494 | STEVE ROGERS

- La vache, c'est le quarante-neuvième de la journée ... je ne vais pas tarder à faire un burn-out si la guerre continue plus longtemps ! soupires-tu
- Tu comprends pourquoi j'ai besoin d'assistants pour m'aider dans ma tâche, te dit une voix caverneuse et profondément grave dans ton dos

Ce timbre terriblement lugubre pourrait faire fuir le premier venu et heureusement pour tout le monde, peu de personnes sont capables de l'entendre. Ce qui n'est pas ton cas : toi, tu t'en es tellement accommodée que tu ne sursautes même plus. Au lieu de quoi, l'entendre est devenu si courant pour toi que tu réagis avec une grande nonchalance. Tu te retournes et adresses un regard tout à fait égal à la haute silhouette encapuchonnée derrière toi.

- Je ne peux plus gérer seul tout ces morts, il était nécessaire que je délègue un peu pour m'en sortir, ajoute-t-il. Et il faut avouer que tu es l'une de mes meilleurs employés

Si ses mots glaçants auraient de quoi faire bondir quelqu'un de non averti, ce n'est rien à côté de son aspect. Cette figure sombre est entièrement drapée d'une longue cape noire, dissimulant tout de son visage ainsi que de son corps. Impossible de savoir qui se cache réellement en-dessous de tout ce camouflage ténébreux et de cet aura terrifiante, mais toi tu possèdes une idée globale de ton employeur. La cerpe qu'il tient dans l'une de ses mains est un indice plutôt équivoque.

La faucheuse, voilà pour qui tu travailles. Certains l'appellent l'ange de la mort, ou le passeur d'âmes, car il accompagne les âmes perdues dans leur seconde vie. Il côtoie et incarne la mort tout à la fois, travaille chaque jour dès qu'une flamme de vie s'éteint dans le monde. Et en temps de guerre mondiale, le moins que l'on puisse dire, c'est que le travail ne manque pas.

C'est pourquoi tu te retrouves à ses côtés, dans une sorte de rôle d'assistante, afin de l'aider à gérer le flux malheureusement massif de morts à épauler jusqu'à leur destination finale.

- L'une de tes meilleurs employés ... c'est un compliment ça au moins ? plaisantes-tu

Oui oui, tu plaisantes avec la faucheuse. Rien de plus normal pour toi et ta vie digne d'une histoire de Halloween.

- Évidemment que c'est un compliment ! Ce n'est pas à la portée de tout le monde d'aider les gens à mourir comme il faut, te flatte la faucheuse

Tu allais éclater de rire, parce que ce type d'humour réellement noir qui est monnaie courante pour vous est l'illustration parfaite du dicton « il vaut mieux en rire qu'en pleurer ». Une drôle de sensation t'en empêche, une sorte de vague de frissons te secoue de la tête aux pieds en faisant tressauter ton cœur. Cette réaction est loin de t'être étrangère, tu sais parfaitement ce qu'elle veut dire. L'ange de la mort face à toi a remarqué le changement d'expression de ton visage, sa cerpe se met à scintiller.

- Ah, un nouveau client ? te lance-t-il
- Oui, le cinquantième de la journée, acquiesces-tu. Celui-là a touché le gros lot, j'espère qu'il va être à la hauteur de son titre

Humour mortel, forcément.

En un claquement de doigt, tu te retrouves transportée à l'intérieur d'un avion bombardier de guerre, visiblement en très mauvaise posture. À son bord, il n'y a qu'un seul homme aux mèches dorées et vêtu d'un uniforme aux couleurs des États-Unis. Assis au poste de pilotage, il ne semble pas pouvoir éviter la chute à venir de son véhicule. Résigné, il adresse ses derniers mots à une jeune femme en larmes, grâce à une radio.

Tout à coup, une explosion de lumière blanche te force à fermer les yeux. Puis, une sensation mordante de froid te saisit et te fait froncer les sourcils. Ce n'est pas normal, je ne suis pas censée ressentir quoi que ce soit pendant que je suis en service, penses-tu. Et c'est bien ce qui te perturbe. Tu ne devrais pas percevoir les températures et encore moins partager ce que ressent ton client.

Tu rouvres les yeux et détailles l'étendue infinie de glace blanche s'étendant à des kilomètres à la ronde. Juste en face de toi se tient le jeune homme bien bâti, aussi perdu que toi. De ses yeux bleus, il scrute les alentours avant de se concentrer sur toi, les sourcils froncés.

- Alors c'est ça, la fameuse lumière blanche ? réplique-t-il
- En quelque sorte

Un pressentiment s'éveille en toi, tu commences à comprendre pourquoi la procédure habituelle ne s'applique pas ici et maintenant. Pendant ce temps là, le jeune soldat américain te détaille en se grattant nerveusement la tempe.

- Ce n'est pas comme ça que j'avais imaginé la mort, admet-il. Je ne pensais pas qu'elle ... enfin que vous seriez aussi jolie
- J'apprécie le compliment mais je vous rassure tout de suite : je ne suis pas la mort, seulement une de ses assistantes, lui expliques-tu avec un sourire bienveillant en faisant une petite révérence comique
- Oh ...

Il est évident que le blond essaye de camoufler son trouble pour ne pas être désobligeant, mais la situation a de quoi le dérouter énormément. Sa poitrine se soulève, sous l'impulsion d'une profonde inspiration visant à calmer ses nerfs. Tu sais percevoir tous ces petits signes d'inconfort, tu les as observé à mainte reprise au cour de tes journées de travail.

- Alors vous êtes ici pour décider de mon sort maintenant que ... que je ne fais plus parti de ce monde ? demande-t-il, la voix soudain enrouée
- Notre rôle est de venir collecter les âmes et de les accompagner vers leur prochaine aventure. Pas de jugement, pas de repentis ou de pardon. Notre position est neutre, nous ne faisons qu'ouvrir la porte sur la destination finale, quelle qu'elle soit, lui expliques-tu avec douceur
- Je vois. C'est une démarche plutôt humaine, et poétique. Ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais

Tu penches brièvement la tête sur le côté, l'air de dire « ce n'est pas la première fois que j'entends ça ». Une part de toi s'amuse toujours des idées reçues sur la mort qu'ont les gens, et de leur réaction lorsqu'ils s'aperçoivent combien ils étaient loin de la vérité.

- Je vous conseille de ne pas vous attendre à connaître mes services tout de suite, lui glisses-tu avec un clin d'œil
- Ah oui ? Pourquoi ça ? s'interroge le blond
- Votre heure n'est pas venue, jeune homme. Vous avez encore beaucoup de choses à faire dans ce monde, lui souris-tu

Quelques pas plus tard, tu t'arrêtes juste devant lui et approches ta main de son cœur. Une vague de chaleur émane de lui, prouvant définitivement que cet homme n'est pas prêt à rendre son dernier soupir.

- Oui, je le sens. Énormément de vie coule encore en vous. Votre force et votre persévérance ... c'est ce qui maintient les battements de votre bon cœur
- Vous croyez ?
- J'en suis sûre, lui annonces-tu avec certitude. Et entre vous et moi : je ne me suis jamais trompée sur le sort d'un de mes clients

Le sourire réconfortant que tu lui adresses fait se soulever ses propres traits, tout à coup plus détendus et relâchés.

- C'est bon à savoir, approuve-t-il
- Maintenant, c'est à vous de décider quoi faire du reste de votre vie. Et à la fin de celle-ci, quand elle aura été suffisamment bien remplie, peut-être que votre chemin croisera ma route de nouveau. D'ici là, vivez
- Merci ...

La lumière s'intensifie, au point de devenir aveuglante. La blancheur vous enveloppe, un souffle se met à tourbillonner autour de vous et vous emporte dans son sillage. Tu peux ainsi reprendre le cours normal de ton existence et revenir à ton travail quotidien, ni plus ni moins.

Les années s'écoulent sans que tu ne les vois passer. Les guerres cessent puis reprennent un peu plus tard, les conflits ne disparaissent jamais entièrement, rendant ton travail toujours plus utile. Les traversés s'enchaînent, ton rôle au côté des collègues et de la faucheuse est incontournable.

Ce que tu n'avais pas remarqué en quittant le soldat blond, c'est qu'une connexion avait joint vos deux personnes. Sans le remarquer - mais en gardant néanmoins un œil sur lui, juste au cas où - , tu as continué ton dur mais nécessaire travail en venant chercher un grand-père ayant eu l'occasion de vivre pleinement une existence réussie, ou bien une jeune femme dont la santé a été cruelle avec elle ou encore un chanteur mondialement connu parti bien trop tôt, laissant ses fans et le monde de la musique sous le choc, orphelin et brisé.

Ce que tu fais n'est pas facile, mais tu parviens à y ajouter un peu d'éclat, de douceur et de bienveillance, pour faciliter le voyage de tes clients. Pendant tout ce temps, tu n'as plus repensé au héros aux mèches blondes ni au lien vous unissant. Jusqu'à ce qu'un jour, tu sentes les frissons caractéristiques d'une âme s'apprêtant à entamer son nouveau voyage. Mais à nouveau, le processus ne se déroule pas normalement. Tu ressens d'abord un voile d'humidité t'envelopper, comme si on te plongeait de force sous la surface sans pourtant avoir mis le pied dans la mer. Tes poumons se compriment, te font affreusement souffrir pendant de longues minutes. Puis tout s'arrête, tu rouvres enfin les yeux pour constater que tu te trouves sous des mètres d'eau.

Tes pieds sont bien fermement ancrés dans le sol sans pour autant le fouler, tandis que des bulles flottent tout autour de toi. Et une fois encore, ces sensations que tu ne devrais pas ressentir précédent la vision qui s'offre à toi : le même soldat blond, semblant être légèrement plus vieux que la première fois que tu l'as rencontré.

- Encore vous ? Décidément, vous n'avez pas envie de rendre votre dernier soupir comme tout le monde, lui lances-tu

Le blond redresse la tête dans ta direction et te scrute de ses beaux yeux bleus avec un mélange de surprise, de joie et de satisfaction.

- Moi aussi, je pourrais dire « encore vous », te répond-il. C'est la deuxième fois que l'on se voit ... vous êtes vraiment mon ange gardien

Bien que cette phrase t'aille droit au cœur et te touche plus que tu ne peux l'admettre, tu te dois néanmoins de le contredire :

- C'est gentil mais si j'étais réellement votre ange gardien, je vous protégerais un peu mieux que ça. Vous avez encore failli mourir, pour la deuxième foi. Le compte commence à être lourd
- Failli ? J'ai pourtant l'impression très réelle que je suis en train de me noyer dans le Potomac

Cet élan de sarcasme t'arrache des rires, ce qui le fait sourire.

- Vous allez me prendre pour un disque rayé mais votre heure n'est pas encore venue

Tu penches la tête sur le côté et le détailles minutieusement, comme pour essayer de percer le mystère de son intrépide et infaillible existence. Forcée à rester toujours très professionnelle, tu n'avais pas prêté attention à son charme mais aujourd'hui, tu te surprends à t'en rendre compte comme une adolescente en plein coup de foudre.

D'autant plus que tu es capable de percevoir une facette muette de sa personne, la couche de personnalité qui n'est pas visible à l'œil mais à l'instinct. Grâce à ta perspicacité décuplée, tes impressions sur lui sont aussi nettes que si elles avaient été gravées dans le marbre.

- Votre force de vivre, je n'ai jamais rien connu de tel. C'est remarquable, souffles-tu

Tu te sens irrémédiablement attirée par lui, dans tous les sens du terme. Vos corps se rapprochent, la vigueur émanant des fibres de son être te fait l'effet d'être enroulé dans une puissance vague de chaleur réconfortante. Tu sais pourtant que tout est impossible entre vous mais en ce moment, tu ne peux t'empêcher d'être séduite par cette perceptive utopiste.

- Est-ce que je peux continuer à vous considérer comme mon ange gardien ? te demande-t-il

Vos prunelles se trouvent, se verrouillent et ne veulent plus se laisser partir. À cet instant, sous son regard, et ce pour la première fois depuis très longtemps, tu te sens vivante.

- Si ça vous fait plaisir, acquiesces-tu

Des picotements se mettent à courir sur tout ton corps, signe que ce moment hors du temps va bientôt toucher à sa fin. Un pincement au cœur se fait ressentir au creux de ta poitrine, tu tentes de t'arracher de force à ce cocon qui vous entoure pour moins souffrir par la suite.

- Vous allez bientôt être secouru par quelqu'un qui a la bonne idée de vous sauver la vie, l'informes-tu
- Alors j'imagine que c'est le moment de se dire au revoir

Tu hoches la tête, il te sourit mais sa pointe de déception ne t'échappe pas. Alors pour ne pas rendre les choses plus difficiles, tu te recules de lui en lui faisant tes adieux.

- Et essayez de ne pas encore frôler la mort, lui conseilles-tu avec un clin d'œil
- Même si ça peut me permettre de vous revoir ?

Ton cœur tressaute dans ta poitrine, bien malgré toi.

- Oui, même pour ça. Vous avez encore tant à faire, ce serait dommage de s'arrêter maintenant. Mais ne vous inquiétez pas, je veille toujours sur mes futurs clients ... même si j'ai mes favoris

Le grand blond hausse les sourcils, amusé par ta révélation et ta façon désinvolte de parler de ton travail.

- Vos favoris ? Et j'en fait partie ?
- Vous êtes le seul dans cette catégorie

Son sourire ravi est la dernière chose que tu peux admirer avant que sa silhouette ne disparaisse et que le flou t'engloutisse complètement.

N'appartenant pas au même monde que lui, tu sais que tes rêves ne trouveront pas de réalité. Mais tu ne peux plus faire qu'espérer qu'un miracle d'Halloween à la Tim Burton se produise. Et qui sait, peut-être que votre malédiction connaîtra une fin heureuse ?

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Encore désolée de ne pas avoir posté la semaine dernière mais pour le coup, ce n'est pas que de ma faute ! Wattpad refusait de s'ouvrir et ce problème de connexion ne s'est réglé que tard dans la semaine 😂😅

Évidemment, j'étais obligée de glisser dans cette partie un hommage à Liam Payne, disparu tragiquement cette semaine. Je ne pouvais pas ne pas faire référence à cet ange parti trop tôt 😭

Une part de mon adolescence, qui perdure encore aujourd'hui grâce à la directioner demeurant toujours en moi, pleure. Ce petit rayon de lumière s'est éteint, mais son empreinte restera.

Celui que j'avais choisi pour incarner un personnage dans mon roman Lunaire entame un nouveau voyage. Liam, j'espère que tu es en paix là où tu es. On continuera à penser à toi, à jamais, c'est une promesse 🤍

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