𝟏𝟑 ¦ 𝐋𝐀 𝐅𝐔𝐆𝐔𝐄 𝐃𝐄𝐒 𝐄́𝐏𝐎𝐔𝐗

SHINGEKI NO KYOJIN
ᴀʀᴜᴀɴɪ

Pʀᴇᴍɪᴇ̀ʀᴇ Sᴇᴍᴀɪɴᴇ ᴅᴇ Mᴀɪ

     Dans un château endormi, une ombre se mouvait lentement sur les murs de pierres froids. Progressant à pas feutrés, une jeune fille vêtue d'habits masculins se dirigeait vers les écuries dans le plus grand des silences. Lorsque la lourde porte en bois émit inévitablement un long grincement, elle se figea de tout son être avant de prendre une grande inspiration. Jusqu'à présent, nul ne semblait avoir été réveillé par son escapade nocturne. Sans plus d'hésitation, la jeune fille se dirigea d'un pas rapide vers le box où se trouvait Alcée, sa jument attitrée. Caressant du plat de la main ses poils d'un noir scintillant, elle lui murmura des mots doux pour l'inciter à ne pas faire trop de bruit. Une fois certaine que l'animal l'avait comprise, elle entreprit de le harnacher pour ensuite accrocher sur ses flancs deux larges sacs de toile. Satisfaite, elle se saisit des rênes et s'apprêtait à entraîner la jument au dehors quand la voix d'un jeune palefrenier la fit sursauter.

     — Mademoiselle ? s'étonna celui-ci en baillant. Qu'est-ce qu'vous faites ici à cet'heure ?

     Le sang de ladite Demoiselle ne fit qu'un tour qu'alors qu'elle se hâtait d'enchourcher Alcée. Avant même que le pauvre garçon ne puisse réaliser ce qui se déroulait sous ses yeux ébahis, la jument s'élança en direction du grand portail de fer blanc. Réalisant qu'elle n'arriverait guère à l'ouvrir manuellement en si peu de temps, la jeune fille entreprit de faire le tour de la propriété à la recherche d'un endroit où le mur serait franchissable pour Alcée. Repérant un léger effondrement de pierre qui lui donnait cette chance, elle recula un peu pour donner à l'animal suffisamment d'élan. Alors même qu'elle se lançait au galop, elle pu entendre la voix étranglée de son vieux père s'élever derrière elle.

     — Pour l'amour du Ciel, s'offusquait-il, Annie ! Cesse donc tes enfantillages !

     L'ignorant royalement, la jeune fille franchit le muret avec aisance pour retomber lourdement de l'autre côté. Dès lors, elle ne ralentit pas la cadence de sa jument et s'éloigna en vitesse de la propriété familiale. Décidant qu'il serait plus sage d'éviter le bourg où son père aurait tôt fait d'y envoyer quelques patrouilles, Annie préféra couper à travers champs pour rejoindre les bois. Ces terres, elle les connaissait aussi bien que le fond de sa poche, et ce à des kilomètres à la ronde. Pourtant, elle avait pour objectif de s'aventurer beaucoup plus loin qu'auparavant, là où nul ne pourrait venir la réclamer. Une fois camouflée par les arbres feuillus, elle fit ralentir Alcée, consciente que sa jument ne saurait soutenir un rythme aussi effréné durant des heures. De plus, Annie savait que les pauvres gardes dépêchés par son père ne feraient guère de zèle pour la retrouver. La réputation de la jeune fille la précédait : elle était connue pour son caractère bien trempée et sa soif de liberté. Son idiot de père supposait sans doute qu'il s'agissait là d'une énième fugue et qu'elle reviendrait d'ici quelques jours. Mais Annie avait la ferme intention de s'aventurer au-delà des frontières du royaume pour un long moment.

     À la nuit tombée, la demoiselle en cavale s'arrêta pour se reposer durant quelques heures. Les yeux fixés sur le feu de camp qu'elle avait allumé dans le but de réchauffer, elle se perdit dans le brouillard qu'était devenue sa vie. Le matin même, son père l'avait convoquée dans ses appartements pour lui parler de l'avenir du royaume. Annie l'avait écouté déblatérer avec une fausse autorité ce qui s'apparentait pour elle à des idioties tournant autour de mariage et d'alliance avec un pays voisin. Durant toute son enfance, on avait cherché à lui inculper les valeurs de la bienséance qui seyaient à son rang d'héritière, mais également celles du devoir et du sacrifice de soi. Très jeune, elle avait envoyé valser toutes ces règles qui l'étouffaient et la révoltaient au plus haut point. Possédant ses propres valeurs et son propre caractère, Annie avait refusé de devenir une simple marionnette désarticulée qu'on agitait contre sa volonté. Tout souverain qu'il était, son père s'était montré incapable de lutter contre une telle détermination et avait fini par l'accepter, bon gré mal gré.

     Ce projet de mariage qu'il lui avait caché des mois durant était pourtant bien la preuve qu'il n'avait pas renoncé à faire de sa propre fille un instrument au service de la politique du royaume. Qu'importaient les obligations, Annie avait la ferme intention de leur montrer qu'elle n'était pas une simple poupée aux habits de dentelle. Malgré sa petite carrure, elle n'en restait pas moins une farouche combattante à l'esprit vif. Désormais, ces aptitudes lui permettraient de se débrouiller seule dans un monde qui pouvait s'avérer hostile.

Dᴇᴜxɪᴇ̀ᴍᴇ Sᴇᴍᴀɪɴᴇ ᴅᴇ Mᴀɪ

     Après plusieurs jours de voyage, la jeune fille estima qu'il serait probablement temps de trouver un petit village pour y rester quelques semaines tout au plus. Elle n'était pas partie dans la perspective de s'intégrer ailleurs, mais il était évident qu'elle ne pouvait pas rester recluse des mois durant. De plus, ses provisions commençaient à diminuer fortement et elle allait avoir besoin d'argent pour acheter de nouvelles denrées. Une bourse remplie de pièces d'or se trouvaient bien dans l'un de ses grands sacs, mais elle ne possédait pas de petite monnaie et attirerait sans conteste l'attention en utilisant pareille somme. N'était point trop bête et point trop repoussante, Annie estima qu'elle devrait être en mesure de trouver un travail dans une auberge ou tout autre commerce. Sa décision fut ainsi prise : elle se rapprocherait de la lisière de la forêt dès demain pour s'arrêter dans le premier village qui croiserait son chemin.

     Cette nuit, alors qu'elle ne dormait que d'un œil, elle fut réveillée par le craquement caractéristique des branches piétinées, signe que quelqu'un approchait dans sa direction. Se levant d'un bon, Annie réfléchit à toute vitesse sur la manière d'appréhender cet individu potentiellement dangereux et accompagné. Certaine d'avoir traversée la frontière deux jours auparavant, elle supposa avoir affaire à l'un de ces voleurs qui attaquaient les voyageurs dans leur sommeil. Si tel était véritablement le cas, elle ne manquerait pas de flanquer à cet imbécile une sévère correction. En levant les yeux, elle aperçut une épaisse branche qui s'élevait à trois bon mètres au-dessus du sol. Voilà qui serait tout simplement parfait, lui permettant à la fois de voir cet intru et de le prendre par surprise.

     À peine fut-elle installée qu'elle repéra l'individu qui s'approchait dans la pénombre, celle-ci étant cependant trop épaisse pour pouvoir distinguer ses traits. En plissant les yeux, Annie pouvait deviner au vu de sa carrure élancée qu'il s'agissait probablement d'un homme assez jeune. Se contenant de l'observer dans un premier temps, la jeune fille fut étonnée de ne pas le voir se précipiter sur sa jument ou sur ses deux sacs de toile pour les voler sans demander son reste. Étonnement, le jeune homme se contenta de faire le tour du petit campement et paru bien embêté de ne trouver personne. Lorsqu'il passa très exactement sous la branche qui soutenait Annie, celle-ci ne laissa aucune place à une quelconque hésitation. Tout en s'accrochant au bois de ses mains, elle lança avec force ses jambes qui percutèrent le dos du garçon. Une fois celui-ci tombé face contre terre, l'air un peu sonnée, elle immobilisa son corps avec son propre poids et lui tordit un bras en arrière.

     — Combien êtes-vous ? l'interrogea-t-elle.
     — Il n'y a que moi, gémit-il en réponse. Sacré embuscade, Mademoiselle.

     Levant les yeux au ciel, Annie raffermit sa prise pour lui passer l'envie de plaisanter en de pareilles conditions.

     — Que voulez-vous ?
     — Vous faire une simple proposition, lança-t-il avec aplomb. Voyez cela comme une invitation.
     — Expliquez-vous, insista la blonde.
     — D'accord, mais pouvez-vous me lâcher avant cela ? Le sol est un peu dur et sans vouloir être offensant, vous pesez votre poids.

     La jeune fille ne comprenait absolument rien de ce que lui baragouinait ce garçon au phrasé bien trop clair pour n'être qu'un simple paysan. Bien qu'encore suspicieuse, elle décida d'accéder à sa requête et le libéra de sa prise. Aussitôt, il se redressa en position assise et massa son épaule endolorie avec une grimace. Durant ce laps de temps, Annie raviva le feu à partir des braises encore chaudes sans jamais le quitter des yeux. La faible lueur les éclairant désormais, elle pu détailler ce garçon qui ne devait pas être beaucoup plus vieux qu'elle. Ses cheveux étaient aussi blonds que les siens, mais coupés à ras sur sa nuque tandis que des longueurs venaient chatouiller son visage. Profondément bleus, ses yeux brillaient d'une lueur que la jeune fille ne saurait décrire. Sa première impression n'était pas foncièrement mauvaise, elle ne pouvait le nier. Tout chez cet étranger dégageait une sorte d'apaisement qui, bien que curieux, ne lui déplaisait pas.

     — Je vais vous raconter une petite histoire, annonça le principal concerné en souriant. Avez-vous entendu les rumeurs qui courent sur ces bois ?

     La moue dubitative qu'il reçu en réponse lui fit comprendre qu'en plus de n'avoir rien entendu de tel, la jeune fille n'avait pas tellement envie qu'on lui raconte un conte de fée. Mais cela ne découragea guère son vis-à-vis qui débuta son récit avec un sourire.

     — Les gens d'ici l'appellent la Forêt Frémissante. Ils sont convaincus que les mauvais esprits y vivent et jouent des tours à ceux qui viendraient s'y aventurer. On raconte qu'ils habitent les arbres et parviennent à les faire bouger selon leur bon vouloir.
     — Venez-en aux faits, le pressa la blonde, sinon je vous assomme.
     — En réalité, cette histoire fut inventée de toutes pièces afin d'éloigner les curieux, avoua le garçon. Je fais partie d'une communauté vivant dans cette forêt. Nous ne sommes pas des criminels, nia-t-il immédiatement, simplement des personnes s'étant regroupés pour diverses raisons.

     Après avoir écouté cette drôle d'histoire un peu bancale, Annie ne comprenait toujours pas ce que ce garçon lui voulait. L'avait-il réveillé en plein milieu de la nuit pour lui parler d'esprits et d'ermites vivant en collectivité ?

     — En quoi cela me concernerait-il ?
     — Je suis venu vous proposer de nous rejoindre.
     — Pourquoi donc ? s'étonna-t-elle.
     — La position de cette forêt fait que les voyageurs la traversent souvent pour passer les frontières. Après vous avoir observé, nous avons décidé que vous pourriez avoir votre place parmi nous si vous le souhaitez. Cela n'a rien de définitif, beaucoup d'entre nous ne sont que de passage ou en attente d'une autre opportunité. C'est une offre, conclua-t-il. Vous pouvez la prendre comme la laisser.

     Un long silence suivit sa déclaration, durant lequel la jeune fille l'examina sous toutes ses coutures. C'était là une bien étrange proposition qui lui avait été faite alors même qu'elle envisageait de s'installer pour un temps. Seulement, n'était-ce pas trop beau pour être vrai ? L'opportunité était alléchante et la jeune fille réalisa qu'elle aurait sincèrement aimé que les choses soient aussi simples. Car son cœur avide de changement désirait plus que tout faire confiance à ce garçon qu'elle connaissait à peine, mais qui semblait si authentique. Lâchant les armes face à sa propre volonté, ce fut finalement ce qu'elle décida de faire après avoir murmuré quelques jurons qui surprirent le blond. Maintenant qu'elle avait repris le contrôle sur sa vie, nul ne pouvait l'empêcher de prendre des risques pour obtenir la liberté qu'elle convoitait tant. Ayant deviné quelle fut sa décision sans qu'elle n'ait besoin de l'exprimer à haute voix, le jeune homme lui tendit la main avec un de ses énièmes sourires.

     — Armin, se présenta-t-il.
     — Annie.

     En serrant cette main dans la sienne, Annie sentit un agréable frisson la parcourir. Perdue dans ce regard bleu, elle se sentit réellement capable de changer le destin qu'on avait voulu lui imposer chaque seconde qui passait.

     — Le jour se lève, remarqua Armin. Suivez-moi. Je pense que cela vous plaira.

     Une fois ses quelques affaires regroupées, la jeune fille saisi Alcée par la bride et marcha dans les pas du blond qui récupéra son cheval un peu plus loin. Le trajet pris trois bonnes heures durant lesquelles les deux jeunes gens s'enfoncèrent plus profondément dans la forêt. Peu après qu'Armin l'eut informée qu'ils n'étaient plus très loin, un énorme bloc de pierre recouvert de végétation s'éleva devant eux. L'air mystérieux, le jeune homme souleva un pan de lierre qui cachait un creux dans la roche. Le chemin qu'ils emprintèrent alors s'apparentait à un étroit et sombre labyrinthe dont le blond semblait connaître les moindres fissures. Lorsqu'elle pu enfin sortir à l'air libre pour découvrir ce que cachait la roche, Annie se demanda si elle n'avait pas sauté à pieds joints dans un véritable conte de fée.

     Sous ses yeux ébahis, c'était un véritable petit bourg qui s'étendait là, construit en harmonie avec la roche et la végétation des lieux. Des habitations étaient encastrées dans la pierre ou dans le bois, tandis que le lierre dévorait chaque paroi, les camouflant presque entièrement. L'architecte responsable de cette conception était l'être le plus incroyable que le monde ait jusqu'ici porté. Mais le plus étonnant dans tout cela, c'était la présence de dizaines de personnes qui vaquaient à leurs occupations dans ce décor si atypique. Annie n'avait aucune idée de l'endroit dans lequel elle était tombée, mais les étoiles qui s'étaient allumées dans ses yeux trahissait son profond désir d'y rester. Et encore une fois, Armin n'eut pas besoin de lui demander pour savoir qu'elle n'envisageait pas de partir de sitôt.

Pʀᴇᴍɪᴇ̀ʀᴇ Sᴇᴍᴀɪɴᴇ ᴅᴇ Jᴜɪɴ

     Après quelques semaines passées dans cette étrange communauté, Annie commençait petit à petit à s'intégrer parmi tout ce beau monde. De nature introvertie, elle n'avait dans un premier temps jamais osé aborder les autres d'elle-même. Les jours qui avaient suivis son arrivée, c'était Armin qui s'était chargé de la présenter aux gens qu'ils croisaient ensemble. Tous s'étaient montrés fort polis avec elle, sans jamais faire preuve d'indiscrétion concernant les raisons de sa venue. La jeune fille avait rapidement compris que c'était l'une des règles de la collectivité : chacun était libre de raconter ou non son histoire, mais jamais il ne serait jugé. Tout le monde semblait faire confiance aux quelques désignés qui se chargeaient de sélectionner les âmes en peine qu'ils désiraient recueillir. Cette relation de confiance qui unissait chaque individu aux autres formait finalement un tout profondément harmonieux que l'on aurait pu qualifier de Paradis. Lorsqu'elle se confia à Armin sur le sujet, celui-ci lui avoua avec un sourire que c'était là le nom qu'ils avaient choisi pour désigner leur minuscule havre de paix.

     Puisqu'elle ne pouvait décemment pas se contenter de regarder les nuages passer au-dessus d'elle à longueur de journée, Annie avait dû trouver une occupation plus productive. Peu attirée par la couture ou la cuisine que pratiquaient la plupart des femmes, elle s'était tournée vers des activités un peu plus physiques. La chasse lui permettait de s'isoler pendant plusieurs heures où elle ne faisait qu'un avec la nature, à l'affût des moindres mouvements de la forêt et de ses habitants. À son propre étonnement, elle appréciait vivre entourée de toutes ces personnes venues d'ici et d'ailleurs. Mais depuis toujours, elle avait parfois besoin de se retrouver seule, loin du bruit et d'une quelconque forme de civilisation. Par ses aptitudes, la jeune fille ramenait tellement de gibier qu'elle acquit rapidement la confiance de tous. Armin lui proposa donc de l'accompagner dans ses missions de surveillance qui consistaient principalement à patrouiller aux alentours. Ils passèrent ainsi des heures à cheval, discutant d'un millions de sujets et se découvrant mutuellement, sans jamais aborder la raison de leur présence ici.

    La nuit venue, Annie rejoignait la petite maison qu'elle habitait, composée d'une seule pièce. De par ses origines nobles, on aurait pu penser qu'elle se sentirait indéniablement à l'étroit entre ces murs, mais en réalité c'était tout le contraire. Aussi petite qu'elle soit, cette chambre la représentait bien mieux que celle qu'elle occupait au château, avec tous ses froufrous qu'elle s'employait à réduire en pièces. Un soir, alors qu'elle lisait un livre emprunté à Maggie, une dame aussi vieille qu'adorable, on frappa à sa porte. En ouvrant celle-ci, Annie fut surprise de trouver Armin sur son seuil.

     — Vous ne venez pas à la fête ? s'enquit-il.

     Un peu hésitante, la jeune fille fini par saisir la main qu'il lui tendait. Ensemble, ils se dirigèrent au centre de leur minuscule ville où un feu avait été allumé. Plongée dans sa lecture, la blonde n'avait pas prêté attention à l'air de musique que jouaient quelques jeunes équipés d'instruments qu'ils avaient probablement fabriqués eux-mêmes.

     — Que fêtons-nous exactement ? demanda-t-elle à son cavalier.
     — Un anniversaire. Voilà trois ans aujourd'hui que Paradis existe.

     Les deux jeunes gens s'assirent sur l'un des troncs d'arbre qui avaient été placés tout autour du feu. Désireuse d'en apprendre un peu plus sur le blond, Annie se tourna vers lui avec curiosité, ignorant s'il allait accepter de répondre à sa question.

     — Étiez-vous présent lors de sa création ?
     — Point du tout. Les premiers bâtisseurs sont partis depuis bien longtemps, confiant leur œuvre à ceux qui en avaient encore besoin. Les gens qui se regroupent ici n'y restent jamais bien longtemps, il ne s'agit que d'une solution temporaire. Pour tout vous dire, lui confia-t-il, je ne suis arrivé qu'il y a quelques mois.

     Simplement heureuse d'en avoir appris un peu plus sur le jeune homme, la blonde n'osa pas l'ennuyer davantage et préféra profiter de l'ambiance festive qui régnait. La musique qui s'élevait était entraînante, et certains ne tardèrent pas à se lever pour entreprendre quelques pas de danse maladroits. C'était là un spectacle un peu ridicule mais néanmoins chaleureux pour Annie qui n'avait jamais rien connu de tel. Perdue dans sa contemplation, elle ne remarqua pas les coups d'œil insistants que portait la vieille Maggie sur Armin qui lui faisait les gros yeux en retour. Quelques minutes plus tard, le garçon aux joues un peu colorées se racla la gorge avec embarras avant de se lever.

     — Voulez-vous dansez ? lui proposa-t-il.

     N'écoutant que son cœur qui lui criait d'accepter, Annie se laissa entraîner près du feu sous le regard ravie d'une petite dame aux cheveux gris. Voilà bien longtemps qu'elle n'avait pas dansé, et la jeune fille n'était plus certaine de savoir quelle posture adopter. Alors qu'elle n'avait jamais eut pareilles pensées, elle réalisa qu'elle n'aurait peut-être pas dû fausser compagnie à son maître de danse tant de fois. Pourtant, Armin ne se laissa pas le moins du monde déstabiliser et son aisance ne tarda pas à la mettre en confiance. Alors qu'ils dansaient, Annie ne pouvait ignorer leur proximité qui n'avait absolument rien de convenable. Qu'elle joue les sauvageonnes était une chose, cependant la voir aussi près d'un homme aurait sans doute provoqué une crise cardiaque chez son vieux père. Mais qu'importait l'indécence, elle ne s'était jamais sentie aussi heureuse qu'en cet instant et aurait souhaité que cette danse ne s'arrête jamais.

     Encore inconsciente du sourire qui avait fini par fleurir sur ses lèvres, Annie leva ses yeux remplis d'étoiles vers son cavalier qui en resta sans voix. Alors que sa raison lui échappait, il vint apposer la paume de sa main contre la joue légèrement rosée de la jeune fille. Ils étaient définitivement trop proches pour que cela soit acceptable, mais aucun d'entre eux ne semblait vouloir briser le moment si intime qu'ils vivaient. Au contraire, ils mouraient même d'envie de se rapprocher encore plus près de l'autre, jusqu'à mutuellement se noyer dans leurs yeux aux teintes de l'océan, du ciel et de la liberté. À plusieurs reprises, le regard d'Armin dévia vers les lèvres de la jeune fille qu'il était incapable d'ignorer plus longtemps. C'était comme si la gravité avait soudainement décidé de rapprocher leurs deux corps jusqu'à ce qu'il n'y ait plus le moindre espace entre eux. Il suffisait de les observer pour prendre conscience de cette tension qui grandissait peu à peu et menaçait de les dévorer.

     Armin n'avait jamais compromis personne jusqu'ici. De toute sa vie, il n'avait jamais vraiment désiré quoique ce soit, se pliant sagement à la volonté de la tradition. On attendait de lui tant de choses qu'il en avait toujours eu le tourni, croulant sous le poids de la charge dont il n'avait même pas encore hérité. Le moindre pas de travers lui était sévèrement reproché et alimentait les conspirations les plus sombres. On le trouvait trop rêveur et trop frêle pour son titre, murmurant sur son passage qu'il n'était pas légitime. Pendant des années, Armin avait vécu comme l'esclave de ceux qui convoitait sa maudite position. Quand il avait réalisé que les obligations d'aujourd'hui pouvaient l'enchaîner jusqu'à sa mort, le garçon s'était finalement élevé contre l'autorité qui l'oppressait jusqu'à n'en plus pouvoir respirer. Ce fut son unique refus qui marqua le début d'une longue rébellion contre des siècles de tradition.

     Au fil des mois, Armin avait su découdre les histoires qu'on lui racontait autrefois pour n'en garder que les vérités universelles qui perduraient dans le cœur des Hommes. Il avait ainsi rempli le sien d'idéaux de justice, d'égalité, de bonté et d'amour jusqu'à l'en faire déborder. Face à Annie, ses derniers préjugés étaient en train de s'effondrer. Comment pouvait-il être en tort alors que la chaleur qui brûlait dans sa poitrine était si douce ? Les étoiles qui brillaient toujours dans les yeux de la jeune fille prouvait que l'amour était plus beau et plus grand que toute autre chose en ce monde. Alors même que les deux jeunes gens s'apprêtaient à commettre un crime envers la pudeur en réduisant à néant l'espace entre leurs bouches, la dernière note de musique résonna. Prenant immédiatement conscience du monde qui tournait encore autour d'eux, ils s'éloignèrent vivement l'un de l'autre. L'embarras se manifesta sur leurs visages rougis que des sourires ne tardèrent pas à illuminer. Car après tout, ils n'avaient pas à avoir honte de ce baiser qu'ils avaient presque échangé.

     La fête se terminait doucement et chacun délaissait le feu de camp pour rejoindre son lit douillet. Lorsque la vieille Maggie se leva, elle claqua un baiser sonore sur les joues des deux jeunes gens avant de s'éloigner en souriant.

     — Je vous raccompagne, annonça Armin.

     Tout en marchant silencieusement, Annie réalisa qu'elle n'avait pas la moindre envie de se coucher dans son lit pour s'y endormir. Et si, en se réveillant le lendemain, la soirée qu'ils avaient partagée se confondait avec un rêve qu'elle aurait imaginé ? Cette nuit avait été la plus belle qu'elle ait jamais vécue, et la jeune fille refusait catégoriquement d'y couper court. Alors qu'ils passaient juste devant la petite maison d'Armin, elle s'arrêta net, décidant qu'elle n'irait pas plus loin. Le jeune homme fut tout d'abord surpris de son immobilité, mais il ne tarda pas à comprendre ce que la blonde avait en tête. Lui-même ne pouvait nier qu'il ne désirait pas la quitter ce soir, et ce plus que tous les autres. S'il s'écoutait, il pourrait passer des heures à simplement l'observer et lui faire la conversation tant il appréciait sa compagnie. Plus tôt dans la soirée, il avait presque franchi une frontière dans leur relation, porté par des ailes invisibles qui avaient poussé dans son dos. Maintenant qu'il avait l'esprit plus clair, l'hésitation et le doute se frayaient difficilement un passage entre les morceaux de son cœur.

     — Je doute que ce soit très convenable, lança-t-il sans s'en soucier lui-même.
     — Nous ne sommes pas très convenables, rétorqua la blonde.
     — Probablement pas, avoua-t-il.

     Les dernières craintes d'Armin s'estompaient alors qu'il observait la malice prendre place dans les yeux de celle qu'il aimait tant.

     — Laissez-moi entrer Monsieur, le menaça la blonde avec aplomb, sinon je vous embrasse sur le seuil.
     — Bon, pouffa-t-il, d'accord.

     D'un geste théâtral, il ouvrit la porte de sa modeste chambre et invita la jeune fille à y entrer la première. La voir évoluer parmi ses affaires personnelles était vraiment quelque chose d'étrange qui lui provoquait d'agréables papillons dans le ventre. La pièce était à peine éclairée en cette heure tardive, mais Annie pouvait distinguer les formes grossières du mobilier en bois. Sans trop s'attarder sur ce qu'elle ne pouvait guère voir, elle se laissa choir sur les couvertures qui recouvraient un lit parfaitement plié jusqu'alors. Dans la pénombre, Armin s'avança à pas mesurés pour la rejoindre. Le remarquant, la blonde se redressa en position assise pour venir saisir de ses doigts le col du garçon. Entraîné par sa force, il posa ses mains à plat sur le matelas, de chaque côté de son corps, pour ne pas tomber. Leurs têtes se frôlaient désormais, et cette proximité qu'il partageait était la plus douce des tortures.

     Toute la tension qui s'était créée durant cette soirée refit surface pour les envelopper de nouveau. Avec une lenteur qui les fit frissonner, Armin remonta sa main le long du corps de la jeune fille et la glissa derrière sa nuque. Incapable de résister plus longtemps, il inclina légèrement la tête pour venir déposer ses lèvres contre celles d'Annie. Se contentant de les frôler dans un premier temps, il réalisa que c'était loin d'être suffisant et se pressa ainsi davantage contre la bouche de sa partenaire. Armin était terriblement doux dans ses gestes, prenant le temps d'apprécier chaque mouvement de ce baiser. Lorsque la jeune fille s'éloigna avec un sourire en coin, il laissa échapper une plainte qui se transforma rapidement en hoquet de surprise.

     Portée par un instinct bien plus téméraire, Annie avait soudainement décidé de le retourner contre le matelas pour s'assoir à califourchon sur ses cuisses. Ses yeux étaient voilés de désir et sa bouche ne tarda pas à rejoindre celle du blond qui souriait contre ses lèvres. Leurs mains parcouraient le corps de l'autre avec une certaine curiosité, agrippant fermement cheveux et tissus. Certains vêtements jugés encombrants échouèrent au sol à mesure que les doigts découvraient la peau qui se dévoilait à leur toucher. Leurs bouches ne se quittaient plus que pour venir embrasser le cou et caresser les épaules nues de leur partenaire avant que celui-ci ne l'entraîne dans un nouveau baiser fiévreux. Armin cru défaillir quand Annie tira gentiment de ses dents sa lèvre inférieure pour ensuite lui offrir un sourire à damner un ange. C'était décidément si bon qu'il en perdrait la tête en plus de perdre toute décence.

     Après un long moment passé à essouffler la flamme brûlante qui s'était allumée en eux, la cadence de leurs baisers se calma également. Rassasiés d'amour pour aujourd'hui, ils s'allongèrent tous les deux sous les couvertures. Malgré leur excitation évidente qui n'avait fait que croître durant leur échange passionné, tous deux ne désiraient pas précipiter les choses. Après tout, ils avaient bien encore le temps d'apprendre à se connaître plus intimement. Les lèvres rougies, les cheveux en bataille et leurs corps presque nus, les jeunes amoureux s'observèrent en souriant avant de s'endormir profondément.

     — Bonne nuit, lui murmura Annie.
     — Bonne nuit, lui murmura-t-il en retour.

     La matinée était déjà bien engagée lorsqu'Annie s'éveilla aux côtés du garçon qui dormait toujours. En profitant pour observer la chambre à la lumière du jour, la jeune fille s'enroula dans une couverture avant de se lever. Une imposante bibliothèque remplie à ras bords de livres d'aventure ou d'encyclopédies occupait tout un mur, tandis que d'autres ouvrages étaient dispersés un peu partout dans la pièce. Armin était visiblement un passionné de lecture, cette activité lui permettant toujours de s'évader. Les quelques dessins accrochés au-dessus d'un bureau sombre témoignaient également de cet esprit si créatif dont il était doté. Juste à côté se trouvait une grosse armoire semblable à la sienne, où le jeune homme rangeait certainement ses vêtements. Elle confirma cette hypothèse en ouvrant l'un des battants derrière lequel se trouvaient chemises et culottes.

     Pourtant, parmi les habits sombres, elle remarqua quelque chose qui brillait. Attrapant du bout des doigts un tissu bien plus riche que les autres, elle découvra ce qui semblait être le vêtement d'un personnage assurément noble. La jeune fille ne s'y connaissait pas tellement en étoffe précieuse, mais elle n'avait aucun doute sur le fait que celle-ci était de très bonne qualité en plus d'être tissée de fils d'or. Derrière elle, les couvertures se froissèrent, signe qu'Armin était en train d'émerger du sommeil. Immédiatement, ses yeux cherchèrent ceux la jeune fille et un sourire prit place sur son visage quand il la trouva non loin de lui.

     — Seriez-vous en train de me dérober ma bourse, Mademoiselle ? lui lança-t-il avec un air faussement outré.
     — Et vous, auriez-vous volé l'habit d'un prince ? plaisanta-t-elle en retour, désignant sa trouvaille.

     Elle cru l'avoir pris à son propre jeu, au vu de la légère gêne qu'il laissa paraître. Armin se mordit en effet la lèvre inférieure, mais la jeune fille était bien loin de pouvoir imaginer les pensées qui traversaient son esprit à ce moment précis. Pouvait-il lui avouer le nom qu'il portait depuis la naissance sans risquer de briser une relation qu'ils venaient tout juste d'amorcer ? Il aurait simplement désiré avoir un peu plus de temps avant de dévoiler cette part de lui-même, mais la vie lui donnait visiblement un ultimatum. Or, Armin n'était pas un menteur et il se refusait de cacher la vérité à celle qui occupait son cœur.

     — En réalité, lui avoua-t-il d'une voix un peu inquiète, il m'appartient.

     Annie resta un instant interdite, prenant difficilement conscience de la confession qui se cachait derrière ces mots. Ainsi, le jeune homme n'était pas n'importe qui aux yeux de la société, et elle ne pu s'empêcher d'admettre qu'elle avait eu quelques soupçons. Après tout, c'était un garçon cultivé et droit dont la posture avait toujours dégagé une certaine prestance. Bien loin du noble arrogant, Armin était plutôt le rêveur incompris qui n'arrivait pas à trouver sa place parmi les injustices des plus grands. C'était une révélation importante qu'il lui faisait là, mais c'était également une preuve de confiance. Tous deux cachaient bien des secrets, et le blond semblait décidé à les envoler valser pour se montrer tel qu'il était.

     — Armin, demanda prudemment la jeune fille, quelle est la raison de votre présence ici ?
     — Mon nom est Armin d'Arlert. Vous trouverez au fond de cette armoire l'épée gravée de mes initiales, lui indiqua-t-il.

     Dissimulée derrière les vêtements de toile, une épée était bien là. S'en saisissant, Annie l'examina avec le pressentiment étrange qu'elle connaissait déjà ces couleurs. Lorsque ses yeux se posèrent sur l'emblème qui ornait le fourreau de l'arme, elle se demanda s'il s'agissait là d'un coup du sort.

     — Vous êtes le prince du royaume d'Eldia, lança-t-elle comme une évidence.

     Le principal concerné acquiesça, et la jeune fille sentit le sol se dérober sous ses pieds. Peinant à garder contenance, elle jura silencieusement contre le hasard qui les avait tous deux conduit au même endroit. C'était là un scénario qu'elle n'avait jamais imaginé, même dans ses divagations les plus folles. Mais comment aurait-elle pu seulement concevoir une telle hypothèse ? La voyant bouleversée par cette annonce, Armin redouta de n'avoir brûlé quelques étapes.

     — Est-ce si important ?
     — D'une certaine façon, lui avoua-t-elle, je crains que oui.

     Voyant les traits du garçons s'attrister, Annie s'approcha du lit pour venir s'assoir à ses côtés. Moins assurée qu'elle ne le laissait paraître, elle se saisit de ses mains pour venir les serrer tendrement dans les siennes.

     — Je n'ai que faire de votre titre, le rassura-t-elle. En revanche, le fait que vous soyez ce prince en particulier constitue un certain... un certain problème.

     Armin ne saisissait pas ce qu'elle tentait de lui faire comprendre, et la blonde maudit leurs pères qui n'avaient même pas jugé utile de leur communiquer leurs prénoms. Ce n'était pas dans sa nature de retarder l'inévitable, alors la jeune fille prit son courage à deux mains et lui révéla à son tour sa propre identité.

     — Je suis Annie de Leonardt, confessa-t-elle. Fille du roi de Mahr.

     Le visage du blond blémit à mesure qu'il prenait finalement conscience de la situation dans laquelle ils se trouvaient tous deux emmêlés corps et âmes.

     — Armin, nous sommes fiancés depuis des mois, lâcha la jeune princesse.

     Croulant sous le poids de l'aveu qu'il venait d'encaisser, le jeune homme baissa la tête, appuyant leurs mains liées contre son front. La nouvelle était déroutante, et les questions affluaient dans son esprit. Il aurait voulu demander au Ciel et à la Terre ce qu'ils avaient bien pu faire pour mériter un pareil coup du destin. Cependant, Armin resta fidèle à lui-même et se refusa d'avoir de si sombres idées. En analysant la situation d'un nouvel angle, il se fit la réflexion que la fatalité qui s'imposait à eux n'était pas si dramatique. C'était indéniablement là quelque chose dont ils devaient discuter, il ne pouvait le nier. Mais si Armin comprenait la surprise de la jeune fille, il s'efforça de voir du bon en toutes choses.

     — Ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle, affirma-t-il d'un ton confiant.

     Aveuglée par le poids qui s'abattait sur leurs épaules, Annie n'arrivait pas à comprendre ce qu'entendait le garçon par ces mots. Ses mains toujours dans les siennes, le blond les porta à ses lèvres pour y déposer un baiser furtil. Les yeux profondément encrés dans les siens, il lui exposa le fruit de sa réflexion.

     — Je vous aime Annie, confessa-t-il avec une sincérité troublante, et je pense que vous m'aimez aussi.

     La principale concernée rougit sous l'aveu qu'il lui fit et celui qu'elle ne nia pas.

     — Dans ce cas, nous n'avons pas à être si déçu de ce retournement soudain. Je ne suis pas sans ignorer les tracas qui doivent vous ronger, me trouvant moi-même fébrile face à l'avenir que nous pourrions avoir. Ne vous méprenez pas, je ne vous demanderai pas de m'épouser dans l'heure. Mais nous n'avons pas à renoncer au bonheur pour une raison si futile. Annie, lui souffla-t-i avec espoir, le futur n'est jamais gravé dans le marbre, et ce quoi qu'en disent ces satanées traditions que nous ne saurions suivre lâchement.
     — Que suggérez-vous donc ? souffla la blonde, quelque peu rassurée par les propos du prince.
     — Il nous faut parler à cœurs ouverts, affirma-t-il. De notre relation et de nos attentes la concernant. Nous examinerons cette histoire de mariage, puisque nous ne pouvons guère l'ignorer. Et seulement ensuite nous prendront une décision commune concernant l'avenir, qu'il soit proche ou lointain.

     Face à une telle proposition, Annie resta sans voix. La rapidité avec laquelle le jeune homme avait réfléchi l'avait grandement surprise, elle-même ayant si rapidement perdu toute rationalité. Au vu des propos qui lui étaient formulés, la princesse dû admettre qu'elle s'était laissée submergée par ses émotions, sans même prendre la peine de concevoir un futur plus heureux que celui qu'elle avait imaginé. Armin avait raison : ils étaient à présent seuls juges de leur bonheur et cette décision leur appartenait toute entière. Perdus dans ce petit bout de Paradis, nul ne pouvait plus leur imposer des convictions qui n'étaient pas les leurs. L'heure était venue pour eux de faire leurs propres choix en accord avec l'avenir qu'ils désiraient vivre.

     — D'accord, concéda-t-elle. Mais n'allons pas trop vite.

     Plus heureux que jamais, le blond laissa un large sourire illuminer son visage. Le cœur débordant d'amour, il les fit tous deux retomber parmi les couvertures en riant. Il attira alors la jeune fille dans ses bras en songeant qu'il pourrait passer l'éternité ainsi, serrant son corps dans des draps froissés. Encore faudrait-il qu'Annie veuille toujours de lui, mais le garçon avait assez confiance en eux pour faire chavirer leurs cœurs à l'infini.

     — Le temps nous appartient, lui murmura-t-il à l'oreille, alors profitons-en.

Tʀᴏɪsɪᴇ̀ᴍᴇ Sᴇᴍᴀɪɴᴇ ᴅᴇ Jᴜɪɴ

     Depuis quelques jours, la capitale du royaume de Mahr était frappée par un véritable tumulte ambiant. Le château tout entier se préparait à recevoir un invité de marque et les commandes royales affluaient dans les divers commerces de la ville. Un énorme banquet était assurément à l'ordre du jour avec au menu de la volaille et des pommes de terre en importante quantité. Dans les rues, les rumeurs allaient bon train, propagées par les comères les plus hardies du royaume qui redoublaient d'imagination pour expliquer un tel remue-ménage. Les histoires étaient si variées qu'il en devenait difficile de distinguer le vrai du faux, ce qui entraînait de nouvelles théories des plus farfelues.

     — Paraîtrait qu'le roi d'à côté vient prendre l'thé, racontait un boulanger à sa clientèle.
     — Tout c'tintamar pour du thé ? s'étrangla sa femme.
     — Z'êtes pas au courant ? lança une bonne femme. La princesse revient au château. On dit qu'elle aurait filé avec l'prince. Leurs pères s'en arrachent les ch'veux.

     Devant la boutique, deux cheveux passèrent en faisant claquer leurs sabots ferrés sur la route grossièrement pavée. Leurs cavaliers étaient partiellement cachés derrière deux larges capuchons sombres, mais cela n'empêcha pas certains passants de reconnaître la jeune fille blonde et sa jument sombre. On chuchotait sur leur passage, affirmant à qui voulait bien l'entendre qu'il s'agissait de la princesse Annie, celle qui s'était enfuie deux mois auparavant. Quant au mystérieux jeune homme à ses côtés, nul ne su apposer un nom à son identité. Pourtant, beaucoup affirmaient déjà à juste titre qu'il n'était autre que le prince du pays voisin, ayant également pris la fuite bien avant leur jeune héritière.

     Percevant les murmures qui s'élevaient autour d'eux, les deux jeunes gens échangèrent un sourire complice. Une semaine plus tôt, ils avaient fait délivrer un message à leurs pères, annonçant qu'ils quémandaient une entrevue commune. Les souverains s'étaient visiblement empressés d'arranger la chose, impatients de régler cette situation qui les plongeait dans un embarras profond. Remontant la route principale, Annie et Armin parvinrent au portail de fer blanc qu'ils traversèrent sous le regard médusé des deux gardes en poste. Une fois dans l'enceinte du château, la jeune princesse guida son compagnon jusqu'aux écuries où ils laissèrent leurs montures aux soins de quelques palefreniers pour le moins étonnés. Évitant soigneusement de passer par la grande porte, ils se faufilèrent dans le château en empruntant les passages des domestiques. Ceux qu'ils croisaient ne manquaient pas de se figer sur place, fort surpris de trouver leur princesse disparue déambulant dans les couloirs. La présence d'un homme à ses cotés n'arrangeait en rien cette inconvenance qui nourrirait les rumeurs.

     Après s'être quelque peu perdus dans les couloirs froids, ils rejoignirent finalement les pièces les plus imposantes du château. De lourdes tapisseries ornaient les murs de pierres et la richesse des lieux ne faisait que s'accroître à mesure que l'on se rapprochait des appartements royaux. Puisque c'était bien là leur objectif, les deux jeunes gens s'arrêtèrent devant une imposante porte en bois gardée par deux hommes en uniforme. Leur arrivée étant prévue et attendue avec impatience, on les fit immédiatement conduire dans le petit salon avoisinant les appartements royaux. Avec ses nombreux coussins et son large âtre, la pièce était l'une des plus chaleureuses du château. Les souverains s'y trouvaient déjà, ainsi que quelques uns de leurs plus proches conseillers. Lorsque les héritiers apparurent enfin à leurs yeux, un soulagement certain se manifesta sur le visage de leurs pères.

     Les nobles présents se contentèrent de pousser un soupir las tout en jugant sévèrement l'apparence des deux jeunes gens. Ils n'étaient sans conteste pas suffisamment apprêtés au vu de leur rang et ne ressemblaient aucunement à un prince et une princesse dignes de ce nom. Leurs habits étaient terriblement sobres et le voyage les avait partiellement couverts de poussière. S'ils savaient seulement que la princesse portait un pantalon de toile sous sa robe, ils en auraient probablement tourné de l'œil. Mais pire encore que leurs guenilles, ce fut leur attitude qui offusqua tant les conseillers royaux. On espérait d'eux des excuses solennelles pour expliquer cette folie qui les avait poussés à s'enfuir de la sorte, tournant le dos à leurs obligations. Maintenant qu'ils étaient revenus à la raison, il était plus que temps d'organiser ce mariage avant que cette sotte histoire ne parviennent aux royaumes voisins et ne les discrédite. Depuis le centre de la pièce où ils se trouvaient, les deux jeunes gens pouvaient sentir les regards accusateurs dont ils étaient la cibles. Alors qu'on chuchotait déjà que tout allait pouvoir revenir dans l'ordre d'ici peu, Annie jugea qu'il était plus que temps de leur dérober tout espoir de contrôle sur la situation.

     — Ne vous méprenez pas, messieurs. Nous ne sommes pas revenus des entrailles de la Terre pour gentiement nous plier à vos idiotes fantaisies, railla-t-elle.
     — Suivant l'accueil fait à nos demandes, renchérit son partenaire, cette visite pourrait s'avérer de très courte durée.

     Il n'en fallu guère plus pour atteindre l'orgueil si fragile des conseillers. Déjà, leurs voix s'élevaient sous l'affront qu'ils avaient eux-mêmes désigné comme tel. Ces deux insolents méritaient une sévère reprise en main et peut-être même quelques jours en cellule pour se rafraîchir les idées. On dénonçait l'arrogance dont ils faisaient preuve, refusant de se plier au rôle que le Ciel et la Terre avaient définis pour eux. Il était hors de question que ces deux enfants tout juste venus au monde plongent le royaume dans l'insécurité et l'incertitude. Alors qu'on s'apprêtait à pointer du doigt leur incapacité à hériter dignement de la couronne, le roi de Mahr leva sa main en signe de silence.

     — Sir, s'étrangla l'un des hommes, vous n'allez tout de même pas les laisser vous exposer de pareilles sornettes ?
     — Dois-je vous rappeler que vos gens et votre peuple ont eu tout le loisir de nous observer aujourd'hui ? intervint Armin. Que penserait-on si, à peine arrivés, le prince et la princesse s'en retournaient d'où ils venaient ?
     — Avec tout le respect que je vous dois, rétorqua une voix, il existe plus d'une manière de vous contraindre à l'obéissance.
     — Et qu'allez-vous donc faire ? ricana Annie. Vous parlez beaucoup mais n'agissez guère en réponse.

     L'altercation aurait pu continuer longtemps, cependant les rois décidèrent communément d'y couper court. Ils congédièrent rapidement leurs conseillers, ces derniers ne manquant pas de quitter la pièce d'un air furieux. Une fois tous ces intrigants hors de vue, le roi d'Eldia poussa un long soupir de soulagement. Maintenant que les deux jeunes héritiers étaient de retour, une conversation s'imposait. Tout souverains qu'ils étaient, la disparition de leurs enfants les avait plongé dans une angoisse profonde. Les deux jeunes gens étaient assurément débrouillards, mais cela n'avait guère suffit à éloigner toute crainte de leurs vieux cœurs abîmés par la vie. Pour autant, il s'agissait désormais de réparer les erreurs du passé qui les avaient poussés à de pareilles extrêmes. D'un regard entendu, les deux rois prirent la décision d'écouter avec attention les requêtes de leurs enfants.

     — Je dois dire que je suis assez curieux quant aux circonstances de votre rencontre, avoua le roi voisin.
     — Ce fut un bien étrange coup du destin, père. Si vous me le permettez, proposa le blond avec un sourire, je serais heureux de vous en relater les détails.
     — Faites-donc.

     Les deux jeunes gens débutèrent leur récit, relatant dans les grandes lignes les événements des derniers mois. Armin commença bien évidement par raconter son propre périple qui n'était pas si différent de celui de la jeune princesse. Tout comme elle, on l'avait invité à rejoindre une étrange communauté alors qu'il avançait sans réel but dans la forêt. La vie qu'ils avaient vécue à l'intérieur de Paradis étant paisible, ils se contentèrent de ne rapporter que l'essentiel de leur longue absence. De même, ils omirent volontairement d'aborder quelques détails pour le moins inconvenants aux yeux de la bienséance. Leurs pères n'étaient certainement pas sots, ainsi la proximité existant entre leurs corps et leurs esprits fut suffisamment flagrante pour qu'il comprennent qu'il en était de même entre leurs cœurs. Après avoir écouté leur étonnant récit, une question subsistait cependant dans l'esprit des monarques.

     — Dans ce cas, s'étonna le roi de Mahr, pourquoi ne pas simplement accepter ce mariage ?
     — Pour marquer le coup, affirma sa fille. Pour montrer au peuple qu'il n'est pas simplement dirigé par la tradition, mais par des valeurs bien plus nobles encore.

     Les deux hommes ne semblaient que peu étonnés par les propos qui leur étaient formulés. Car après tout, il ne s'agissait pas là de revendications étrangères à leur époque. Les prémices d'une modernisation des mœurs fleurissaient depuis quelques décennies maintenant, bien que rares étaient ceux qui obtenaient gain de cause. Peu importait le siècle, l'amour ne cessait jamais de faire battre le cœur des Hommes les plus chanceux.

     — Nous n'avons qu'une seule requête à vous formuler.
     — Laquelle ?
     — Du temps, affirma Annie. Laissez-nous du temps. Nous ne refusons pas ce mariage dans l'immédiat : nous le repoussons simplement.
     — Un royaume fort ne saurait être gouverné par le poids du passé, renchérit Armin. Un royaume fort se doit d'avoir à sa tête un roi et une reine soudés, œuvrant de pair pour le bien du peuple.
     — Comment pourrions-nous réaliser pareil destin si nous ne prenions pas même le temps de nous connaître ?

     Face à la détermination des deux jeunes gens, les souverains ne purent que baisser les armes. Il était évident que ce fort caractère dont ils étaient dotés pourrait s'avérer bénéfique dans le cadre de la charge qu'ils viendraient à exercer. Leurs progénitures n'étaient plus de simples enfants, mais bien les futurs souverains qui marqueront l'Histoire. Les traits tirés par le temps et les regrets, le roi de Mahr s'avança vers sa fille avant de s'agenouiller devant elle.

     — Annie. En toute honnêteté, je savais pertinemment que tu refuserais cette alliance, avoua-t-il. Je n'avais néanmoins pas réalisé que tu préférerais t'enfuir plutôt que de rester à mes côtés. Je te demande pardon.

     D'un sourire, la jeune princesse lui accorda son pardon. Son père n'avait pas toujours su approuver son comportement jugé trop masculin et ses éclats de colère, mais il n'avait jamais été avare d'affection pour elle. Les reproches qu'ils lui faisaient n'étaient guère méchants : il s'inquiétait simplement de sa sécurité lorsqu'elle quittait l'enceinte du château. Son retour en parfaite santé lui prouvait qu'elle était bien plus forte qu'il ne l'avait imaginé jusque là.

     — Jeunes gens, déclara le roi d'Eldia, vous êtes l'avenir de nos royaumes. Peut-être sommes-nous tout simplement trop vieux et trop attachés au passé pour la prochaine génération, plaisanta-t-il avec légèreté.

     D'un même mouvement, Annie et Armin se regardèrent, avant de se tourner de nouveau vers leurs pères.

     — Cela signifie que vous acceptez ? demanda la blonde avec prudence.
     — En effet.

     Des sourires fleurirent sur leurs visages alors qu'ils réalisaient avoir finalement obtenu gain de cause. Pour la première fois depuis des années, Annie serra son père dans ses bras tout en lui murmurant des remerciements à l'oreille. Peu habitué à de tels démonstrations d'affection, le monarque resta un instant interdit avant de maladroitement lui caresser les cheveux. Sans se soucier davantage de ce qui serait considéré comme convenable ou non, la jeune princesse sauta au cou d'Armin qui les fit tournoyer en riant. À la fois atterrés et attendris par cette vision, les souverains laissèrent la joie gonfler leurs cœurs. Après tout, l'avenir qu'ils pouvaient lire dans les yeux remplis d'étoiles de leurs enfants s'annonçait plus que radieux.

Uɴ Aɴ Pʟᴜs Tᴀʀᴅ

     Il était encore tôt, mais les premiers rayons du soleil se frayaient déjà un chemin jusqu'au lit de la jeune fille endormie. Ils n'étaient d'ailleurs pas les seuls, car une porte dissimulée par une épaisse tapisserie ne tarda pas à s'ouvrir silencieusement, laissant pénétrer un jeune garçon blond. Dans la plus grande discrétion, il s'approcha du lit pour surprendre celle qui y dormait paisiblement. Mais comme toujours, il échoua face au sixième sens surdéveloppé de la jeune princesse qui sentit sa présence jusque dans son sommeil. Ouvrant immédiatement les yeux, elle attrapa cet intru par la taille pour l'entraîner parmi les couvertures en un temps record. Lorsqu'Armin redressa la tête, l'air penaud, elle lui adressa un sourire moqueur.

     — Que faites-vous ici de si bon matin ? s'enquit-elle.
     — Vous dire bonjour, rien de plus.

     Pour illustrer ses propos, il vint déposer un doux baiser sur les lèvres d'Annie. Il ne fallu guère longtemps pour que cette dernière ne passe ses bras autour des épaules du jeune homme et se presse davantage contre lui. Peu étonné par sa réaction, le prince sourit contre ses lèvres avant de glisser une main sous l'ample chemise dont elle était vêtue. Quittant ses lippes pour venir embrasser sa mâchoire, il lui arracha un délicieux frisson lorsqu'il mordilla doucement son lobe d'oreille. La jeune princesse vint alors tirer fermement ses cheveux blonds pour le ramener contre sa bouche. Leurs lèvres humides se mouvaient les unes contre les autres dans un ballet qui n'avait rien de chaste, leurs propriétaires n'étant désormais plus à leurs premiers ébats. Annie savait ainsi pertinemment qu'il aimait davantage qu'elle guide leur échange, ce qu'elle ne manquait jamais de faire avec une certaine brusquerie. Elle-même ne pouvait guère résister lorsqu'Armin se montrait terriblement lents dans ses gestes, la faisant tant languir que cela devrait être interdit.

     Faisant fit de toute retenue, la blonde agrippa le vêtement de son partenaire pour l'envoyer valser aux pieds du lit. En ce jour si spécial, elle avait terriblement envie de sentir sa peau contre la sienne. Ses mains se perdirent dans le dos qui leur était ainsi dévoilées, caressant les muscles qu'elle pouvait sentir rouler sous ses doigts. Les redressant rapidement, Armin vint retirer à son tour la chemise de la jeune fille qui l'empêchait de contempler les formes de ce corps dont il ne se lasserait jamais. Glissant sa main dans le creux de son dos, il les fit tomber à nouveau au milieu des draps blancs et rabattit les couvertures sur eux pour qu'ils n'aient pas froids. Avec tendresse, le blond vint caresser de ses lèvres la poitrine d'Annie qui soupirait d'aise sous les baisers mouillés. Alors que ceux-ci s'aventuraient de plus en plus bas, la grande porte en bois s'entrouvrit dans un long grincement. Aussitôt, Armin se redressa pour apposer sa tête contre le cœur de la jeune fille, cachant ainsi son torse dénudé.

     Une domestique apparu finalement dans l'entrebâillement et ne manqua pas de sursauter à la vue des deux jeunes héritiers emmêlés dans les draps d'une manière on ne peut plus suggestive. Se confondant en excuses, elle ne s'attarda guère et repartit aussi vite qu'elle était entrée. Plus amusés qu'embarrasés, les deux amants pris sur le fait ne purent s'empêcher de s'esclaffer avec légèreté.

     — On entendra jaser dans tout le royaume. J'imagine déjà les gros titres nous accusant de consommer notre mariage avant l'heure.
     — Voilà qui ne serait guère nouveau, pouffa son compagnon.
     — Chercheriez-vous à me compromettre ? fit-elle mine de s'offusquer.
     — L'idée est assez tentante, je dois l'admettre. Mais n'oubliez pas qu'à partir de ce soir, notre relation deviendra plus conventionnelle qu'elle ne l'a jamais été.
     — À vous entendre, je regretterai presque d'avoir accepté de vous épouser, ronchonna la blonde. L'indécence de notre amour me faisait frissonner.

     Saisissant délicatement son visage entre ses doigts, Armin pressa de nouveau ses lèvres contre les siennes. Ses mains glissèrent le long de son corps pour attraper fermement ses hanches qu'il immobilisa contre le matelas. Privée de sa liberté de mouvement, la jeune fille lui communiqua sa frustration par un gémissement étouffé. Déviant la trajectoire de sa bouche au creux de son cou, son partenaire se délectait de chacune des réactions qu'il lui provoquait.

     — Il existe bien d'autres manières de te faire frissonner mon amour, lui murmura-t-il à l'oreille.
     — Oh, Armin.

     Ses baisers reprirent enfin sur sa poitrine qui s'élevait à un rythme terriblement saccadé. Incapable d'attendre plus longtemps, Annie agrippa fermement ses cheveux pour l'inciter à descendre plus bas et plus vite. Amusé par son impatience, le jeune prince obéit à l'ordre silencieux qui lui était néanmoins formulé de manière parfaitement explicite. Se débarrassant expressément des bas de la jeune fille, il vint lui mordre avec douceur l'intérieur de ses cuisses. Tout en se rapprochant avec lenteur de l'objet de son désir, il s'employa à faire frissonner celle qu'il aimait tant et qui deviendrait bientôt sienne.

En plus d'être le plus long, je crois bien qu'il s'agit du récit le plus réussi de ce recueil. J'en suis extrêmement fière, alors j'espère de tout mon cœur qu'il vous a également plu !

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