𝐗𝐗𝐕𝐈 | 𝐇𝐢𝐦, 𝐥𝐚𝐬𝐭𝐢𝐧𝐠 𝐭𝐡𝐫𝐨𝐮𝐠𝐡 𝐬𝐜𝐚𝐫𝐬

*lui, perdurant à travers les cicatrices


Tu vas bieeen manger : chapitre de 29k coupé en deux

Pas d'action (pas encore 🌝), juste des discussions que je juge nécessaires, et j'avais le sentiment que je devais faire vivre ces trois-là en profondeur dans leurs liens

Tu verras ^^

Ces deux chaps et le début du 27 (à paraitre bientôt) vont marquer la fin de l'épisode « séquelles »


NDA importante à la fin ^^


Enjoy !  ♡ 





Lorsqu'ils regagnèrent la chambre de Jungkook, vêtus des habits empruntés à Taehyung, Namjoon peinait à avancer, chargé du poids de Jungkook sur son dos.

Sa démarche était légèrement vacillante, son souffle court et saccadé. La fatigue le faisait chanceler, que même sa détermination ne pouvait plus masquer.

Yoongi était déjà là, appuyé contre la fenêtre ouverte, savourant la douceur rafraîchissante d'une nuit d'été. Les lampes à huile qu'il avait allumées diffusaient une lumière chaude et apaisante dans la pièce.

À leur entrée, il se retourna aussitôt. Il fut frappé par l'état de Namjoon : sa pâleur, ses traits tirés, surtout, son regard voilé, à la limite de l'abandon.

Jungkook rompit le silence avec une voix inquiète, un ton urgent.

« Yoon, il va s'effondrer. »

Les mots alertèrent Yoongi, qui se précipita vers eux en quelques pas rapides.

« Donne-le-moi. Tu peux te pencher, Namjoon ? »

Il tendait déjà ses bras pour aider Jungkook à descendre.

Trop fatigué pour répondre, Namjoon s'agenouilla avec précaution. Yoongi enroula un bras fort autour de la taille de Jungkook, qui s'agrippa faiblement à son cou.

« Tu tiens encore debout, toi ?», lança Yoongi à Namjoon, à la fois inquiet et réprobateur.

Namjoon resta silencieux. Titubant légèrement, il se dirigea vers le futon, sur lequel des draps fraîchement changés attendaient, ainsi que deux plateaux soigneusement garnis.

Le regard de Yoongi s'attardait sur lui, perçant ses moindres mouvements. Il fronça les sourcils en remarquant ses mains qui tremblaient, sa démarche légèrement chancelante et son souffle à peine irrégulier.

Il était épuisé.

Namjoon s'agenouilla sur le futon, manquant de s'écrouler avant de retrouver son équilibre. Il s'installa en tailleur, lentement. Il inspira profondément, la tête baissée, en stabilisant sa respiration.

Ses yeux se posèrent irrésistiblement sur les assiettes, s'attardant sur les plats délicieux. Les effluves éveillèrent en lui une faim qu'il avait trop longtemps ignorée. Son ventre le trahit par un léger grondement.

Percevant la présence de Yoongi derrière lui, il s'écarta légèrement pour que celui-ci puisse déposer Jungkook confortablement sur les coussins. Yoongi le soutint avec attention, l'aidant à s'adosser. Jungkook se laissa guider, épuisé. Une fois installé et couvert d'un drap, il soupira longuement, son corps se relâchant.

Puis, son regard fatigué erra sur Yoongi, à sa droite, avant de revenir vers Namjoon, assis à sa gauche, dont les jambes se touchaient.

Namjoon posa instinctivement sa main sur la cuisse de Jungkook pour vérifier son état. C'était presque inconscient. Jungkook lui adressa un petit sourire rassurant, tout aussi furtif qu'un éclat d'étoile.

Ses yeux se posèrent sur Namjoon, la culpabilité ne l'ayant jamais quitté.

« Il faut que tu dormes, mais mange un peu », murmura Jungkook, mettant ainsi fin au silence.

Namjoon esquissa un léger sourire fatigué, mais il resta immobile.

« Toi d'abord », répondit-il d'une voix basse.

Jungkook fronça les sourcils, mais avant qu'il n'ait pu insister, Yoongi intervint, brisant le silence et les faisant sursauter.

Un instant, ils avaient oublié sa présence.

« Kook a raison, mange. Tu n'es pas utile à grand monde si tu finis par t'écrouler. Poisson ou viande ? »

Trop surpris, Namjoon ne répondit pas.

« Il préfère le poisson », répondit Jungkook, soucieux.

Namjoon posa sur Yoongi un regard brillant de fatigue et de gratitude, avant d'accepter, avec une légère fébrilité, le plateau qu'il lui tendait. Il le déposa sur ses genoux et attrapa sans attendre les baguettes.

Dès la première bouchée de la salade d'algues aigre-douce, une explosion de saveurs envahit son palais, le prenant au dépourvu.

Jungkook le regarda en silence, les yeux brillants, un petit sourire satisfait aux lèvres.

« C'est la faim qui me trompe, ou c'est vraiment bon ? », s'exclama Namjoon, les sourcils froncés, tout en saisissant une nouvelle bouchée.

Yoongi ricana, Jungkook lâcha un petit rire.

« Les invités sont encore là. Les cuisiniers leur accordent plus d'importance qu'à ceux qui les rémunèrent, ironisa-t-il. Profitez-en.

— C'est bien mon intention, passe-moi le plateau, Yoon, l'odeur est tout simplement folle », répliqua-t-il, les yeux pétillants fixés sur l'assiette de viande.

Namjoon sourit doucement, savourant ses bouchées sans hâte, ses yeux ne quittant Jungkook que pour effleurer son assiette.

Plutôt que de céder à la requête de son ami, Yoongi s'approcha davantage de Jungkook qui fronça les sourcils.

« Yoon, grommela-t-il, un brin contrarié.

— Vas-y doucement, l'ignora Yoongi, le regard sérieux fixé sur Namjoon. Tu as passé deux jours à jeun. Continue de manger des aliments légers, riches en fibres et en eau. Je t'ai choisi ces plats exprès. »

Reconnaissant, Namjoon s'inclina légèrement, bien qu'il le sache déjà.

« Et ne t'avise plus jamais de t'incliner », siffla Yoongi.

Namjoon arqua un sourcil narquois.

« Yoongi ! grogna Jungkook, vexé d'être volontairement ignoré.

— Quoi. »

Avec une nonchalance taquine, Yoongi posa le plateau de Jungkook sur ses propres genoux, arborant un petit rictus mutin.

« Je veux mon plateau !

— Mais il va attendre, le ventre sur pattes ? Enfant gâté, va », lança-t-il, baguettes en main.

Namjoon ne put retenir un fin sourire en voyant Jungkook, mi-exaspéré, mi-outré, fusiller Yoongi du regard. Sa bouche était arrondie dans une expression d'indignation presque comique.

Il les contempla en silence, diverti par leur petit manège.

D'un geste assuré, Yoongi cueillit un morceau de champignon grillé, qu'il enroba délicatement de sauce au sésame. Puis, il l'approcha des lèvres de Jungkook.

« Ouvre », dit-il, en affichant un sourire en coin.

Jungkook le regarda d'un air incrédule, comme si Yoongi venait de dire la chose la plus absurde qui soit. À ses côtés, Namjoon pouffa.

Rougissant autant de contrariété que de gêne, Jungkook glissa un coup d'œil furtif vers Namjoon, dont les yeux brillaient de tendre raillerie.

Ah, donc c'est comme ça? Très bien.

« Repose ça, je suis encore capable de manger seul », cracha Jungkook.

Yoongi arqua un sourcil en le toisant d'un mélange de doute et d'amusement.

« Ah oui ? Fais donc. »

Il déposa les baguettes sur le plateau, puis l'installa soigneusement sur les genoux de Jungkook, le défiant du regard.

Jungkook lança un regard noir à Yoongi, agacé par son ton ironique. Il ne détourna pas les yeux, plissés d'agacement, et, sous le regard attentif de Yoongi et Namjoon, il saisit les baguettes et s'attaqua directement à la viande, ses mouvements étant légèrement lents et maladroits.

« Les légumes d'abord, Kook.

— Nan », grogna-t-il, la bouche pleine.

Yoongi soupira et croisa le regard amusé de Namjoon.

« Il va les lâcher dans trois... deux..., lança Yoongi, moqueur.

— La ferme », grommela Jungkook, la bouche pleine.

L'attention de Namjoon se fixa avec plus d'intensité sur la main de Jungkook.

Cette dernière trembla, l'empêchant de maintenir ses baguettes, lesquelles glissèrent pour heurter le plateau dans un tintement métallique.

Se brosser simplement les dents avait déjà trop sollicité ses nerfs et ses muscles, si bien que chaque geste consommait les dernières forces de ses doigts.

Il serra les dents.

« C'est une plaisanterie ? Je viens de me brosser les dents, il y a peu !

— Quoi ? C'est vrai ? Tu as réussi à tenir le bâtonnet tout le long ? s'exclama Yoongi, les yeux pétillants. Comment étaient tes gestes ?

— Un brin hésitants, un peu lents, mais appliqués. Il y est finalement parvenu, répondit Namjoon en savourant une bouchée de saumon mariné.

— Bonne nouvelle », conclut Yoongi, satisfait.

— Absolument, renchérit Namjoon, les yeux brillants de fierté, la bouche pleine.

— Ah, vous trouvez ? », ironisa Jungkook, agacé.

Déterminé, il tenta de saisir à nouveau les baguettes, mais ses doigts fatigués refusèrent d'obéir, frustrant davantage son effort déjà éprouvé.

« Ne te précipite pas dans ta guérison, Kook. Tu te rétablis vite, et c'est admirable, mais il faut de la patience. Alors, sois raisonnable et laisse-moi faire. »

Jungkook lâcha un chapelet de jurons, ce qui amusa Namjoon et fit sourire Yoongi d'un air moqueur.

« Vous êtes en train de rire de mon malheur, là », grogna-t-il, lançant un regard assassin aux deux conspirateurs.

Namjoon leva une main en signe de paix, les yeux pétillants d'amusement, tandis que Yoongi roulait les siens avec un air faussement exaspéré.

« Ouvre la bouche, poussin. »

Ils jureraient qu'une veine palpitait sur la tempe de Jungkook.

« Premièrement, je ne prends pas d'ordres ; je ne suis ni ton chiard ni à ta merci. Deuxièmement, tu arrêtes avec ce putain de... »

La protestation de Jungkook fut brutalement interrompue par une bouchée de légumes, habilement glissée par Yoongi, qui se faufila dans sa bouche sans prévenir.

« Pas très élégant, les gros mots, Jungkookie », le taquina Yoongi, railleur.

Namjoon manqua de s'étouffer lorsque son rire jaillit soudainement, tandis que Yoongi ricanait, une pluie de coups dénués de force s'abattant sur lui.

« Arrête, tu vas renverser le plateau ! le réprimanda Yoongi, hilare.

— Je m'en fiche ! Tu es vraiment... »

Une quinte de toux interrompit soudainement son invective.

Yoongi soupira, lui tendant calmement un verre d'eau. Namjoon suspendit sa mastication, alerte. Il n'intervint pas, confiant en Yoongi, mais ses yeux restèrent fixés sur le moindre de ses gestes, prêt à agir, au besoin.

« Maintenant, silence, et muselle donc ton ego. Tiens. »

Jungkook lui tendit son verre avec une moue contrariée, tandis que Yoongi, mi-blasé, mi-amusé, attendait patiemment qu'il accepte la bouchée. Jungkook aurait bien pu garder la bouche close en guise de révolte, mais son ventre criait famine.

Si seulement cette viande ne dégageait pas un parfum aussi alléchant ni n'affichait pas une cuisson parfaite, juteuse à souhait...

À contrecœur, il finit par ouvrir la bouche, résigné. Mâchant vivement, il lui fit un doigt d'honneur bien appuyé. Un sourcil arqué, Yoongi rétorqua avec la même politesse, sous le regard diverti de Namjoon.

« Tss, crétin, lâcha Jungkook, la bouche pleine, agacé.

— Abruti.

— Enfoiré.

— Buse.

— Cloporte.

— Cornichon.

— Pieds de biche. »

Namjoon pouffa discrètement, leur arrachant un léger rictus en coin.

« Caribou.

— Aigri.

— Petit pamplemousse.

— Paltoquet.

— Béjaune.

— Ça va durer infiniment ? s'enquit Namjoon, blasé.

— C'est Jungkook qui a commencé », se défendit calmement Yoongi.

Namjoon haussa un sourcil plein de jugement, tandis que Jungkook décochait un regard assassin à son « nourrisseur ».

Yoongi piocha des légumes dans l'assiette.

« Tsk. Viande », exigea Jungkook, l'air faussement autoritaire.

Yoongi se figea, le fusilla du regard, puis reposa les légumes avec une résignation exagérée.

« Sale gosse », soupira-t-il, faussement exaspéré.

Dans un geste théâtral, il tendit une bouchée imposante de viande que Jungkook accepta avec un sourire triomphant, savourant son petit succès sous le regard ennuyé de Yoongi.

« Tu n'as de chance que d'être convalescent, sinon tu aurais déjà reçu une gifle, siffla-t-il.

— Six ans d'âge mental, railla Namjoon.

— Hé ! Qui te le permet ? », s'offusqua Jungkook, feignant l'indignation avec une moue outrée.

Tandis que Yoongi ricanait en picorant çà et là des mets, Jungkook lui lança un regard plissé, plein de reproches, mais taquin, auquel Namjoon répondit par un clin d'œil.

Décontenancé, Jungkook détourna aussitôt les yeux, espérant que la chaleur brûlante de ses joues ne trahisse pas son trouble.

Mais le regard perçant de Yoongi et le rictus suffisant de Namjoon confirmaient l'évidence : son visage incandescent rivalisait sans effort avec un champ entier de coquelicots.

Tsss.

Le silence se fit, agréable. Patient, Yoongi offrait une bouchée après l'autre à un Jungkook qui débordait de gratitude, tandis que Namjoon les contemplait en silence.

Jungkook soupira.

« Yoon, je n'ai pas envie de salade. Tu as pris une double portion de viande, alors ne me donne que ça.

— Tu es insupportable de nature, mais malade, tu frôles l'excellence », grommela Yoongi.

Jungkook lui tira l'oreille, lui arrachant un cri indigné. Ce dernier planta sur lui un regard faussement outré.

« Tu viens de faire quoi, là. »

Jungkook esquissa un sourire innocent.

« Je pourrais répondre, mais je préfère manger. »

Et, sous le regard amusé de Namjoon et celui désabusé de Yoongi, il ouvrit grand la bouche, attendant patiemment la prochaine bouchée.

Yoongi finit par soupirer, puis sourire devant l'absurde de la situation.

Une fois le repas terminé, Yoongi posa les baguettes avec un soupir satisfait.

« Rassasié ? »

Jungkook acquiesça vivement, ravi et repu.

« Merci. »

Namjoon acheva à son tour son repas et déposa le plateau au sol, avant de s'étirer avec une lenteur presque féline. Yoongi l'observa, satisfait de constater, comme Jungkook, que chaque assiette avait été vidée.

Puis, une ombre de sérieux traversa son regard, tranchant avec son attitude légère d'un instant plus tôt.

« Namjoon », l'appela-t-il, fouillant dans sa veste.

Il en tira un petit paquet soigneusement enveloppé dans un tissu de soie. Intrigué, Namjoon haussa les sourcils tandis que Yoongi le lui tendait.

« Je te rends ça. »

Namjoon prit l'objet avec précaution et déplia le tissu. Son souffle se suspendit en découvrant le loup, cadeau de Jungkook, parfaitement intact.

« Merci, mais... je l'avais confié à Chan », dit-il, déconcerté, son regard oscillant entre Yoongi et la petite sculpture si chère à son cœur.

Yoongi haussa les épaules, croisant les bras.

« Il s'est douté qu'il ne pourrait pas te le rendre de sitôt, alors il me l'a remis en urgence lorsqu'on s'est croisés, avant qu'il me dise où vous étiez. »

Jungkook les observait, les yeux écarquillés par la surprise. Une légère teinte rosée colora ses joues tandis qu'il fixait Namjoon, en quête d'une réponse dans son regard.

Namjoon leva les yeux vers lui, un sourire tendre éclairant ses traits fatigués.

« J'ai eu le pressentiment de devoir le confier à quelqu'un, sans savoir vraiment pourquoi. »

Il s'interrompit, effleurant délicatement le loup du bout des doigts, comme pour s'ancrer à ses émotions.

« Et j'avais eu raison. Je l'aurais perdu... je ne m'en serais jamais remis. »

Ses mots flottèrent, lourds de sens, trouvant écho dans le cœur de Jungkook qui s'emballa. Une douce vague l'envahit, chaleureuse et apaisante.

Toujours absorbé par l'objet, Namjoon finit par le ranger dans l'ouverture de son hanbok.

« Il est à sa place, maintenant », murmura-t-il, ses yeux tendres croisant ceux émus de Jungkook.

Les observant avec un sourire en coin, Yoongi ne put s'empêcher de rompre le moment, moqueur.

« Vous êtes d'une mièvrerie sans nom, c'en est presque écœurant. »

Namjoon se contenta de lui rendre un regard amusé, tandis que Jungkook bredouilla une protestation hésitante, cramoisi.

« Tais-toi, tu veux ? », marmonna-t-il, à moitié contrarié, la voix vacillant entre embarras et agacement.

Yoongi ricana, levant les mains.

« Très bien, très bien. Je vous laisse à vos regards langoureux. »

Namjoon secoua doucement la tête, un sourire à peine esquissé sur ses lèvres. Jungkook détourna le regard, tentant désespérément de calmer les battements frénétiques de son cœur.

Il percevait clairement que Yoongi ne portait aucun jugement. Jungkook avait instinctivement saisi que ce dernier avait plus ou moins deviné la nature de leur lien. Pourtant, une vive appréhension continuait de l'écraser.

Il jaugea Yoongi installé avec nonchalance sur son lit, ses jambes croisées, ses yeux d'un calme tranchant s'attardant sur eux.

Jungkook hésita avant de formuler ses pensées.

Il prit une inspiration, ouvrit la bouche...

« Où est Chan, maintenant ? En sécurité ? »

...puis, la referma.

Namjoon l'avait devancé, sans le vouloir.

« Je n'en ai aucune idée. Le père de Taehyung ne semble pas s'inquiéter, donc je pense qu'il est en sécurité, répondit Yoongi.

— Taehyung en sait-il plus ? demanda Namjoon.

— Sûrement. Mais je suis sûr qu'il va bien, ne vous inquiétez pas. Vous n'avez pas risqué vos vies pour rien... », souffla-t-il, en baissant les yeux.

Jungkook eut aussitôt un regard absent, tandis que Namjoon fermait les yeux, l'expression légèrement crispée. Aucun d'eux n'avait la force de replonger dans le cauchemar que fut cette nuit-là.

« Yoon... ? », murmura Jungkook, la voix rauque et hésitante.

Yoongi releva la tête vers lui, intrigué.

« On peut... en parler ? », reprit Jungkook, ses doigts s'agitant nerveusement, froissant le bord de la couverture.

Yoongi n'eut pas besoin d'en savoir plus pour comprendre le sens de cette demande timorée. Il était justement venu pour cela.

Ses yeux se posèrent sur Jungkook, puis glissèrent vers Namjoon, assis en face de lui, les traits tirés mais sereins, ayant également compris l'intention sous-jacente.

« Finalement, je ne suis pas convaincu que ce soit le moment, répondit Yoongi d'un ton posé. Tu as besoin de repos, tout comme Namjoon. »

Il ponctua sa remarque d'un regard insistant vers ce dernier, qui se contenta de hausser les épaules.

« Je dois savoir, murmura Jungkook, presque suppliant. Ça me prend la tête... »

Yoongi étudia son visage, notant la tension dans ses traits, cette lueur d'incertitude dans ses yeux. Finalement, il hocha la tête et s'installa plus confortablement.

« D'accord.

— Je vous laisse, dans ce cas. »

Namjoon amorça un mouvement pour se relever, mais une main retint la manche de sa tunique.

« Tu... tu veux bien rester ? », demanda Jungkook, sa voix à peine audible.

Le regard surpris qu'échangea Namjoon avec Yoongi n'échappa pas à Jungkook. Sans un mot, Namjoon reprit place, cédant à cette main qui semblait à la fois supplier et commander.

Un instant, le souffle de Jungkook s'accéléra, presque haletant. Yoongi fronça les sourcils, tendit immédiatement la main pour saisir son poignet et en prendre le pouls.

« Ne bouge pas », ordonna-t-il calmement, bien que son regard indiquait une légère inquiétude.

Jungkook regarda Yoongi, comme s'il tentait de deviner le verdict dans ses traits.

« ...Quoi ? Qu'est-ce qui m'arrive ?

— Tu stresses ?

— Euh... un peu, murmura-t-il, déconcerté.

— Tu pourrais avoir un problème cardiaque », répondit Yoongi, son visage neutre contrastant avec la tension de son ton.

Jungkook soupira bruyamment, l'exaspération dans son souffle contrastant avec la fatigue évidente dans ses traits.

« Génial, juste ce qu'il me manquait », grommela-t-il.

Namjoon redressa légèrement son dos, les épaules tendues, la mine sérieuse.

« Dis-moi ce que je dois précisément surveiller.

— Porte attention aux moments où sa respiration s'accélère. Ça peut survenir lors d'émotions vives, de stress, comme maintenant, ou d'un effort physique. S'il a du mal à reprendre son souffle, calme-le ou emmène-le dans un endroit plus tranquille. Note simplement la fréquence de ces épisodes, ça permettra à mon père d'affiner son diagnostic lorsqu'il l'examinera quotidiennement durant la semaine. »

Un court silence s'ensuivit. Le regard perçant de Yoongi ancré à celui déterminé de Namjoon. Il y lut une dévotion qu'il ne put qu'apprécier.

Jungkook se renfrogna davantage, croisant les bras, un brin contrarié.

« Je suis avec mes amis ou bien dans les griffes d'un parent et d'un médecin ? Ce n'est pas très agréable, hein. »

Amusés, Yoongi et Namjoon le regardèrent.

« Tu es entre de bonnes mains », murmura ce dernier, une lueur tendre dans le regard.

Jungkook finit par soupirer, avant d'esquisser un petit sourire. Il hocha la tête en baissant les yeux, couvé par les yeux épris de Namjoon.

Yoongi les observait intensément, le regard fixe et pénétrant, chargé d'une étrange intensité. Ses yeux ne cherchaient pas à dominer. Pourtant, ils semblaient pénétrer leurs âmes, alors qu'en réalité, il était perdu dans ses pensées, égaré dans les méandres de souvenirs et d'analyses.

Il revoyait les deux jours et nuits qu'il avait passés à veiller sur Namjoon, à lui murmurer des paroles apaisantes, tandis que Jungkook vacillait dans cet équilibre précaire entre l'éveil et le coma profond.

Seokjin, Mingyu, Hoseok, Taehyung et lui s'étaient relayés, offrant leur présence pour alléger ce fardeau, mais rien ne semblait apaiser la douleur écrasante qui pesait sur Namjoon.

Il était resté éveillé pendant des heures, refusant de quitter le chevet de Jungkook. Il avait craint qu'un seul pas en arrière ne l'empêche de voir ses yeux se rouvrir.

Yoongi avait compris ce qui avait maintenu Namjoon ainsi. Une peur viscérale, celle de le perdre, mêlée à l'angoisse de ne pas être là pour le recueillir.

Il avait vu en Namjoon une âme vacillant entre le désespoir et l'espoir d'un miracle.

Lors de la première veillée, personne n'avait pu s'endormir. La nuit s'étendait dans la pièce, mais les cinq amis étaient revenus, ayant remplacé le plateau froid et abandonné par un autre, fumant, dans l'espoir que Namjoon finisse par céder à ses besoins les plus élémentaires, comme manger.

Il revoyait Seokjin, compatissant, poser délicatement sa veste sur les épaules tremblantes de Namjoon, blotti contre Jungkook, le visage niché dans son cou, submergé par le chagrin.

Namjoon était resté indifférent aux gestes qui l'entouraient. Il n'avait pas fait le moindre mouvement.

Alors, ils ne firent qu'acte de présence, le soutenant silencieusement, certains esprits tourmentés par des questions sans réponse.

Tous avaient perçu sa détresse accablante. Elle s'était transmise à chacun, et tous ressentaient la profondeur de l'attachement étrange qui liait Namjoon à Jungkook.

Parmi eux, seuls Hoseok et Taehyung connaissaient la nature de ce lien.

Pourtant, personne n'avait osé poser de questions.

Sauf Yoongi.

Il était un observateur avisé.

Il ne se contentait pas de suppositions.

Avec des mots directs, mais avec une habileté discrète, il avait pris ses aînés à part pour essayer de les sonder. Mais fidèles à Namjoon, ils avaient démenti toute connaissance de ce qui l'unissait à Jungkook ; leurs réponses étaient neutres.

Mais Yoongi n'était pas dupe.

Il avait vu dans leurs regards qui se détournaient, dans la tension qui avait crispé leurs mâchoires, dans ces failles infimes d'une façade d'indifférence, un début de vérité cachée sous leur silence.

Et là, face à Jungkook et Namjoon qui se parlaient avec le regard, il voyait clair dans la fragilité de leur âme.

Il soupira, puis se rapprocha un peu plus de Jungkook sur le lit, ses genoux effleurant sa jambe. Ce dernier sursauta, tiré de sa contemplation.

« Vous êtes un couple ? » demanda Yoongi sans préambule, brisant le silence d'un ton curieux.

Jungkook s'empourpra aussitôt, étouffant un hoquet de surprise, tandis que Namjoon, amusé, roulait des yeux devant une telle franchise.

« J'avais oublié à quel point tu n'avais aucun tact, grogna Jungkook, tentant en vain de changer de sujet.

— Et moi, je suis sidéré que tu évoques le plus grand tabou de cette société avec autant de désinvolture », pouffa Namjoon.

Yoongi ricana.

« Répondez-moi pour que je puisse vous laisser avec mes conseils et des médicaments, si besoin. Vous avez besoin de repos. »

Jungkook risqua un regard vers Namjoon, mais se heurta à un regard perdu dans le vide, bien qu'il soit fixé sur lui.

« Non, on n'est pas un couple, répondit calmement Namjoon.

— Pas encore, tu veux dire ? », s'enquit Yoongi, intrigué, les sourcils arqués.

Namjoon ne sut que répondre. Mélancoliques, ses yeux restèrent fixés sur Jungkook, qui, paniqué et troublé, détourna les yeux avec maladresse.

« Je ne sais pas », murmura Namjoon après une hésitation, presque pour lui-même.

Si nous n'étions pas menacés, il serait déjà mien.

« Oh, ne me dites pas que vous êtes des amis avec des avantages, je ne le croirais pas, renchérit Yoongi, les yeux plissés. Vous êtes trop entichés l'un de l'...

— Eh bien si, figure-toi ! Et n'insiste pas ! », s'écria Jungkook, la voix légèrement tremblante, embarrassé et un brin anxieux.

Yoongi éclata de rire, un son clair et vibrant qui remplit la pièce, pendant que Namjoon esquissait un petit sourire triste, bien qu'amusé par la gêne évidente de Jungkook.

« Déjà, depuis quand ça te gêne de parler de ça ? s'étonna Yoongi.

— Tu as un problème de vue, je ne suis absolument pas gê... », s'emporta Jungkook, avant de tousser.

Namjoon posa doucement une main sur son épaule.

« Doucement », murmura-t-il.

Yoongi leva les yeux au ciel dans un soupir amusé, s'assurant d'un regard furtif que Jungkook allait bien, puis il fixa Namjoon.

« Même si vous n'êtes pas en couple, il y a indéniablement quelque chose entre vous.

— C'est le cas », admit calmement Namjoon.

Intrigué par cette sincérité, Yoongi redressa légèrement le dos. Son esprit s'attarda sur cette révélation. Il n'avait pas besoin de leur rappeler les risques d'un tel lien, mais il peinait à associer Jungkook, ce vantard séducteur de femmes qu'il connaissait, à une proximité si intime avec un autre homme.

Pourtant, tout avait désormais un sens.

Il se surprit à ne pas réagir négativement à leur confession.

Soudain, il remarqua le regard nerveux de Jungkook. Ils se fixèrent.

« ...Tu ne dis rien ? », murmura-t-il timidement, appréhensif.

Et Yoongi sut qu'il ferait tout pour ces grands yeux qui imploraient silencieusement sa bienveillance.

Attendri et peiné, il se pencha vers Jungkook, ébouriffant ses cheveux d'un geste affectueux. Ce dernier ne chercha pas à s'éloigner, gardant les yeux rivés sur les siens.

« Que veux-tu que je dise ? J'avais plus ou moins deviné ce qui se passait entre vous. Si j'étais étroit d'esprit, tu crois vraiment que je serais ici, à vos côtés ? »

Namjoon hocha la tête, nullement surpris par la sagesse des paroles de Yoongi, mais un peu déconcerté par la simplicité avec laquelle le sujet était abordé. C'était la première fois qu'un étranger à leur communauté ne le jugeait pas. Il trouva cela curieux.

Il détourna le regard vers Jungkook, et un sourire apparut en voyant l'air abasourdi de ce dernier, qui mêlait surprise et soulagement.

« Tu... Enfin, on... », souffla Jungkook.

Les mots lui manquaient, étouffés par l'émotion qui l'étranglait. Il avait tant ressassé, convaincu qu'il allait perdre définitivement ses amis, surtout Yoongi qui les avait surpris au Jardin. Sa peur née de cette confrontation l'avait rongé.

Et maintenant, face à cette acceptation presque irréelle, il vacillait.

Sommes-nous encore des amis?

Resteras-tu à mes côtés?

Puis-je encore compter sur ton indéfectible soutien?

Me considèreras-tu toujours comme je suis?

Aucune de ces questions n'atteignit ses lèvres, mais ses yeux les hurlaient.

« Je ne changerai pas, va, dit-il, sa voix plus douce. Ce serait absurde. »

Le cœur de Jungkook s'emballa, et un bref rire nerveux lui échappa alors qu'il cachait son visage dans sa main. Le soulagement était si intense qu'il en restait incrédule.

« Tu ne me fais donc pas autant confiance que tu le dis », ajouta Yoongi, le ton sans reproches.

Le sourire de Jungkook s'estompa sous le regard préoccupé et attentif de Namjoon.

« Yoon, ne te méprends pas. Je te fais entièrement confiance, tout comme à Jin et Mingyu. Mais comprends que, pour moi, ce sujet est loin d'être anodin, murmura-t-il, le regard fuyant.

— Je le sais. Je ne te blâme pas.

— C'est tant mieux..., répondit-il, esquissant un sourire fragile, les yeux brillants, la gorge serrée par l'émotion.

— Rassuré ? sourit Yoongi.

— Tu n'imagines pas à quel point... », dit-il en riant timidement.

Deux petites fossettes apparurent sur les joues de Namjoon, dont les yeux révérencieux et brillants se fixaient avec ferveur sur chaque trait du visage de Jungkook.

Satisfait, Yoongi tapota doucement son épaule, puis lança une pique malicieuse qui raviva leurs taquineries. Namjoon les observait, un sourire discret adoucissant ses traits fatigués.

Le cauchemar semblait appartenir à une autre époque.

« Je suis quand même curieux, Kook. Tu sais bien que personne ne pourrait comprendre comme moi sans te juger... »

Le cœur de Jungkook bondit. Il déglutit.

Yoongi faisait référence à son passé.

Un passé jonché d'ombres et d'horreurs qui n'avaient jamais cessé de le hanter.

Orphelin, il avait connu l'indicible dès l'enfance. Le médecin Min, aujourd'hui une figure respectée, n'était que son père adoptif, appartenant au même clan, avec son épouse. Il avait surtout été son sauveur.

C'était ce même médecin qui avait été appelé en urgence pour soigner un homme, le chef d'une société infâme, où l'enfance n'était qu'une monnaie.

Traite, exploitation, sévices.

Le langage manquait pour traduire la noirceur de ce monde où Yoongi avait été plongé malgré lui.

Ses amis le savaient. En partie. Yoongi avait confié des fragments de son histoire, mais jamais les plus cruels. Ils avaient pourtant compris que ce qu'il avait vu, subi, et enduré dépassait l'imagination.

Peut-être était-ce pour cette raison que Yoongi, malgré ses silences et ses regards pensifs, affichait une ouverture d'esprit presque désarmante.

Que Jungkook aime un homme ? Cela était peu de chose en regard des souvenirs gravés dans sa mémoire, de ce que ses yeux d'enfant avaient contemplé, de ce que sa chair avait subi, de ce que son esprit avait construit pour survivre, et de ce que son corps adulte portait aujourd'hui comme un fardeau invisible, mais terriblement lourd.

« Je n'osais pas m'avancer... Je ne pensais qu'à l'idée de te perdre à cause de ça... », souffla Jungkook.

Son regard glissa vers Namjoon, comme s'il cherchait une assurance.

« Après... Namjoon m'a dit de ne pas trop m'en faire. »

Un éclat de curiosité passa dans les yeux de Yoongi, qui fixa Namjoon.

« Ah oui ? »

Sa voix résonnait d'une émotion contenue.

D'un geste calme, Namjoon croisa les bras et un demi-sourire éclaira son visage.

« Yoongi, à force de te confronter sur des sujets si profonds qu'ils nous laissent étourdis et essoufflés, et de me perdre dans tes poèmes aux mille nuances, j'ai fini par cerner ton essence. »

Jungkook ne put s'empêcher de sourire, les yeux rivés sur Namjoon. Quant à Yoongi, il cligna des yeux, intrigué. Puis, une lueur, que Namjoon reconnut, brilla dans ses yeux.

Ils se sourirent.

« Je vois. La lucidité de deux âmes écorchées qui se reconnaissent, n'est-ce pas ?

C'est ça. Mais tu es sûr de vouloir commencer un débat de trois jours ici et maintenant ? On risque d'assommer Jungkook.

— Hé ! », protesta ce dernier, faussement offusqué.

Namjoon lui adressait un regard empli de tendresse et d'amusement.

Un rire franc échappa à Yoongi, bien que plutôt faible, comme s'il venait de loin.

« Très bien, on en discutera plus tard.

Avec plaisir. »

Jungkook regardait tour à tour Yoongi et Namjoon, son sourire discret montrant une certaine fierté.

Il se sentait soulagé de les voir aussi proches.

Yoongi semblait découvrir auprès de Namjoon une aisance à libérer ses mots. Namjoon, lui, semblait mieux le comprendre. En retour, il voyait en Yoongi bien plus qu'un simple miroir de l'âme partageant sa passion pour les mystères du langage : il y trouvait un confident, un refuge où laisser couler ses pensées les plus sincères, ses colères les plus brûlantes, et ses espoirs les plus éclatants.

À présent, ils venaient de franchir une nouvelle étape, comme si le dernier rempart d'une retenue timide venait de s'effondrer. Jungkook était certain que leurs échanges, déjà d'une rare profondeur, gagneraient encore en intensité et en sincérité.

Ce qu'ils partageaient désormais dépassait les mots.

Pourtant, Jungkook ne pouvait s'empêcher de ressentir une profonde tristesse pour cet ami fort, l'un des piliers de leur quatuor.

Sa résilience forçait l'admiration, mais les ombres dans ses yeux rappelaient les blessures qu'il dissimulait. Jungkook aurait aimé pouvoir lui dire tant de choses. Trouver les mots justes pour alléger ce poids invisible. Mais il savait aussi que le plus bel appui pouvait parfois se trouver dans un silence respectueux, dans la reconnaissance de cette force qui, malgré tout, faisait avancer Yoongi plus rapidement que les autres.

Et Yoongi était son modèle.

Tout comme Seokjin, qui lui avait appris l'art de la douceur dans l'adversité, Jungkook avait appris à déceler des moments de grâce même au cœur du chaos. Seokjin possédait une sensibilité rare, marquée par un passé moins tumultueux, mais jalonné d'obstacles qu'il avait affrontés avec une sérénité désarmante ; il incarnait le pardon pur sans rancune. 

Toujours prêt à tendre la main, à offrir une parole apaisante ou un sourire illuminant les jours sombres, il avait montré à Jungkook que la vraie force réside dans la bonté et la bienveillance, même face à l'épreuve.

Tout comme Mingyu, compagnon d'une rage autrefois brûlante, née de parents négligents, une colère qui faisait écho à celle que Jungkook avait longtemps nourrie envers sa propre famille.

Pour Jungkook, l'amertume s'était grandement atténuée, à l'exception d'une pointe persistante envers sa mère, une cicatrice encore sensible.

Mais, pour Mingyu, cette colère n'avait jamais vraiment quitté son cœur, alimentant une certaine jalousie envers Namjoon.

Peut-être était-ce parce qu'il représentait tout ce que Mingyu n'arrivait pas à atteindre, malgré tous ses efforts. Une sagesse tranquille. Une capacité à guider les autres sans imposer sa volonté. Surtout, il démontrait une stabilité émotionnelle qui lui semblait presque inaccessible.

Namjoon représentait un équilibre qu'il enviait en silence, tout en se sentant parfois éclipsé par sa prestance et sa proximité avec Jungkook, ce frère d'âme qu'il avait si longtemps cru comprendre mieux que quiconque.

Jungkook aimait croire que le destin les avait tous réunis à Sungkyunkwan pour une raison. Il n'avait jamais rêvé d'y étudier, et pourtant, c'est là qu'il avait fait ses plus belles rencontres.

Il savait que Yoongi était là pour affronter les démons de son passé, travaillant d'arrache-pied pour devenir magistrat. Il désirait une justice plus humaine. Il voulait protéger les plus vulnérables et réparer les injustices qu'il avait lui-même subies. Même si la médecine était sa passion, sa quête de réformes sociales était plus forte.

Mingyu voulait transformer sa colère en ambition, prouvant ainsi qu'il était plus que les cicatrices de son enfance. Il aspirait à occuper un poste de stratège influent dans les affaires de l'État.

Quant à Seokjin, il était guidé par la volonté de comprendre, d'apaiser, et d'inspirer. Il envisageait une carrière d'enseignant ou de conseiller, où sa sagesse et son altruisme rayonneraient pour guider les générations futures.

« Pourquoi tu souris comme un idiot, toi ? »

Jungkook tressaillit en entendant la voix moqueuse de Yoongi, qui le ramena brutalement au présent. Il croisa le regard de Namjoon, puis celui de Yoongi, avant de baisser les yeux, alors qu'une tendre mélancolie l'envahissait.

« Oh, je pensais à des choses... »

Hésitant, il s'éclaircit discrètement la voix, comme pour s'encourager.

« Yoongi... Est-ce que... est-ce qu'ils savent, eux aussi ? »

Ses yeux glissèrent ailleurs, trahissant son anxiété. Yoongi fronça les sourcils intrigué.

« Ils ?

— Mingyu et Jin. Est-ce qu'ils soupçonnent quelque chose ? »

Plus sérieux, Yoongi échangea des regards avec eux.

« Ils étaient suspicieux au départ, tout comme moi. Ils le sont encore, d'ailleurs. L'altercation entre Mingyu et toi, tout à l'heure, en témoigne clairement », conclut-il en posant son regard sur Namjoon.

Ce dernier opina, le visage grave, tandis que Jungkook sentait l'angoisse monter davantage.

« Mais ils tâtonnent encore, leurs pistes diffèrent des miennes, reprit Yoongi. En réalité, ils n'en ont aucune.

— Oh... Mais, vous en parlez entre vous ? osa Jungkook, le cœur battant.

— Ils posent des questions, mais je me contente de prétendre que je n'en sais pas plus qu'eux. Ça ne me concerne pas. »

Un sourire reconnaissant éclaira brièvement le visage de Jungkook. Fidèle à lui-même, Yoongi ne put empêcher un élan de fourberie.

« Et je doute sincèrement qu'ils poussent leur imagination jusqu'à envisager une telle proximité entre vous jusqu'à l'échange de salive, ou pire... »

Il interrompit sa phrase en mimant le geste obscène d'une fellation, accompagné d'une grimace faussement scandalisée.

Le sang de Jungkook ne fit qu'un tour. Il s'étrangla presque, les joues en feu. Décontenancé et mortifié, il asséna une tape à l'épaule de Yoongi, rageant intérieurement de la faiblesse de son geste, si dérisoire face au tumulte de son trouble.

« Min Yoongi, merde ! », aboya-t-il, indigné, la voix éraillée par l'embarras.

Namjoon esquissa un sourire amusé, arquant un sourcil sans la moindre trace d'embarras. L'envie de lui rappeler qu'ils avaient déjà franchi cette étape le titillait, mais, par égard pour la santé — et le cœur — de Jungkook, il s'abstint avec indulgence.

« Je t'ai connu plus vaillant, Kook, lança Yoongi avec un sourire narquois. C'était quoi, ce coup de poing tout en délicatesse ? Tu es convalescent, pas une fillette, si ?

— Ferme bien ta bouche perfide, grogna Jungkook en le pointant du doigt. Attends que je sois rétabli, et je te montrerai qui frappe comme une fillette, espèce d'enfoiré.

— Langage.

— Tu te fiches de moi, Yoongi ? dit Jungkook d'un ton faussement calme, le regard noir.

— Tout à fait, Jungkook », confirma-t-il avec un grand sourire.

Namjoon s'esclaffa, amusé par les narines frémissantes de contrariété de Jungkook. Yoongi se tourna alors vers lui, son sourire espiègle s'effaçant pour laisser place à un air plus sérieux.

« Et toi ? Depuis quand nos hyungs Hoseok et Taehyung sont-ils au courant ? »

Namjoon ne fut guère étonné qu'il soit arrivé à cette conclusion.

« Depuis toujours. »

Un éclair de surprise passa sur le visage de Yoongi, qui arqua un sourcil.

« Et leur réaction ? »

Namjoon haussa les épaules, peu disposé à en parler davantage.

« Ils sont très ouverts », rétorqua-t-il, la voix laconique.

Yoongi esquissa un sourire en coin, hochant la tête, l'air satisfait.

Rien d'étonnant.

« Tu sembles peu surpris, releva Namjoon.

— Enfin, tu les as vus ? Ils sont brillants, certes, mais si c'est toi qui leur fais croire en l'existence de deux lunes, ils y adhéreraient sans hésiter, tant ils sont ouverts. »

Namjoon émit un petit rire, tandis que Jungkook pouffait. Cependant, une nuance dans le regard de ce dernier attira l'attention de Yoongi : Jungkook fuyait ses yeux.

Avec sa bienveillance naturelle, Yoongi posa une main sur son épaule.

« Qu'est-ce qui te tracasse ? », demanda-t-il doucement.

Jungkook haussa les épaules, tentant de dissimuler son trouble.

« Rien... Je crois que je n'arrive pas à réaliser.

— Mal à l'aise ?

— Non, non, pas vraiment... Enfin, peut-être...

— Tu n'as pas à avoir honte. Je suis ton ami, pas ton père. »

Jungkook fronça légèrement les sourcils.

« Je n'ai jamais dit que j'avais honte... », murmura-t-il.

Yoongi pencha la tête, scrutant son visage avec un regard perçant.

« Alors, qu'est-ce qui ne va pas ? »

Jungkook poussa un soupir, puis laissa son regard se perdre un instant avant de répondre.

« Je me sens un peu perdu. Tout s'est passé très vite, et je n'ai pas eu le temps de m'adapter, même si... »

Ses mots s'évanouirent, et son regard se posa instinctivement sur Namjoon, qui l'observait déjà. Leurs yeux s'accrochèrent. Pendant un instant, le silence régna.

Yoongi perçut toute la profondeur de ce que leurs regards murmuraient, bien au-delà des mots.

Puis, il brisa le silence avec un ton faussement dramatique.

« Toi, l'adorateur des poitrines généreuses... Quel sacrifice... »

Il ignora les gros yeux de Jungkook, et tourna son regard vers Namjoon, examinant ostensiblement et sans pudeur son torse partiellement dévoilé par son hanbok négligemment entrouvert.

« Bon, il y a de quoi faire, mais quand même.

— Yoon ! Ça ne va pas ?! », s'indigna Jungkook, le visage écarlate, avant de lui asséner un coup de poing à l'épaule et de dissimuler ses yeux derrière sa main.

Amusé, Namjoon saisit un coussin et le lança d'un geste vif vers l'insolent.

« Je ne te permets pas de me réduire à une comparaison aussi douteuse, Min.

— Allons, c'était pour dire que je ne porte aucun jugement. Que vous aimiez la prendre ou la donner, peu importe, tant que tout se fait dans le respect mutuel », répliqua Yoongi avec une désinvolture feinte.

Le silence. Lourd. Cocasse.

Puis, Namjoon éclata d'un rire clair. Jungkook rougit jusqu'aux oreilles et aux clavicules, manquant de s'étouffer dans une toux nerveuse.

« Hé, doucem..., commença Yoongi.

— La ferme ! », l'interrompit Jungkook, plus fort qu'il ne l'aurait voulu, avant de tousser à nouveau.

Sa voix claqua comme un fouet, tranchant l'air et la parole de Yoongi sans ménagement. Ses sourcils froncés et son expression furibonde ne suffisaient pourtant pas à dissimuler le rouge qui embrasait déjà ses joues.

« J'aime toujours autant les femmes, d'accord ?! Ce n'est pas parce que je suis irrésistiblement attiré par Namjoon que j'aime soudain les... les... »

Sa voix s'étrangla. Le mot refusait de franchir ses lèvres. Il agita nerveusement les mains comme s'il cherchait à chasser ce malaise palpable autour de lui.

Yoongi arqua un sourcil amusé, les yeux pétillants d'une lueur malicieuse. Il se pencha légèrement en avant, un sourire carnassier, tandis que Namjoon se mordait la lèvre, s'efforçant d'étouffer son rire.

« Les queues ? lança Yoongi, d'un ton faussement innocent, mais terriblement espiègle.

— Voilà ! », hurla Jungkook, la voix trahissant sa panique en grimpant dans des aigus incontrôlés.

Pris d'effroi, il plaqua ses mains contre sa bouche, comme pour rattraper les mots qui venaient de lui échapper. Il toussa brièvement, ses yeux s'écarquillèrent, cherchant vainement une échappatoire. Yoongi s'effondra dans un rire tonitruant et que Namjoon riait en silence, le visage enfoui dans une main, ses épaules secouées de soubresauts.

Mortifié, Jungkook se détourna brusquement et fourragea dans ses cheveux de plus en plus secs, ses doigts s'enfonçant avec rage entre ses longues mèches noires.

« Mais pourquoi je te réponds ?! », grommela-t-il, les dents serrées, la pointe des oreilles cramoisie.

Ses épaules s'affaissèrent, comme ployant sous le poids de l'embarras. Il aurait juré sentir le sol se dérober sous ses pieds, l'entraînant dans les abysses de la gêne absolue. Il était sûr d'être à deux doigts de s'évanouir, tandis que près de lui, Yoongi riait à gorge déployée, presque à s'en taper les genoux, et Namjoon...

Il savait que Namjoon devait arborer ce sourire narquois et ce regard moqueur qu'il connaissait si bien.

Jungkook secoua la tête, comme pour chasser l'image, mais le mal était fait. L'humiliation avait creusé sa tombe, et Yoongi, ravi, y enfonçait la pelle avec un plaisir sadique.

« Arrête de rire, crétin... », geignit Jungkook, la voix tremblante d'un agacement aussi factice qu'inutile.

D'un geste brusque, il balança un coup de poing sur l'épaule de Yoongi, qui se renversa légèrement en arrière, arborant des prunelles malicieuses, brillantes sur lui, le détaillant comme un chat satisfait qui venait de piéger une souris.

Namjoon releva un regard brillant d'amusement sur son profil, bien que légèrement contrarié par l'évocation de femmes.

Il se doutait bien que Jungkook ne s'égarerait pas vers d'autres rivages, mais une crainte subsistait. Celle qu'il finisse par se lasser de lui, attiré par la douceur du corps féminin et la sérénité singulière qu'une femme seule pouvait offrir : un foyer, une descendance, une tranquillité d'esprit, que Namjoon lui-même, avec son amour imparfait, ne pourrait jamais offrir.

Il chassa ces pensées d'un battement de cils, forçant son cœur à ignorer la brève contraction douloureuse qui l'avait pris. Pourtant, malgré ce trouble intime, l'allégresse effleura son âme. L'aveu maladroit et fracassant de Jungkook avait un goût d'évidence délicieuse.

Je l'attire « irrésistiblement », donc.

Yoongi hoquetait encore, son rire s'atténuant en de petits souffles saccadés, tandis qu'il essuyait d'un revers de main une larme perlant au coin de son œil.

« Bon sang, Jungkook, tu es magique », marmonna-t-il, tout en secouant la tête.

Mais il fut frappé par la tension silencieuse qui s'était installée. Ses yeux curieux alternèrent entre ses deux amis.

Jungkook ne put résister à l'appel silencieux de Namjoon. Leurs regards s'ancrèrent. L'un était mortifié, encore secoué de honte, l'autre tendrement moqueur.

Une énergie invisible pulsa entre eux, une corde vibrante tendue au bord de la rupture. Leurs yeux évoquaient un moment qui n'appartenaient qu'à eux. Ce souvenir où tout s'effaçait autour d'eux, où leurs corps se cherchaient, où leurs âmes s'effleuraient, où leurs souffles se mêlaient, et où leurs lèvres s'unissaient.

Le rouge aux joues, Jungkook détourna subrepticement le regard, mais il glissa, malgré lui, vers la poitrine de Namjoon, encore happé par ce souvenir trop brûlant.

Il serra les dents, sentant ses cœur s'affoler.

Merde.

Namjoon sentit un frisson invisible courir le long de sa colonne. Le coin de ses lèvres se redressa imperceptiblement, mais ses yeux restaient ancrés sur Jungkook, perçants, déterrant aisément les pensées qu'il tentait désespérément de refouler.

« Qu'est-ce que tu regardes ? », murmura-t-il, sa voix grave et veloutée.

Jungkook sursauta presque, reprenant contenance. Pris sur le fait, il releva aussitôt les yeux, croisant un clin d'œil malicieux. Une rougeur fulgurante s'empara de ses joues. Un frisson parcourut son corps, son bas-ventre se contractant légèrement.

Déconcerté, il détourna le visage et tritura nerveusement le drap entre ses doigts.

« Rien... »

Yoongi ricana, goguenard, ravivant son embarras.

« Je vois que vous ne vous êtes pas ennuyés. Allez, racontez-moi tout. C'est pour la science. »

Sous le choc, Jungkook hoqueta de gêne avant de réagir à sa manière. Il saisit tout objet à portée de main pour le lancer sur Yoongi, ce qui déclencha des protestations outrées de ce dernier, ainsi que le souffle rieur de Namjoon.

« Décidément, te voir rougir est choquant. Depuis quand parler de sexe te met dans cet état ? s'étonna Yoongi.

— Bon, très bien, la discussion est terminée, marmonna Jungkook, en pointant la porte du doigt. Sors d'ici et ne reviens plus jamais. »

Imperturbable, Yoongi esquissa un sourire narquois et échangea un regard railleur avec Namjoon.

« Attends. Tu rougis parce que tu es amoureux ? Ou alors tu es gêné devant moi parce que Namjoon est un homme ? »

Namjoon se pinça les lèvres pour retenir un sourire, mais ses fossettes le trahirent. Son cœur tambourinait, captivé et intrigué par le trouble saisissant de Jungkook.

« Un mot de plus, et je t'égorge avant de te livrer aux chiens de l'école », grommela Jungkook, la voix tremblante.

Yoongi éclata de rire.

« Tu es tellement menaçant, mon poussin. »

Namjoon émit un petit ricanement tendrement moqueur. Jungkook lâcha un bref rire nerveux et irrité. Sachant qu'il ne pourrait pas attraper un objet, il éjecta un paquet d'encens depuis sa table de nuit. L'objet frappa mollement le torse de Yoongi, qui, hilare, n'essaya même pas de l'éviter, pinçant l'objet avant de le jeter négligemment par-dessus son épaule.

Yoongi persista dans ses provocations, multipliant les allusions audacieuses et les sous-entendus indécents, jusqu'à ce que Namjoon, bien qu'amusé, détourne les yeux en rosissant légèrement, troublé par son audace. Il ne soupçonnait pas que Yoongi soit débridé à ce point.

Malicieux, Yoongi les scruta tour à tour, savourant leur embarras.

« Comme c'est charmant, ces joues empourprées. Détendez-vous. Je sais que...

— Min, ça suffit », l'interrompit brusquement Jungkook, sa voix basse et menaçante.

Yoongi l'ignora.

« Je sais que ma beauté vous déstabilise, mais n'y comptez pas. Je ne céderai pas, même si, je l'admets, vous êtes plutôt beaux, et...

— Yah ! Tu vas arrêter tes idioties ?! », s'emporta Jungkook, rouge de colère et de gêne, ponctuant ses mots d'une pression de main sur le visage de Yoongi.

Ce dernier s'esclaffa en abaissant sa main, Namjoon souriait sereinement, mais leur amusement disparut aussitôt en entendant la toux rauque de Jungkook.

« J'arrête, j'arrête », murmura Yoongi, d'un ton apaisant.

L'éclat espiègle de ses yeux laissa place à une bienveillance affectueuse.

Il tendit la main vers les cheveux de Jungkook, son geste habituel pour l'apaiser, mais ce dernier chassa sa main d'un geste maladroit, ses joues toujours empourprées.

« Me touche pas », grommela-t-il.

Yoongi gloussa, pas le moins du monde vexé, alors que Namjoon secouait légèrement la tête, un petit rictus en coin.

Yoongi claqua des mains d'un geste brusque et énergique.

« Bien ! Parlons médecine. »

Le sursaut de Jungkook fut si vif qu'il porta une main à sa poitrine, les yeux écarquillés.

« Doucement, non ? », marmonna-t-il, exaspéré.

Il se massa le torse sous le regard inquiet de Namjoon.

Yoongi haussa un sourcil, un léger sourire amusé flottant sur ses lèvres. Puis, l'éclat de légèreté dans son regard s'éteignit aussitôt à l'intervention de Namjoon.

« Ça tombe bien, j'ai une question. Pourquoi Jungkook aurait un problème cardiaque ? »

Yoongi croisa lentement les bras. Son visage se ferma, sa mâchoire se crispa. L'ombre d'un souvenir assombrit son regard.

« Parce que... »

Son regard vide s'ancra à celui de Jungkook.

« Ton cœur ne battait plus. »

Namjoon et Jungkook le fixèrent, interdits. Les mots peinaient à franchir les murs de leur conscience.

« Quoi ?! »

La voix de Namjoon cingla l'air comme un éclair déchirant le ciel.

Jungkook sursauta vivement, le cœur affolé. À nouveau, ses doigts glissèrent instinctivement sur sa poitrine, là où une douleur pulsait, grandissante, lui arrachant une grimace fugace.

Imperturbable, Yoongi posa une main rassurante sur le torse de Jungkook, l'apaisant. Puis il leva un regard lourd de sens sur eux.

« On a dû te réanimer pendant un long moment. On t'avait presque définitivement perdu. »

Namjoon resta figé, pétrifié, son regard se perdant dans le néant. Sans crier gare, le passé l'assaillit de toute sa brutalité. Ses souvenirs resurgirent, comme si le temps s'était inversé.

Les images se succédaient, nettes et cruelles : Yoongi, le souffle court, le visage strié de larmes, prodiguant désespérément un massage cardiaque.

« Pendant tout ce temps, tu oses me regarder dans les yeux et me cacher ça ? », siffla Namjoon, la voix tremblante de colère et d'incrédulité.

Ses sourcils froncés et son regard brûlant témoignaient de son indignation et de sa terreur.

Yoongi soutint son regard.

« Dans l'état dans lequel tu étais ? Tu rêves.

— Je te demande pardon ? lâcha-t-il, outré.

— Tu étais dans un état de choc extrême. Ç'aurait peut-être brisé ton esprit à tout jamais. »

Ces mots prononcés d'un ton calme n'eurent aucun effet apaisant. Namjoon secoua la tête en luttant pour ne pas exploser. Son visage exprimait une sorte de terreur.

« Que je sois lucide ou non, tu aurais dû me le dire. Tu as eu deux jours pour le faire.

— Certainement pas, je t'ai préservé.

— J'avais le droit de le savoir, siffla-t-il, les yeux assombris par une rage froide.

— Bien sûr, mais tu l'aurais appris en temps voulu.

— Tu ne comprends pas. J'aurais dû être le premier informé. C'est moi qui l'ai sauvé.

— Moi aussi, si tu te souviens bien. »

Namjoon se tut, le visage crispé, la mâchoire serrée.

Jungkook recula imperceptiblement contre les coussins, légèrement ébranlé par la voix profonde et calme de Yoongi, ainsi que par celle, impétueuse, de Namjoon, qui vibrait d'une colère contenue.

Il comprenait cependant l'emportement de Namjoon. Ce n'était pas seulement la révélation elle-même qui l'avait bouleversé, mais le fait qu'elle dévoilait une faille insupportable à ses yeux. Une zone d'ombre sur laquelle Namjoon n'avait eu aucun contrôle ; cela l'ébranlait jusqu'au plus profond de lui.

Namjoon s'appuyait sur des certitudes, sur des faits soigneusement rassemblés pour prendre ses décisions. L'absence d'une seule information pouvait suffire à faire basculer son équilibre.

Et cette révélation tardive était cette faille béante qui le hantait actuellement.

« Et ça aurait servi à quoi de te le dire à l'instant même ? »

Yoongi posa sa question d'un ton plus doux, mais son regard pesait lourd. Namjoon se pinça les lèvres, le fusillant du regard comme si ce dernier venait de le trahir une seconde fois.

Pourtant, aucun mot ne lui vint.

Yoongi avait raison, et cela l'écorchait.

« Ça ne servirait qu'à te blesser inutilement, sur le moment. C'est pourquoi j'ai interdit à quiconque de t'en parler avant que moi, et moi seul, vous juge prêts à l'entendre. »

Face à la détermination froide et calme de Yoongi, Namjoon émit un souffle rieur amer, presque rauque. Ses nerfs étaient au bord de la rupture. Il porta une main tremblante à son visage pour le masser paresseusement, tentant d'étouffer le tumulte qui grondait en lui.

Mais rien n'y fit.

Puis, Jungkook tendit la main vers lui. Le contact fut doux, léger. Ses doigts effleurèrent la main de Namjoon, puis l'enveloppa avec délicatesse, espérant calmer ce qui se reflétait dans ses yeux.

« Nam, murmura-t-il d'un ton bas, doux, mais ferme. Je suis là, d'accord ? Je...

— Tu aurais pu ne plus l'être ! », l'interrompit Namjoon.

Sa voix éclata comme un cri de détresse.

Jungkook se figea, démuni. Ses doigts restèrent obstinément serrés autour de sa main crispée.

« Tu ne t'en rends pas compte ! Tu étais mort ! Tu... tu étais si froid, tes lèvres étaient bleues, et... et... »

Son timbre était cassé, sa voix chevrotante, presque méconnaissable. Ses yeux écarquillés laissaient libre cours à des perles noires affolées, incontrôlées. Ses traits, d'ordinaire si calmes, étaient déformés par une émotion brute, sauvage.

Bien qu'assis, Namjoon vacilla, s'agrippant instinctivement à Jungkook, ses doigts crispés sur sa manche. Il semblait prêt à s'effondrer à tout moment.

« Bon sang, tu étais mort... », haleta-t-il, la voix brisée.

Namjoon était comme un fugitif à bout de souffle. Ses yeux cherchaient désespérément un point d'ancrage dans le visage calme, mais inquiet, de Jungkook.

Dissimulant son propre trouble devant l'annonce, Jungkook fit glisser ses doigts avec douceur jusqu'au poignet de Namjoon, y exerçant une pression rassurante. Il le tira ensuite vers lui, l'enveloppant dans une étreinte apaisante.

« C'est terminé, hyungie, murmura-t-il, son souffle effleurant la peau tendue de son cou. Tu m'as sorti des flots, je suis là. Tout va bien, je vais bien. »

Namjoon lâcha un souffle rauque, presque un sanglot. Il s'effondra doucement sur l'épaule de Jungkook. Ses paupières se fermèrent sur les tourments qui agitaient son esprit. Des doigts glissèrent dans sa nuque, délivrant de légères caresses.

Peu à peu, sa respiration s'aligna sur celle plus calme de Jungkook, un rythme serein.

Yoongi les observait un silence. La scène dégageait une beauté poignante qui lui tira un pincement au cœur. Ces deux âmes enlacées, brisées, mais accrochées l'une à l'autre, formaient un tableau à la fois sublime et triste.

Il avait devant lui deux amants marqués par une douleur qui semblait ne jamais vouloir disparaître.

Avec lenteur, Namjoon se redressa. Son visage était encore plus pâle, ses traits tirés par la fatigue, et ses cernes encore plus marqués. Ses yeux retrouvèrent instantanément ceux soucieux de Jungkook. Le petit sourire qu'il lui offrit suffit à réchauffer son cœur.

Il passa une main lasse sur son visage, comme pour effacer le fardeau exprimé par ses traits.

« Désolé, Yoongi...

— Il n'y a rien à excuser, dit-il, avec bienveillance.

— Je ne voulais pas m'emporter. Encore moins me montrer ingrat.

— Je comprends. Je n'en veux pas. »

Jungkook détourna finalement les yeux de Namjoon et les posa sur Yoongi, hésitant.

« J'étais vraiment... ? Tu sais... »

Il était incapable d'achever sa phrase : l'effroi gelait son âme.

« Non, techniquement, tu n'étais pas mort. Lorsqu'une personne se noie, elle perd connaissance avant que son cœur cesse de battre, faute d'oxygène. Tu as eu la chance de te trouver à ce seuil critique où un massage cardiaque et une ventilation pouvaient réoxygéner tes organes et inverser la situation. Mais quelques instants de plus, et... »

Il se tut, son regard s'assombrit.

Jungkook acquiesça, la mâchoire crispée. Les mots qu'il venait d'entendre lui semblaient irréels, et pourtant, tout son être étouffait sous la terreur.

L'âme et le cœur encore bouleversés par les derniers mots de Yoongi, Namjoon ne pouvait détacher son regard de lui. Ses traits montraient une cicatrice invisible, gravée par le cauchemar qu'ils avaient tous vécu deux jours plus tôt. Il revoyait les larmes silencieuses qui coulaient sur les joues de Yoongi, contrastant avec l'impassibilité de son visage marmoréen, figé comme une statue défiant la douleur.

Une vision qui ne cesserait de hanter Namjoon.

Yoongi fixait le vide, marqué par le souvenir de cette nuit. Elle s'imprimait en lui comme une plaie ouverte. Il revoyait ces longues secondes interminables où le corps glacé de Jungkook semblait se dissoudre entre ses mains tremblantes. Sa peau blanche et spectrale, son immobilité terrifiante, l'absence totale de souffle.

Tout hurlait la fin.

L'effroi l'avait consumé, vorace, ne laissant derrière lui qu'un vide aride. Chaque battement avait résonné comme un glas.

Il avait cru, non, il avait su qu'il le perdait.

Cette certitude l'avait transpercé, le privant de toute pensée.

Alors, il s'était activé, poussé par un instinct féroce. Son corps avait pris les rênes. Son esprit s'était éteint.

Tout s'était déroulé avec une rapidité déconcertante. Chaque seconde était cruciale.

Sinon, il perdrait Jungkook à jamais.

À cette pensée, son cœur avait frémi d'effroi, plus intensément que jamais.

Il avait refusé de céder sa place aux infirmiers, leur posant des questions d'une voix péremptoire, concentré. Ils l'assistèrent, échangeant des termes brefs et précis, évoquant l'absence de signes vitaux et la nécessité d'agir rapidement. Ils avaient vérifié son pouls éteint, guetté son souffle absent, scruté sa poitrine immobile, déchiré son haut trempé, libérant sa gorge et son torse, pressé leur oreille contre son thorax.

Rien.

Pas le moindre battement fugitif.

Mais lui, comme les infirmiers, conservait un mince espoir : celui que Jungkook ne soit pas resté trop longtemps dans les eaux glacées, que son corps n'ait pas encore atteint l'irréversible, et que, dès que ses poumons seraient vidés d'eau, son cœur redémarrerait.

« Tentez un massage cardiaque sans tarder, Min. Nous vous assisterons. Votre père a été prévenu. Il est prêt à le recevoir. Allons-y! »

Il fallait agir.

Tout était encore possible.

Une fraction de seconde, il ferma les yeux, rassemblant toute sa volonté.

Puis, ses mains s'étaient posées sur cette cage thoracique muette. Elles ont imposé leur cadence. Fortes, brutales, rapides.

Il devait forcer la vie à revenir.

Tandis qu'un infirmier insufflait de l'air dans les poumons de Jungkook et tournait son visage livide du côté opposé pour expulser l'eau, Yoongi compressait, enchaînait, encore et encore, ses muscles criant à l'effort, sa respiration hachée, une fine pellicule de transpiration faisant briller sa peau.

Il ignorait combien de temps s'était écoulé. Tout se résumait à l'obstination de ses gestes, au goût salé de la sueur perlant jusqu'à ses lèvres.

Puis, c'est arrivé. Comme un miracle. Sous ses paumes crispées, il avait senti ce battement infime, fragile.

Un souffle.

Une pulsation.

Une vie.

Il s'était figé, enfiévré, les bras meurtris, le souffle court, et les mains tremblantes en suspens, comme pour confirmer l'impensable.

Boom boom. Boom boom.

Son visage incrédule s'éclaira. Une chaleur douce avait traversé sa poitrine gelée d'effroi. Ses épaules s'étaient relâchées, et son corps jusque-là tendu comme un arc avait fléchi.

« Min? »

Un soupir tremblant s'était mêlé à un rire silencieux, étranglé.

« Il... Il est... »

Il ne put achever sa phrase, sa gorge nouée et ses lèvres tremblantes. Le mode automatique qui l'avait porté s'était dissipé, ne laissant qu'une coquille épuisée, vacillante devant l'assaut d'une joie trop intense pour être entièrement supportée.

« Que tout le monde recule ! »

Un infirmier s'était penché pour ausculter, et annonça d'un ton mesuré, mais porteur de joie sincère.

« C'est exactement ce que je pensais. Les poumons vides, il montre enfin des signes de reprise cardiaque. Nous avons réussi. Tournez-le sur le côté droit. »

Des exclamations et des pleurs de joie fusèrent. Il reconnut les timbres de Seokjin et Mingyu. Puis d'autres voix. Tout résonnait de soulagement, d'exitation.

« Bravo, Min.

— Vous êtes digne de votre père. »

Il ne se souvenait plus vraiment de ce qui s'était passé autour de lui. La présence des infirmiers lui avait même échappé. Un instant, il avait aperçu Seokjin et Mingyu penchés sur Jungkook. Leurs mouvements avaient été à la fois rapides et lents, mais leurs mots, s'ils en avaient dit, s'étaient perdus dans le chaos de son esprit. Mais ils pleuraient de joie.

Tout était devenu flou, tout avait disparu. Sauf Jungkook. Même si le monde entier s'était écroulé autour de lui, il n'aurait vu que ce visage.

C'était comme si sa perception du temps n'existait plus que par le rythme fragile de la respiration de Jungkook.

Puis, à mesure qu'il réalisait, ses larmes s'étaient intensifiées. Elles étaient fines et discrètes, sans sanglots, mais avec un éclat brut dans ses yeux sombres. Il s'était fissuré, juste un instant. Il avait délicatement posé sa main sur la joue froide de Jungkook.

Les paupières de ce dernier demeuraient obstinément closes, mais Yoongi n'en demandait pas davantage. Il posa sa main sur ce cœur qu'il venait de raviver.

Un petit rire nerveux lui échappa, se muant bientôt en sanglots discrets.

Il avait fermé les yeux, sa tête s'était inclinée vers l'avant. Son front brûlant avait touché le torse de Jungkook. Il n'avait même pas remarqué qu'il était maintenant enveloppé dans un tissu chaud. Il s'était abandonné à une joie douloureuse, poignante, exprimée par des pleurs silencieux. 

Sa terreur disparaissait peu à peu de son corps encore tremblant.

Il ne sut pas comment, mais il était debout, vacillant. Il avait croisé les visages ravagés de larmes, mais souriants de ses amis. Il leur avait souri, avant de s'effondrer dans les bras de Mingyu, aussitôt rejoint par l'étreinte protectrice de Seokjin. Tous trois restèrent ainsi jusqu'à ce qu'un sursaut de conscience traverse Yoongi.

Il avait vu Namjoon, accompagné de Taehyung et Hoseok, de loin.

Puis l'avait rejoint.

Mortifié.

« Yoon... ? »

Yoongi battit des paupières, et revint doucement à lui, tiré du cauchemar par la voix douce et inquiète de Jungkook.

Pourtant, elle n'effaça pas les hurlements déchirants de Namjoon, qui résonnaient encore dans sa tête. Les sanglots de Seokjin. Les prières désespérées de Mingyu. Les cris hystériques des courtisanes terrifiées. Les ordres du général. Les exclamations des infirmiers. Les bruits de pas des soldats. Les sabots des chevaux.

Cette cacophonie restait gravée en lui comme une mélodie funèbre.

C'était à jamais inscrit dans la trame de ses pensées.

Une plainte sombre et oppressante, qui n'aurait jamais de fin, un écho tenace condamné à le hanter jusqu'à ses rêves.

« On a tous eu peur ce soir-là », finit-il par murmurer, presque pour lui-même.

Namjoon acquiesça lentement. Sa main se posa sans réfléchir sur celle de Jungkook. Ce dernier, bien que troublé, lui répondit d'un mince sourire, ses yeux brillants d'affection.

Ils avaient survécu.

Mais tous trois savaient que les cicatrices ne se refermaient jamais complètement. Elles s'incrustaient, tenaces, marquant la chair, l'âme.

Cette nuit maudite les avait changés à jamais.

Yoongi dévisagea Jungkook avec un regard perçant, les sourcils froncés, avant de soupirer.

« Kook, mon père ou moi viendrons chaque matin pour veiller sur toi et assurer tes soins. Tu dois te reposer. Pas de cours, pas de sorties, et surtout, évite toute activité physique ou stressante pendant une semaine entière. D'accord ? »

Jungkook leva lentement les yeux vers lui, le visage soudainement marqué par la fatigue. Les mots de Yoongi flottaient dans sa tête comme une liste interminable qui se mêlait à la brume de ses pensées embrouillées.

« Pas de sport, pas de situations stressantes. Rien, insista Yoongi, d'une voix douce et ferme, en voyant légèrement perdu. Compris ? »

Namjoon gardait le silence, son regard troublé posé sur Jungkook. Il observait les mots de Yoongi s'enfoncer dans un esprit déjà usé, cherchant désespérément à s'agripper à la surface lisse et glacée de l'épuisement de Jungkook.

Yoongi poursuivit, patient.

« Tu pourrais souffrir de plusieurs séquelles, dont certaines commencent déjà à se manifester, comme la fatigue extrême et les tremblements. Est-ce qu'il a développé des troubles de la mémoire ? », demanda-t-il en fixant Namjoon.

Ce dernier acquiesça.

« Légers.

— C'est-à-dire ? Récents uniquement ?

— Oui.

— Alors, ce n'est pas permanent », dit-il, soulagé.

Yoongi marqua une pause, son ton s'assombrissant alors qu'il reportait son attention sur Jungkook.

« Comme je l'avait dit à Namjoon, il y a un risque que tu développes un trouble lié à l'eau, qu'il s'agisse de la mer, du fleuve, ou même de la pluie. Il serait prudent d'y faire attention. »

À cette mention, Jungkook détourna légèrement le regard. Son visage se ferma comme une coquille hermétique. Il garda le silence, les mains crispées sur le tissu de sa couverture.

Puis, son regard s'égara dans le vide.

Namjoon baissa les yeux, une ombre de tristesse traversant son visage. Puis il leva vers Yoongi un regard éloquent.

Yoongi l'observa attentivement, plissant légèrement les yeux, comme pour décrypter ses pensées. Ses yeux se posèrent un instant sur leur mine sombre, puis sur leurs cheveux encore humides.

Et il comprit.

« Jusqu'à quel point il redoute l'eau ? » demanda-t-il, peiné.

Namjoon inspira profondément, serrant les poings pour maîtriser le tremblement de ses mains. Ses yeux s'ancrèrent sur le visage fermé de Jungkook.

« Ça le fait trembler et pleurer. Ça l'effraie. Il se revoit dans le fleuve... Puis il s'absente, comme s'il s'éteignait », souffla-t-il, la voix neutre, mais l'éclat de ses yeux brisé par le poids de ses mots.

Yoongi grimaça, sa mâchoire se crispant sous l'emprise de la colère qu'il ressentait envers celui qui l'avait réduit à cet état. Il posa les yeux sur Jungkook, tentant d'attirer son attention, mais ce dernier semblait perdu, ses obsidiennes fixes, noyées dans un horizon invisible.

« Jungkook... ? », tenta-t-il doucement.

Pas de réaction.

Yoongi soupira, ses doigts s'égarant parmi les longues mèches de Jungkook. D'un toucher apaisant, il tentait de l'ancrer dans le présent, tout en refoulant la rage qu'il éprouvait envers Shin.

« Tu es encore là avec nous ? », murmura Yoongi, son ton oscillant entre la douceur et la tristesse.

Le regard absent de Jungkook s'abaissa légèrement, mais aucune réponse ne vint.

Namjoon restait immobile, voguant dans un tourbillon confus. Ce qu'il venait d'apprendre au sujet du cœur de Jungkook le troublait encore, mêlé aux échos de son angoisse plus tôt, dans la salle d'eau, et à son épuisement.

Tout s'accumulait.

Son souffle se fit plus léger, plus court. Ses poings étaient crispés, essayant en vain de contenir la vague d'émotions qui allait l'engloutir.

Yoongi perçut son trouble. Tout semblait l'accabler. Une profonde empathie l'envahit pour cet homme qu'il considérait maintenant comme son égal.

« Ça va aller. Je ne vous laisserai pas tomber », murmura Yoongi, le regard triste, mais résolu.

Namjoon ressentit une étincelle de gratitude. Il posa doucement sa main sur celle de Jungkook, tentant de l'entourer d'une chaleur qu'il espérait réconfortante. Malgré son état d'esprit encore accablé, il ressentait une obligation vitale de rester fort pour lui.

Pour eux.

Yoongi posa un regard attentif sur Jungkook qui était toujours figé, les yeux légèrement dissimulés par ses mèches.

L'inquiétude froissait les traits de Namjoon.

« Je sais que c'est normal qu'il ait ces absences. Tu es d'accord ? », demanda-t-il.

Il connaissait trop bien ces échappées de l'esprit et en comprenait la logique. Toutefois, il n'arrivait pas à dissimuler l'anxiété qui s'infiltrait dans sa voix.

Yoongi tourna la tête vers lui, son expression grave, mais adoucie par une sérénité mesurée. Il adopta un ton apaisant.

« Oui, c'est normal. Son esprit est un champ de bataille en ce moment. Après un tel traumatisme, il lui manque encore la force de l'affronter pleinement. Si son corps a tenu bon, son esprit se retire et se protège en se déconnectant. C'est une manière inconsciente pour lui d'éviter les sujets encore très difficiles. »

Namjoon resta silencieux, ses doigts se resserrant légèrement autour du poignet de Jungkook par réflexe protecteur.

« Je comprends ce que tu veux dire... », murmura-t-il, bien qu'une infime note de panique trahît encore son trouble.

Yoongi hocha lentement la tête, fixant le visage pâle de Jungkook.

« Alors tu sais qu'il ne faut pas brusquer les choses. C'est un état transitoire, mais les premières journées seront éprouvantes. Donne-lui du temps. Ces réactions sont normales après ce qu'il a traversé », répéta-t-il.

Namjoon absorba ces mots dans le silence. L'atmosphère se fit plus lourde. Yoongi respecta ce moment de recueillement. Il s'abstint de parler davantage, offrant à Namjoon l'espace nécessaire pour apprivoiser ses pensées.

« Et pourquoi il a autant de mal à marcher ? murmura Namjoon après un long silence.

— C'est pour ça que tu l'as porté sur ton dos ?

— Oui, ses jambes flanchent. »

Yoongi acquiesça, ses traits se froissant légèrement.

« Son corps est épuisé. Il a subi un énorme choc. L'eau glacée, l'asphyxie, tout ça a rudement éprouvé ses muscles et ses nerfs. Et après deux jours dans un état de semi-inconscience, son cerveau ne s'en tient qu'à l'essentiel : respirer, survivre. »

Namjoon hocha doucement la tête, attentif à chacun de ses mots.

« Il a pourtant fait quelques pas, dans la salle de bains.

— Quoi ? Déjà ? s'exclama Yoongi, un sourire incrédule éclairant son visage.

— Oui, mais avec mon aide. Sinon, il se serait effondré. »

Yoongi soupira, mais une lueur d'admiration brilla dans ses yeux, rivés sur Jungkook.

« Décidément, il me surprendra toujours. »

Namjoon lui rendit son sourire, plus apaisé.

« Il y a mieux.

— Mieux que marcher après seulement quelques heures ? s'enquit-il en tournant brusquement la tête vers lui, médusé.

— Il a sciemment touché l'eau. »

Dire que Yoongi était surpris serait un mensonge. L'ébahissement le figeait.

« Et... comment il a fait ? balbutia-t-il, ahuri, sa voix vacillant sous l'émotion.

— Je pense que mes paroles l'ont un peu apaisé. J'ai décrit l'eau comme quelque chose de doux et d'inoffensif. Petit à petit, il a voulu s'en assurer. À sa deuxième tentative, il l'a effleurée. Il semblait hypnotisé. C'était comme s'il redécouvrait qu'elle pouvait être calme et accueillante. »

Yoongi secoua doucement la tête, comme pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Ses yeux brillants d'une joie indicible s'embuèrent légèrement.

« ...Incroyable, murmura-t-il en contemplant Jungkook comme s'il le voyait pour la première fois.

— N'est-ce pas... », souffla-t-il dans un léger sourire, fier.

Leurs regards convergèrent vers Jungkook, bienveillants.

« Mais tu te doutes bien qu'il reste méfiant et appréhensif. Il la craint toujours », reprit Namjoon d'un ton plus grave et bas.

Yoongi acquiesça lentement, inspirant profondément pour reprendre contenance.

« Oui, évidemment. Mais tu n'imagines pas à quel point, d'un point de vue médical, c'est presque un miracle. »

Ils demeurèrent ainsi, en silence, couvant Jungkook du regard, patients.

« Il devra s'exercer tous les jours pour retrouver sa force et sa mobilité, reprit Yoongi d'une voix basse. Mon père lui prodiguera des séances de souplesse, avec des pressions et des étirements adaptés. Il lui fournira aussi un bâton solide pour qu'il puisse se déplacer seul. »

Il s'interrompit, ses yeux s'adoucissant en observant Jungkook, immobile et absent.

« D'ici deux ou trois jours, il pourra marcher sans appui. Dès demain, il pourra faire quelques pas, mais ça demandera des efforts. Aujourd'hui, il est encore trop faible, même s'il guérit étonnamment vite ; il ne s'est réveillé que cette après-midi, tout de même. »

Namjoon inspira profondément, prenant le temps de tout assimiler. Il posa son regard sur Jungkook, dont les paupières frémissaient légèrement, signe qu'il allait bientôt reprendre conscience.

« Merci.

— Ne me remercie pas, Namjoon. Tu fais déjà l'impossible pour lui. »

Bien plus que nécessaire.

Namjoon resta silencieux, le regard fixé sur Jungkook. Un mélange de peine, d'espoir et de tendresse se lisait dans ses yeux.

Yoongi le jaugea attentivement, son regard perçant ne laissant rien échapper. Il vit tous les signes d'un manque de sommeil flagrant.

Après deux jours sans repos, quiconque aurait dû sombrer dans un profond sommeil. Or, Namjoon était toujours debout, ce qui éveillait une curiosité inquiète chez Yoongi.

Peut-être même un soupçon de danger.

« Namjoon, tu as pu dormir, au moins ? », demanda-t-il d'un ton posé, mais appuyé.

Namjoon sursauta légèrement, sa concentration brisée par la voix grave et mesurée de Yoongi. Le regard qu'il croisa était à la fois curieux et sévère, un mélange déconcertant qu'il connaissait bien lorsqu'on s'inquiétait pour lui.

« Non, pas vraiment, répondit-il, évasif. Mais ça va aller.

— Ta fatigue ne vient donc pas seulement du manque de nourriture. On dirait que tu ne t'es pas reposé depuis son réveil. Je me trompe ? »

Namjoon soupira, ses épaules se tendant imperceptiblement.

« Non, et alors ? » lâcha-t-il, légèrement sur la défensive.

— Doucement, Namjoon. Je m'inquiète juste », dit-il, imperturbable.

Ces mots sincères suffirent à faire retomber la tension. Namjoon détourna les yeux, prenant conscience de son comportement, et s'excusa dans un souffle. Yoongi hocha légèrement la tête, indiquant qu'il ne s'en formalisait guère.

« C'est simplement que, pendant sa convalescence, tu ne dormais pas. Je le sais. Mais là... tu sembles encore plus épuisé. Alors, dis-moi, pourquoi tu n'arrives pas à dormir ? »

Namjoon entrouvrit la bouche dans un silence lourd.

Puis, il soupira et détourna les yeux.

« Le contrecoup, éluda-t-il d'une voix basse. Mais ça passera. »

Yoongi resta silencieux, le regardant intensément, ce qui traduisait son scepticisme.

Puis, le frémissement d'un souffle attira leur attention.

Jusque-là immobile, le regard perdu dans le vide, Jungkook battit paresseusement des cils, émergeant d'un brouillard. Ses épaules se redressèrent légèrement, et ses traits se détendirent lentement. Enfin, ses yeux se détournèrent de cet abîme invisible.

Instinctivement, ils se posèrent sur Namjoon. Ses perles noires brillaient d'une douceur oscillant entre la lucidité et une légère confusion.

Puis, ils s'illuminèrent dans un sursaut de conscience.

« Ah, Yoongi... », murmura-t-il en le regardant.

Son timbre était plus rauque, sa voix encore incertaine, comme s'il revenait d'un rêve lointain.

Il fronça les sourcils en cherchant ses mots, puis il sourit faiblement.

« Je viens de me souvenir... »

Ses doigts effleurèrent nerveusement le tissu de sa manche. Namjoon lui jeta un regard inquiet, son propre épuisement s'effaçant devant cette vision.

Yoongi ne perdait pas une miette de la scène. Ses yeux passaient de l'un à l'autre, guettant des signes et analysant.

Jungkook cligna des yeux à nouveau, comme pour rassembler ses pensées éparses.

« Aide-le. Il dort mal. »

Yoongi glissa un coup d'œil à Namjoon, qui était surpris de voir Jungkook réagir à ce sujet, lui qui venait tout juste de sortir d'une absence. Pris de court, Namjoon ouvrit la bouche, prêt à nier. Mais il croisa les yeux de Jungkook. Il y vit une fermeté doublée d'une inquiétude qu'il n'avait jamais vue aussi intensément et qui lui coupa le souffle.

Loin d'être surpris par l'intervention de Jungkook, Yoongi scrutait toujours Namjoon, comme s'il tentait de percer ses défenses.

« Ça ne me surprend pas, en fin de compte, murmura Yoongi, pensif.

— Tu peux l'aider ? demanda Jungkook, la voix ferme, sans tenir compte du regard d'avertissement de Namjoon.

— Je ne demande rien, Jungk...

— Mais moi, je demande, le coupa-t-il, son ton tranchant. Je m'inquiète pour toi. Et je ne vais certainement pas rester les bras croisés pendant que tu dépéris sous mes yeux, c'est clair ? »

Ses mots le frappèrent en plein fouet. Incapable de répondre, il resta silencieux, décontenancé.

Impressionné par la fermeté de Jungkook face à quelqu'un comme Namjoon, Yoongi émit un léger sifflement d'admiration.

« Si on m'avait dit un jour que quelqu'un ferait taire le grand Kim Namjoon... »

Namjoon lui lança un regard noir, mais sa colère se heurta à l'aplomb de Jungkook, qui le fixait toujours avec cette détermination inébranlable. Finalement, Namjoon soupira, puis céda. Lentement, il tendit une main et prit la sienne, entrelaçant leurs doigts.

« D'ailleurs, tu nous as entendus ? demanda-t-il d'une voix douce, presque hésitante.

— Oui, murmura-t-il, sa voix basse et incertaine. Enfin... je crois. Pas tout. Juste les derniers mots. »

Namjoon fixa Yoongi, le cœur serré.

« Il déréalisait », comprit Namjoon.

Yoongi hocha la tête, ses lèvres se plissant dans une expression pensive. Il croisa ensuite les bras.

« Oui, c'est logique. Je pensais qu'il aurait pu s'agir d'une dissociation plus profonde, voire d'un état catatonique léger. Dans ces cas-là, il n'aurait probablement pas pu percevoir nos paroles, ni même réagir aux stimuli extérieurs. Sa conscience aurait été complètement enfermée, comme si elle s'était mise en pause pour le protéger. »

Namjoon acquiesça, l'ombre de l'inquiétude dans ses yeux.

« Moi aussi. Mais il a émergé, c'est donc moins grave ? »

Yoongi haussa les épaules, sans pour autant relâcher son sérieux.

« C'est rassurant, oui, mais ça montre aussi qu'il est épuisé mentalement. Les mécanismes comme la déréalisation ou la dissociation ne se déclenchent pas sans raison. Son esprit fuit quelque chose qu'il n'arrive pas à gérer. »

Namjoon détourna les yeux, et son expression se ferma légèrement. Une douleur pénible étreignit son cœur. Son âme se brisa. Il savait exactement ce que Jungkook vivait.

Ce dernier jouait nerveusement avec l'ourlet de la couverture, les sourcils froncés, jetant à Yoongi un regard perdu.

« Je n'ai pas compris..., souffla-t-il, incertain. Qu'est-ce que ça veut dire, déréaliser  ? »

— Que tu étais là, mais tout te paraissait étrange, irréel, comme dans un rêve. Tes sens fonctionnaient encore, tu pouvais entendre, voir..., mais tout paraissait distant ou déformé, comme à travers un voile. Tout glissait sur toi sans jamais te toucher. Tout était flou... déconnecté. C'est ça ? »

Jungkook battit des cils, absorbant ces mots.

« Oui, c'est... c'est ça », souffla-t-il, troublé.

Alors c'est donc ça, cette sensation étrange... un monde brumeux, comme si mon esprit flottait entre ciel et terre...

La voix de Namjoon attira son attention.

« Et puis, quand tu commences à émerger, tout devient différent. »

Ils le regardèrent, étonnés et attentifs. Namjoon fixait Jungkook sans le voir, les yeux dans le vague.

« Tu entends des bribes de conversation, poursuivit-il, le ton bas. Parfois, tu en saisis le sens. Souvent, ce ne sont que les derniers mots, comme c'est le cas présentement. Mais ça signifie que ton esprit se réveille doucement. »

Yoongi acquiesça, son regard empli de compassion. Namjoon avait parlé avec une aisance troublante, comme s'il connaissait bien cet état.

Jungkook inspira profondément.

« Je comprends..., murmura Jungkook, un peu déstabilisé. Donc, je vous ai bien entendus parler de ton trouble du sommeil. »

Namjoon passa une main nerveuse dans ses cheveux. Une étincelle de culpabilité traversa ses yeux.

J'aurais voulu que tu n'entendes rien de tout ça...

« Oui, mais ne t'en fais pas », souffla Namjoon.

Jungkook le fixa d'un regard sérieux et perçant. Namjoon se tendit.

« Tu me demandes l'impossible. Laisse-moi aussi prendre soin de toi, ça fonctionne dans les deux sens. Sinon, que vaut toute ta dévotion si je n'ai pas le droit d'y répondre ? »

Namjoon sentit sa gorge se nouer, l'émotion prête à l'emporter. Mais sa fierté résistait, reprenant le dessus sous le poids du regard discret, mais intrusif de Yoongi.

« Je ne te demande rien, souffla-t-il d'une voix rauque, sa mâchoire se crispant.

— Justement, tu ne demandes jamais rien, et c'est exaspérant. »

Namjoon fronça les sourcils, l'air légèrement perdu.

« Pourquoi serait-ce mal de vouloir simplement te donner sans rien attendre en retour ? »

Jungkook soupira, partagé entre agacement et tendresse.

« Tu n'es pas un martyr, Namjoon.

— Je sais ce que je fais, affirma-t-il avec sévérité.

— Alors, ton plan serait de me réduire au désespoir en m'interdisant de te soutenir à mon tour ?

— Peut-être bien.

— Tu rêves.

— Et toi, tu devrais dormir moins, rétorqua Namjoon. Ces illusions où tu crois pouvoir me dicter quoi que ce soit, ça ne te vont pas du tout.

— Je te demande pardon  ? », rétorqua Jungkook, stupéfait.

Yoongi ricana doucement, amusé.

« Plus tu insistes, plus tu risques de t'y perdre, murmura Namjoon en approchant son visage. Et soyons honnêtes, tu manques cruellement de patience pour ça.

— Mais tu racontes n'importe qu... !

— C'est la vérité », trancha Namjoon d'une voix adoucie.

Ses paroles trahissaient une once de tendresse qu'il ne parvenait jamais à dissimuler.

Acculé, Jungkook lâcha un soupir bruyant, frottant ses yeux, sous le regard implacable de Namjoon qui le scrutait avec un sourire en coin, prêt à riposter, et celui profondément diverti de Yoongi.

« Hyungie, grogna-t-il, vexé.

— Oui, mon doux ? », répondit-il, malicieux.

Jungkook vira au rouge, arrachant un sourire incrédule à Yoongi, celui de Namjoon se faisant carnassier, le regard triomphant.

Exaspéré, Jungkook émit un claquement de langue et pointa un doigt accusateur vers lui.

« Je vais finir par te frapper, Namjoon, menaça-t-il. Littéralement.

— Tu aurais tort de te fatiguer.

— Ça m'est égal. Je ne te lâcherai pas.

— Oui, mais au moins je peux courir, moi », sourit-il, espiègle.

Jungkook s'étrangla d'indignation, puis grogna, partagé entre frustration et amusement, avant de croiser les bras dans un geste dramatique, loin d'en être vexé.

Puis, quand la douleur se peignit sur son visage, les sourires des aînés disparurent.

« Plus sérieusement, hyungie... Qui accepterait de donner sans jamais recevoir en retour ? C'est inhumain », murmura-t-il avec tristesse.

Namjoon demeura pétrifié, profondément bouleversé par la justesse de ces paroles. Cependant, il soupira, entre irritation et résignation.

« Très bien. Vous savez quoi ? Pour mon bien-être, je déclare forfait », grommela-t-il, fourrageant dans ses cheveux.

Le rire de Jungkook adoucit l'atmosphère, arrachant à Namjoon un sourire malgré lui, réchauffant son cœur d'une douce chaleur.

Yoongi pouffa, amusé par cet échange à la fois tendre et tumultueux.

« Votre duel était pathétique, railla-t-il. On aurait dit que deux coqs têtus s'affrontaient. »

Jungkook lui jeta un regard faussement las. Yoongi ébouriffa une nouvelle fois ses cheveux, ce qui provoqua un petit grognement de Jungkook, tandis que Namjoon fixait ce dernier avec un amour teinté de tourment.

« Je vais chercher un remède pour toi, Namjoon. Je reviens.

— Un quoi  ? Mais je n'ai jamais dit que j'en voulais, protesta-t-il, les sourcils froncés.

Hyungie ! râla-t-il.

— Non, Jungkook, je ne...

— La ferme, Kim. On ne te laisse pas le choix, trancha Yoongi.

— Voilà ! Merci, Yoon. »

Ils se sourirent en se tapant dans la main sous le regard abasourdi, trahi, éberlué, d'un Namjoon au bord de la crise de nerfs.

Puis, sans attendre, Yoongi se leva et quitta la pièce, laissant un silence derrière lui lorsqu'il referma la porte.

Namjoon posa lentement son regard sur Jungkook, une légère tension tendant ses épaules. Il entrouvrit la bouche, prêt à lancer un « Comment tu sais que je dors mal? Et pourquoi lui avoir dit ? » cinglant, mais les mots moururent avant de naître.

Jungkook somnolait.

Ce petit détail déclencha l'anxiété de Namjoon.

« T... tu vas t'endormir ? », demanda-t-il, dans un souffle paniqué.

Jungkook ouvrit lentement un œil, à moitié endormi.

« Je me sens partir, mais j'attends Yoongi avec toi. Je veux entendre ses recommandations », murmura-t-il d'une voix traînante.

Namjoon déglutit, submergé par une angoisse grandissante.

Les yeux de Jungkook s'attardèrent sur lui, pénétrant son silence.

« Tu as peur de dormir, parce que tes cauchemars s'intensifient ? », tenta-t-il, sa voix douce et calme, le regard perçant.

La mâchoire de Namjoon se crispa. Il sentit une pointe d'inconfort, comme si Jungkook détenait déjà ses réponses.

« Entre autres », éluda-t-il.

Je vis plutôt un cauchemar éveillé lorsque tu dors.

Jungkook prit une profonde inspiration, réfléchissant attentivement à ses propos.

« Moi aussi, je cauchemarde. Mais on dit que c'est l'esprit qui essaie d'assimiler les traumatismes. Ensuite, pouf... oubliés. Enfin, non, pas oubliés, mais... ça s'apaise avec le temps ! Et on finit par apprendre à vivre en leur compagnie. »

Son petit rire dissipa la tension. 

Malgré lui, un sourire discret étira les lèvres de Namjoon, mettant en évidence ses fossettes. Jungkook était capable d'alléger même ses pires tourments. Doucement, Namjoon se pencha vers lui, ses peurs s'évanouissant l'espace d'un instant, et posa un doux baiser sur ses lèvres.

Ce fut à ce moment que Yoongi fit une entrée fracassante dans la chambre, un petit paquet enveloppé de tissu à la main, des herbes roulées à l'intérieur, et un flacon hermétique dont la vitre embuée laissait deviner une eau encore fumante.

Son regard se posa aussitôt sur eux, surpris par leur proximité. Leurs lèvres venaient à peine de se séparer dans un baiser humide.

Il fit tiquer sa langue, amusé, bien que légèrement déconcerté de voir leur lien se déployer sous ses yeux. Il lui était encore étrange de savoir que Jungkook fût attiré par Namjoon, alors le voir embrasser un homme... et Kim Namjoon, par-dessus tout...

« Tout de même, messieurs, un peu de pudeur ! Je ne suis pas encore habitué à ça ! » s'exclama-t-il, faussement scandalisé.

Namjoon roula des yeux, amusé, tandis que Jungkook, piqué par ses mots, rougissait vivement, détournant les yeux et dissimulant ses lèvres derrière une main en s'éclaircissant la voix.

Yoongi rit aux éclats en voyant son embarras évident.

« Aucune décence, ces gosses, marmonna-t-il en s'approchant de la table de nuit.

— Le ferme, tu n'es pas mieux avec Minseo, geignit Jungkook, la voix rauque d'embarras.

— C'est vrai », railla-t-il.

Jungkook grommela des mots indistincts, son visage empourpré refusant de plier.

Namjoon contenait un rire, tandis que Yoongi riait ouvertement. Il reprit sa place et déposa son paquet sur la table de chevet.

« D'abord, pour ta toux, Kook. »

Sous leurs regards intrigués, Yoongi glissa une main dans la poche intérieure de son hanbok et en sortit une petite boîte en bois laqué qu'il posa sur la table de nuit.

Lorsqu'il en ouvrit le couvercle, un doux parfum embauma l'air. À l'intérieur se trouvaient des racines de réglisse finement tranchées, des pétales séchés de chrysanthème, et un sachet de poudre brunâtre soigneusement noué.

« Dans de l'eau chaude, prépare une décoction avec ces racines et ces fleurs. Une fois tiédie, ajoute une pincée de cette poudre. C'est un mélange spécial : miel cristallisé et gingembre séché. Bois-en une tasse matin et soir, et une troisième si ta toux devient trop forte. »

Il échangea un regard entendu avec Namjoon qui acquiesça, mémorisant ses instructions d'un air concentré.

« N'oublie pas de bien filtrer avant de boire, et de ne pas prendre plus d'une tasse à la fois, sinon ton corps pourrait s'échauffer, et ça te fera plus de mal que de bien, ajouta-t-il envers Jungkook d'un ton plus sérieux. Bois-la juste après manger. Tu commenceras demain matin.

— Merci Yoon », sourit doucement Jungkook.

Yoongi lui asséna un très léger coup sur sa poitrine, taquin.

« Il y a du miel, et je sais que le glouton en toi en raffole, mais essaie de ne pas te jeter dessus comme un chiot affolé. C'est un remède précieux à savourer par petites gorgées, non une coupe de soju à vider en un clin d'œil. »

Namjoon sourit, tandis que Jungkook roula des yeux, une lueur d'amusement dans son regard trahissant son exaspération feinte.

« Tu pourrais au moins me respecter un peu, non ?

— Je ne suis pas responsable de ton absence totale de raffinement, espèce de sauvage répliqua Yoongi, une moue faussement sévère.

—  C'est vrai, rétorqua Jungkook avec un sourire provocant, j'oubliais que notre érudit en herbe a appris à siroter ses boissons comme une noble dame. Moi, je bois pour vivre, pas pour faire des manières. »

Yoongi s'esclaffa.

« Voilà ce que j'aime chez toi, Jungkook : ton honnêteté brutale. Mais, tout de même... un peu de retenue ne te tuerait pas. »

Leur échange dégénéra en une joute puérile. Yoongi lançait des piques aiguisées, que Jungkook renvoyait en se moquant. D'abord silencieux, Namjoon ne tarda pas à pouffer en les voyant s'empoigner verbalement comme des enfants.

Quand les éclats de voix finirent par retomber, la pièce retrouva son calme

« Quant à toi, Namjoon... »

Yoongi laissa planer un léger suspense, son sourire se muant en une esquisse taquine.

« Tu t'assureras qu'il suive mes instructions à la lettre. Sinon, c'est toi que je viendrai gronder. »

Namjoon arqua un sourcil.

« Tu remets en question ma capacité à prendre soin de lui ? »

Un sourire narquois étira les lèvres de Yoongi, pendant que Jungkook les regardait tour à tour, l'air blasé.

« Ce n'est pas une question de doute, Namjoon. Je suis sûr que tu es bien plus persuasif que moi quand il s'agit de le faire obéir.

— Oh, je sais m'y prendre, effectivement... », répondit Namjoon avec un sourire en coin, son regard pétillant d'une malice presque insolente.

Yoongi ricana devant son ton laissait deviner bien plus qu'il ne disait.

Jungkook écarquilla les yeux. Il sentit une vague de chaleur monter en lui, envahissant ses joues d'un rouge éclatant qui contrastait avec la légère pâleur de sa convalescence. Sa mâchoire se crispa un instant, avant de plisser les yeux, sous l'effet d'une gêne mêlée d'un soupçon de frustration.

Il sentit leurs regards perçants sur lui.

Dans un geignement rauque, il tira vivement sur la couverture, tentant d'en faire un rempart entre lui et les sous-entendus brûlants de Namjoon.

« Arrête », grommela-t-il.

Sa voix était étouffée par le tissu, oscillant entre une protestation embarrassée et une tentative maladroite de réplique.

Yoongi et Namjoon échangèrent un regard amusé, se retenant de rire.

Jungkook repoussa finalement la couverture, son regard fuyant croisant à peine celui tendrement moqueur de Namjoon.

« Ça t'amuse ? Tu es obligé de dire ça devant lui ? », marmonna-t-il d'un ton agacé, relevant le regard vers lui.

Namjoon esquissa un sourire indéniablement satisfait. Le ton qu'il avait employé un instant plus tôt, sous-entendant une connivence explicite, vibrait encore dans l'air de la chambre tamisée.

« Ce n'est pas ma faute si tu es pudique », répliqua-t-il doucement, sa voix basse et amusée.

Il le fixait avec une intensité qui rendit Jungkook encore plus nerveux, le poussant à se tortiller légèrement. Ce dernier détourna brusquement le regard, ses doigts crispés malmenant le bord de la couverture sans qu'il y prête attention. Ses lèvres frémirent en une réplique hésitante qui ne franchit jamais le seuil de sa bouche.

Finalement, il exhala un soupir agacé, ses joues toujours cramoisies.

Yoongi observait la scène avec un sourire narquois, les bras croisés.

« Namjoon, tu es vraiment impitoyable », lança-t-il, sarcastique, un éclat amusé dans les yeux.

Jungkook, qui avait tenté de s'enfoncer un peu plus dans ses couvertures, se redressa légèrement pour lui adresser un regard noir, bien que le rose vif de ses joues affaiblisse toute menace.

« Hé, je suis convalescent, pas sourd », grommela-t-il avant de se réinstaller brusquement.

Il détourna la tête pour échapper à leurs regards tendrement railleurs.

« Bon. On compte sur toi pour ne pas nous tousser dessus pendant des jours, Kook, dit-il en pressant doucement son épaule.

— Je viserai dans ta direction uniquement, ne t'inquiète pas, marmonna-t-il, en chassant brusquement sa main.

— Sale gosse. »

Jungkook se contenta de lui présenter son majeur que Yoongi chassa aussitôt d'un revers sec de la main, sous le regard amusé de Namjoon.

« À toi, mon cher Kim », dit-il en saisissant la petite bourse d'herbes séchées de la table de chevet.

Avec minutie, il versa son contenu dans un bol, y ajouta l'eau chaude qu'il avait apportée et remua délicatement.

« Voilà, dit-il en tendant le bol à Namjoon. Une décoction de graines de lotus, de racine de jujubier, de feuilles de mûrier, de ginseng rouge. Laisse-la infuser.

— Ah oui, rien que ça », railla Jungkook, étonné, oubliant son embarras et son agacement.

Yoongi émit un souffle rieur.

« Ça calme l'esprit. Je t'ai ajouté de l'écorce de pivoine blanche, un léger sédatif. Ça t'aidera à trouver un sommeil paisible sans te rendre trop somnolent, demain », poursuivit-il, fixant Namjoon.

Ce dernier contempla le bol, son visage impassible, mais ses yeux trahissaient une ombre de doute. Ils vagabondèrent un instant sur les volutes, puis s'attardèrent sur la surface opaque de la décoction de plus en plus dorée. Malgré lui, il fut hypnotisé par ses reflets ambrés.

« Namjoon ? », l'appela Yoongi, inquiet.

Il échangea un regard soucieux avec Jungkook, leur traits tendus.

Après une courte hésitation, Namjoon hocha la tête et saisit le bol, le déposant délicatement sur la table de chevet.

« Tu me garantis que je vais m'endormir avec ça ?

— Oui. Assure-toi de tout boire. C'est doux, mais très efficace. Donc, prends-le juste avant de te coucher, car tu sentiras une sensation de lourdeur avant que le sommeil te gagne. »

Un silence s'installa. Namjoon acquiesça à nouveau d'un geste mécanique. Yoongi l'observait, son regard scrutant chaque nuance de son expression. Les lèvres de Namjoon se pinçaient imperceptiblement, et il clignait des yeux plus souvent que d'habitude. Il perçut une fatigue, une confusion, la preuve que ses pensées s'égaraient trop loin, éparses.

« Bon, viens avec moi », lâcha soudain Yoongi d'une voix décidée, se levant subitement.

Jungkook sursauta légèrement, surpris par la tonalité autoritaire, tandis que Namjoon affichait une expression méfiante sur son visage.

« Pourquoi ?


— On doit parler. »



À suivre...



La suite, tout de suite !


⚠️ NDA importante :

J'ai un peu triché avec les époques ! 

Les termes « déréalisation », « dépersonnalisation » et « dissociation » n'existaient évidemment pas à l'époque Joseon. Je peux les mettre dans la narration, mais (normalement) pas dans les prises de parole

Je les utilise ici (et c'est un choix totalement assumé) comme une facilité scénaristique qui me permet de décrire plus facilement ces phénomènes complexes et te le faire comprendre, parce que j'ai essayé sans les termes modernes, et c'est vraiiiiiiment pas évident...

Les sensations, comme se sentir détaché du monde ou de soi-même, existaient sûrement déjà, même s'ils n'avaient pas encore de mots pour les nommer

Voilà, petit anachronisme ! 


𝑾𝒊𝒕𝒉 𝑳𝒐𝒗𝒆, 𝑫𝒂𝒓𝒌 𝑬𝒚𝒆𝒍𝒆𝒕 🖤

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top