient redonné un semblant de vie à cette vieille cour. Il y avait des fleurs. Partout. Et cela expliquait enfin pourquoi Namjoon passait tant de temps dans ce lieu. Il travaillait chez un petit fleuriste et avait réquisitionné les fleurs en fin de vie pour décorer le lieu. Même si elles n'étaient pas sous leur plus beau jour, Jungkook trouva ça magnifique. C'était féerique. Des bougies étaient installées, ça et là et, au fond, Hoseok était debout sur une vieille caisse en bois. Les chaises, habitées de verdure, avaient été positionnées de chaque côté, donnant alors l'illusion d'être dans une église. Les bancs étant remplacés par les vieilles chaises rouillées et l'autel, par la caisse en bois.
Taehyung comprit. Et il pleura. Parce qu'il était tellement touché qu'il ne savait pas quoi dire.
-Arrête ! Tu vas nous faire chialer aussi, cria Yoongi de loin.
Taehyung rigola et sécha ses larmes. Seokjin s'avança jusqu'à Jungkook avant de lui donner un bouquet. Un minuscule bouquet qu'il avait du mal à tenir dans sa main devenue grande. Un bouquet de pâquerettes. C'était significatif. Namjoon aurait pu faire un bouquet avec de plus jolies fleurs, mais tous les garçons se rappelaient de ce jour où tout a commencé. Et c'était alors une évidence.
Jungkook regarda le bouquet dans sa main et ses amis, balbutiant des paroles incompréhensibles. Il avait lui aussi compris, mais était tellement bouleversé qu'il n'arrivait tout simplement pas à articuler la moindre phrase.
Taehyung se tourna vers lui, un sourire sur ses lèvres humides de larmes et tendit sa main. Jungkook la regarda quelques instants et la prit. Ensemble, ils s'avancèrent doucement jusqu'à Hoseok.
Celui-ci n'était pas vraiment allé à ce mariage pour profiter du buffet. En vérité, il y était allé avec un calepin et un stylo et avait noté du mieux qu'il avait pu les paroles du prêtre. Ce qui fit que les mots n'étaient pas exactement ce que l'on disait lors des mariages, mais l'essence était là. Les autres garçons étaient assis sur les chaises, les yeux pleins d'étoiles. Même Jimin pleurait. Et lorsqu'Hoseok arriva à la partie d'échange des anneaux, symbole de fidélité, Yoongi se leva. Il se dirigea vers les deux hommes et ouvrit sa main devant eux.
Dans le creux de sa paume, il y avait deux écrous. Yoongi avait passé un temps incroyable à trouver ceux qui correspondaient à leurs annulaires, passant son temps au garage à inspecter minutieusement chaque boulon pour savoir lesquels feraient l'affaire.
Et c'était parfait.
Et lorsque Jungkook et Taehyung s'embrassèrent, leurs amis applaudissant derrière eux, ils ne voulaient être nulle part ailleurs. C'était un mariage qui n'avait aucune valeur aux yeux de la loi et de Dieu, mais il en avait une pour eux. Et c'était tout ce qui comptait.
*
1969
Hoseok n'avait pas trouvé le grand amour, mais ce n'était pas le cas de tout le monde. Seokjin avait rencontré une fille. Une magnifique journaliste aux long cheveux ondulés et au parfum de miel et de fleurs. He-Ran était vraiment la fille idéale et la première fois que les garçons l'avaient rencontrée, ils avaient été conquis. Elle était douce, gentille et drôle. Parfaite. Et tous les garçons lui avaient dit qu'il était hors de question qu'il la quitte.
Non seulement He-Ran était magnifique, mais elle faisait aussi partie d'une très bonne famille. Et merde, Kim Seokjin, bouseux jusqu'à la moelle, avait réussi à choper une princesse de la capitale.
Sans comprendre, Seokjin commença à monter en admiration et respect dans le cœur de ses amis. Chaque matin, Hoseok lui tirait la révérence comme s'il était un prince. Et si au début, ça le faisait grandement rire, il commença très vite à se lasser des regards que lui lançaient ses compagnons, comme s'il était une sorte de divinité.
Adieu le petit commis de cuisine. Le père d'He-Ran avait fait de lui l'un des cuisiniers d'un restaurant prisé de la capitale. Le piston, ça aide. Mais Seokjin était doué et il adorait cuisiner. C'était grâce à lui si les garçons n'avaient pas crevé de faim jusque là.
Mais le temps était passé et, malgré tout l'amour et l'attachement qu'il vouait à ses frères, le temps de prendre son envol arriva. Ainsi, Seokjin partit au début de l'année. Il emménageait avec He-Ran dans une belle maison d'un quartier chic. Seokjin s'en était voulu de laisser ses amis dans cet appartement miteux. Mais les garçons l'avaient rassuré. Ce n'était pas qu'un simple appartement miteux, c'était leur appartement miteux. Celui dans lequel ils avaient vécu tant de choses...
Le seul qui eut du mal à le laisser partir était Namjoon. Parce qu'avec Seokjin, ils étaient les deux seuls à avoir la tête sur les épaules. Les garçons se souvenaient d'un Namjoon en pleurs qui s'accrochait désespérément à la manche de Seokjin. Et la situation avait été aussi comique qu'insultante pour eux.
-Pitié, ne me laisse pas seul ici !
Seokjin, valise en main, se bataillait avec Namjoon pour que celui-ci le laisse. Il chouinait comme un gosse et avait même de la morve au nez. Le tableau était lamentable.
-Emmène-moi avec toi.
-Bordel, mais lâche-moi, Namjoon !
Et il secoua son bras, essayant de se dégager de la prise du chewing-gum humain.
-Moi aussi je peux te sucer ! J'essayerai.
Les garçons avaient observé la scène, blasés.
-Mais t'es complètement malade !
Il en avait fallu, du temps, pour que Namjoon lâche sa grippe sur son ami. Seokjin lui avait promis qu'il reviendrait aussi souvent que possible. Il n'y avait pas de quoi s'inquiéter, il restait tous les six ensemble. À la mention de cela, il avait semblé aux garçons que Namjoon avait étranglé un sanglot. Franchement, il abusait.
Seokjin et Namjoon, c'était comme Jimin et Taehyung, des âmes-sœurs amicales. Ils comprenaient pourquoi leur ami réagissait ainsi. Ils avaient passé leur vie ensemble jusqu'à maintenant, donc c'était étrange de le voir s'en aller. C'était comme un sentiment d'abandon.
Ainsi, Seokjin partit. Adieu les bons petits plats. Très vite, l'appartement devient un bordel sans nom. Un véritable taudis.
Mais, comme si le départ du plus âgé n'était que le début d'une nouvelle ère, quelque chose d'autre se passa. Leurs vies étaient en train d'être bousculées tout doucement.
Ça avait commencé un beau jour lorsque, fouillant dans l'appartement à la recherche de sa ceinture, Taehyung tomba sur le carton contenant les marionnettes de son père.
Il l'avait doucement ouvert et avait souri en les voyant, le cœur empli de nostalgie. Trois années s'étaient passées depuis qu'ils avaient quitté Iksan. Trois ans qu'il n'avait plus fait de spectacle de marionnettes. Les garçons n'étaient jamais revenus dans cette ville où tout avait commencé. Des nouvelles de son père, il en avait grâce aux lettres qu'ils s'échangeaient. Même Pépé leur écrivait. Il semblait que le vieux était increvable.
Jungkook s'approcha de lui et posa sa tête sur son épaule, regardant lui aussi les marionnettes.
-Pourquoi tu ne recommencerais pas ?
Taehyung se tourna vers lui.
-Les spectacles ? On est à Séoul. Ça n'intéresse personne, ce genre de choses ici, ricana-t-il.
Jungkook savait que Taehyung n'aimait pas son petit boulot. Taehyung n'était pas postier. Il était marionnettiste, comme son père. Son but n'était pas de distribuer le courrier, mais de raconter des histoires avec ses poupées de bois et ses doigts.
Il prit son visage entre ses mains et colla leurs fronts ensemble.
-Tu sais que ça intéresserait au moins une personne ? dit-il en souriant.
Taehyung ricana, Jungkook avait toujours été son plus grand fan.
-Et tu sais que cette personne serait très fière de toi si tu essayais ?
Il embrassa son amant et lui lança un clin d'œil avant de partir, laissant Taehyung seul avec ses marionnettes. Celui-ci les dévisagea longuement, pensif.
Ça ne risquait rien d'essayer, effectivement.
Alors ce jour-là, dans le parc de Hangang, Hoseok et Jimin étaient semblables à des croques-mitaines. Ils étaient terrifiants, à aller déranger les familles installées sur leur petite nappe pour gueuler qu'un spectacle comme ils n'en avaient jamais vu se préparait un peu plus loin. C'était limite si Jimin ne chopait pas le père par le colback pour le menacer, avec ses grands yeux, d'emmener sa famille maintenant et tout de suite.
-Ça va être génial, disait-il d'une voix sombre.
Et le daron était alors à deux doigts de se chier dessus. Hoseok n'était pas franchement mieux. Il fallait le contrôler puisqu'il était à la limite d'attraper les enfants par les crocs pour les traîner jusqu'à la petite scène en bois. C'étaient de véritables furies, les deux. C'est pour cette raison que Yoongi était censé les superviser. Mais les voir sauter de famille en famille comme des démons était bien plus amusant. La pub qu'ils faisaient à Taehyung n'était pas la meilleure, mais elle avait le mérite d'être...Persuasive, disons.
Ainsi, plusieurs familles s'étaient rassemblées. Taehyung était incroyablement stressé, mais il suffisait qu'il voit le visage de ses amis pour être rassuré. Qu'il voit le regard immense de Jungkook pour se sentir confiant. Et ainsi, il commença son premier spectacle à la capitale. Et ce n'étaient pas seulement les enfants qui avaient adoré, mais les parents aussi ! Ce jeune homme était doué et si les mamans faisaient plus attention à la beauté du marionnettiste qu'à l'histoire qu'il racontait, les pères admiraient ses doigts bouger avec une agilité somptueuse.
Et, parmi les spectateurs, un homme se trouvait là. Ce n'était pas n'importe qui, c'était un requin de l'industrie du divertissement. Et ce qu'il avait devant les yeux, c'était une mine d'or. Un homme magnifique qui faisait rire les enfants et charmait les parents. Il ne le laisserait pas filer.
À la fin du spectacle, il vint le voir et proposa à Taehyung de jouer dans un théâtre. Sur les conseils de ses amis, celui-ci accepta, heureux.
Et tout commença alors par bouger.
Au début, c'était une ou deux représentations par semaine, puis très vite ce fut plus. Taehyung ne se produisait plus seulement dans les théâtres, mais aussi dans les cabarets. Il était devenu une petite star de la capitale. Son visage et ses marionnettes étaient placardés sur des affiches dans tous les coins de Séoul.
Et avec le succès, l'argent qui va de paire arriva aussi.
Jungkook et lui pouvaient désormais partir. Taehyung avait largement les moyens. Sans en avertir son amant, il acheta une villa située à la limitrophe de Séoul et s'en allèrent à leur tour.
Habiter dans ce vieil appartement miteux qu'ils avaient toujours connu n'avait plus vraiment de sens pour Namjoon, Yoongi, Jimin et Hoseok s'ils n'y vivaient plus tous les sept. Quelques mois plus tard, ils le quittèrent eux aussi et partirent s'installer, chacun de leur côté.
C'était la fin de leur cohabitation.
*
1971
Deux ans se sont écoulés et pleins de choses avaient eu lieu avec. La première, ce fut la mort de Pépé. Et ce choc au sein de la bande leur avait foutu un gros coup au moral. Ils pensaient tous que Pépé était increvable. Même Hoseok pensait qu'il avait plus de chance de rendre l'âme avant lui. Mais celui-ci était humain et vieux, finalement. Cet événement marqua leur seul retour à Iksan.
Hoseok avait officiellement perdu le dernier membre de sa famille. Il y avait aussi les garçons, mais ce n'était plus comme avant. Ils avaient tous évolué chacun de leur côté et ne se voyaient plus autant. Hoseok était celui pour qui leur séparation avait été le plus difficile. Et, sans que les autres ne s'en aperçoivent, il avait sombré dans les affres de la dépression.
Jin était devenu papa, quelque temps après la mort du vieux. He-Ran avait donné naissance à une jolie petite fille qui faisait son bonheur et dont les garçons étaient complètement gagas.
Jimin avait évolué. De simple serveur, il était devenu l'assistant de son boss dans le bordel. Pour ce que ça valait. Mais maintenant, lui aussi avait le droit de choisir qui entrait ou non, comme un Dieu. Et mine de rien, c'était un putain de privilège.
Yoongi passait plus de temps à retaper ses voitures qu'à se soucier du monde extérieur. Il passait ses journées, la tête dans le capot d'une bagnole comme un mec entre les cuisses d'une fille. Yoongi ne s'intéressait plus tellement à tout ce qui était l'amour ou autre connerie du genre. Sa clé à molette et la promesse d'une voiture déglinguée faisaient son bonheur. Finalement, Min Yoongi avait toujours voulu une vie simple, et il l'avait.
Mais c'était autre chose pour le petit couple.
Taehyung s'oubliait. Oubliait qui il était et d'où il venait. Le succès lui était monté à la tête de tel qu'il avait peu à peu délaissé ses amis. Il traînait maintenant avec le gratin de la ville. Dans ses costumes sur-mesure et sa coupe parfaite, Taehyung était plus beau que jamais.
Et Jungkook le voyait se faire bouffer par l'avidité chaque jour qui passait.
Il aura fallu attendre qu'un événement tragique ne survienne pour que Taehyung se réveille de sa bulle.
Jimin avait terminé son service et avait décidé de rentre visite à Hoseok. Celui-ci ne donnait plus beaucoup de nouvelles et ça l'inquiétait. Lorsqu'il arriva sur le pas de la porte et remarqua que celle-ci était ouverte, un mauvais pressentiment s'empara de lui. Hoseok avait toujours été joyeux et espiègle. Mais la mort de son grand-père, la pauvreté dans laquelle il vivait et la séparation de ses frères l'avaient pesé au point qu'il n'avait pas trouvé d'autre solution que de mourir. De tenter, du moins.
Jimin avait découvert son ami, allongé sur le carrelage dégueulasse de la salle de bain, une boîte de somnifères à moitié vidée à ses côtés. Il ne réfléchit pas deux secondes avant de se précipiter vers lui, de le relever, et d'enfoncer deux doigts dans sa gorge. Hoseok, dans les vapes, vomit alors sur le sol et Jimin continua à le faire vomir, encore et encore. Son pull était taché et puait, mais il s'en foutait. Hoseok pleurait, les sanglots secouaient son corps et sa langue avait ce goût horrible d'acide. Jimin s'effondra aussi en larmes et le prit dans ses bras, frottant son dos doucement.
S'il était arrivé plus tard, s'il n'était jamais venu, alors Hoseok serait mort.
Le lendemain, Yoongi débarqua le premier chez Jimin. Hoseok se trouvait là, emmitouflé dans un plaid, le regard dans le vague. Pour Jimin, il avait été hors de question qu'il le laisse seul. Lorsque Yoongi avait appris la nouvelle, il n'avait pas perdu une seconde avant de se diriger chez le plus jeune.
Il avait limite fracassé la porte avant de se ruer sur Hoseok, toute la fureur criant sur les traits de son visage. Sans qu'il ne puisse l'en empêcher, il lui mit une gifle qui résonna dans tout l'habitacle. Et, sans perdre de temps non plus, le prit par le col de sa chemise, le leva brutalement et le secoua de toutes ses forces.
-De quel droit ?! De quel droit, putain ?!
Yoongi ne pleurait jamais et c'était la première fois que Jimin voyait ses larmes. Hoseok comptait à un tel point pour lui qu'il en avait perdu son calme. Il ne pouvait pas envisager sa mort, c'était impossible.
-Yoongi, lâche-le !
Jungkook arriva et poussa Yoongi plus loin. Derrière le plus jeune, Namjoon et Seokjin se tenaient là, le visage grave. Hoseok tomba à genoux au sol et continua à sangloter, comme un enfant.
-Je suis désolé, hoqueta-t-il.
Jungkook se baissa et le prit dans ses bras, le berçant doucement. Jimin remarqua alors quelque chose et fronça les sourcils.
-Il est où ton mec ?
Le plus jeune passa sa langue sur ses lèvres avant de lancer un regard désolé à son ami.
-Il avait promis qu'il viendrait, mais il a eu un empêchement et...
Jimin explosa d'un coup, furieux. Il était semblable au tonnerre qui gronde.
-Pardon ?! Ce fils de pute ! hurla-t-il, hors de lui.
Namjoon s'avança vers lui dans l'idée de le calmer, mais c'était inutile. Ça faisait trop longtemps qu'il retenait sa colère envers celui qui avait été son meilleur ami. Seokjin avait eu peur de les abandonner, mais Taehyung l'avait fait sans aucun scrupule.
Alors, quelque jours plus tard, Jimin se pointa chez les deux amoureux. Jungkook avait à peine ouvert la porte que Jimin s'était engouffré chez lui.
-Il est où ?!
-Il n'est pas là, murmura Jungkook.
Jimin se tourna vers lui. Jungkook était adorable, un petit ange venu sur terre pour réchauffer les cœurs. Enfant, il aimait faire des petits bouquets de ses mains potelées. Adulte, il n'aspirait qu'à vivre une vie sans artifice avec ceux qu'il aimait. Il jeta un regard circulaire, détaillant le luxe de la villa.
-Est-ce que tu te plais ici ?
Le plus jeune tritura ses doigts.
-Oui.
-Et sans me mentir ?
Jungkook releva vivement la tête, perdu. Il se mordilla la lèvre inférieure avant de répondre :
-Taehyung...Il en fait parfois trop.
Jimin hocha la tête. Taehyung s'était abandonné dans la folie des grandeurs et emmenait Jungkook avec lui, sans savoir s'il était d'accord ou non.
Jimin monta alors les escaliers de marbre et se dirigea dans la pièce où Taehyung gardait ses marionnettes. Sa collection s'était agrandie depuis le temps.
-Qu'est-ce que tu fais ?
Jimin ne répondit pas. Un vrombissement de moteur avait retentit, signalant que Taehyung venait de rentrer. Il ouvrit la fenêtre et avisa son meilleur ami qui descendait de sa superbe bagnole, costume chic sur le dos. Ça l'irrita. Sans prévenir, il se tourna dans la pièce et attrapa une marionnette avant de la jeter par la fenêtre. Suivi par pleins d'autres. Taehyung s'était arrêté et regardait le spectacle, horrifié. Lorsqu'il vit que c'était son meilleur ami, l'auteur de ce massacre, il hurla :
-Mais qu'est-ce que tu fous ?!
-Je te reconnecte au monde réel, sale con !
Et Jimin continuait à balancer les marionnettes par la fenêtre, celles-ci s'écrasant sur le sol, les membres arrachés ou disloqués par la chute. Taehyung ne perdit pas de temps avant de s'avancer jusqu'à la porte d'entrée, de l'ouvrir et de se ruer dans les escaliers. Lorsqu'il arriva dans son atelier, essoufflé, il lança un regard courroucé à Jungkook.
-Putain, mais pourquoi tu l'as pas arrêté ?!
Mais Jungkook ne répondit rien. Taehyung s'avança alors vers son meilleur ami et lui bloqua les bras, l'arrêtant. Jimin essaya de se débattre, mais son adversaire avait plus de force que lui. Il lui écrasa le pied et se dégagea de sa prise avant de se tourner face à lui. Les deux hommes se dévisageaient, la respiration saccadée, prêts à se sauter dessus en chien de faïence.
Et soudain, Jimin ricana, dédaigneux.
-Putain, mais regardez-moi ce costume, un vrai petit gland de la haute.
-Qu'est-ce que tu veux ?
Jimin ouvrit grand les yeux, comme s'il pensait avoir mal entendu.
-Ce que je veux ? répéta-il, détachant chaque syllabe. Je veux retrouver mon meilleur ami, voilà ce que je veux. Deux ans qu'il a disparu pour être remplacé par un vieux con arrogant, imbu de lui-même.
-T'es malade..., murmura seulement Taehyung, ahuri.
Jimin s'approcha de lui, menaçant.
-Moi je suis malade ?! Mais bordel, Taehyung, réveille-toi ! Hoseok a voulu crever et toi, t'étais passé où ?!
Il le prit par le col de sa veste hors de prix et le secoua.
-T'étais où ?! Un de tes amis a failli mourir ! Je te parle du même gamin couillon qui t'as fait rire pendant plus de dix ans, Taehyung ! Il a voulu disparaître et toi t'étais où ? Parti jouer aux golfs avec tes nouveaux « amis » ? C'est toi qui est malade, pas moi.
Sa voix se fit plus basse et la prise sur sa veste, moins forte.
-Rappelle-moi, Taehyung. Il y a quinze ans, qui t'as sauvé de Joon-gi quand celui-ci se foutait de ta gueule lors de ton premier jour de classe parce que t'étais pauvre ? Qui t'as conseillé d'aller dire à Jungkook ce que tu ressentais pour lui ? Qui était avec toi lorsque toute la ville vous considérait comme des monstres ? Qui a soumis l'idée de se barrer à Séoul pour vous ? À ton avis, qui a eu l'idée de votre mariage ? Qui Taehyung, dis-moi ?
Le marionnettiste déglutit, le visage grave. Jimin avait été comme une sorte d'ange gardien depuis le début et il l'avait abandonné. Et Hoseok...Il avait voulu se suicider...
Qu'est-ce qui lui était arrivé pendant tout ce temps ? À quel point s'était-il perdu jusqu'à oublier l'essentiel ? La culpabilité serra son coeur.
-Jimin...
Celui-ci sourit tristement.
-Tu te rappelles que j'existe, maintenant ?
Et Jimin s'en alla. Taehyung fixait la silhouette de son meilleur ami tandis que celui-ci passait le grand portail. Honteux, il se tourna vers Jungkook qui était resté silencieux jusque là, les bras croisés contre son torse.
-T'es fier de toi ? lui demanda-t-il.
Et il quitta la pièce, laissant Taehyung avec ses remords.
Récupérer son meilleur ami n'avait pas été une tâche facile pour lui. Lorsqu'il s'était présenté, deux jours plus tard, à la porte de Jimin, son cœur battait furieusement d'appréhension. Son meilleur ami lui ouvrit la porte, considéra sa tenue et les bières qu'il tenait en main avant de s'accouder contre le chambranle.
-Où est passé le costume de vieux coincé ? T'avais une tâche donc tu l'as emmené en urgence au pressing ?
Taehyung grimaça.
-Tu me laisses entrer ou non ?
Jimin le fixa quelques instants avant de se pousser sur le côté. Taehyung le dépassa, le remerciant d'une petite voix.
Hoseok était sur le canapé, installé dans un plaid avec Yoongi. C'était bizarre de les voir tous les deux dans cette position. Mais depuis ce qu'il s'était passé, le plus âgé ne voulait pas le lâcher d'une semelle.
Yoongi le remarqua et lui fit un petit signe de tête. Il lui en voulait aussi, mais tous les garçons savaient que Jimin était allé le voir pour lui dire ses quatre vérités. Enfoncer le couteau dans la plaie ne servait à rien. Ce n'était ni l'endroit, ni le moment.
Hoseok, quant à lui, lui offrit un petit sourire.
-Hey...
Et Taehyung s'avança jusqu'à lui avant de s'agenouiller et de le prendre dans ses bras. Il embrassa son front, une larme coulant le long de sa joue, tout en se lamentant de l'ami minable qu'il était.
-Je suis tellement désolé...
Hoseok prit ses mains qui tenait son visage et les serra fortement.
-Je sais.
Il le repoussa légèrement et remarqua les bières à côté de lui. Il en prit une dans sa main et la passa à Yoongi. Jimin les rejoignit et, tous les quatres, passèrent la soirée à parler longuement.
En passant par des sujets sombres tels que la tentative de suicide d'Hoseok jusqu'au comportement de Taehyung pour divaguer sur des plus joyeux. Ils avaient rigolé de la promotion de Jimin au bordel, de l'adorable fille de Seokjin et du passé, parce qu'ils savaient qu'Hoseok aimait se remémorer de vieux souvenirs. Et ils en avaient tellement. À la fin de la soirée, Jimin leva sa cinquième bière vers le plafond, avant de déclarer :
-Et des souvenirs, on en créera encore ! Ce soir est un souvenir, demain en sera un et toutes les années qui passeront en deviendront. Jusqu'à la fin...
Il regarda ses trois amis, les yeux brillants.
-...À jamais !
Et ils trinquèrent.
*
1974
Taehyung s'était détaché de ce cercle vicieux qu'était la célébrité. Il continuait ses spectacles, mais se faisait bien plus discret. Et Jungkook et lui n'avaient jamais été aussi heureux. Le plus jeune avait remercié un nombre incalculable de fois Jimin pour ce qu'il avait fait.
Et Hoseok était redevenu Hoseok.
La fille de Seokjin, Mee-yung, avait désormais quatre ans, que le temps passait vite. Elle était adorable, une véritable petite princesse que Namjoon adorait gâter. Il s'amusait tout le temps à mettre des petites fleurs dans les cheveux de la fillette et celle-ci défilait alors devant le petit groupe comme une top-modèle. Les garçons s'amusaient à tomber au sol, comme s'ils avaient été mitraillés par sa beauté et elle éclatait alors de son rire clair et cristallin. He-Ran et Seokjin regardaient la scène avec tendresse, déjà fiers de leur petite fille.
À peine quatre ans et la gamine avait déjà bien intégré qu'aimer une personne du même sexe n'était pas une abomination. C'était quelque chose que ses parents voulaient à tout prix lui inculquer et Taehyung en avait presque pleuré.
Mee-yung aimait d'ailleurs beaucoup le marionnettiste. Il était comme un prince charmant. Mais elle savait aussi que le prince qu'elle voulait avait quelqu'un d'autre dans son cœur. Un autre chevalier servant qui était doux comme le chaton de la voisine et qui lui apprenait à faire des bouquets avec les fleurs de son jardin. Alors, à la surprise de tout le monde, elle avait décidé que son futur roi serait Yoongi.
Celui-ci avait longuement balbutié, pris au dépourvu. Ce que les garçons adoraient par-dessus tout ? C'était lorsque Mee-yung le tirait par la main et lui ordonnait de la faire danser. La scène était aussi comique qu'attendrissante.
Et peut-être est-ce précisément parce que ces trois années avaient été aussi joyeuses, sereines et stables, que le début de la catastrophe se révéla autant dévastateur.
Ils étaient heureux, sans savoir que la fin de leur aventure touchait à sa fin.
Tous se rappelaient précisément ce qu'ils faisaient le soir où l'événement fatidique se produisit.
Yoongi était avec Hoseok en train de regarder la télé, descendant des bières comme des trous sans fond. Jin était avec Namjoon, discutant de la vie de l'un et de l'autre. Taehyung et Jungkook faisaient l'amour.
Et alors que l'orgasme les avait foudroyés, que l'alcool avait altéré leur pensées et que les rires avaient résonné, tout s'était figé.
Avec une simple sonnerie.
La sonnerie.
Celle dont ils se souviendraient toute leur vie.
Jungkook avait décroché le téléphone près de la table de chevet et, avec une voix vacillante, avait répondu à son interlocuteur. L'état de son amant avait grandement fait sourire Taehyung. Il était nu, transpirant, et sa voix avait été tremblante lorsqu'il avait répondu.
Mais son sourire s'était estompé doucement.
De la même manière que le printemps laissait place à l'été...
Jungkook avait les yeux écarquillés, comme s'il était choqué. L'autre voix parlait au bout du fil, mais c'était une conversation à sens unique. Le monde du plus jeune du groupe venait d'être ébranlé. Dix minutes auparavant, il était en train de vivre l'un des orgasmes les plus intenses de son existence. Et maintenant, il pleurait. Des larmes silencieuses coulaient sur ses joues tandis que ses yeux étaient toujours grands ouverts. Et il avait semblé à Taehyung qu'ils n'avaient jamais été aussi immenses qu'à cet instant.
Jungkook se tourna vers lui et Taehyung déglutit. Il déglutit parce qu'il savait que c'était à son tour de descendre brutalement de son petit nuage.
-C'est Jimin...
...De la même manière que la vie laissait place à la mort.
Park Jimin n'était plus.
Taehyung ne se souvenait plus très bien de ce qu'il s'était passé juste après ça. Il était tellement secoué qu'il avait été incapable de faire le moindre mouvement.
Et devant sa tombe, en compagnie des cinq autres garcons, il était toujours incapable de faire quoi que ce soit d'autre que d'avoir ce regard vide, comme s'il était conscient que c'était la réalité, mais qu'il ne pouvait pas l'accepter. Il avait plu ce jour-là. Les sanglots du ciel se mêlant à ceux des personnes présentes. Taehyung regardait la pierre tombale, mais il n'arrivait pas à imaginer Jimin, gisant six pieds sous terre. Comment cela pouvait-il être possible ?
Park Jimin semblait immortel.
Comment accepter que le gamin intrépide, plein de vie et têtu comme une mûle qu'ils avaient toujours connu était parti ? Qu'ils ne verraient plus jamais son sourire ?
Yoongi l'avait très mal pris. Lorsqu'ils s'étaient tous retrouvés pour organiser l'enterrement, celui-ci était une épave sans nom. Il hurlait et pleurait à s'en casser les cordes vocales et aucun d'entre eux ne savait comment réagir.
-C'est forcément faux ! C'est une putain de blague ! avait-il crié.
Le déni.
Jungkook l'avait serré fort dans ses bras, tachant la chemise de Yoongi de ses larmes.
-Yoongi, il est mort...
Il l'avait repoussé brutalement, envoyant Jungkook s'écraser au sol. Et à la surprise de tous, c'était Hoseok qui l'avait calmé. De la même manière qu'il l'avait fait avec lui quelques années auparavant, il lui mit une gifle qui eut le mérite de lui faire reprendre ses esprits.
-Putain, mais comment il réagirait s'il te voyait ? siffla-t-il. Je sais pas où il est, mais la scène que tu lui offres doit bien le faire rire. T'as vraiment envie qu'il se foute de ta gueule ?
Yoongi avait froncé les sourcils.
-Non.
Alors, face à la pierre tombale, Yoongi, Hoseok et lui étaient les trois seuls qui ne pleuraient pas. Pour des raisons différentes. Parce qu'Hoseok et Yoongi savaient que Jimin ne voudrait pas cela. Et lui, parce qu'il était tout simplement incapable de l'encaisser.
À la fin de la cérémonie, Hoseok s'avança doucement jusqu'au cercueil et posa sa main dessus. Un dernier adieu avant qu'il ne repose sous terre.
-Pourquoi c'est toujours les meilleurs qui partent en premier ? murmura-t-il doucement.
Un long silence se fit après sa remarque avant que Yoongi ne le brise.
-Je sais pas, mais ça explique pourquoi toi t'es toujours là.
Tout le monde avait fait de gros yeux à Yoongi, complètement choqué parce qu'il venait de dire. C'était l'enterrement de Jimin, merde. Et avec la tentative de suicide d'Hoseok, ce genre de remarque était très mal placée.
Mais contre toute attente, celui-ci explosa de rire avant de se tourner vers Yoongi, les yeux brillants.
-T'es vraiment qu'un sale con.
Parce que, finalement, ces deux-là avaient toujours été comme ça.
Et puisqu'un malheur n'arrive jamais seul, la carrière de Taehyung s'arrêta avec un simple spectacle.
Après la mort de son meilleur ami, celui-ci avait décidé de vivre sa vie plus facilement. Cela faisait maintenant plus de dix ans qu'il était avec Jungkook. Il voulait faire quelque chose pour lui, pour eux, et pour toutes les personnes qui étaient dans la même situation.
Jimin disait qu'il fallait voir la vie simplement.
Et c'est ce qu'il fit.
Il avait parlé à Namjoon de sa nouvelle idée de spectacle et celui-ci lui avait dit de foncer.
Il était donc monté sur scène pour sa nouvelle représentation. Son tout nouveau spectacle. Son nouveau et son dernier. Les gens n'avaient pas compris. La brochure leur disait que c'était une histoire d'amour et pourtant, le marionnettiste manipulait deux garçons en bois de ses mains. Lorsqu'ils comprirent, ils s'indignèrent. Taehyung faisait son spectacle et les gens le huaient, mais il s'en moquait.
Il voulait changer le monde, mais celui-ci n'était pas prêt.
Le spectacle avait été retranscrit en direct à la télé et lorsque Taehyung était rentré chez lui, ses cinq amis et son amant l'attendaient, fiers de ce qu'il avait fait. Il avait perdu son rêve, mais ne regrettait pas un seul instant. Il avait enfin ouvert la Corée du Sud sur l'homosexualité. Plus aucun cabaret ou théâtre ne voulut produire ses spectacles et son nom tomba peu à peu aux oubliettes.
Et cette soirée-là, que Taehyung passa avec ses amis, tournant la fin d'un chapitre de sa vie, fut l'une des dernières qu'ils passèrent réunis.
Son histoire d'amour avec Jungkook resta à jamais secrète. Yoongi commença à fumer à peu près à cette période là. Namjoon décora la tombe de Jimin de ses fleurs jusqu'à la fin. Seokjin devint père à nouveau, et Hoseok profita encore de nombreuses années avant que la maladie de l'oubli ne le ronge.
Et comme si la mort de Jimin était égale à une tornade emportant tout sur son passage, ce ne fut plus jamais comme avant. Malgré le lien puissant qui les liaient et l'amour qu'ils se vouaient, les six garçons s'éloignèrent au fil des années, jusqu'à ne plus jamais se revoir tous ensemble.
Parce qu'il y avait la lune et le soleil, parce qu'il y avait la terre et le ciel, parce qu'il y avait le feu et l'eau et que ça constituait le monde. Mais que leur monde, dans leur cœur, au plus profond de leur âme et jusqu'à la saleté incrustée sous leurs ongles, c'était eux sept. Seulement ça. Ça avait toujours été le cas. Parce qu'ensemble, ils n'étaient qu'un. Parce qu'ensemble, ils étaient plus forts. Mais parce qu'une étoile s'en était allée, leur monde s'était brisé.
Ils pourraient raconter d'innombrables histoires, mais chaque souvenir, chaque merveilleux moment les comportaient tous ensemble. Parce que s'amuser, ils l'avaient fait. À fond. S'amuser c'était savoir qu'ils étaient vivants et pas déjà morts. S'amuser, c'était rire, et pleurer, et lutter, et aimer. Chaque jour.
Parce qu'ils étaient semblables à des étoiles que l'humanité ne pouvaient pas voir d'ici bas, mais qui avaient tout autant d'importance dans la voûte céleste. Parce que personne ne se préoccupait d'eux, qu'ils étaient insignifiants aux yeux du monde, mais essentiel à ceux de leurs jumelles.
C'était ça, leur mémoire de jeunesse.
*
Taehyung laissa tomber les marionnettes sur la table en bois. Jungkook avait l'air endormi, comme s'il était dans un profond rêve, un petit sourire sur ses lèvres. Et effectivement, il était dans un rêve. Son dernier.
Taehyung ne sut pas à quel moment exact de l'histoire Jungkook était parti. Mais le fait était qu'il s'en était allé, heureux.
Il s'approcha de lui et prit doucement sa main froide et fripée entre les siennes. Même à soixante-douze ans, Jungkook restait aussi beau que lorsqu'il l'avait vu pour la première fois. Ou peut-être pensait-il de cette façon parce qu'il ne s'était pas passé un seul jour sans que ses sentiments ne changent. Du petit garçon adorable qui lui avait offert un bouquet de pâquerettes lors de leur rencontre, jusqu'au vieil homme au visage ridé et terne d'aujourd'hui qui s'en était allé, marquant leur séparation, Taehyung avait toujours été éperdument amoureux de lui.
Doucement, il se pencha et embrassa le dos de sa main.
Il était triste, mais il savait qu'un jour, son tour viendrait. Et lorsque ce jour arriverait, il retrouverait enfin sa moitié.
Et dans un futur, ce seraient eux sept qui seraient réunis à nouveau. Ainsi peut-être que, après leur mort, une nouvelle aventure les attendraient ?
Alors Taehyung sourit faiblement. Parce que ce n'était pas un adieu.
-Au revoir, mon ange.
C'était une promesse.
Fin.
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De l'amour, de l'amitié et un zeste de drame pour que la recette soit parfaite.
Vivons un amour, mais aussi une belle amitié !
À bientôt pour la suite...
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