𝐗𝐗𝐈𝐗 | 𝐃𝐞́𝐣𝐚̀-𝐯𝐮

DOUBLE UPDATE, lis le chapitre 28 avant !

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Enjoy ♡











On ne comprend qu'après la chute,
quand le sol brise nos ailes.

On ne comprend qu'après l'épreuve,
quand l'âme garde les marques de ses batailles.

On ne comprend qu'après la perte,
quand le vide creuse un gouffre dans nos cœurs.


C'est dans la douleur que naît la clarté.

Dans la perte que s'ouvre la vérité.

Et dans la brisure que l'âme s'éveille.


Dark Eyelet



(😇)











Soudain, on toqua à la porte.

Déconcertés par l'irruption soudaine, ils sursautèrent, stoppant leur baiser, et se figèrent, le souffle coupé. Ils échangèrent un regard alarmé, leurs cœurs battants.

La porte s'ouvrit brusquement, révélant Taehyung, rayonnant, un grand sourire aux lèvres.

« Bonjour, les am... ! », lança-t-il gaiement.

Il s'interrompit net, sa voix mourant dans un hoquet.

Le sourire disparut aussitôt, remplacé par une expression d'horreur comique. Taehyung pâlit, battit des paupières et porta une main à sa bouche. Namjoon et Jungkook soupirèrent de soulagement, mais la panique s'empara aussitôt de Taehyung, atterré de les voir soulagés.

« Tu ne pouvais pas attendre que je te dise d'entr... grommela Jungkook, embarrassé.

— On s'en fout, ce n'est pas le moment ! Séparez-vous, ils arrivent ! Vite ! », chuchota-t-il précipitamment, en l'interrompant, ses grands gestes désordonnés.

La panique de Taehyung les saisit à leur tour, décuplant leur agitation.

Vif et précautionneux, Namjoon s'empressa d'aider Jungkook à retrouver une posture convenable. Leurs regards se croisèrent brièvement. Malgré eux, l'amusement les gagna. Ils se sourirent, complices dans leur empressement à remettre en ordre cheveux et vêtements de l'autre, effaçant toute trace du baiser qu'ils venaient d'échanger.

Audacieux, Jungkook balaya les environs d'un coup d'œil furtif, puis picora les lèvres de Namjoon dans un baiser volatile. Surpris, Namjoon porta une main à sa bouche en pouffant, se retenant de lui rendre sa douceur.

Leurs regards s'accrochèrent, malicieux, effrontés.

« Vous êtes sérieux ? ! s'exclama Taehyung, amusé malgré lui. Dépêchez ! », s'affola-t-il en agitant ses mains, après avoir jeté un coup d'œil dans le corridor.

Essoufflés, et à peine avaient-ils adopté une posture qu'ils espéraient convenable, que l'ombre majestueuse de Seungmin se dessina dans l'encadrement de la porte.

La gorge de Jungkook se noua, son cœur tambourinait. Namjoon exhala un discret soupir pour retrouver son calme. Tous deux tournèrent leurs regards vers Taehyung, qui acquiesça d'un léger mouvement de tête assuré, les rassérénant.

Le général apparut derrière Taehyung, la main liée à celle de son épouse, qui tenait contre son flanc un petit coffre ivoire, tous deux resplendissaient dans leurs somptueux atours.

La porte se referma dans un murmure, tandis que Seungmin se retournait, arborant le même sourire rayonnant que son fils, plus tôt.

« Bonj... »

Étonnés, son épouse et lui s'immobilisèrent après un pas, frappés par les regards stupéfaits de Namjoon et Jungkook. Le souffle court, les joues teintées de rose, ils semblaient pétrifiés.

Comme un, les époux se regardèrent, puis leurs yeux glissèrent alors vers leur fils, qui n'était pas plus à son avantage, figé comme un faon pris au piège.

« Bah ! Quoi... ? s'enquit Seungmin, confus.

— Rien..., marmonna Taehyung, le cœur battant.

— Tu ne les as pas prévenus ? s'enquit Yeseo, perplexe.

— Si maman, marmonna Taehyung en détournant le regard. Venez, installez-vous. »

Les sourcils froncés par la confusion, les époux suivirent Taehyung du regard, alors qu'il s'installait près de Jungkook, saluant chaleureusement ses amis.

Les époux plissèrent les yeux. Ils connaissaient parfaitement leur fils. Malgré son large sourire et sa mine rayonnante, il était indéniablement nerveux.

Plus impliqué, Seungmin posa son regard insistant sur Namjoon et Jungkook, s'attardant sur eux. Ses yeux perçants habitués à lire au-delà des apparences perçurent leur malaise. Ils dissimulaient quelque chose. Il salua néanmoins leur maîtrise émotionnelle ; leur façade était parfaite.

Face à un regard néophyte dans l'art du langage corporel, rien n'aurait semblé troubler leur sérénité, mais Seungmin les déchiffra aisément. Une mâchoire légèrement crispée, des doigts qui s'attardent un peu trop longtemps sur le tissu d'une manche, une respiration subtilement retenue...

Autant d'indices infimes, mais criants, qu'ils s'efforçaient de masquer.

Une ombre traversa fugacement son regard, avant qu'il n'adopte une expression faussement abattue, lorsque les trois jeunes les regardèrent avec une légère de tension.

« Bon, qu'est-ce qu'il y a ! Vous avez vu un fantôme ? Je fais peur ? C'est mon visage balafré, c'est ça ? Faites au moins semblant de rien ! », lança Seungmin, avançant avec une mine faussement boudeuse, son épouse amusée sur les talons.

Taehyung lâcha un petit rire nerveux en se massant le visage. Sa mère asséna une tape légère sur l'épaule de son époux.

« Cesse donc tes enfantillages, Seungmin, dit Yeseo, sa voix douce vibrant d'un rire contenu.

— Mais tu as vu comment ils m'ont regardé ? Est-ce que je fais peur, ma fleur... ? », sanglota-t-il, faussement atteint.

Yeseo soupira en rosissant, puis le bouscula légèrement, s'approchant à son tour du lit d'une démarche gracieuse.

Namjoon se leva pour s'incliner avec respect devant elle, avant d'en faire de même dans la direction de Seungmin. Jungkook esquissa un mouvement pour l'imiter, mais fut retenu par Taehyung qui le retint d'une main sur son épaule.

« Ça va, Jungkookie, ne te lève pas. Ils ne vont pas mourir si une personne sur les deux mille qu'ils ont croisées aujourd'hui ne s'incline pas face à ces gens qui se pavanent comme s'ils étaient des princes », lâcha Taehyung avec un sourire en coin.

Deux hoquets outrés s'élevèrent simultanément, avant que deux voix se chevauchent.

« Je ne te permets pas ! s'indigna Yeseo, une étincelle d'amusement dans ses yeux.

— Ah si, si ! », grogna Seungmin d'un ton faussement dramatique.

Les yeux de Jungkook passaient de l'un à l'autre, perdu entre rire et stupeur. Namjoon sourit, heureux de se retrouver au cœur l'effervescence de cette famille aussi chaotique qu'attachante.

Las, Taehyung exhala un long soupir, ses doigts froissant doucement ses paupières.

Yeseo finit par éclater d'un rire cristallin, tandis qu'un rictus amusé adoucissait les traits de Seungmin qui s'installa aux côtés de son fils, un bras posé sur son genou plié contre son torse, dans une posture détendue. S'agenouillant près de Namjoon qui déplaça le plateau, elle se tourna son visage vers lui et posa une main douce sur ses cheveux, les caressant avec une tendresse maternelle.

Namjoon esquissa un sourire qui fit battre le cœur de Jungkook plus fort.

Ce sourire portait l'innocence d'un jeune homme s'abandonnant à l'attention bienveillante d'un adulte. Aux yeux de Jungkook, il n'était plus cet érudit si sûr de lui, mais un garçon, un « enfant » en quête de chaleur auprès d'une figure presque parentale.

Quelque part au fond de l'âme, l'enfant que nous étions ne disparaît jamais. Il observait, il guettait, et parfois, il revenait. Il surgissait là où l'amour lui manqua, là où la liberté lui fut volée. Là où les chaînes avaient arraché ses ailes. Il brisait la surface, éclatait dans un cri. Et soudain, l'adulte vacillait. Une chaleur enveloppait le cœur. Une lumière s'éveillait. Ce frisson, cette joie : c'était retomber en enfance.

Ce fut ce garçon-là que Jungkook venait de rencontrer. Il découvrit une facette insoupçonnée de Namjoon, belle dans sa vulnérabilité. Sans comprendre pourquoi, il le reconnaissait. Cette douceur troublante du déjà-vu. Ce frisson qu'il ne put nommer.

Jungkook se sentait désarmé.

Namjoon rayonnait.

Il avait l'air si serein, parmi eux. À sa place. Comme s'il avait déposé les armes. Comme si, parmi cette famille, il pouvait s'autoriser à fissurer l'armure. Ouvrir une brèche, offrir une part de lui. C'était vital.

Et face à cette sensibilité que Namjoon laissait éclore sans retenue, le cœur de Jungkook se mit à battre différemment. Plus fort. Plus vrai. Des battements ayant un poids, une signification qui l'écrasait et l'élevait à la fois.

Encore une fois, il succombait. Fatalement.

« Bonjour, mon grand. Comment tu vas ? »

Jungkook resta interdit, décontenancé par la douceur du ton et la familiarité du geste de Yeseo.

« Bien mieux qu'hier, répondit Namjoon, un sourire paisible.

— Tu as réussi à dormir un peu ? »

Namjoon n'en fut guère étonné. Il devinait sans peine que Taehyung avait soufflé cette confidence.

« Oui. Je me suis réveillé en début d'après-midi.

— Pourtant, tu sembles épuisé... murmura-t-elle, sa main glissant vers sa joue.

— Je vous assure, je me sens reposé. Ne vous tourmentez pas pour moi, Yeseo-ssi. »

Elle acquiesça, rassurée bien qu'une lueur d'inquiétude persistât encore dans son regard.

Puis son attention se posa sur Jungkook, qui referma brusquement la bouche, gêné de l'expression d'étonnement qu'il avait arboré sans s'en rendre compte en la regardant.

Elle s'inclina avec grâce.

« Jungkook, quel plaisir de te savoir enfin réveillé, tu as l'air en pleine forme », dit-elle, un sourire chaleureux illuminant ses traits.

Pris au dépourvu, Jungkook manqua de s'étouffer avec sa propre salive avant de s'incliner maladroitement autant que son corps le lui permettait.

« M... merci », balbutia-t-il, mal à l'aise.

Taehyung pouffa et lui ébouriffa avec affection les cheveux, sous le regard amusé de ses parents, et celui rieur de Namjoon.

« Détends-toi, ça vaaaa... Ce n'est que ma mère. »

Jungkook lui pinça discrètement le flanc, arrachant à Taehyung un petit glapissement surpris qui fit se tourner les regards curieux de l'assemblée — tous, sauf celui de Jungkook, imperturbable.

« Qu'est-ce que tu as à te tortiller comme ça ? demanda Seungmin, un sourcil levé.

— Il m'a pincé, bougonna Taehyung en frottant son flanc.

— Bien fait », rétorqua Seungmin avec flegme, peu ému par ses jérémiades.

Outré, Taehyung ouvrit la bouche pour répliquer, mais se ravisa aussitôt, se contentant de grommeler. Jungkook luttait contre un rire qui menaçait de briser sa contenance. Yeseo et Namjoon ne résistèrent pas et s'esclaffèrent sobrement, se récoltant le regard faussement noir de Taehyung.

Jungkook abaissa doucement les yeux, un léger sourire flottant sur ses lèvres. Un instant, il se laissa emporter par ses pensées, légèrement déconnecté. Il se perdit, bercé par le flux paisible des conversations qui reprenaient autour de lui.

Puis, son regard se fixa sur un détail, puis sur un autre. Son expression changea. Ses sourcils se froncèrent, et, dans un mouvement brusque, il redressa le dos, un hoquet de stupeur lui échappant brusquement.

Les conversations se turent sous l'effet de la surprise. Tous les yeux étaient rivés sur lui. Namjoon le fixait, prêt à agir, l'âme en panique.

« Je suis désolé, vous êtes assis par terre... Je n'ai pas de coussins, s'excusa Jungkook, légèrement paniqué, fixant tour à tour les époux. Je ne pensais pas un jour accueillir des... voilà. »

Silence, pendant lequel il s'éclaircit la voix, gêné.

Namjoon poussa un profond soupir rassuré, brisé par le rire clair de Taehyung, qui se récolta aussitôt le regard scandalisé de Jungkook.

« Tu... hé ! protesta-t-il, bougon.

— Tellement mignon », ricana Taehyung en lui ébouriffant les cheveux.

Jungkook grogna et chassa sa main, gêné.

« Ce n'est rien ! rit doucement Yeseo, totalement sous le charme.

— Mais...

— Jungkook, voyons. Nous ne sommes ici que comme les parents de Tae. Rien de plus. Oublie nos positions sociales.

— Facile à dire, ça, maman. Vous venez habillés comme si vous all...

Shhh », fit-elle, sèchement.

Taehyung roula des yeux, dépité, tandis que Seungmin et Namjoon échangeaient un regard amusé.

Jungkook se tut. Troublé, il réfléchissait, un pli soucieux se dessinant sur son front, s'efforçant tout de même à trouver une solution.

Namjoon l'observait, partagé entre amour, amusement, et légère irritation, le maudissant intérieurement d'avoir fait bondir son cœur d'effroi pour si peu. Il posa une main apaisante sur son épaule, y exerçant une douce pression réconfortante.

« Je vous suggère de vous approcher comme Taehyung et moi, les genoux au bord de son yo ; sans ça, il ne sera pas serein », lança Namjoon, amusé.

Jungkook tourna vers lui un regard vif, enchanté par cette proposition qu'il jugea judicieuse. D'un hochement de tête vif, il leur fit signe de suivre les paroles de Namjoon.

« Je vous en prie », murmura-t-il.

Les époux échangèrent un regard mystérieux que nul ne sut déchiffrer, pas même Taehyung. Puis, humbles, ils s'exécutèrent, émus et amusés par l'initiative.

Satisfait, Jungkook hocha la tête dans un soupir libérateur, ses épaules s'affaissant, délestées de tout poids. Envoûté, Namjoon le couvait du regard, jusqu'à ce que Taehyung, d'un regard appuyé, l'arrache à ses rêveries.

Son expression semblait murmurer « Reprends-toi, tu es bien trop évident. »

Namjoon se reprit. Le cœur battant sous la pression, il le remercia d'un léger signe de tête, auquel Taehyung répondit par un roulement exaspéré des yeux, lui arrachant un sourcil levé, auquel Taehyung répondit par des yeux ronds...

Et une joute silencieuse débuta ; sourcils qui dansaient, lèvres qui frémissaient, regards qui s'aiguisaient. Duel cocasse qui finit par attirer l'attention de Yeseo.

« Qu'est-ce que vous faites ? », pouffa-t-elle, ses yeux naviguant de l'un à l'autre.

Quant à Seungmin, il n'avait pas quitté Jungkook des yeux, captivé par son apparence, troublé par sa fragilité. Il s'inquiétait de sa convalescence, de sa légère pâleur, d'anxiété qui luisait dans son regard.

Pourtant, il trouvait un apaisement en découvrant chez lui une politesse et une humilité qui démentaient les rumeurs circulant dans les couloirs de l'école. Des rumeurs qui l'avaient à la fois alarmé et agacé.

Irrespectueux, réfractaire, scabreux, voyou. Il n'a pas sa place, ici. Pauvre.

Autant de qualificatifs qui ne semblaient en rien convenir à Jungkook. Du moins, à en juger par son attitude et son apparence soignée.

Seungmin dissimulait un cœur en tumulte derrière une carapace neutre. Il était nerveux, joyeux, troublé, mélancolique.

Les yeux de Jungkook s'accrochèrent à son regard, comme attirés par son appel. Grands, ronds, emplis de curiosité et de retenue, si semblables à ceux de sa mère. Le cœur en émoi, Seungmin esquissa un petit sourire, aussitôt effacé lorsque Jungkook détourna les yeux, trop intimidé.

Une douleur étreignit son cœur.

Seungmin brûlait d'envie de lui parler, sans doute pas l'enlacer immédiatement, bien que l'envie l'enflammât, mais il n'osait pas lui adresser les mots qui se disputaient au bord de ses lèvres.

Il avait tant de choses à dire.

Il ne savait plus comment franchir cette distance entre eux, ni de quelle manière il pourrait l'approcher.

Ce fut nettement plus facile avec Namjoon, qui avait pourtant été un enfant très renfermé et presque mutique, par le passé.

Était-ce parce qu'il faisait face à un jeune homme dans la vingtaine, et non plus à l'enfant qu'il avait — malheureusement — brièvement connu ?

Taehyung remarqua le mutisme inhabituel de son père. Il le regarda, attentif, percevant l'éclat perdu de ses yeux. D'un léger signe de tête, il l'encouragea, un petit sourire rassurant.

Touché par cet élan de soutien, Seungmin lui rendit son sourire avec tendresse, malgré son cœur serré par l'anxiété. Un flot d'amour emplit son cœur pour son enfant qui le comprenait si bien.

Taehyung passa un bras autour de son cou, pressant brièvement son étreinte. Et Seungmin sentit une force nouvelle l'habiter, un courage lui donnant l'élan qu'il attendait pour agir.

Puis, après un dernier regard, ils tournèrent de nouveau leur attention vers les trois autres.

Seungmin réprima un rire en observant Jungkook captivé par Yeseo, qui contait une anecdote à un Namjoon amusé. Cette scène lui réchauffa le cœur, une sensation de déjà-vu agitant son âme.

Exactement comme avant... Il y a des choses qui ne changent pas.

Fort de la présence rassurante de son fils, Seungmin attendit patiemment que son épouse finisse, puis s'arma de courage, et s'imposa.

« Bien, dit-il, le ton doux. Jungkook, on t'a apporté quelques cadeaux de la cour. Toi aussi, Namjoon. »

Ils restèrent tous immobiles. Namjoon et Jungkook échangèrent un regard curieux, puis battirent des paupières.

Mais Seungmin regardait Taehyung, et Taehyung fixait Seungmin avec insistance.

« Bah, vas-y, papa, lança Taehyung en haussant les sourcils, son bras toujours autour de son cou.

— Comment ça, "vas-y" ? C'est toi qui devais l'apporter, répondit-il, décontenancé.

— Mais non ! Hier, on avait convenu que c'est toi, râla Taehyung, déjà las.

— Oui, mais ensuite, j'ai dit que... »

Un bruit sec rompit leur querelle.

Yeseo venait de poser brusquement un petit coffre près de la jambe de Jungkook, attirant sur elle tous les regards. Hébétés, Seungmin et Taehyung se turent aussitôt, leurs yeux ronds fixés sur l'objet, tandis qu'elle les toisait avec un air exaspéré.

« Imbéciles sans mémoire, soupira-t-elle. Heureusement que je suis là pour rattraper vos bêtises. »

Namjoon éclata d'un rire ténu, mais si communicatif qu'il arracha un esclaffement discret à Jungkook.

« Vous l'ouvrirez après, une fois seuls, ajouta Yeseo avec un petit sourire satisfait. Vos prénoms ont été brodés sur la soie qui enveloppe vos présents. Donc, pas de risque de confusion. »

Seungmin s'éclaircit la voix, ses joues légèrement teintées de rose, tandis que Taehyung soupirait.

« Merci, ma douce, dit Seungmin.

— Tu m'épuises », soupira-t-elle d'un ton las, mais taquin.

Seungmin réprima un rire, mais les trois plus jeunes ne purent s'empêcher de pouffer discrètement.

« Comment tu te sens, Jungkook ? demanda finalement Seungmin, toujours soutenu par son fils. Tu récupères bien ?

— Hein ? Eh b... bien, ça va, oui », répondit maladroitement Jungkook, les joues rosissant.

Seungmin émit un petit rire, qui arracha des sourires à l'assemblée, sauf Jungkook, qui détourna les yeux.

Ce fut Namjoon qui dévoila quelques détails de la convalescence de Jungkook. Il raconta comment il retrouvait peu à peu ses forces. Attentif, le couple écoutait.

Jungkook leur jetait de furtifs coups d'œil. Leur inquiétude puis leur soulagement visible le heurtèrent en plein cœur. Cette lueur bienveillante l'ébranla, mais il ne put s'empêcher de s'y accrocher, ému.

La tête baissée, il triturait nerveusement un pan du hanbok de Taehyung qu'il portait.

« Hé, mais c'est mon hanbok, ça, non ? », s'exclama soudain Taehyung.

Ses yeux écarquillés allèrent de Namjoon à Jungkook, ce dernier ayant vivement sursauté à son éclat de voix soudain.

« Celui-là aussi ! », s'écria-t-il en ayant fixé celui de Namjoon avec la même intensité.

Namjoon et Jungkook échangèrent un regard lourd de sens avant de poser leurs yeux incrédules sur Taehyung, comme s'il venait de perdre la moitié de ses facultés mentales.

« Mais enfin Tae hyung, soupira Jungkook, un rire vibrant dans sa voix.

— On n'allait tout de même pas sortir nus de ta salle de bains. Puis, tu me dis de me servir dans ta penderie », répliqua Namjoon, un brin sarcastique.

Taehyung ricana.

« Vous faire marcher, c'est un plaisir », railla-t-il, espiègle.

Il se récolta deux regards blasés, bien qu'un léger sourire amusé étirât les lèvres de Jungkook.

« Et pourquoi pas, après tout ? Ce serait mémorable : le voyou et l'élève modèle de Sungkyunkwan dans le plus simple appareil », lança-t-il, un sourire goguenard.

Bien qu'amusés par l'image cocasse, Seungmin et Yeseo froncèrent les sourcils. Jungkook pouffa, vite rejoint par Taehyung, tandis que Yeseo lança un coussin vers le visage de son fils qu'il réceptionna aussitôt.

« Ne répète pas ce que disent les rumeurs, mon fils. Que je ne t'entende plus prononcer le mot voyou, siffla Yeseo.

— Tu m'ôtes les mots de la bouche, Seo », dit Seungmin, le timbre caverneux, fixant son fils d'un regard réprobateur.

Taquin et imperturbable, Taehyung se contenta de ricaner, arrachant un soupir désespéré à sa mère, tandis que son père le foudroyait du regard.

Seul Namjoon remarqua l'étonnement qui se peignit sur le visage de Jungkook. Les yeux perdus dans le vide, ce dernier ressentait une douce chaleur dans son cœur, touché par ces inconnus qui prenaient sa défense.

Lui-même n'avait jamais aimé ce mot. Voyou. C'était la première fois qu'on s'opposait ainsi à sobriquet qui l'avait longtemps heurté, meurtri qu'il avait fini par s'y résigner, allant même jusqu'à l'endosser.

Même Namjoon l'avait un jour appelé ainsi.

Il sourit tristement.

« Tu as de la chance que tes parents soient là, intervint Namjoon, l'air faussement sombre.

— Je sais, je suis sauvé, pour cette fois, gloussa Taehyung.

— Je te le confirme. Même convalescent, je t'aurais tordu le bras, espèce de voyeur », réagit Jungkook, espiègle.

Le sourire de Taehyung s'effaça instantanément. Il pâlit à vue d'œil. Son bras glissait maladroitement des épaules de son père, comme s'il cherchait à se dérober.

Satisfait, Namjoon échangea un regard complice avec Jungkook qui, les bras croisés, toisait Taehyung avec un sourire narquois, savourant pleinement sa petite vengeance.

Intrigués, les époux échangèrent un regard. Une étincelle d'amusement traversa leurs yeux, impatients de comprendre la cause d'une accusation si singulière.

Seungmin posa un regard curieux sur Jungkook.

« Voyeur ? Qu'a-t-il encore fait, ce vaurien ? »

Jungkook pointa un doigt accusateur vers Taehyung, prêt à le dénoncer avec toute la ferveur de l'indignation encore vive en lui.

« Il m'a rel... »

Il n'eut guère le temps de terminer sa phrase ; Taehyung bondit et plaqua une main sur la bouche de Jungkook avec une force désespérée.

« Rien du tout ! rugit-il, paniqué. Toi, là. Pas un mot, ou je t'arrache les cils un à un », acheva-t-il, le timbre sombre et bas.

Namjoon, qui s'était retenu de hurler sur Taehyung face à son geste brusque, porta une main à ses lèvres pour dissimuler son expression irritée. Il inspira profondément pour conserver un semblant de contenance.

L'étincelle malicieuse dans le regard de Jungkook s'intensifia. Il mordit la paume de sa main, lui arrachant un cri de protestation, le contraignant à retirer précipitamment sa main.

« De quoi tu as peur, Taehyungie hyungie hyuuung ? », minauda Jungkook d'un ton moqueur.

Il allongea volontairement le surnom pour en accentuer le ridicule, tandis que les parents échangèrent un regard et pouffèrent face au sobriquet enfantin. Même Namjoon ne put réprimer son rictus railleur.

« Je ne vois pas de quoi tu parles », rétorqua Taehyung en redressant le menton.

Tentative désespérée de regagner un semblant de dignité.

« Pas de soucis, je vais te rafraîchir la mémoire, insista Jungkook avec un sourire provocateur. Je trouve que tu détournes un peu trop les yeux chaque fois que je suis torse nu. Et ce... depuis ce fameux jour... »

Il mentait. Enfin, presque.

Taehyung rougit vivement, balbutiant des protestations inaudibles.

« C'est... c'est faux ! Arrête de débiter ces idioties devant mes parents ! »

Amusé, Namjoon se para de sa meilleure expression innocente, posant un doigt sur ses lèvres comme pour réfléchir.

« Il est vrai que tu avais l'air... très concentré, ce jour-là.

— Namjoon ! », s'exclama Taehyung, outré.

Ses oreilles semblaient sur le point de prendre feu.

Jungkook jubilait.

« Concentré ? renchérit-il. Il bavait, oui ! J'ai failli me réveiller rien qu'en sentant la lourdeur de son regard ! »

Des rires s'élevèrent. C'en fut trop.

Taehyung explosa, les bras agités dans tous les sens, sa voix s'élevant d'un ton à chaque phrase.

« Ça suffit, tous les deux ! Je n'ai rien fait de mal, d'accord ? ! Et toi, Jungkook, je t'interdis de... de dire quoi que ce soit de plus ! »

Hilare, Seungmin posa une main ferme, mais douce sur l'épaule de son fils.

« D'accord, mon garçon, du calme, dit-il en ricanant, lui massant doucement la nuque. Il n'y a aucune honte à ça. C'est même attendrissant, on dirait presque un petit renard curieux, non ? »

Seungmin haussa les sourcils avec amusement, adressant un regard espiègle à Jungkook et Namjoon, leur arrachant un rire.

« Papa, tu ne m'aides pas là, grogna-t-il.

— C'est vrai que je ne comprends pas ce qui a pu tant te bouleverser, Tae ! s'exclama innocemment sa mère. Pourquoi autant d'affolement ? Ce n'est pas comme si c'était grave. »

Piqué et doublement paniqué, Taehyung s'éclaircit la voix, échangea un regard furtif avec son père, cherchant du soutien. Mais Seungmin, les bras croisés, se contentait de l'observer avec amusement.

« Ce n'est rien, maman, leur passe-temps favori est de m'enquiquiner jusqu'à me faire sortir de mes gonds, grommela-t-il, serrant les dents.

— Dit-il avec un culot déconcertant », railla Namjoon, sarcastique, arrachant un souffle moqueur à Jungkook.

Une paupière tressautant nerveusement, Taehyung croisa les bras avec raideur, foudroyant Namjoon et Jungkook du regard.

Bien décidé à ne pas se laisser impressionner, ce dernier lui rendit son œillade avec la même intensité.

« Ne me regarde pas comme ça, je suis ton hyung, siffla Taehyung d'un ton sec.

— Peut-être, mais les hyungs ne reluquent pas leurs dongsaengs* à leur insu quand ils sont... »

Avant qu'il ne puisse achever sa phrase, Taehyung plaqua à nouveau une main sur sa bouche, cette fois avec un éclat de pure rage dans les yeux.

« JEON JUNGKOOK, MERDE ! »

Namjoon éclata d'un rire si fort qu'il dut se courber, entraînant Jungkook dans un fou rire contagieux jusqu'aux larmes.

Amusée, Yeseo rit discrètement, une main devant sa bouche. Elle détourna le regard vers son époux et le surprit à contempler le trio avec une expression douce-amère.

Dans ses yeux, elle lut bien sûr de l'amusement pur. Mais plus profondément, elle perçut une nostalgie tendre et triste, accentuée par un sourire mélancolique.

Son cœur se serra, et elle choisit de détourner son attention.

« Une question me taraude, les garçons », intervint Yeseo.

Les rires des amants secrets s'éteignirent peu à peu, laissant place à une respiration encore saccadée, mais plus apaisée, bien que quelques toux secouaient Jungkook, qui se grattait inconsciemment la gorge.

Un seul regard échangé entre Taehyung et Namjoon, et Jungkook se fit servir un verre d'eau. Il but, remerciant Taehyung d'un regard, ce dernier lui rendant une moue renfrognée, bien qu'intérieurement soucieux de son état.

« Oui ? l'encouragea Namjoon.

— Pourquoi étiez-vous donc dans la salle de bains de Tae ? », s'enquit-elle avec innocence.

Jungkook but gorgée après gorgée, un léger sourire surpris effleurant ses lèvres, notant avec amusement que Yeseo arborait la même expression candide que Taehyung. Même si, en toute logique, ce doit être l'inverse : après tout, elle était sa mère.

Le regard de Seungmin croisa brièvement celui de Taehyung qui se crispa avant de se gratter la joue, un petit ricanement nerveux lui échappant.

« Pourquoi une telle curiosité, ma douce ? intervint Seungmin, touché par la légère détresse de son fils.

— Je pose simplement une question », répondit-elle en battant des cils avec une candeur sincère, confuse.

Jungkook ne détachait plus son regard d'elle. Elle était si adorable, si belle, si noble et élégante. Et drôle, aussi. Tout ce qu'il aimait chez une femme. Pourtant, c'était bien plus que cela : quelque chose en elle le fascinait, au point qu'il sentait déjà naître — ou renaître ? — une affection profonde.

Une résonance inexplicable émanait d'elle, comme une sensation oubliée qu'il reconnaissait malgré lui. Une impression de déjà-vu troublante.

Était-ce son sourire ? Sa manière d'incliner la tête quand elle posait une question ou qu'elle était confuse ?

Elle lui rappelait vaguement Sunhi, dans toute son essence.

Ce sentiment le heurta. Il secoua la tête, chassant cette pensée étrange, et chercha instinctivement refuge dans une autre image.

Son regard glissa vers le profil de Namjoon.

Une bouffée de soulagement effaça l'agitation de son cœur en tumulte. Il émanait de Namjoon cette alchimie rare de sérénité et prestance, de beauté et de charme. De grandeur et de noblesse. Un tableau d'une splendeur à couper le souffle.

À ses yeux, Namjoon était majestueux.

Magnétique.

Son âme était captive de son aura charismatique.

Tout en lui — son essence, tout ce qu'il était, toutes ses souffrances, ses combats, ses peurs, ses aspirations... Tout ce qu'il découvrait sur lui le rendait attirant.

Plus que n'importe quelle fille qui l'avait un jour ensorcelé.

Namjoon seul faisait battre son cœur, embrasait son âme, faisait frissonner son corps. Il lui révélait un monde sous un prisme nouveau, fascinant.

Namjoon, Namjoon, Namjoon.

Il pourrait parler de lui des jours durant, le contempler des mois entiers. Ç'aurait été infini.

Il sourit doucement en le voyant amusé. La lumière du soleil adoucissait son profil, rehaussant l'éclat de ses yeux pétillants, ce sourire discret et cette fossette qui dessinait cette asymétrie qu'il chérissait.

Là, tout en lui transcendait ses attentes, dépassait ses idéaux.

Jungkook sentit son cœur s'apaiser.

Comme ramené à un foyer qu'il n'avait jamais quitté.

« Alors ? relança Yeseo, fixant son fils d'un regard insistant.

Yah ! De quoi je me mêle ! », s'écria Taehyung, sa voix montant dans les aigus, son cœur tambourinant.

Jungkook sursauta et riva son regard vers Taehyung, battant des cils à mesure qu'il se rendait compte de ses pensées précédentes. Un rose délicat teinta ses pommettes.

« Pourquoi tu t'emportes ? Je m'inquiète, c'est tout !

— Ce sont de grands garçons, maman, ils savent se débrouiller !

— Et alors ? Ça m'interdit de poser des questions pour leur venir en aide au besoin ? », répondit-elle d'une voix douce, mais ferme, son regard sérieux fixé sur lui.

Seungmin posa un regard fier et tendre sur son épouse, son amour étincelant dans son regard. Namjoon et Jungkook la regardèrent chaleureusement, touchés, comprenant enfin son intention. Taehyung se tut et baissa les yeux, un soupir résigné lui échappant.

Namjoon choisit ce moment pour intervenir, son timbre rauque et plus posé contrastant avec les éclats de voix précédents.

« J'ai simplement accompagné Jungkook pour l'aider à prendre son pour être tranquilles. Les bains publics n'étaient pas adaptés à son état. Alors Taehyung a eu la gentillesse de nous accueillir. »

Tous les regards convergèrent vers lui. Taehyung réprima un soupir de soulagement, tandis que Jungkook se grattait l'arête du nez, embarrassé.

« Pourquoi ? », demanda Yeseo, inclinant légèrement la tête sur le côté, sa curiosité doublée.

Taehyung et Jungkook échangèrent un regard furtif et paniqué qui n'échappa guère à l'œil vif de Seungmin.

« Il est convalescent », expliqua Namjoon, tranquillement.

Seungmin lâcha un « Logique » légèrement railleur, espérant que son épouse cesse son interrogatoire. Mais elle l'ignora, n'ayant pas dit son dernier mot.

« Oui, c'est justement ce que je voulais dire. Vous saviez qu'il y a des infirmiers pour ça ? », insista-t-elle, pleine d'une sollicitude inquiète.

Seungmin ancra son regard navré dans celui alarmé de Taehyung. Puis, ils tournèrent simultanément leurs regards vers Namjoon, attendant qu'il sauve une fois de plus la mise avec son flegme inné.

« On le sait, mais c'était un peu délicat, et j'étais le seul disponible, puisque j'ai dormi ici pour le surveiller », répondit-il posément.

Étonnés, Taehyung et Jungkook saluèrent silencieusement la manière dont Namjoon exposait la situation avec simplicité, sans l'ombre d'un mensonge. Ses mots étaient clairs et naturels, et ne laissaient place à aucun doute.

Yeseo réfléchit, son doigt tapotant ses lèvres.

« Fort bien, dit-elle en hochant la tête. C'est logique.

— Évidemment, ma douce. Essaie donc de faire tourner cette charmante cervelle plus vite la prochaine fois », la taquina Seungmin, secrètement rassuré.

Il ponctua sa remarque d'un clin d'œil exagéré, la provoquant.

Jungkook et Namjoon échangèrent un sourire, déjà charmés par l'énergie pétillante du couple. Taehyung les fixait d'un air désabusé, bien qu'intérieurement amusé.

Il ne l'avouerait jamais, mais ces petites joutes entre ses parents étaient pour lui une source inépuisable de divertissement — et parfois d'inspiration.

« Tu veux dire comme cette cervelle qui t'a sorti d'embarras la dernière fois que tu as failli te perdre en pleine forêt avec une carte à la main ? », rétorqua-t-elle, mutine.

Seungmin leva un doigt accusateur, mais ses joues rougirent imperceptiblement, attirant sur elles le regard choqué de Jungkook.

« C'était une carte mal dessinée ! protesta-t-il. Et si tu tiens à ressortir de vieilles histoires, ne te fais pas d'illusions. Je te rappelle que je suis le maître de stratégie ici.

— Ah oui ? dit-elle, arquant un sourcil. Le maître de stratégie qui, je cite, "réfléchit mieux quand il s'effondre sur les genoux de son épouse, en chouinant comme un enfant privé de gâteau" ? 

— Oh, mon Dieu, maman... », pouffa Taehyung, tandis que Jungkook arborait une expression ébahie, là où Namjoon se délectait de leurs joutes.

Seungmin écarquilla les yeux, outré.

« Premièrement ! Je ne geins pas, ni ne chouine, s'indigna-t-il. Et deuxièmement... ! » 

Il s'interrompit en cherchant ses mots, pris au dépourvu.

Quelques rires se levèrent devant l'air satisfait de son épouse.

« Bon, arrêtez, là..., marmonna Taehyung, aussi gêné qu'amusé.

— Deuxièmement ? l'encouragea-t-elle en ignorant son fils, savourant sa victoire. Oh, je vois, tu voulais dire que tu ne pleurniches plus parce que je trouve toujours les solutions pour toi ? »

Taehyung soupira profondément sous les regards rieurs de ses amis.

Seungmin passa sa langue contre sa joue en ricanant nerveusement. Puis, il croisa les bras et redressa fièrement son torse.

« Deuxièmement, c'est toujours moi qui mène nos victoires à la maison », déclara-t-il avec une voix grondante.

Taehyung leva les yeux au ciel, tandis que Namjoon riait à gorge déployée et que Jungkook se contentait d'imiter le poisson, sidéré, bien qu'amusé.

« Tu veux dire cette victoire où je te laisse croire que tu as gagné pour que tu ne bougonnes pas toute la soirée, mon tendre idiot ? reprit-elle, le ton suave, les yeux pétillants de défi.

— Ah, ma douce, tes mots sont plus tranchants que l'acier de mon sabre aiguisé, geignit-il, une main sur le cœur. Mais n'oublie pas que c'est ce tendre idiot que tu as choisi d'aimer.

— Arrêteeeeez, geignit Taehyung.

— Ne te méprends pas, répondit-elle en faisant mine d'étudier ses ongles, ignorant toujours son fils qui grommela. C'est moi qui t'ai choisi et laissé croire que tu avais conquis mon cœur. Une femme avisée sait flatter l'égo fragile de son époux. »

Namjoon fut celui qui éclata de rire, s'attirant le regard satisfait de Yeseo et celui plissé de Seungmin, qui leva les mains en signe de reddition face à la mine victorieuse de son épouse.

« Enfin, mon Dieu..., pesta Taehyung, le rouge aux joues.

— Quel rabat joie, celui-là. Tu ne sais pas rire ? », soupira sa mère en le fixant, faussement lasse.

Taehyung ouvrit la bouche sur un silence outré, se récolant les ricanements moqueurs de ses parents.

Jungkook échangea un regard surpris avec Namjoon, étourdi face à cette joute fort cocasse offerte par ces figures de l'élite royale.

Décidément, il les avait mal jugés. Derrière leur aura imposante et leur charme intimidant, ils ressemblaient à... Taehyung.

Il s'esclaffa discrètement. Il était évident qu'un fils aussi bruyant et flamboyant ne pouvait naître que d'une telle famille. Il aimait leur énergie, leur exubérance. Un instant, il se perdit dans une rêverie.

Ils auraient été trois familles réunies, sans être ternies par les drames.

Son regard glissa discrètement vers Namjoon. Une douleur douce-amère étreignit son cœur. Son esprit créa l'image d'une cacophonie joyeuse et de rires sans fin. Son cœur se compressa douloureusement, et sourire se fit mélancolique, chérissant cette vision qui ne sera jamais.

Taehyung lâcha un soupir bruyant.

« Je vous prie de ne pas réitérer votre petite guerre conjugale en la présence de mes amis, merci », lança-t-il en pinçant l'arête de son nez, s'efforçant de dissimuler son amusement.

Seungmin se tourna vers lui, une mine faussement grave.

« Observe et apprends, mon fils. Voilà le secret pour garder une épouse amoureuse toute une vie. »

Yeseo hocha la tête, un sourire doux étirant ses lèvres.

« Oui, en me laissant toujours avoir le dernier mot.

Toujours ? », protesta Seungmin en feignant l'indignation.

Elle haussa élégamment les épaules, se penchant pour lui ajuster le col de son armure avec des gestes doux et aimants, couvée par le regard de son époux.

« Pas toujours. Seulement quand c'est nécessaire pour ton bonheur. »

Il la fixa un instant, un éclat tendre dans les yeux.

« Alors je suis condamné à être heureux toute ma vie. Quelle tragédie », souffla-t-il.

Elle rit, et pour Seungmin, ce fut bien plus qu'un air de paradis. C'était un sortilège doux. Il couvrait les douleurs les plus tenaces de son cœur.

« Vous devriez écrire un manuel pour les couples », lança Namjoon, amusé, bien que secrètement captivé.

Il se demanda s'il parviendrait à préserver sa complicité avec Jungkook, à l'image de l'harmonie parfaite des parents de Taehyung. Peut-être que son désir n'était qu'un doux mirage. Il ferma les yeux un instant, chassant ces pensées ombrageuses, décidé à ne pas ternir cette joie si rare vibrant dans son cœur.

Plus tard. Je me morfondrai plus tard.

Yeseo éclata de rire.

« Oh, mais tu vois, mon enfant, personne n'a besoin de manuel. Parmi tout ce qui fait la beauté d'un couple, il faut à tout prix deux choses plus que les autres... »

Elle fit mine de chercher ses mots, avant de conclure avec un sourire taquin.

« Une parfaite entente, et le même grain de folie. »

Seungmin sourit et soupira, épris. Il se pencha pour déposer un baiser sur le dos de sa main.

« Et moi, j'ai la chance d'avoir une épouse qui incarne si bien cette folie. Le bonheur parfait. »

Taehyung leva les mains au ciel, se tournant vers Namjoon et Jungkook.

« Bon, c'est officiel, je rends mon tablier. Ils auront ma dignité avant même que je n'aie l'occasion de me marier.

— Mais tu as dit que tu ne voulais pas te marier », fit remarquer sa mère, confuse.

Surpris, Jungkook et Namjoon échangèrent un regard, empathiques à la cause de Taehyung, avant de le regarder. Ce dernier lança un bref coup d'œil à son père, hésitant.

« Et comment le pourrais-je, si vous faites fuir la moindre prétendante avec vos extravagances ? Et encore, là, vous êtes presque sages », grognonna-t-il.

Jungkook écarquilla les yeux, peinant à imaginer qu'ils puissent être encore plus exubérants.

Yeseo lança un regard espiègle à son fils.

« Mais non, nous serons là pour te montrer comment vraiment impressionner ton épouse.

— Arrête, maman, bougonna-t-il, gêné.

— Ou pour lui rappeler à quel point elle est chanceuse de t'avoir, renchérit Seungmin, malicieux.

— Papa ! », geignit-il.

Taehyung les fusilla du regard, bien que les coins de ses lèvres frémissent, tandis que Jungkook riait à gorge déployée, et que Namjoon secouait la tête en souriant.

Puis Seungmin se pencha vers l'oreille de son fils, et murmura quelques mots en dissimulant sa bouche.

« Ou chanceux. »

Taehyung rougit et se couvrit aussitôt le visage de ses mains, un geignement embarrassé lui échappant. Tous brûlaient de curiosité à l'idée de ce qui avait pu être dit.

Exaspéré, Taehyung leva les mains au ciel avant de désigner ses parents d'un geste résigné, le visage toujours écarlate.

« Sérieusement, vous ne voudriez pas adopter ces enfants ? Je veux m'en débarrasser avant que mes cheveux ne deviennent blancs ! »

Namjoon émit un souffle amusé, tandis que Jungkook lâchait un petit rire, les yeux pétillants.

Outrés, ses parents le réprimandèrent sur un ton faussement sévère. Les échanges s'enchaînèrent, ponctués de chamailleries exagérées qui tirèrent un sourire à Namjoon. Captivé et diverti, Jungkook suivait chaque intervention contant une anecdote, ses yeux bondissant d'un visage à l'autre.

Il riait abondamment jusqu'à ce qu'un éclat de rire trop vif le fasse tousser fortement, rompant le joyeux tumulte. Le silence s'installa, et tous le dévisagèrent, remarquant alors la fatigue froissant ses traits.

Réactif, Namjoon lui servit un verre d'eau. Il le regarda boire, attentionné, lui caressant doucement le dos.

« Désolée, Jungkook... murmura Yeseo, un peu coupable. Nous t'avons encore plus épuisé. »

Jungkook esquissa un geste de dénégation pour la rassurer, mais un éclat de voix le fit légèrement sursauter.

« Mais c'est vous, aussi ! Vous êtes trop énergiques ! protesta Taehyung.

— Ne hausse pas le ton contre ta mère, le gronda Seungmin d'un ton ferme.

— Je n'ai pas haussé le ton ! Vous êtes ceux qui m'ont demandé de rester discret, et pourtant vous agissez comme si on était à la maison !

— Et regarde qui crie, maintenant », répliqua Seungmin, implacable, retenant un sourire mutin.

Taehyung hoqueta, scandalisé.

« Alors là, c'est le comble. »

Yeseo éclata d'un rire cristallin, sa tête basculant en arrière, et Namjoon et Jungkook échangèrent un regard rieur.

« Ils sont toujours comme ça ? chuchota Jungkook à Namjoon.

— Ils se retiennent, Kook, répondit-il avec un sourire en coin.

— Donc ça pourrait vraiment être pire ? souffla-t-il, incrédule, en se penchant un peu plus.

— Absolument, Jungkook, intervint Yeseo, soupirant avec exagération. Moi-même je n'en peux plus.

— Je comptais dire exactement la même chose, tiens, ajouta Seungmin, railleur.

— Vraiment, votre audace me laisse sans voix, grogna Taehyung, outré.

— Personne ne t'a demandé ton avis, mon petit biscuit d'amour », trancha Yeseo avec un sourire taquin.

Les yeux écarquillés, Jungkook fut le premier à pouffer, à deux doigts de s'étouffer de rire. À l'entente de son surnom embarrassant, Taehyung vira au cramoisi, sa mine ahurie déclenchant un éclat de rire général.

« On a dit pas devant les gens ! chuchota-t-il avec force, scandalisé.

— Ce n'est rien, on est entre nous ! chuchota-t-elle fortement en retour, moqueuse.

— Mais ! Traîtresse ! s'étrangla-t-il, désemparé.

— Taehyung », le réprimanda son père dans un grondement, retenant son rire.

Taehyung lui lança un regard indigné avant de cacher son visage entre ses mains, un ricanement nerveux lui échappant. Il inspira profondément, puis marmonna dans sa barbe.

Namjoon observait cette famille avec gratitude. Il savait que leur animation volontaire visait à calmer l'anxiété de Jungkook.

Il soupçonnait Yoongi d'avoir donné quelques consignes à ce sujet, pour que le cœur de Jungkook ne se serre pas sous des émotions vives.

Quant à Jungkook, il se sentait léger.

Le sourire aux lèvres et les yeux pétillants, il se rendit compte que son anxiété s'était dissipée. Il ne se souvenait même plus de l'avoir ressentie.

La présence de Seungmin ne lui paraissait plus aussi oppressante.

Il était si drôle, si chaleureux. Jungkook aimait son côté joueur, ses airs taquins. Il lui paraissait presque insouciant. Son âme et son cœur contrastaient profondément avec son allure impressionnante.

Sa stature imposante et sa prestance réduisaient au silence quiconque croisait son chemin. Les cicatrices qui striaient son visage, traces d'âpres batailles, inspiraient le respect et la crainte à ceux qui ne voyaient que son statut.

À ceux qui ignoraient l'homme derrière le guerrier.

Pourtant, ces cicatrices s'effaçaient face à ses sourires francs et éclatants. Les mêmes que ceux de Taehyung, presque le même air.

Ici, entre ces quatre murs, il n'était ni général ni ministre.

Il était simplement un époux et un père aimant, aimé, respecté.

L'homme surpassait le titre.

Si son armure ne le ramenait pas à la réalité, Jungkook oublierait presque qu'il accueillait un homme dont l'épée planait sur bien des vies, une figure éminente de la royauté, tant sa voix rauque étonnamment douce emplissait sa chambre d'une chaleur rare et étonnante.

Même les voix de Namjoon et Taehyung étaient plus caverneuses.

Alors, ce contraste frappant entre l'homme public et l'homme intime le fascinait.

Seungmin le fascinait.

Son cœur s'emballa.

Un frisson subtil courut sur sa peau

Un élan doux titilla son ventre.

Une chaleur l'enveloppa comme une douce étreinte.

Il fut surpris par l'élan brûlant tout son être. Par ce désir qui irradiait, sauvage, incontrôlable.

Ce désir de lui ressembler.

C'était brutal. Troublant.

Il se sentit à la fois vulnérable et exalté, pris au piège de ses propres pensées.

Puis, ce fut sa voix, douce et assurée, qui le ramena à la réalité.

« On ne te dérange pas plus longtemps, Jungkook. On voulait simplement vous rendre visite et s'assurer que vous alliez bien, tous les deux », déclara Seungmin avec un petit sourire.

Jungkook ouvrit la bouche sur un silence, prenant conscience de ses précédentes pensées. Il en fut profondément décontenancé.

Et, alors qu'il voyait Seungmin se redresser, suivi de Yeseo, l'évidence s'imposa à lui comme une flèche dans sa poitrine.

Il voulait qu'ils restent.

Il avait besoin qu'ils restent.

S'il vous plaît, restez.

Ce ne fut qu'une prière étouffée dans le chaos de son âme muselée.

Pourtant, il voulait le dire, à cette famille. Ces mots brûlaient sa gorge, faisaient battre son cœur à une allure vive, faisaient frémir ses mains. Le besoin était viscéral.

Mais il manquait de courage. Il ne se sentait pas légitime d'une telle requête.

« V... vous ne... »

Il fut surpris par sa propre gorge nouée, par son timbre chevrotant. Il déglutit, s'éclaircit la voix, sous leurs regards attentifs et inquiets.

« Vous ne dérangez pas. Merci, d'être passés, c'est... c'est aimable... », poursuivit-il, troublé.

Ils avaient merveilleusement gonflé sa jauge de bonheur. Il se sentait empli de joie, léger, comme porté par une douce brise. Il avait chéri ce sentiment d'être inclus dans une famille, accueilli avec générosité. Son cœur était gonflé par l'émotion, habité par une douce mélancolie.

Une douleur persistait, néanmoins. Celle du manque. Du trouble. Il se sentait perdu. Les questions dans son esprit se multipliaient.

Pourtant, rien n'altérait le bonheur qui l'emplissait.

Il avait tant rêvé. Tant imaginé. Des instants pareils, des fragments de bonheur où il serait enfin comblé. Lui, son père, sa mère. Unis. Heureux. Il avait tendu des mains désespérées vers ce désir, et la vie venait de lui offrir un fragment.

Mais les visages étaient différents.

Seungmin, protecteur et chaleureux. Yeseo, une douce lumière. Taehyung, un pilier solide. Et puis Namjoon. Namjoon, dont la présence complétait la beauté de ce tableau, le rendant entier.

C'était un peu ce qu'il avait souhaité.

Car son réel souhait demeurait avec ces personnes issues du passé de ses parents et de ceux de Namjoon.

Mais il se sentait étrangement en famille. Une impression de foyer, un cercle qui l'embrassait.

Et pourtant, une douleur lancinante née de l'absence refusait de se taire, comme un son dont l'écho ne s'éteignait pas.

L'enfant en lui, ce petit garçon qu'il avait été, continuait toujours d'appeler.

Dongwon, Hana.

Ses parents, son tout premier monde.

Ses premières amours.

Ses premières racines.

Ses premiers refuges.

Ses premiers soleils.

Les voix qui l'avaient bercé.

Les bras qui l'avaient porté.

Les cœurs qui l'avaient aimé.

Les rêves qui l'avaient façonné.

Et à présent, leur silence pesait. Celui de sa mère était pénible, mais il portait l'espoir. Elle était encore à portée de mots, à portée de bras. Mais celui de son père...

C'était un gouffre immense, injuste et cruel.

Il déchirait l'âme et n'offrait aucun retour.

Le cœur broyé, la gorge nouée, l'âme en vrac, il s'inclina autant qu'il le put, profondément reconnaissant envers ces personnes, remerciant les forces divines de les avoir placés sur son chemin.

Namjoon l'imita, sous les regards bienveillants des époux.

Taehyung se leva à son tour après avoir ébouriffé les cheveux de Jungkook avant de le prendre délicatement dans ses bras. Il sentit Jungkook s'accrocher à lui. La manière dont son corps trembla si furtivement, et la manière dont ses mains se cramponnaient à son haut le surprit.

Il fronça les sourcils, soucieux.

Quelque chose pesait sur Jungkook. Ce n'était pas qu'un pressentiment, c'était une certitude. Pourtant, il resta silencieux, se contentant de raffermir son étreinte. Il aurait voulu poser mille questions, lui apporter une quelconque aide, l'aider à y voir plus clair, mais ce n'était pas le moment.

En cet instant, il ne pouvait que lui offrir la chaleur dont il avait besoin.

Il sentit la force de l'étreinte de Jungkook céder, jusqu'à disparaître. Ses mains glissèrent, son corps se fit plus léger. Alors, Taehyung recula lentement, ses yeux cherchant les siens. Mais ce dernier détourna le regard, et le cœur de Taehyung se serra.

Il recula un peu plus, ses doigts glissant à regret.

Taehyung se sentit inutile, et cela l'empoisonnait. Il voulait agir, mais le vide le narguait. Cette fureur contre son impuissance grondait en lui, le consumant. Il avait besoin d'aider les gens en détresse qu'il aimait.

Il l'avait toujours fait. Il avait été façonné ainsi, pièce par pièce, contre son gré.

Et la vie l'avait modelé ainsi par nécessité, obstacles et sacrifices. Il n'avait pas appris à aider il avait dû aider. C'était une part indélébile de son essence, un instinct autant qu'un fardeau.

Résigné, il se tourna et croisa le regard de Namjoon. La lueur inquiète qu'il y lut lui confirma ce qu'il redoutait : il n'était pas seul à le voir. Jungkook n'allait pas bien.

Taehyung se releva et laissa ses bras glisser autour de Namjoon. Ce dernier grogna, mais ne le repoussa pas. Cette absence de rejet fut une victoire douce et inattendue, qui illumina le visage de Taehyung. Pour la première fois, il sentit la chaleur de cet ami brisé s'abandonner à son étreinte.

Il grava ce moment dans le creux de son âme.

Taehyung pencha la tête vers son oreille.

« Prends soin de lui, Joon, chuchota-t-il. Je ne sais pas vraiment à quoi c'est dû, mais je crois que notre visite l'a bouleversé. »

Namjoon hocha la tête. Il savait. Il savait que Jungkook avait été pris par ses démons internes, qu'il avait dû calquer ce présent à un passé pénible. Puis, il renifla doucement, faussement exaspéré.

« Tu me prends pour qui ? Évidemment que je le ferai. »

Taehyung se contenta de le serrer un peu plus fort, y mettant toute la tendresse et l'encouragement qu'il pouvait offrir. Que pouvait-il faire d'autre ?

Il ne savait pas quoi faire pour les tirer davantage vers la surface de l'eau.

Il ne savait plus. Pas même Hoseok. Pas même Yoongi.

Yoongi, celui-là même qui, quelques heures plus tôt, lui avait avoué qu'il savait. Et pourtant, il était aussi perdu qu'eux, aussi tourmenté qu'eux pour ces amants qui écrivaient une histoire aussi belle que triste, aussi pure que douloureuse.

Si même Yoongi ne savait plus, alors il n'y avait peut-être plus rien à espérer.

Les tourments de ses amis étaient de vieux abîmes nés de l'enfance. Trop profonds. Trop insondables. Taehyung ne les comprenait pas. Il ne les comprendra jamais.

Parce qu'il avait encore ses parents. Il jouissait toujours de leur amour inconditionnel. Une bénédiction, parfois lourde à porter lorsqu'il se trouvait en la présence de Namjoon et Jungkook.

Un privilège presque indécent.

Parfois, une étrange culpabilité lui compressait le cœur et tordait son ventre lorsqu'il marchait aux côtés de ses parents, en présence de Namjoon, qui avançait avec sérénité, son regard paisible fixé sur un horizon qu'il était le seul à comprendre.

Parfois, il se sentait honteux après avoir évoqué ses parents devant Namjoon et Jungkook. Ses souvenirs heureux qu'il leur contait à voix haute, ses plaintes indignes, ses anecdotes légères qu'il leur partageait, lui laissaient un goût de trahison, après, lorsqu'il se rendait compte de ses propos.

Et pourtant, ils buvaient ses paroles et n'en manquaient pas une syllabe. Leurs sourires flottaient, fins et rêveurs. Leurs silences s'étiraient, lourds de songes. Ils l'écoutaient révérencieusement, comme si ses récits leur rendaient un fragment de ce bonheur à jamais perdu.

Mais il y avait une dissonance. Quelque chose clochait toujours.

Leurs silences le déstabilisaient, l'oppressaient. Trop lisses. Une maîtrise qui lui glaçait le sang. Leurs regards si sereins qu'ils en devenaient irréels lui donnaient envie de détourner les yeux. Leur calme était une ambiguïté qui l'irritait, leurs sourires le piquaient comme une épine qu'on n'arrivait pas à arracher.

Cela lui donnait envie de les secouer, de briser cette façade parfaite.

Il savait pourtant. Sous la surface, il percevait l'abîme. Une douleur enfouie, si dense qu'elle l'effrayait. Il devinait la tourmente sous leur sérénité. Il sentait leur souffrance tapie dans l'ombre.

Il touchait sans jamais atteindre. Il comprenait sans jamais saisir.

Et parfois, il se haïssait pour sa propre chance. Taehyung, avec sa bonté, se méprisait d'être celui qui pouvait encore respirer sans sentir le poids du vide.

Il aurait voulu y plonger, sentir ce qu'ils portaient ne serait-ce qu'un instant, pour leur offrir un répit et une vraie main tendue.

Il était ainsi, Taehyung. Altruiste.

« Je suis désolé. »

Ces mots lui échappèrent dans un chuchotis tremblotant.

Namjoon se raidit. Puis, il sourit tristement, tapotant son dos. Il reconnut le timbre qui trahissait le désarroi de Taehyung, sans en saisir la profondeur.

« Arrête de te tracasser. »

Taehyung frémit dans ses bras, et Namjoon sentit une vague d'inquiétude l'assaillir.

« Qu'est-ce qu'il y a ? »

Taehyung secoua la tête contre son épaule.

« Rien... », murmura-t-il d'un ton bougon, comme un enfant rechignant à dire ce qu'il avait sur le cœur.

Namjoon soupira.

« Bon, lâche-moi maintenant. N'abuse pas sous prétexte que je te laisse m'imprégner de ton odeur insupportable », grommela-t-il, les joues rosies par une gêne mal dissimulée.

Il mentait.

En réalité, le parfum de Taehyung était une ancre.

Une odeur florale qui avait traversé son propre temps. Il l'aurait reconnue entre mille tant elle s'était incrustée dans sa mémoire.

Cette fragrance, il l'avait apprise, chérie, gardée contre son cœur.

Avec celle de Hoseok, elle formait la première couche d'un cocon.

Deux effluves qui l'avaient bercé année après année dans la douleur de ses nuits, de ses cauchemars. Quand tout le consumait et déchirait son souffle, quand la solitude l'écrasait ; ces parfums étaient là.

Elles chassaient le mal, essuyaient les plaies. Alors, la douleur se taisait. Et la solitude, battue, s'enfuyait.

Ils avaient toujours été présents, fidèles au-delà de tout, veillant sur lui alors qu'il ne leur rendait presque rien. Il devrait les remercier chaque jour. Il s'en voulait jusqu'à en perdre le sommeil, parfois. Il les aimait tant à en avoir le souffle coupé.

Inconsciemment, l'étreinte de Namjoon se raffermit.

« Merci. »

Et Taehyung dut cligner des yeux pour retenir ses larmes. Ce chuchotis était une confession qu'il fallait savoir déchiffrer. Il avait parfaitement saisi ce qui se cachait derrière ces deux syllabes. Il connaissait Namjoon jusqu'au plus infime frémissement de son âme.

« Espèce d'idiot. Rappelons que c'est mon odeur insupportable que tu portes, Joonie. Comme ton cher et tendre, d'ailleurs », susurra-t-il contre son oreille.

C'était instinctif. Ne pas en parler. Mettre des mots sur cet instant profondément intime aurait brisé quelque chose. L'essentiel avait été compris, gravé en eux.

Comme avec Hoseok, un palier venait enfin d'être franchi entre Taehyung et Namjoon. Différemment, mais avec une intensité tout aussi bouleversante. Avec Hoseok, il y avait besoin de mots. Avec Taehyung, des gestes.

Namjoon réprima un sourire, le repoussa d'un geste vif et lui pinça le bras.

« Sors d'ici, insolent. »

Taehyung lâcha un petit rire taquin, et la lourdeur se dissipa.

Ils se fixèrent un court instant.

Aucun un mot ne fut prononcé, mais tout fut dit.

Près d'eux, Jungkook les couvait du regard, souriant distraitement. Taehyung le regarda une dernière fois. Il pressa simplement son épaule, puis hocha la tête. Et il vit les yeux de Jungkook s'embuer sans crier gare.

Taehyung en fut heurté.

Il se sentit impuissant, encore.

Il haïssait ce sentiment.

Alors, sans un mot, le cœur serré dans un étau, il se releva et tourna les talons. Il rejoignit ses parents au centre de la pièce, son cœur lourd de silences qu'il ne parvenait pas à briser, son esprit toujours troublé par ses inquiétudes.

Il relâcha un souffle tremblant lorsqu'une grande main se posa doucement sur sa tête et qu'une autre effleura son dos de haut en bas. Il comprit que ses parents savaient.

Ils avaient su avant même qu'il ne parle. Ils avaient deviné le poids écrasant leur fils. Il était leur chair, leur sang. Une parcelle vivante de leur âme, un éclat de lumière qu'ils avaient façonné, chéri, élevé.

Et ce trésor plus précieux que tout portait en lui une douleur qu'ils ne pourraient jamais ignorer.

Leurs regards auraient pu alléger ses peines. Mais il ne les croisa pas.

Il n'avait pas la force de se risquer à d'autres tourments.

« Seungmin », murmura Yeseo, cachant sa bouche de sa main.

Seungmin sortit de ses pensées, ses yeux inquiets alors rivés sur son fils, glissant jusqu'à son épouse.

« Oui, ma douce ? », répondit-il, penchant légèrement la tête, attentif.

Elle chuchota quelques mots, sous les regards intrigués des plus jeunes.

« Ah, mais bien sûr ! », s'écria-t-il, se redressant d'un bond, droit comme un soldat.

Ses yeux se posèrent aussitôt sur Jungkook et Namjoon, figés, curieux.

« Nous sommes principalement venus pour ça, tout de même, soupira-t-elle.

— Qu'est-ce que je ferai sans toi, ma nitescence solaire ? », sourit Seungmin en déposant un baiser sur sa tempe.

Elle roula des yeux, mi-lasse, mi-amusée, marmonnant un « Pourquoi faut-il que je supporte ces deux-là à la mémoire défaillante ? ». Sa remarque provoqua une vague de sourires, même chez les principaux concernés.

« Ce soir, on vous convie à dîner en ville, dit Seungmin, tout sourire. J'ai retardé notre départ de trois jours pour ça. Ma commandante prendra le relais de mes troupes et de mes devoirs pour que je sois pleinement disponible, ce soir. Il faut qu'on parle de... ce qui s'est passé, avant mon départ, à l'aube. Ça vous convient ? »

Namjoon se figea. Il réalisa soudain que sa mère se trouvait encore dans les parages. Il l'avait presque reléguée à l'oubli, tant son esprit était accaparé par l'état fragile de Jungkook.

Ses doigts se crispèrent et il serra les dents.

« J'espère que ma mère saura s'épargner l'indécence de me rendre visite, à moins qu'elle veuille se moquer de moi. »

Sa froideur fut inattendue.

Il oublia de répondre à leur proposition.

Le silence, pesant. Le regard de Seungmin s'assombrit, et son cœur se serra de peine. Un échange muet se passa entre lui et son épouse, leurs yeux luisants de tristesse. Taehyung se crispa légèrement, touché malgré lui. Il crut, à tort, percevoir dans les mots de Namjoon un refus à leur invitation.

« Elle ne viendra pas », souffla Seungmin.

Et Namjoon ne sut dire s'il trouvait dans ces mots un apaisement ou une douleur. Depuis son dernier heurt avec sa mère, depuis son geste qui les avait sauvés des mains mortelles de Shin, il se sentait incertain.

Il n'était plus sûr de rien. Il en venait même à douter de ce qu'il avait vu, de ce qu'il avait cru comprendre. Cela s'effritait. Plus rien ne tenait avec la solidité de la certitude.

Cela devenait peu à peu poussière. Cela se fissurait, grandissait, ébranlait ses défenses, rendant ses remparts prêts à céder. Plus rien ne résistait comme avant, cela tremblait.

La peur. Elle s'accrochait à son ventre, abominable. C'était violent, effrayant, il ne savait plus comment y échapper.

La vérité était là, au bord de sa conscience, elle menaçait de tout renverser, insaisissable, mais terriblement proche. Il n'était pas prêt.

Peut-être n'y survivrait-il pas.

Planté au milieu de la pièce avec Yeseo et Taehyung, Seungmin hésitait, pesait le pour et le contre, fixant la manière dont le corps de Namjoon s'était tendu, la manière dont il foudroyait le sol, perdu dans ses pensées.

Il connaissait assez Namjoon pour savoir qu'il fallait le laisser seul avec ses démons, dans ces instants.

Il revint vers le lit, ses yeux passant tour à tour entre Jungkook à Namjoon. Stoppant sa marche, il inspira profondément. Tous le regardaient attentivement s'accroupir auprès de Jungkook, qui le fixait avec curiosité.

« Jungkook, pardonne mon insistance, mais pourrais-je te parler en tête-à-tête avant mon départ ? J'aimerais partager un moment seul avec toi lorsque tu seras libre. »

Faire ta connaissance. Rattraper le temps perdu. Adoucir la perte de Dongwon, d'une certaine manière, en la partageant avec toi.

Le cœur de Jungkook s'emballa. La panique lui coupa le souffle. Son regard écarquillé fuyait, cherchant nerveusement celui de Namjoon, comme on cherchait un abri. Il s'accrocha à ses yeux. D'un léger signe de tête et d'un fin sourire, Namjoon l'encouragea, même en voguant parmi ses propres démons.

Jungkook déglutit.

Il s'était cru apaisé, face à Seungmin. Il s'était lourdement trompé.

« B... bien sûr, Janggun-nim. Quand... ? », balbutia-t-il en le regardant, la voix légèrement chevrotante.

Seungmin observa les doigts nerveux de Jungkook triturant ses manches, tandis que Namjoon, le regard fixé sur lui, semblait prêt à l'enlacer pour le soustraire aux tourments du monde.

Dans les traits de Namjoon, Seungmin perçut un épuisement soudain qui l'inquiéta. Ses joues un peu creusées et ses cernes sous ses yeux témoignaient un manque de repos accru.

Ce doit être parce qu'il a veillé sur Jungkook...

Seungmin se remémorait de cette nuit-là. Où il avait cru perdre Jungkook avant même d'avoir eu l'occasion de le connaître. Il avait ressenti la même brisure, comme lorsque Dongwon lui avait brusquement arraché. Il s'était revu encaisser le choc de sa mort.

Il avait cru revivre ce moment, à l'instant précis où ses yeux s'étaient posés sur le corps inerte de Jungkook. Il s'était senti mourir avec lui.

Il se remémorait de l'effondrement de Namjoon, de la terreur qui l'avait vidé de toute conscience. Ses cris, ses pleurs, ses suppliques. Il revoyait ses mains tremblantes désespérément accrochées au corps inerte de Jungkook, refusant de lâcher prise, comme si l'abandonner revenait à se condamner lui-même.

Une image persistante et lancinante. Un cauchemar éveillé.

Lui-même avait violemment chancelé. Le teint livide de Jungkook, son souffle éteint, lui avaient glacé l'âme, tordu les entrailles. Mais il avait dû rester debout. Pour Namjoon. Pour ne pas céder à l'effroi qui le consumait.

Même ses paroles les plus douces n'avaient percé la bulle de folie, de terreur, où Namjoon se noyait. Même la force qu'il avait dû exercer pour le séparer de Jungkook avait été vaine. Namjoon résistait, accroché au moindre signe de vie.

Et cette nuit-là, Seungmin avait soupçonné une vérité qui le terrifiait.

Sa gorge se noua.

Il regretta amèrement son absence auprès d'eux. Il s'en voulut de n'avoir pu trouver ni le temps ni les moyens de lui rendre visite durant le long sommeil de Jungkook. Il aurait tant désiré être là pour le soutenir, pour accueillir le réveil de Jungkook avec lui. Mais rien de tout cela ne lui avait été possible jusqu'à présent.

Seungmin soupira discrètement, une lourde mélancolie alourdissant son cœur déjà serré.

Tu brûles les étapes. Reprends-toi, Seung.

« Non, oublie ma proposition. Une autre occasion se présentera », murmura-t-il d'une voix douce, un sourire pâle.

Il fut heurté par le soulagement parfaitement visible dans le regard et les gestes de Jungkook.

Il n'ignorait pas que sa présence mettait Jungkook mal à l'aise, mais il ne parvenait pas à en comprendre pleinement la raison.

Taehyung lui avait pourtant expliqué : Jungkook était simplement impressionné. Et peut-être plus encore, troublé par ce passé qu'ils partageaient, ce passé lié à Dongwon, un passé qui, il y a à peine deux jours, avait ébranlé son âme et bouleversé sa conscience.

Il avait frôlé la mort, pour ce passé.

Taehyung lui avait murmuré avec douceur qu'il fallait être patient, que Jungkook était encore en état de choc. Qu'il lui fallait du temps pour apprivoiser ses traumatismes. Tout ce qui touchait à son père risquait de le refermer davantage, de dresser une barrière autour de lui.

Mais Seungmin avait attendu des années.

Son cœur débordait de ce désir d'apprendre à le connaître, comme il connaissait déjà Namjoon. Il voulait lui faire comprendre qu'avec le temps, il pouvait trouver en lui un protecteur, une forme de figure paternelle, un refuge sûr.

Un oncle.

Ou peu importait la manière dont il choisirait de le considérer.

Mais certainement pas comme le déclencheur de ses traumatismes. Ou la trace d'une peur. De souffrances.

C'était là ce qui pesait sur le cœur de Seungmin.

Il avait cet élan d'amour authentique envers les fils de ses frères de cœur. Ils étaient une part essentielle à son équilibre.

Peut-être trouvait-il un certain réconfort dans leur présence. Ils comblaient un vide béant, celui laissé par leurs pères.

Et pourtant, cet amour ne naissait pas d'une simple quête de réparation. Il était pur. Il voulait veiller sur eux, les protéger comme deux trésors confiés à ses mains. Ils étaient des trésors que Taejoon et Dongwon lui auraient confiés sans la moindre hésitation, tout comme il l'aurait fait avec son propre fils.

Cela allait au-delà du devoir. C'était une promesse intime de les chérir, de les préserver du moindre mal.

Il ne pouvait plus les laisser. L'idée même lui était impensable. Inimaginable. Leur absence briserait ce qui restait de sa stabilité déjà précaire.

Il les observa en silence, leur vulnérabilité touchant une corde sensible en lui.

« Puis-je te toucher ? », demanda-t-il à Jungkook.

Un silence sidéré s'abattit. Tous les regards aussi incrédules qu'amusés se fixèrent sur lui, tandis que Jungkook, figé, cherchait un sens à cette question étrange.

La voix moqueuse de Taehyung rompit la tension.

« Elle est vraiment bizarre, ta question, papa. »

Seungmin se tourna vivement vers lui, les yeux agrandis par la panique.

« Hein ?! », glapit-il.

Sa voix se fit presque aussi fluette qu'incongrue pour un homme de sa carrure, comme s'il venait d'être pris en flagrant délit d'un crime impensable.

Sa confusion n'échappa à personne. Il réfléchit un instant, les yeux affolés ancrés dans ceux railleurs de Taehyung et de Yeseo, puis agita les mains devant lui, scandalisé.

« Non, mais ! Qu'est-ce que vous imaginez ! ? Je voulais dire... enfin... Il faut toujours demander la permission aux enfants avant de les toucher ! », protesta-t-il de sa voix forte.

Pour appuyer ses propos, il agita les mains dans un simulacre grotesque d'un geste affectueux, comme s'il caressait une tête imaginaire, explicitant son intention.

« Je voulais juste lui ébouriffer les cheveux... », marmonna-t-il d'un ton bougon, peu satisfait de sa propre justification.

Comme le ferait un père.

Yeseo et Namjoon pouffèrent, tandis que Jungkook, légèrement troublé, baissait la tête, se triturant timidement les doigts et se mordant la lèvre pour contenir un rire plus franc.

Taehyung vit une ouverture parfaite. Il croisa les bras et fixa son père avec un sourire carnassier.

Seungmin se crispa, sentant le piège.

« Fais attention, papa, les mots peuvent parfois être trompeurs, susurra-t-il en faisant mine d'inspecter nonchalamment ses ongles. Imagine la déception : un grand orateur réduit à bafouiller des absurdités. Quelle honte pour la famille... Serais-tu donc une imposture ? »

Piqué et exaspéré, Seungmin grogna face à l'audace de son fils, mais le léger souffle rieur de Jungkook fut la goutte de trop qui amplifia son embarras.

D'un bond, il se releva, faisant sursauter Jungkook, soupirer son épouse, et sourire Namjoon. En deux larges foulées, il attrapa Taehyung qui reculait précipitamment, pris de court, les bras encore croisés.

Il se fit empoigner avec la rudesse d'un ours en colère, et il n'eut guère le temps d'émettre le moindre son qu'il se retrouva brusquement plaqué contre une armure avec une fermeté bourrue.

« Tu veux jouer à ça, vaurien ? Très bien. »

Ignorant les protestations outrées de son fils, Seungmin ébouriffa vigoureusement ses cheveux avec son poing. .

« YAH ! Arrête ! Mais arrête ! Maman ! », vociféra Taehyung, en gesticulant pour se libérer.

Un rire clair et léger lui parvint. Jungkook riait. Et Seungmin ne put s'empêcher de se sentir heureux.

« Brute ! s'indigna Taehyung en se dégageant. Je ne suis pas un tas de muscles comme toi ! »

Ses joues rougies par l'effort et ses cheveux en bataille témoignant de l'assaut eurent raison de Yeseo et Namjoon qui s'esclaffèrent.

Seungmin arqua un sourcil et croisa les bras, imposant comme une montagne.

« Peut-être que tu devrais m'écouter et t'y mettre, alors, la brindille. »

Taehyung ouvrit à peine la bouche pour protester, qu'il se fit interrompre.

« Maintenant, tais-toi », répliqua-t-il, sa voix ferme ne souffrant d'aucune opposition.

Désarçonné, Taehyung referma aussitôt la bouche. Il fulmina en réajustant tant bien que mal sa coiffure, vexé, marmonnant des récriminations incompréhensibles entre ses dents serrées.

Toujours hilare, Jungkook essuya une larme du coin de son œil, tandis que Namjoon affichait un air moqueur. Yeseo observait sa famille avec une lassitude amusée, un sourire doux.

Satisfait d'avoir rétabli un semblant de calme, Seungmin passa une main sur son front.

« Bien, où en étais-je ? », soupira-t-il, son ton redevenu sérieux.

Il releva lentement les yeux vers Jungkook, et son regard s'y attarda, troublé. Une hésitation douce et poignante flottait dans l'air. Pendant un instant, ni l'un ni l'autre ne bougèrent.

Jungkook sentit son cœur vaciller. Dans les perles sombres de Seungmin, il perçut cet éclat d'affection qu'il avait toujours arboré dès la première fois que leurs regards s'étaient croisés. Il y avait toujours eu quelque chose de presque paternel, d'inexplicable.

Un peu comme lorsque le regard du doyen Jeong se posait sur lui. Parfois comme celui de son professeur Lee. Comme s'ils voyaient quelqu'un d'autre à travers lui.

Son père, sûrement.

Mais le voyaient-ils, lui ?

L'émotion le prit au dépourvu, le laissant ébranlé et étrangement réconforté.

Seungmin entrouvrit les lèvres, comme sur le point de parler...

Ce que je veux, c'est juste m'assurer que tu es réel. Tu lui ressembles tant que ça en est presque cruel... Peut-être qu'en apprenant à te connaître, je pourrais enfin vous différencier, chasser cette douleur tenace, cet étrange vertige d'avoir Dongwon devant moi plutôt que son fils.

...mais les mots moururent dans sa gorge.

Prisonnières, ses pensées se perdirent dans le vacarme d'un cœur froissé, ravagé par la rage en lui.

Seungmin voyait dans l'attitude de Jungkook un rejet qui l'attristait profondément et le freinait dans son élan de s'ouvrir à lui.

Yeseo et Taehyung perçurent son désarroi. Leurs yeux s'emplirent de tristesse. Une ombre passa sur leurs visages. Le fardeau invisible que portait Seungmin résonnait en eux, leur arrachant un pincement au cœur.

« J'allais dire... qu'il est temps de partir », murmura Seungmin, un sourire pâle.

Sa voix se fit douce, presque tendre, habitée par l'effort de dissimuler sa peine.

« Reposez-vous bien, les garçons. »

Il pivota, rejoignant sa famille debout au centre de la pièce. Jungkook et Namjoon ne voyaient plus que son dos large et imposant.

Yeseo lui tendit la main, et il s'y accrocha, comme si elle était son ancre. Leurs doigts s'entrelacèrent, n'échappant pas à Taehyung.

Sous les regards inquiets de sa famille et de Namjoon, Seungmin parut s'effondrer un peu, derrière son masque de dignité. Namjoon ne put s'empêcher de noter cette rare vulnérabilité, chez lui.

Sa femme et son fils devinaient sans mal la peine qu'il dissimulait aux deux autres. Seungmin n'avait jamais su cacher ses émotions. Vulnérable, il leva un regard suppliant vers Yeseo.

Le cœur broyé par la peine, elle lut dans sa détresse.

Seungmin acceptait difficilement le malaise de Jungkook en sa présence.

Il avait naïvement cru qu'il lui serait aisé de l'approcher, s'autorisant des espoirs qui, désormais, lui étaient cruellement illusoires.

Il se débattait dans un océan de désillusion, blessé par un mur qu'il n'avait pas anticipé.

Cependant, là où Jungkook n'exprimait qu'une légère appréhension à l'idée de raviver des blessures encore vives en se confrontant si tôt au passé, alors qu'il se remettait à peine de ses émotions et de sa convalescence, Seungmin ne percevait — à tort — qu'un rejet.

Attristée, Yeseo caressa sa joue, ses doigts glissant avec douceur sur ses cicatrices. Puis, s'élevant sur la pointe des pieds, elle déposa un baiser léger sur sa pommette, Seungmin s'étant instinctivement incliné pour lui en offrir l'accès.

D'un petit hochement de tête assuré, elle lui fit la promesse de porter à Jungkook tout ce qu'il n'avait pu lui témoigner.

Tout au long du voyage entre le palais et Sungkyunkwan, il s'était livré à elle sur ses craintes et ses paroles trop longtemps étouffées, qu'il avait tant voulu partager avec Jungkook.

Mais les voilà bloqués.

Heureusement, ses volontés trouvaient un écrin en Yeseo, prête à les transmettre, elle, son épouse, cette âme vers qui il se tournait sans réserve, déposant en elle toute la fragilité de son cœur.

Elle savait qu'il lui fallait agir, car, autrement, Seungmin risquait de se perdre dans une sombre mélancolie. Elle ne supporterait pas de le revoir ainsi.

Un simple regard entre Yeseo et Taehyung suffit à sceller leur entente. Taehyung s'avança alors, prenant le relais pour soutenir son père, tandis que Yeseo s'éloignait.

Elle s'avança à pas mesurés jusqu'au lit, avant de s'agenouiller doucement devant Jungkook, aux côtés de Namjoon.

Ce dernier sourit en observant son amant totalement absorbé par Yeseo, au point qu'il semblait avoir oublié jusqu'à l'idée de chercher son regard lorsqu'il se sentait dépassé.

Sans un mot, il se redressa et recula doucement, leur offrant l'espace dont ils semblaient avoir besoin. Lentement, il se dirigea vers Seungmin, porté par le désir de lui offrir son soutien.

Mais l'élan qui le poussait à l'approcher vacilla, avant de rompre. Namjoon stoppa net sa marche. Le regard perçant de Taehyung était intense, inexplicablement éloquent. Il le clouait au sol, le dissuadant d'aller plus loin.

Namjoon eut l'étrange impression de percevoir en Taehyung un instinct presque animal, comme un gardien farouche veillant avec loyauté sur celui qu'il jugeait devoir protéger.

Il trouvait cela beau. La dévotion des liens du sang transcendait les mots.

Troublé, Namjoon recula, puis s'adossa contre le mur, croisant les bras dans un geste défensif. Son esprit s'agitait pour percer le mystère de cette étrange atmosphère. Pourquoi une telle tension ? Qu'avait-il manqué ? Ses yeux passaient de l'un à l'autre, scrutant leurs expressions, espérant saisir ce qui lui échappait encore.

Mais, comme attirés par des aimants, ses yeux se posèrent sur Yeseo et Jungkook. Surtout sur Jungkook.

D'un geste doux, elle tendit sa main. Jungkook la saisit doucement d'un geste un peu gauche, oscillant entre gêne, humilité, et curiosité.

La manière dont elle serra sa petite main autour de la sienne provoqua en lui un tressaillement d'émotion.

Alors, il releva les yeux vers elle, son regard mêlant incertitude et candeur. Ce qu'il y découvrit le toucha profondément : une chaleur apaisante, une bienveillance sincère, une considération qu'il n'avait pas l'habitude de recevoir de la part d'étrangers.

« Je suis heureuse d'avoir enfin pu te revoir après tout ce temps, Jungkook », murmura-t-elle d'une voix douce.

Médusé, Jungkook fronça légèrement les sourcils.

« Tout... ce temps ? », répéta-t-il dans un souffle, déconcerté.

Elle hocha doucement la tête.

« Je t'ai connu avant même ta naissance. »

Le cœur de Jungkook s'affola.

« Je suis aussi une vieille amie de tes parents, la confidente de ta mère. Je t'ai perdu de vue, et te voilà maintenant, un jeune homme magnifique, bien au-delà de tout ce qu'on m'avait décrit. Pourtant, les éloges ne manquaient pas. »

Il ne cilla pas, son regard profondément ancré dans celui de cette femme, dont la douceur éveillait en lui une étrange familiarité. Il n'aurait jamais soupçonné qu'une telle personne ait pu, un jour, appartenir à son passé.

« Qui vous a parlé de moi... ? murmura-t-il, troublé.

— Qui donc, en ce monde, parlerait de toi avec tant d'éloges, Jungkook ? »

Il cilla, décontenancé. Des visages flous traversèrent son esprit, insaisissables. Qui aurait pu entrer en contact avec elle pour parler de lui, et surtout en ces termes ? L'idée l'égarait.

Namjoon, peut-être... ?

« Je... je ne sais pas... »

Un léger sourire flotta sur les lèvres de Yeseo. Elle ne put s'empêcher de songer qu'il avait les mêmes yeux que sa mère : profonds, lumineux, abritant l'infini d'une galaxie scintillante.

« Ta mère », précisa-t-elle avec douceur.

Son souffle se brisa, le monde vacilla.

Ma mère ?

Son esprit se heurta à cette nouvelle, son cœur s'emballa, entrelacé de chaleur et de douleur.

Alors, même ça, elle me l'a caché...

« Nous échangeons très souvent par lettres, reprit-elle, mélancolique. Nous ne pouvons malheureusement pas nous voir, pour le moment... »

Jungkook ne sut que répondre, le choc l'ébranlant, lui nouant la gorge. Une myriade de questions se bousculaient, mais aucune ne franchit ses lèvres.

Une partie de lui voulait se réjouir, mais une autre, méfiante, l'empêchait de respirer pleinement.

Comment se pouvait-il qu'elles soient en contact sans qu'il en ait jamais eu connaissance ? Pourquoi ces personnes, qui semblaient l'aimer et le connaître si bien, lui étaient-elles étrangères ?

Il aurait bien voulu les connaître, en grandissant...

Était-ce l'œuvre de sa mère ? Dressait-elle des murs entre lui et les autres ?

Entre lui et le passé ?

Alors, en plus de m'avoir caché qui était vraiment mon père...

L'amertume lui tira une grimace. Une fois de plus, il se sentait trahi par celle qui était son refuge. Une fois de plus, il se retrouvait face à cette étrange fracture, incapable de comprendre pourquoi elle lui cachait tant de choses, pourquoi elle semblait le tenir le monde à distance de lui.

Pourquoi elle tenait le passé à distance de lui.

À quoi tu joues, maman... ?

Ces pensées lui tirèrent une douleur sourde.

Si tu pensais me protéger, tu te trompes.

Plus il en apprenait, plus un fossé se creusait entre lui et sa mère.

En revanche, distiller le doute en moi... Ça, tu y parviens parfaitement.

Il espérait de toute son âme que ses actes ne soient que maladresses. Que, submergée par un chagrin trop lourd à porter, elle ait cru bien faire, même si ses choix se révélaient désastreux.

Mais cela le consumait lentement, le laissant vulnérable face à l'amour qui lui portait, malgré tout. C'était là tout son paradoxe : aimer intensément, même quand cet amour était taché de non-dits.

« Et puis, Taehyung nous donnait quelques nouvelles. Nous n'avons eu de tes nouvelles que par ces deux biais. »

Jungkook sortit de ses pensées. Cette fois, il fut apaisé. Cette information ne le surprit guère. Elle fit tomber une partie de son trouble.

Taehyung...

Il imaginait sans peine son sourire éclatant et son ton léger, parlant de lui avec son enthousiasme presque enfantin.

Il le regarda, puis sourit timidement, fugacement, bien que son esprit soit encore embrouillé.

Il y a encore tant de choses à savoir...

« Tu sais, j'étais ta tante préférée, murmura-t-elle avec un sourire tendre. Tu me collais sans cesse, tu me suivais partout, comme mon ombre. Même mon propre fils n'était pas aussi collant, mais il adorait ta mère », ajouta-t-elle en riant doucement.

Aux mots de Yeseo, les yeux de Jungkook pétillèrent, en même temps qu'un poids écrasait son cœur. Il se reprochait de ne pas pouvoir atteindre ces souvenirs, ces fragments du passé, avant que tout s'effondre pour ces personnes, pour ces parents.

Pourtant, l'idée qu'elle puisse lui en offrir un aperçu l'apaisait un peu. En sa présence, il se sentait plus léger, presque serein, comme si quelque chose le reliait à elle, l'attirait irrésistiblement.

Une force douce et magnétique.

Il comprenait maintenant pourquoi elle le subjuguait depuis son entrée dans sa chambre.

Du coin de l'œil, Namjoon perçut l'éclosion discrète d'un sourire sur les lèvres de Seungmin. Ce dernier s'était retourné, son imposante posture soutenue par la main de Taehyung posée sur sa nuque.

Ensemble, ils faisaient désormais face à Yeseo et Jungkook, leurs silhouettes droites se découpant dans la lumière déclinante du soleil.

Leur attitude digne et grave lui coupa le souffle. Une noblesse innée émanait d'eux, une beauté qu'il connaissait pourtant bien, mais qui ne cessait de le fasciner. Ils incarnaient cette rare alchimie entre force brute et grâce masculine. Ils semblaient appartenir à un monde qu'il ne pouvait qu'effleurer du regard.

Puis, il analysa le regard de Seungmin, rivé vers son épouse et Jungkook. Ce qu'il y lut le figea.

Seungmin dégageait la tristesse à l'état pur. Elle l'habitait tout entier avec tant d'intensité qu'elle se matérialiserait presque dans l'air autour de lui.

Le cœur broyé de peine, Namjoon comprit alors.

Seungmin était prisonnier du passé. Ses blessures étaient loin de s'être refermées. Elles saignaient encore abondamment, ravivées par un déclencheur qu'il devinait être Jungkook et lui-même.

Namjoon jurerait que ce face-à-face réveillait des maux que Seungmin n'avait peut-être jamais vraiment correctement affrontés.

Comme si, pendant quinze longues années, le deuil de Seungmin était inachevé. Comme si la libération de cet homme résidait entre leurs mains.

Namjoon fronça les sourcils, concentré sur ses pensées.

Jungkook et moi... ? Avons-nous vraiment ce pouvoir ? Et si on échoue ? Si je n'étais qu'une illusion de force ?

Cette pensée alourdit le poids conséquent sur ses épaules. Une angoisse fulgurante lui tordit le ventre, une pensée s'enchevêtrait à l'autre. Une chaleur oppressante qui se propagea jusqu'à sa gorge. C'était si vif, presque insupportable. Elle s'insinua dans son esprit, amplifiant le chaos de ses émotions, une marée montante qu'il ne pouvait contenir.

Un sourire triste éclôt doucement sur ses lèvres, comme une fleur sous la pluie.

Est-ce là ce que je mérite ? Un enchaînement sans fin de responsabilités que je ne choisis pas, mais que j'accepte toujours. Pourquoi ?

Une sentence qu'il s'imposait.

Ses mains se mirent à trembler. Un grondement intérieur lui secoua l'âme, ébranlant presque tout ce qui tenait encore debout. Il chancela sous son effondrement imminent. Il touchait les limites de son endurance, écrasé par un poids qu'il ne pourrait bientôt plus soutenir.

J'étais bien, autrefois, caché derrière mes murs. Protégé, intouchable. Pourquoi ai-je laissé ces murs s'effondrer ? Est-il trop tard pour reconstruire ?

Il inspira profondément, cherchant un ancrage. L'air lui parut lourd, insuffisant. Pourtant, il se tint droit, releva la tête, et riva ses yeux sur Jungkook.

Bien qu'accablé, il sourit dès l'instant où Jungkook devint tout ce qu'il regardait, son îlot de sérénité.

« J'aimerais que nous nous revoyions, Jungkook », dit Yeseo.

La gorge nouée, Jungkook hocha la tête sans hésiter.

« Avec plaisir », murmura-t-il.

Elle sourit.

« Je veux dire... Seungmin et moi, reprit-elle avec prudence. Surtout lui. Il a tant de choses à te dire, tant de moments à rattraper, tant de... »

Elle soupira doucement, le cœur lourd.

Instinctivement, Jungkook leva les yeux vers Seungmin. Son cœur s'emballa. Père et fils le fixaient intensément.

Il ne sut dire ce qui le heurta le plus dans leurs regards.

Celui de Taehyung, scintillant d'une rancune légère et inconsciente, mais si poignante qu'elle le transperça.

Ou celui de Seungmin, traversé d'émotions complexes, contradictoires, si lourdes qu'elles pesaient sur l'âme de ce guerrier pourtant rompu à toutes les batailles.

Pourtant, Seungmin restait digne, sa posture si droite et noble que Jungkook en fut décontenancé.

Troublé, il détourna les yeux, accablé par ce qu'ils dégageaient.

« B... bien sûr, ce serait un honneur..., murmura-t-il, sa voix vibrante d'une sincérité presque timide. Mais... plus tard ? »

Ces simples mots firent éclore un sourire radieux sur les lèvres de Yeseo.

« Tout ce que tu voudras, Jungkook. Concentre-toi sur ta guérison, pour le moment », souffla-t-elle en lui caressant doucement la joue.

Elle tourna légèrement la tête et ses yeux croisèrent ceux de Seungmin. Dans ce regard d'un noir insondable, elle lut une lueur de soulagement et une détresse encore vive. Son cœur se serra.

Elle fut néanmoins reconnaissante que Taehyung le soutienne.

Taehyung, le roc malgré lui.

Son cœur de mère se brisa à cette pensée.

Taehyung, son unique trésor, avait porté des fardeaux trop lourds pour ses jeunes épaules. Lui, si fragile en apparence, s'était forgé une force qu'elle n'aurait jamais souhaité voir en lui. Une force née de l'adversité. Une force qu'il avait dû partager avec elle pour soutenir Seungmin.

Seungmin, brisé par la mort. Dévasté par un deuil si violent qu'il avait perdu pied. La disparition soudaine de ses amis si chers à son cœur l'avait laissé à la dérive. Un homme fort, réduit à un murmure d'âme. Il avait erré dans un abîme sans fin. Des jours, des semaines, des mois, des années qui s'étaient étirés comme des siècles.

Avec elle, Taehyung avait toujours là. Un ancrage. Et elle, impuissante, avait dû regarder son fils grandir trop vite.

Yeseo esquissa un sourire triste. Un soupir discret lui échappa, puis elle releva la tête, reportant son attention sur Jungkook.

« Pardonne-nous ce long silence, reprit Yeseo avec douceur. Des explications te sont dues, mais elles attendront. Sache seulement ceci : jamais nous ne t'avons oublié. Jamais. »

Quelque chose remua en Jungkook. Un trouble indistinct. Une émotion confuse.

Pourquoi suis-je toujours celui qu'on laisse derrière ? Namjoon vous connaît, alors pourquoi pas moi ?

« Nous n'avons jamais voulu cet éloignement. Mais nous t'avons veillé de loin. Nous connaissons les épreuves que tu as affrontées. Tu as toujours été des nôtres, tout comme Namjoon. Vous êtes maintenant des adultes, mais nous vous chérissons toujours comme au temps de votre enfance, comme au temps où vous n'étiez que des germes de vie, blottis dans le ventre de vos mères. »

D'un geste tendre, elle effleura sa joue, ses doigts y laissant une chaleur maternelle.

« Vous êtes bien plus précieux à nos yeux que vous ne pourriez l'imaginer. Bien plus qu'un simple fragment de ce monde. Vous êtes uniques. Vous portez en vous quelque chose que personne d'autre ne possède. »

Quelque chose se fissura en Jungkook. Une amertume légère, mais acérée fit picoter ses papilles.

Alors, où étiez-vous, tout ce temps, vous qui prétendez m'aimer ?

Il soutint son regard, plongeant dans ce mélange de repentir et d'espoir. Quelque chose changeait. Une plaie se refermait lentement, doucement.

Une paix timide.

L'essentiel est qu'ils soient là, maintenant. De leur propre gré. Et moi... Je crois que...

Un éclat timide s'amplifiait au creux de son être. Une flamme autrefois béante se raffermit.

Quelque chose se reconstruisait.

Je crois que j'ai aussi besoin d'eux.

Jungkook ignorait pourquoi il ne leur en voulait pas. Ces personnes prétendant l'aimer, alors qu'il ne les avait jamais réellement connues. Tout cela semblait glisser sur lui désormais, comme si, en faisant des recherches sur son père et en se heurtant à des vérités douloureuses, il avait appris à s'élever au-dessus de ses anciennes colères.

Il avait grandi. Il se sentait plus solide. Plus sûr. Plus confiant.

...Plus perdu.

Mais quelque chose remuait au plus profond de son âme, lui murmurant de s'abandonner à ce qu'ils étaient prêts à lui offrir.

Ils semblaient l'aimer. Ils parlaient de lui comme s'ils le connaissaient. Qui était-il pour refuser cet amour ? Qui était-il pour renier ce passé, après tant d'années à errer dans la douleur, à chercher la vérité ?

La vie lui offrait enfin une chance. Une brèche pour renouer avec son père. Pour le redécouvrir à travers leurs récits, leurs souvenirs. Pour apprendre à l'aimer encore, un peu plus.

Là était sa thérapie. S'entourer. Aimer. Accepter.

Sauf le pardon.

Il n'était pas encore envisageable.

C'était humainement impossible.

Son âme avait été injustement injuriée.

Il restait confus face aux agissements de sa mère, pourtant, les vieilles rancunes s'estompaient peu à peu, même si certaines plus tenaces exigeaient encore du temps pour s'effacer.

Mais il n'avait plus la force de haïr. La haine, comme la rancœur, lui paraissait désormais inutile, dénuée de sens face à la vérité.

Il ne voulait plus de ce combat trop long qui avait assez duré. Il ne restait plus que le vide. Un vide immense, affamé d'amour, qui réclamait plus de chaleur, plus de présence. Leur présence. Eux, les Kim, ces piliers d'un passé accablant, aspirant à son présent.

Et il les voyait bien faire partie de son futur.

Il soupira.

Oui, tout le monde avait été victime de ce passé brisé.

Personne n'avait vraiment choisi.

Il les regarda. Un à un. Il lut dans leurs visages les marques creusées par les mêmes douleurs, les mêmes deuils. Chacun d'eux portait la souffrance à sa manière. Ils pleuraient les mêmes absents. Ils avaient aimé les mêmes absents.

Tous payaient un tribut injuste.

Jungkook les comprenait.

Ces regards lourds de silences, il les déchiffrait comme des mots nés d'une langue intime, appartenant à ceux qui portaient en eux la marque de la souffrance.

À ceux qui avaient connu l'effondrement, le vertige d'un vide béant.

À ceux qui, un jour, avaient supplié les ténèbres de les avaler tout entiers.

À ceux qui pleuraient seuls dans la noirceur étouffante d'une nuit longue, se tenant le cœur battant à vif, accablés par chaque pulsation leur rappelant avec cruauté qu'ils étaient encore là.

Il percevait ce souffle de vie infime, tremblant, prêt à s'éteindre à tout instant, mais vivace. Né du chaos, forgé dans la perte, vacillant à la frontière du néant.

Ce néant qui lacère, qui dévore, qui imprime sa trace.

Les yeux ne mentaient jamais. Peu importaient les sourires plaqués, les éclats de rire volés au désespoir. La douleur demeurait, incrustée dans la pupille, vivifiée par l'iris, étouffée, mais vivante. Elle respirait dans les ombres, chuchotait dans les silences.

Indélébile. Inaltérable.

Elle se partageait qu'entre âmes brisées.

À jamais visible pour le cercle des endeuillés.

Chacun en a souffert. La vie est trop courte pour que je garde rancune... C'est éreintant. Je veux juste la paix.

À présent, son cœur battait au rythme du leur.

Ce ne fut qu'alors qu'il vit la main de Yeseo. Elle glissait sur sa joue, emportant une larme solitaire sur sa joue. Figé, ses paupières battirent sous l'effet d'une soudaine confusion.

Pourquoi pleurait-il ? Il ne savait pas nommer l'émotion qui l'envahissait, tant elle n'était que chaos. Seuls émergeaient chagrin et amour.

Son cœur s'embrasait, balloté d'une émotion à l'autre, incapable de se stabiliser face à cette affection sincère.

Maternelle.

Il pensa à sa mère. À cette absence béante, à ce manque qu'il portait en lui comme une plaie. À son amour pour elle malgré son ressentiment qui s'atténuait de jour en jour. Une douleur familière broya son cœur et serra sa gorge.

Il inspira profondément, son souffle frémit de tout ce qu'il ne savait pas dire.

« Yeseo-nim... »

Il ne sut expliquer l'impulsion de prononcer ce prénom.

« Tu m'appelais Imo* Seo-yo parce que tu n'arrivais pas à dire Yeseo dans le bon ordre. »

Jungkook émit un léger souffle rieur et spontané, amusé malgré lui.

Toujours debout contre le mur, Namjoon les observait. Leur proximité lui paraissait étrange, mais elle éveillait une certaine douceur, en lui.

Plus en retrait, Taehyung souriait discrètement.

Quant à Seungmin, il restait figé, ses yeux rivés sur son épouse et Jungkook, captivé par leurs échanges au point d'en oublier tout le reste. Il arborait une curiosité presque candide, observant cette complicité qu'il ne voulait pas troubler.

Il écoutait silencieusement, les muscles crispés et les lèvres pincées. Il s'efforçait de contenir ses émotions. La pression douce de la main de son fils sur sa nuque était son seul ancrage.

Pourtant, il luttait contre l'amertume qui grondait en lui, ce mélange âpre d'envie, de jalousie, et de fascination qui faisait trembler ses poings fermés et raidir ses épaules sous son armure.

Il chérissait cependant ce qu'il voyait. Bien qu'il ait désiré lui aussi se trouver parmi eux, comme il l'avait tant imaginé, rêvé, espéré, avant d'arriver à Sungkyunkwan.

« Imo Seo-yo... », répéta Jungkook dans un petit rire incrédule.

Il resta pensif un instant, légèrement déçu que ce nom ne réveille en lui ni un souvenir précis ni une familiarité quelconque. Pourtant, cela ne l'étonna guère : il pouvait presque s'imaginer l'avoir appelée ainsi, jadis. Il y avait dans ces syllabes quelque chose d'évocateur, de singulier.

Quelque chose qui curieusement... lui ressemblait.

Yeseo sourit, ses yeux s'embuant, profondément émue. Entendre ce nom franchir à nouveau ses lèvres après tant de temps, ravivait en elle l'espoir qu'elle croyait sur le point de s'éteindre.

« Un surnom si ridicule... il ne vous convient pas, pouffa-t-il.

— Retire ça, Jungkook, je tiens beaucoup à ce surnom. Et tu es en train de piétiner un précieux souvenir ! », protesta-t-elle, une moue faussement boudeuse.

Ils rirent doucement, isolés dans leur bulle hors du temps.

« Puis-je te prendre dans mes bras ? », souffla-t-elle.

Jungkook perdit aussitôt son sourire. Ses lèvres tremblèrent. Une brûlante envie de pleurer déferla en lui.

Il ne comprenait pas pourquoi ses émotions étaient sur le point de déborder, mais il n'avait ni le désir ni la force de les contenir. Baissant les yeux, il hocha timidement la tête, incapable d'expliquer cette forte nécessité d'être étreint, là, maintenant, comme si cela pouvait panser une blessure, apaiser ce vide qui le rongeait.

Deux bras fins et délicats s'enroulèrent autour de son cou. Il se sentit tiré contre une épaule frêle, mais dont la chaleur le submergea.

Une fragrance douce de fleurs sauvages et d'essence boisée l'entoura. Seuls de souvenirs flous et insaisissables lui parvinrent. Il n'avait qu'une agréable et troublante sensation de déjà-vu.

Une simple impression.

Il frémit, mordit sa lèvre inférieure pour étouffer les émotions qui montaient en lui.

« C'était moi qui te berçais le plus souvent lorsque tu n'étais qu'un nourrisson. Dans mes bras, tu te calmais si vite que tes parents en étaient à la fois jaloux et soulagés », murmura-t-elle.

Son sourire avait beau être nostalgique et ses yeux pétiller d'amusement à ce souvenir ; son cœur saignait.

Pour Jungkook, ces paroles tendres et poignantes furent comme un coup de fouet.

Il éclata en sanglots.

Ce fut soudain.

Ses pleurs étaient discrets, étouffés, mais si lourds de douleur.

Ils enserraient la gorge de tous ceux qui l'entendaient.

Ses mains agrippèrent la robe qu'elle portait, ses doigts s'accrochant au tissu tissé d'or et à la soie émeraude qui glissait entre eux. Il enfouit son visage contre son cou gracile. Il voulait se cacher du monde entier, se réfugier dans ces bras qui l'avaient jadis bercé.

Il aurait tant voulu accéder à ses souvenirs d'antan.

Non loin, Namjoon les observait, incapable de détourner les yeux. Il restait pétrifié, son cœur battait férocement dans sa poitrine. Il n'avait rien vu venir, rien anticipé. Pourtant, il comprenait — ou devinait — ce qui poussait Jungkook à craquer ainsi.

C'était un cri du cœur, une douleur qui trouvait enfin une échappatoire. Mais l'apparition brusque de sa détresse le laissait démuni, et il était lui-même frappé par le choc.

À chaque bruit ténu de ses sanglots, sa gorge se serrait, son cœur saignait, tout aussi impuissant devant le mal-être de celui que son âme avait choisi.

Sa souffrance le transperçait. Il avait mal, parce que Jungkook avait mal. Il aurait voulu l'enlacer, l'arracher à cette douleur et l'absorber tout entière jusqu'à ce que seule la paix demeure.

Namjoon tourna la tête vers Seungmin.

Son cœur se brisa en mille éclats.

Seungmin portait une main tremblante devant sa bouche, contenant l'émotion qui menaçait de le faire ployer. Ses yeux brillaient de larmes qu'il s'efforçait de retenir. Le léger tremblement de son corps montrait à quel point il était ébranlé.

Il savait Seungmin très sensible, et le voyait clairement livrer une lutte contre ses émotions.

Namjoon détourna aussitôt le regard. Soutenir une telle vision, il en était incapable. La douleur qu'il percevait dans ces traits était trop vive, trop accablante pour être affrontée. Son propre souffle se fit plus court, comme si l'air de ses poumons lui était arraché.

Il n'osa pas non plus poser les yeux sur Taehyung qui déglutissait, tentant en vain de dénouer sa gorge serrée.

Jungkook s'efforçait de reprendre le contrôle sur ses sanglots. Il était à la fois soulagé et embarrassé d'avoir ainsi cédé, de s'être abandonné à sa faiblesse. Il n'avait rien pu contrôler. Quelque chose en lui avait éclaté, et il n'avait eu d'autre choix que de tout laisser jaillir.

Il inspira profondément. Inspira. Inspira. Inspira. Jusqu'à l'ivresse.

Étourdi, il bloqua son souffle. Il refusait d'expulser cette fragrance.

Il espérait raviver des souvenirs. Il voulait attraper et emprisonner des fragments du passé, leur redonner vie. Il voulait garder ce parfum en lui, tapi dans ses poumons, cette senteur familière et étrangère, douce et amère, apaisante et bouleversante.

Lentement, ses paupières se fermèrent.

Il priait si fort pour une ouverture vers un passage d'un temps révolu. Là où les rires s'élevaient, où la chaleur humaine n'était pas qu'un souvenir, là où se retrouver en famille était une évidence.

Là où aimer n'était pas un rêve avorté.

Cruelle et intransigeante, la réalité s'imposa.

C'était du passé.

Un léger vertige le fit chanceler, il relâcha son souffle d'un coup qui s'échappa en une longue expiration tremblante. La respiration légèrement courte, il retint une quinte de toux, ses traits se crispant sous le pincement de son cœur surstimulé qui protestait.

Son âme, elle, protestait contre les souvenirs arrachés du néant.

Pourtant, une étrange accalmie l'enveloppa, douce comme un souffle tiède au milieu du froid.

Il se sentait bouleversé. Perdu. Plus encore qu'il ne l'avait été depuis ces derniers jours.

Depuis son rapprochement avec Namjoon, à vrai dire.

Mais quelque part dans son monde intérieur, une étincelle timide traversait sereinement les ténèbres. Comme s'il avait déniché un rouage oublié, perdu de sa boussole brisée qui ravivait le mécanisme lent de son âme, le guidant doucement vers un sentier plus apaisé, moins rude.

Elle se reconstruisait petit à petit. D'abord avec Haein, puis les filles, ses amis, Namjoon, et maintenant Yeseo.

Sa boussole restait imparfaite, loin encore de fonctionner pleinement.

Mais c'était un début.

Il sut que l'égarement n'était pas destiné à durer.

Il porta une main à sa poitrine, sentant les battements irréguliers de son cœur sous sa paume. Qui était-il, en cet instant ? Un jeune homme au bord du gouffre ? Un survivant qui reconstruisait son monde morceau par morceau ?

La réponse restait floue, mais il était résolu.

Il n'avait peut-être plus toutes les clés de son passé, mais il était prêt à se réinventer, à redécouvrir.

Lentement, il se recula d'elle, gardant la tête baissée. Il se sentait intimidé. Il renifla discrètement, et d'un revers léger de sa manche, il essuya ses yeux humides.

Deux petites mains chaudes et douces encadrèrent son visage.

Il n'eut d'autre choix que de lever les yeux.

Il répondit aussitôt à son sourire tendre. Son cœur se serra en contemplant ce visage si beau, si délicat froissé par la tristesse et le remords. Mais il y lut aussi de l'amour, du respect. Et peut-être, un peu de nostalgie.

Ses yeux à elle vagabondaient sur son visage, s'attardant et gravant chaque trait dans sa mémoire.

Jungkook aurait juré qu'elle se souvenait de...

« Tu as les yeux de ta mère, mais ce visage... on croirait revoir Dongwon à ton âge. C'en est troublant. »

Il sourit doucement. Il en était sûr.

Il ferma les yeux. Le compliment avait la douceur d'une caresse, mais aussi l'âpreté d'une blessure béante au flot intarissable. Évoquer son père revenait à faire resurgir l'image cruelle de sa mort.

Il ne pouvait passer outre cette noyade qui hantait ses nuits, cette vision plantée dans son esprit par Shin comme une ronce vénéneuse.

« Je sais que je suis beau », murmura-t-il en rouvrant lentement les paupières, taquin.

D'abord surprise en l'espace d'un battement de cils, elle éclata d'un rire léger et cristallin qui le ravit.

« Bien sûr que tu l'es.

— Alors, mon père devait être séduisant. »

Elle sourit.

« Très séduisant, oui. »

Elle masqua sa bouche d'une main.

« Mais entre nous, Seungmin remporte la palme. »

Elle posa un doigt sur ses lèvres, malicieuse, avant de lui lancer un clin d'œil qui semblait dire qu'elle jouait autant qu'elle disait vrai.

Jungkook rit doucement.

Puis, le silence.

Leurs yeux restèrent ancrés.

Elle le couvait du regard, et lui, il remerciait les cieux d'avoir placé une personne de plus, lui apportant une lumière dans son existence trouble.

Jungkook sentit qu'elle s'apprêtait à partir. Un étrange picotement lui tordit le ventre. Une impulsion lui comprima la gorge. Il voulait la retenir. Ici, en sa présence, il se sentait bien. Avec elle, il affrontait le passé d'une manière douce, dénué de sa douleur habituelle. Dérobé à la tragédie.

Mais il ne fit rien.

L'image de Yeseo se calquait douloureusement avec celle de sa mère élargissait le gouffre dans son cœur. Il le savait : il lui fallait revoir sa mère. Il était resté trop longtemps loin d'elle. Ils devaient parler, crever l'abcès du passé.

Las de penser, il soupira. Il voulait un répit. Dormir. Un sommeil sans rêves, sans ces voix incessantes qui se disputaient son esprit. Juste un instant de silence. Il se massa les paupières avec lassitude, éreinté.

Ses yeux dérivèrent dans la pièce, suivant son instinct. Ils trouvèrent Namjoon.

Comme si paix rimait avec Namjoon.

La tension dans sa poitrine s'allégea. Jungkook sourit. C'était suffisant pour que Namjoon le remarque. Jungkook vit ses épaules se relâcher imperceptiblement, et l'idée que seul son sourire l'apaisait lui plut.

Jungkook posa son regard sur Taehyung et Seungmin. Tout ce qu'il discerna fut la carrure imposante de l'armure de ce dernier. Ses yeux butèrent contre son dos, là où il aurait espéré voir son visage et lire ses émotions.

Il aurait voulu briser cette distance. L'appeler à lui, d'une voix qui ne tremblerait pas. Lui ouvrir ses bras, s'il le souhaitait. Le laisser effleurer ses cheveux comme il l'avait demandé, pour calmer cette étrange brûlure dans sa poitrine.

Il voulait quelque chose, n'importe quoi, un geste. Maintenant.

Ses yeux glissèrent vers ceux légèrement rougis de Taehyung.

Avait-il pleuré, lui aussi ?

Leurs regards s'accrochèrent, sondant le même abîme. Une étrange mélancolie les enrobait. Jungkook l'avait rarement vu si calme, si étrangement grave.

Lentement, Jungkook hocha la tête. Taehyung l'imita aussitôt, ses traits s'adoucissant. Ils se sourirent doucement. Et Jungkook se sentit soutenu, son cœur se réchauffant. Il jurerait qu'une main invisible pressait et relevait ses épaules accablées, comme si elle était une extension de la volonté de Taehyung qui prenait forme.

Un mouvement près de lui ramena son attention vers Yeseo. Elle se pencha, et lorsque ses lèvres effleurèrent sa pommette dans un baiser léger, il clôt les paupières, laissant cette douceur le traverser.

Une fois encore, un nœud d'émotion lui enserra la gorge. La tendresse qu'elle lui offrait lui faisait autant de bien que de mal.

Il n'avait pas réalisé à quel point il avait besoin d'une présence féminine depuis son réveil.

« À bientôt, Jungkook », souffla-t-elle.

Trop ému pour répondre, il se contenta d'un sourire tremblant en hochant la tête. Lorsqu'elle se redressa, ses doigts glissèrent tendrement dans ses cheveux, l'observant avec bienveillance s'incliner devant elle.

Jungkook la regarda s'éloigner, les lèvres pincées, le cœur lourd, ses doigts se crispant sur ses draps.

Elle jeta un rapide coup d'œil à sa famille, s'assurant de leur état. Puis, elle s'approcha de Namjoon, qui décroisa les bras avant de se détacher du mur. Il s'inclina légèrement lorsqu'elle s'arrêta face à lui. Elle sourit, puis se haussa sur la pointe des pieds, atteignant sa joue d'un baiser.

« Prends soin de lui comme tu l'avais toujours fait », souffla-t-elle.

Pris de court, Namjoon ne put qu'acquiescer maladroitement. Le trouble se lisait dans ses yeux. Il ne comprenait pas réellement le sens. Ce n'était pas sa demande qui le désarmait, mais la manière dont elle l'avait dit, comme si elle parlait d'un lien ancien qu'il ignorait avoir eu.

Elle perçut son désarroi, et sourit.

« Tu as toujours pris soin de lui, même lorsque vous étiez enfants, puisqu'on t'a rabâché que tu es son aîné. »

Cette révélation explosa en lui avec force.

Moult émotions le submergèrent. Il ne savait pas comment réagir. Seul son cœur se gonfla de chaleur et d'une joie aussi douce qu'étourdissante. Son esprit était pris de vertige, et s'accrochait à des bribes floues de son enfance, des souvenirs qui fourmillaient à la frontière de sa mémoire.

Souvenirs insaisissables.

Il n'avait même pas la certitude d'avoir déjà croisé Jungkook, par le passé. Il n'avait qu'une sensation intimement gravée en lui, comme si son cœur et son âme en portaient le souvenir, incapables toutefois de le transmettre à sa mémoire.

Il n'avait que son rêve où il avait revu le passé de ses parents et Dongwon de son point de vue d'enfant... Qui n'était peut-être qu'un rêve...

Cela l'attristait.

Déglutissant avec difficulté, il cligna des yeux pour chasser l'humidité qui y perlait, puis hocha la tête. Il ne sut que répondre, sa gorge nouée le bloquait.

Et pourtant...

Une joie l'enveloppait d'une chaleur qui le fit frémir. L'idée que Jungkook et lui, enfants, avaient déjà partagé une relation presque semblable à celle qui les unissait, adultes, lui était miraculeuse.

Son âme profondément éprise était ravie. Et son cœur, déjà tout entier tourné vers lui, s'épanouissait sans retenue.

Yeseo recula doucement. Elle sourit en leur adressant un gracieux signe de la main.

En réponse, ils s'inclinèrent à nouveau.

Elle s'éloigna pour rejoindre sa famille.

Et, dès cet instant, ce fut instinctif. Namjoon et Jungkook se retrouvèrent coupés du monde. Namjoon se précipita vers lui, une ferveur dans le regard qui vibrait de soulagement et de manque.

Quant à Jungkook, il ne voyait plus que lui, comme si l'univers s'était effacé.

Leurs mains se trouvèrent et se nouèrent avec douceur et ferveur, cachées par leurs corps. L'absence de contact prolongé leur avait été si longue et pénible.

Derrière eux, la famille Kim s'épaulait en silence. Puis, elle entendit des chuchotements bruisser dans l'air. Intrigués et curieux, ils échangèrent un regard avant de tendre l'oreille. Des fragments épars de mots leur parvinrent.

« On ne leur a pas répondu [...], et toi ? »

« [...] tant que tu viens. »

« [...] marcher, ce soir ? »

« [...] me reposer [...]. »

« Sûr ? »

« [...], tu seras là ? »

« Oui. »

« Alors, ça va. »

Un petit silence.

Taehyung et Yeseo échangeaient un regard surpris. Ils pivotèrent, synchrones, leurs yeux se rivant sur Jungkook et Namjoon. Complices, ces derniers se souriaient. Leur sourire n'était éloquent uniquement pour les cœurs attentifs qui savaient le déchiffrer.

Comme Taehyung, dont le discret rictus le prouvait.

Jimin lui manquait cruellement.

Ils virent Jungkook inspirer profondément et Namjoon le regarder de manière encourageante en hochant la tête.

Puis, un petit raclement de gorge attisa leur curiosité.

« Euh... J... Janggun-nim ? »

La voix hésitante de Jungkook fit tressaillir Seungmin.

Il se retourna vivement, les yeux écarquillés, comme s'il redoutait d'avoir mal entendu. Son regard scintillant d'espoir rencontra celui hésitant et déterminé de Jungkook, dont le cœur bondit face à l'expression du général.

Il s'éclaircit à nouveau la voix, lorsqu'il sentit une douce pression autour de sa main.

« On... »

Il regarda furtivement Namjoon.

« On accepte avec plaisir votre invitation à dîner », souffla-t-il d'une voix faible et éreintée, rivant ses yeux vers Seungmin.

Surpris, Yeseo et Taehyung se regardèrent en clignant des yeux, leur sourire s'agrandissant lentement. Ils regardèrent à nouveau Seungmin, impatients de sa réaction.

Ce dernier restait figé par l'improbabilité de ce qu'il venait d'entendre.

Puis, lentement, son visage devint entièrement radieux. Son sourire trembla. Son cœur battit si vivement qu'il posa une main contre sa poitrine. Il était soulagé, incrédule. Il s'était préparé à repartir bredouille au palais, qu'il était trop tard. Il avait été sûr que ses efforts pour créer un lien avec Jungkook s'étaient brisés avant même d'avoir pris forme.

Une gratitude qui dépassait les mots noua sa gorge.

Il posa son regard sur Namjoon, il voulait confirmer.

« C'est vrai... ? », souffla-t-il d'une petite voix que Namjoon ne lui connaissait pas.

Namjoon sourit, et hocha la tête.

« Je suis désolé, j'avais oublié de vous répondre, tout à l'heure. Vous avez évoqué ma mère et... »

Namjoon fit un geste léger de la main, les invitant à deviner le reste de sa pensée. Tous avaient saisi.

Seungmin rit. Un rire clair, incrédule, spontané.

Son visage était un soleil après une longue nuit.

Si heureux que les cœurs de Yeseo et Taehyung bondirent.

C'était comme si sa tristesse et sa détresse n'avaient jamais existé.



« Alors à ce soir. »



À suivre...



ALOOOOOORS ? 

Chap chargé d'angst, de joie, de rires, de réflexions profondes. Un bel ascenseur émotionnel 😭 J'avais envie de faire vivre à JK et NJ (surtout à JK) un semblant de moment familial de rires et leur accorder une pause dans leurs fardeaux ♥️

Mes bébés 🥹

Ils ont pas fini d'en baver, je vous le dis dès maintenant

(Les pensées de NJ concernant le fardeau qui s'ajoute sur lui sont hyper importantes pour la suite. Ça va aller crescendo pour lui, jusqu'au point de rupture)

À très vite !


𝑾𝒊𝒕𝒉 𝑳𝒐𝒗𝒆, 𝑫𝒂𝒓𝒌 𝑬𝒚𝒆𝒍𝒆𝒕 🖤

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