32° Imprudence

Armin

-Je... je t'ai pas encore remercié... Merci d'être venu me parler pendant toutes ces années.

Ça fait vraiment drôle de se retrouver seul avec Annie après quatre ans d'absence. Et pourtant, a peine a-t-il émergé de son sommeil, suite à l'affrontement entre l'Alliance et les Pro-Yeager, qu'Armin s'est rendu sur le pont du bateau appartenant à Mme Azumabito. Annie s'y trouvait déjà. S'étant assise, elle l'a invité à venir la rejoindre.

Le jeune Arlert a longtemps rêvé du jour où Annie sortirait enfin de son cristal. Et maintenant qu'il est près d'elle, il ne peut s'empêcher de l'observer. La jeune femme n'a pas changé. Elle est exactement comme dans ses souvenirs, à la différence que ses cheveux blonds, autrefois attachés en un chignon, sont à présent lâchés.

Le fait d'être tout près d'elle fait battre le cœur d'Armin plus rapidement que d'habitude.

-Eh bah... de rien, bredouille-t-il.

-La solitude a failli me rendre complètement cinglée... Vos visites, à Hitch et toi, étaient mes seuls rayons de soleil.

Alors les discussions à sens unique qu'il a eues avec elle lui ont fait du bien à elle aussi... Armin n'y voit pourtant aucun mérite.

-Mais dis-moi... Quel intérêt de tailler la bavette avec un bloc de roche inerte qui ne pouvait pas te répondre ?

Le jeune blond a l'impression de revenir quelques mois en arrière, lorsque Livaï lui posait la question. A ce moment-là, c'était déjà assez... délicat de parler de ces sentiments qu'il n'a jamais éprouvés auparavant. Cette fois, c'est Annie en personne qui le lui demande, et il ne sait pas où se mettre.

-Il devait y avoir des filles plus aimables et plus marrantes que moi, non ?, continue la jeune femme.

A cette question, Armin se sent rougir alors qu'il commence à avoir chaud. Bon sang, comme il se sent pathétique...

-Tu... tu n'y es pas, dit-il en balbutiant. C'est toi que j'avais envie de voir, Annie...

Armin a passé ces dernières années à se lier d'amitié avec le Caporal Livaï, l'homme le plus redoutable du Bataillon d'Exploration, il a appris à s'adresser aux hauts-gradés sans sourciller, et a prouvé plus d'une fois qu'il a l'étoffe d'un diplomate, et le voilà incapable d'aligner trois mots devant Annie. Il a pourtant passé des heures à lui parler lorsqu'elle était encore dans son bloc de glace. Placez le juste à côté d'elle, et il perd tous ses moyens.

Ça y est... T'es complètement mordu, mon vieux, pense-t-il.

-Pourquoi ?, demande Annie dans un murmure.

Armin se tourne vers elle, incrédule.

-Attends... Tu me demandes ça sérieusement ? Alors que Hitch n'arrêtait pas de me charrier là-dessus ?

Annie est à présent recroquevillée sur elle-même et, surprise inattendue, a les joues aussi rouges que lui. La stoïque et impassible Annie Leonhart est rouge comme une cerise.

Est-ce que pour elle aussi... ?

Les deux jeunes gens restent un instant en silence avant qu'Annie reprenne la parole.

-Franchement... je pige pas ce qu'on est en train de faire. Des centaines de personnes à travers le monde sont sur le point de se faire atrocement piétiner, et nous on est là à taper la discute...

Armin ne fait pas la remarque, mais il n'empêche que c'est elle qui lui a demandé de s'asseoir à côté d'elle.

-J'ai compris, ajoute-t-elle. C'est parce que t'es une bonne personne, c'est ça ? Tu te sentais obligée de me tenir compagnie même si j'étais une ennemie ? Tu rendais visite au monstre en léthargie qui finirait peut-être par se réveiller exactement pour la même raison que tu ne lâches pas l'affaire avec Eren : pour éviter le combat. Je me trompe ?

Au début, Armin pensait qu'Annie faisait semblant de ne pas voir l'évidence alors qu'il venait de lui déclarer ses sentiments à demi-mots. Puis en écoutant son dernier monologue, il a compris son cheminement de pensée. Grâce aux souvenirs qu'il a reçus de Bertholt, le jeune blond est bien placé pour connaître l'immense culpabilité qu'il a eue, ainsi qu'Annie et Reiner, lorsqu'ils ont dû commettre toutes ces horribles choses sur l'île Paradis. Annie doit sûrement penser qu'Armin ne lui rendait visite uniquement par intérêt, pour éviter un autre bain de sang inutile. La jeune femme sait qu'il est plus du genre à vouloir dialoguer pour trouver une solution autre qu'une tuerie générale.

Il fût un temps où Armin aurait fortement désapprouvé les actes de Reiner, Betholt et Annie. Supprimer autant de vies est tout simplement inhumain. Mais à présent que lui-même s'est sali les mains à de nombreuses reprises, il ne peut que compatir. Ça ne veut pas dire qu'il cautionne toutes ces tueries, loin de là. Mais il en sait un peu plus sur cette histoire sordide dans laquelle ils sont tous empêtrés.

On a tous commis des actes monstrueux, dans tout ce foutoir. Tous, sans aucune exception.

C'est ce que lui a dit Livaï lorsqu'il s'est réveillé de son horrible cauchemar. Maintenant, il doit s'assurer qu'Annie le comprenne, elle aussi.

Armin parvient à retenir Annie par la main alors qu'elle se lève pour s'en aller. C'est la première fois qu'il se permet un tel contact avec la jeune blonde, et elle ne fait pas l'effort de retirer sa main de la sienne.

-Je t'ai déjà dit que je n'aimais pas les termes "bonne personne", lui dit-il alors qu'elle se rassied à côté de lui. J'ai tué plein de gens, moi aussi, et pas que des militaires. Des civils, des enfants... Là, je fais le choix de trahir les habitants de l'île où j'ai grandi et en plus, j'ai tué des amis. Je suis un monstre, moi aussi.

A ce stade-là, il serait plus facile de dire qui n'a pas commis d'actes monstrueux depuis que toute cette histoire a commencé. La liste serait bien courte.

-Je me disais dans un coin de ma tête qu'un jour viendrait où je partirais à l'aventure avec Eren pour explorer le vaste monde...

-Mais le vaste monde n'est pas aussi chouette que tu l'envisageais, hein ?, comprend Annie.

-Oui... Il est très différent de celui dont on rêvait, confirme Armin avec une pointe de déception.

C'est même probablement pour ça qu'Eren compte raser toute la population en dehors de leur île: parce qu'Armin lui a fourré dans le crâne l'idée d'un monde inhabité à explorer depuis qu'ils étaient gosses. Il espère toutefois pouvoir lui parler et tenter de le dissuader de commettre cette folie.

-Mais tu sais, reprend-il, je suis persuadé qu'il reste une partie qu'on n'a pas encore découverte.

-Comment tu peux savoir ça ?

Armin hausse les épaules.

-Je ne sais pas, une conviction... La même qui m'a persuadé que la mer existait.

Les deux jeunes gens restent silencieux un moment, avec le clapotis de l'eau et le bruit des vagues servant de bande sonore.

-C'est vrai, ça, pense-t-il à voix haute. Depuis toujours, j'étais persuadé de l'existence de la mer, même quand personne n'y croyait. J'y ai toujours cru...

Il laisse sa phrase en suspens, et Annie enchaîne:

-C'est sans doute pour ça que le Caporal Livaï aime autant te parler... Quand tu parles de quelque chose, on a envie de t'écouter. La façon dont tu évoques tes convictions pour l'Humanité... Même si on n'est pas du même avis que toi, on ne peut qu'être accroché à tes paroles.

Elle le fixe alors droit dans les yeux.

-Quand j'étais dans mon état de plante verte, je t'ai entendu te demander ce que le Caporal Livaï pouvait te trouver. Ça peut être une piste de réflexion, tu crois pas ?

C'est alors qu'Armin réalise que la main d'Annie est toujours enveloppée dans la sienne, et lorsque la jeune femme entremêle ses doigts aux siens, son cœur bat à tout rompre alors que paradoxalement, une sorte de tranquillité s'empare de lui. Face à son geste osé, la jeune femme rosit légèrement.

Une phase magnétique débute alors entre eux. Armin se sent de plus en plus attiré physiquement vers Annie, et vice versa. Leurs visages ne sont qu'à quelques centimètres l'un de l'autre lorsqu'une voix se fait entendre de loin:

-Ah, Armin ! Je te cherchais !

Le jeune stratège relève la tête dans un sursaut. Le Major Hansi arrive juste derrière lui.

-Contente de voir que tu te portes mieux, continue sa supérieure. Livaï s'est réveillé il n'y a pas longtemps et il aimerait te voir. Enfin... sauf si tu as encore des choses à faire.

Forcément... avec une intervention pareille, Annie s'est décalée vite fait en tournant la tête pour éviter qu'on ne la voie avec le visage rouge. Armin retient un soupir face à ce moment intime interrompu.

-Non c'est bon. J'y vais tout de suite.

Et alors qu'il passe devant elle, Hansi le retient par le bras.

-Il est vraiment mal en point, lui avoue-t-elle en murmurant pour qu'il soit le seul à entendre. Je sens qu'il s'en veut pour énormément de choses. Il ne le dira jamais mais il a besoin de quelqu'un qui soit là pour lui.

Elle fait une pause avant d'ajouter:

-Il a besoin que tu sois là pour lui. Tu es le seul avec qui il est suffisamment à l'aise pour décuver toutes ses mauvaises émotions. Tu es le seul à en être capable, Armin. Alors veille sur lui, s'il te plait. Veille sur lui pour moi.

Entendre que Livaï se sent mal attriste énormément Armin. Cela ne fait que renforcer sa résolution à faire en sorte que son ami se sente mieux.

-Oui, ça va de soi, répond-il. Je tâcherai d'être là pour lui.

-Je te remercie.

Hansi lui tapote légèrement le bras tout en s'efforçant à sourire.

-Allez, je t'ai assez retenu. Va rejoindre ton Livaï, à présent. Vous avez sûrement beaucoup de choses à vous dire.

Alors qu'il s'en va rejoindre la cabine de son ami plus âgé, Armin repense à cette formulation: "ton Livaï".

"Mon Livaï", songe-t-il. On pourrait presque croire que je l'ai adopté.

***

-Comme on se retrouve, dit le Caporal alors qu'Armin s'introduit dans sa cabine. Après un mois sans se voir.

Techniquement, ce n'est pas la première fois qu'ils se revoient depuis un mois. Ils ont pu s'entrapercevoir rapidement lors du feu de camp avec les autres membres de l'Alliance. Livaï a surtout dormi avant de se réveiller suite à la série de coups que Jean a infligés à Reiner. Ils se sont ensuite vus en coup de vent alors qu'ils étaient dans la même charrette en direction du port. Mais là, c'est la première fois depuis un mois qu'ils ont l'occasion de se parler en tête à tête, comme au bon vieux temps.

Armin a déjà été mis au courant de l'affrontement entre Livaï et Sieg Yeager. Son cœur s'est décomposé lorsqu'il a vu l'état de son ami plus âgé, un peu avant le feu de camp entre les nouveaux membres de l'Alliance. Il n'arrivait pas à croire qu'un homme aussi formidable que lui ait pu être réduit à ça. Bon sang, c'est tout juste s'il est parvenu à réaliser que quelqu'un a pu mettre KO le soldat le plus puissant de l'Humanité. La seule question qui tourne dans sa tête actuellement n'est autre que : "Comment une telle chose a-t-elle pu se produire ?". Tout ça alors même qu'il connaît déjà la réponse.

-T'as l'air vachement content de me voir, gamin. Je pensais pas que mon état de pantin désarticulé te filerait la gerbe à ce point.

Cette phrase fait sortir le jeune homme de ses pensées.

-Désolé, je pensais à...

Il fait un geste évasif de la main, et Livaï semble comprendre.

-Tu penses à beaucoup de choses, dit le puissant soldat alors qu'Armin part s'installer à sa gauche, sur son lit.

-Ouais... je peux pas m'en empêcher. Il y a tellement de choses qui donnent matière à réfléchir, tellement de choses qui...

Soudainement, des flashbacks de ce qui s'est déroulé depuis la prise de pouvoir des pro-Yeagers défilent dans sa tête. Tous ces événements d'une noirceur qu'il n'a encore jamais connus jusqu'alors qui lui donnent envie de se mettre en boule sous une couette pour ne jamais en sortir. Sa gorge se serre et il ne peut pas s'empêcher de se trouver pitoyable. Hansi lui a pourtant demandé de veiller sur Livaï, et voilà qu'il a encore envie de craquer.

Même avec les poings serrés, ses mains tremblent comme des feuilles. Il sent alors une main ferme se poser sur la sienne, et tourne le regard vers son supérieur et ami. Son œil restant le fixe, et Armin a l'impression de voir l'orage y gronder. Il y a dans ce simple regard une sorte de feu, comme si le puissant soldat s'était promis de protéger et de rassurer Armin coûte que coûte. Cet orage est contrebalancé par la douceur qu'exerce Livaï en passant légèrement son pouce au-dessus de la main d'Armin.

Les mains du Caporal Livaï sont à la fois fermes et rugueuses, témoignant d'une vie faite de combats acharnés. Elles inspirent à Armin un sentiment de sécurité et de quiétude. A titre de comparaison, il trouve les siennes semblables à celles d'un enfant, beaucoup plus frêles et délicates. 

Armin s'est interrogé récemment sur la nature exacte de leur relation, à tous les deux. Ils sont amis, bien évidemment. Des amis proches même. Mais le jeune blond a l'impression que Livaï a rempli plusieurs rôles en même temps durant ces dernières années dans sa vie. Il est son mentor, quelqu'un vers qui il peut se tourner pour le conseiller et de qui il peut s'inspirer. Il est également une figure paternelle pour lui, bien qu'il sache que le puissant soldat n'est pas à l'aise avec le concept de paternité. Mais en même temps, Armin trouve qu'ils ont en plus un rapport assez fraternel l'un envers l'autre. Livaï est un peu comme un frère aîné qui doit en plus endosser le rôle de parent. Un frère aîné grincheux et protecteur envers son cadet plus inexpérimenté. C'est tout ce mélange de sentiments qui fait que leur relation est unique, et Armin est persuadé que l'homme plus âgé pense la même chose.

Il n'y a qu'à voir son regard s'adoucir progressivement alors qu'il continue de fixer Armin, comme si la tempête qu'il affrontait intérieurement se calmait. Pourtant, le jeune homme a l'intuition qu'il reste encore beaucoup de choses à régler.

-Je suis soulagé de te revoir, dit Livaï avec une douceur qu'Armin ne lui connaissait pas.

La boule qui obstruait la gorge du jeune homme diminue suite à cette déclaration.

-Raconte-moi tout, poursuit son supérieur. Je suis sûr qu'Hansi t'a demandé de veiller sur moi, mais c'est pas une raison pour que je sache pas ce qui s'est passé quand j'étais paumé dans la forêt.

Pour que le Caporal Livaï - le soldat le plus puissant du Bataillon d'Exploration, l'homme le plus redouté et le plus redoutable de tous - lui parle avec une telle tendresse, il faudrait vraiment que la fin du monde soit proche. Ce qui n'est pas éloigné de la réalité, il faut l'admettre.

Alors Armin lui raconte tout. La prise de pouvoir par les pro-Yeager, la discussion mouvementée entre Eren, Mikasa et lui dans le restaurant de Niccolo, leur emprisonnement avec Jean, Connie et la famille de Sasha, la discussion avec Yelena, l'affrontement dehors contre leurs supérieurs transformés en titans, l'entrée en contact d'Eren par le biais du Chemin, la poursuite d'Armin et de Gaby pour empêcher Connie de donner à dévorer Falco à sa mère, la culpabilité qu'il ressent vis-à-vis de tout ça... Il lui raconte absolument tout, si bien qu'au bout d'un moment, le regard de Livaï s'obscurcit de nouveau.

Armin lui a décrit beaucoup de choses dans son monologue, des choses aussi horribles les unes que les autres, et il est sûr que Livaï en a été dégouté par chacune d'entre elles. Pourtant, lorsqu'il lui dit avoir voulu se jeter dans la gueule de la mère de Connie pour qu'elle puisse reprendre une forme humaine, la poigne du Caporal sur sa main se fait beaucoup plus forte. Le détenteur du Titan Colossal a l'impression que sa main va être réduite à l'état de marmelade si Livaï continue de la presser de la sorte.

-Foutu merdeux.

Oulà, pense le jeune blond. Le ton âpre de son supérieur ne lui dit rien qui vaille. On pourrait croire que cette insulte est destinée à Connie pour son manque de jugement, mais Armin est à peu près sûr que Livaï l'a prononcée pour lui, à cause de son imprudence.

~~~

Bon... Livaï n'a pas l'air très très content là. Et un Livaï pas content, bah... ça fait un peu flipper quand même.

Que pensez-vous de leurs retrouvailles, à Armin et lui ?

Et les explications d'Armin avec Annie ? Et ce qu'Hansi lui confie juste après ?

En tout cas leur relation, à nos deux protagonistes, prend une toute autre dimension. J'ai un peu relu les premiers chapitres de cette fanfic, et c'est juste bluffant de constater leur évolution à tous les deux, que ce soit sur le plan personnel ou sur leur relation.

Mais rassurez-vous, ce n'est pas fini. Pas encore.

Quoi qu'il en soit, rendez-vous pour le prochain chapitre. Par contre, des mouchoirs sont à prévoir.

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