25° Un Drôle De Cadeau

Livaï

Il n'y a pas à dire, tout organiser pour faire en sorte qu'une minuscule île ennemie avec le reste du monde ait une chance d'être en sécurité est loin, mais alors très loin d'être une mince affaire.

"C'est une affaire titanesque !", comme le dirait si bien Hansi avec son sens de l'humour sous-développé. Sérieusement, elle était vraiment obligée de faire cette vanne ?

-Désolée, c'était tentant, s'est-elle justifiée absolument pas désolée.

-Et tu t'étonnes après que les gens t'évitent comme la peste, a persiflé Livaï.

Toujours est-il que son amie scientifique n'a pas complètement tort. Décider de l'avenir de l'île Paradis et de ses habitants a été la cause de nombreuses négociations. Et aussi de nombreux débats. Surtout en ce qui concerne le peuple Mahr, là d'où viennent les aspirants guerriers issus du peuple eldien.

Ce sont également les habitants de Mahr qui sont responsables de la transformation en titan d'eldiens qui ont eu le malheur de s'opposer au régime de leurs oppresseurs. Autrement dit, bien que le monde entier en ait après eux, dans l'immédiat, le peuple Mahr est leur plus grande menace.

Si Livaï avait cru un jour que cette guerre contre les titans gagnerait autant de proportions... c'est juste insensé. Ils vont de découvertes flippantes en découvertes flippantes.

Heureusement pour eux, quelques personnes venant du sol Mahr (ou plutôt, qui ont été forcées par le gouvernement Mahr de servir au sein de leur armée) semblent soutenir leur cause. Parce qu'en effet, tous ces gens sont originaires d'endroits qui ont été envahis par l'armée Mahr et qui n'ont pas eu d'autre choix que de s'engager auprès d'eux, à commencer par Onyankopon, un jeune aviateur prometteur. Vient ensuite le clan Azumabito, duquel Mikasa est issue. Cependant, Livaï soupçonne la femme à la tête de ce clan de ne chercher que son propre intérêt, et non celui des eldiens. Ceci étant, Hansi lui a demandé de chercher de potentiels soutiens pour les habitants de l'île Paradis, et la scientifique semble garder bon espoir.

Et pour conclure la liste des personnes susceptibles de les aider, il y a Yelena, que Livaï ne peut pas sentir. Cette femme lui paraît beaucoup trop ambiguë. Le fait qu'elle soit une fervente adoratrice de Sieg Yeager - détenteur du Titan Bestial et demi-frère d'Eren par-dessus le marché - doit y être pour quelque chose. Savoir que son ennemi juré, qu'il exècre plus que tout, ait une fanatique qui le vénère jusqu'à la trace de ses pas lui fait bouillir les veines. À chaque fois qu'il voit Yelena, il repense à la dernière promesse qu'il a faite à Erwin. Cette promesse qu'il n'a pas su tenir pour l'instant.

Malgré cet échec qu'il a bien l'intention de rectifier, le Caporal Livaï continue de se faire la réflexion suivante: c'est la mort de tous ses camarades tombés au combat qui lui donne la force de continuer à se battre. C'est le cas depuis qu'il a intégré le Bataillon d'Exploration, et depuis qu'il a commencé à suivre Erwin, après la mort de Farlan et Isabel. Mais c'est également la promesse qu'il a faite à Erwin qui lui sert de moteur. C'est bien simple, il ne peut pas se laisser aller.

Surtout que l'une des hypothèses émises pour assurer la sécurité des Eldiens consiste tout bonnement à coopérer avec Sieg Yeager en personne. Rien que d'y penser, Livaï a des envies de meurtre.

Je te vengerai, Erwin, pense-t-il comme si son défunt ami pouvait l'entendre. D'une façon ou d'une autre. Je t'en fais le serment.

L'image qui lui vient aussitôt en tête est celle où Erwin, le visage apaisé, lui prononce ces dernières paroles:

Livaï... merci pour tout.

Personne ne l'avait remercié avec autant de sincérité. Même si le Caporal n'est pas le genre de personne à rechercher des éloges, le fait est qu'il se décarcasse constamment pour les autres, quitte à souffrir encore et encore de la perte d'être cher. Et savoir que ce trait de caractère est reconnu le fait se sentir davantage valorisé, même si cela n'atténue pas la douleur endurée.

En dehors d'Erwin, personne l'a remercié ainsi.

Personne. Sauf Armin, lorsqu'ils sont retournés au QG après avoir vu la mer pour la première fois.

Encore une preuve que ces deux-là sont plus similaires que ce que Livaï pouvait penser.

***

Alors qu'il est installé derrière son bureau, le Caporal observe de plus près le coquillage qu'il a reçu quelques jours plus tôt. Il est de couleur grise avec cependant des reflets plus clairs. Esthétiquement parlant, il ressemblerait à un assemblage entre plusieurs galets de différentes couleurs.

Livaï a découvert ce présent lorsqu'il rentrait d'une énième réunion, totalement éreinté. Eh bien oui, il lui arrive parfois d'être éreinté. Parce que, mine de rien, se prendre la tête avec toutes sortes de politiciens pour décider de leur sort à tous a de quoi vider l'énergie de n'importe quelle personne saine d'esprit.

Enfin, à condition qu'il reste une quelconque sanité à cette personne, ce qui est loin d'être le cas lorsqu'on est en pleine guerre contre le reste du monde.

Toujours est-il qu'en entrant dans son Bureau, la première chose qu'il a vu est un mot plié en deux, posé de façon à ce qu'il tienne en équilibre sur le bureau. C'est en le prenant entre ses doigts que le Caporal a découvert le coquillage qui s'y cachait. Il n'a même pas eu besoin de lire le mot en question pour comprendre qui est à l'origine d'une telle chose.

Qui d'autre qu'Armin Arlert pourrait offrir un coquillage en guise de cadeau ?

En dépliant le petit mot, Livaï a pu lire la chose suivante :

Ça fait un moment que je voulais t'offrir un coquillage, mais j'ai beaucoup hésité sur lequel pourrait te faire le plus plaisir. J'espère que celui-là te plaira, personnellement je le trouve très beau... J'espère aussi ne pas trop te déranger en faisant tout ça. Ça fait un moment qu'on ne s'est plus parlé en tête à tête et je t'avoue que ça me manque.

Pas besoin pour lui de signer son nom car Livaï a su exactement qui était à l'origine d'un tel mot.

Du Armin Arlert à l'état pur.

En examinant le coquillage de plus près, le puissant soldat a remarqué qu'il n'y avait pas la moindre trace de sable. Son subordonné a visiblement pris en compte le fait qu'il éprouve une forte répulsion pour toute forme de saleté. Puis, en approchant le coquillage de son oreille, Livaï a pu entendre le bruit de la mer. Exactement comme l'a suggéré Armin.

-Ça doit être une affaire de résonance, a-t-il confié à son supérieur. A mon avis, le coquillage doit amplifier les sons qui y pénètrent.

Encore une théorie qui s'avère être juste, a songé Livaï en posant de nouveau les yeux sur son coquillage. C'est à se demander si ce gamin vient du futur. Il a toujours une longueur d'avance.

Il n'empêche que Livaï, bien qu'il a juré de ne jamais ô grand jamais faire pas de cela à qui que ce soit, a dû admettre en son for intérieur que ses rendez-vous quotidiens avec Armin lui manque aussi. Cela faisait pratiquement partie de leurs habitudes à tous les deux. C'était leur truc à eux. Seulement, avec tout le remue-ménage causé par les négociations pour assurer la sécurité des habitants de Paradis, disons que plus personne ne peut s'accorder le droit d'avoir des vacances. Enfin bon, ce n'était pas comme s'ils avaient déjà des vacances à proprement parler...

Sauf que cette fois, ils se retrouvent face à un cas inédit de leur histoire. De ces négociations peuvent découler ce qui causera leur salut ou leur perte. Et il ne faut en aucun cas se planter.

Bref, depuis un moment, toutes ces divergences politiques empêchent le puissant soldat et son jeune ami de se retrouver correctement et quand ils se croisent, c'est toujours en compagnie d'autres soldats, qu'ils soient de son escouade ou non. Malgré les airs qu'il veut se donner, Livaï ne voit aucun problème traiter Armin comme son égal, et cela l'agace un peu de devoir procéder ainsi uniquement lorsqu'ils sont tous les deux. Et puis, pour être honnête, rien ne l'empêche de procéder ainsi. Il n'a qu'à faire comprendre à ses subordonnés qui entrent tout fraîchement au sein du Bataillon d'Exploration qu'Armin Arlert est et sera la seule exception à la règle, que c'est comme ça et pas autrement, et qu'il n'y a pas lieu de tergiverser. (Quand on sait à quel point il était hésitant à se lier à un de ses subordonnés il y a de ça quelques mois, c'est d'autant plus marrant)

Après tout, faire comprendre les choses sans aucun détour, ça a toujours été sa spécialité. Avec bien sûr le déchiquetage de titans et autres créatures humaines, ça va sans dire.

Cependant, il sent - il sait - qu'Armin ne serait pas du même avis. Quelques jours après qu'ils aient vu la mer pour la première fois, il lui a en effet confié avoir observé que le lien qu'ils entretiennent n'échappe pas aux autres soldats du Bataillon d'Exploration. Le bruit a dû courir que le Caporal Livaï en personne s'entretient tout particulièrement avec un membre de son escouade. Cela aurait pu paraître anodin si la rumeur n'indiquait pas qu'ils ont une confiance exceptionnelle l'un envers l'autre. Livaï ignore jusqu'où va cette rumeur, mais il ne serait pas étonné d'entendre que ses subordonnés lui reprochent de faire du favoritisme - ce qui n'est pas faux, en soi.

Mais à titre personnel, il n'en a que faire. C'est surtout pour Armin qu'il évite de faire étalage de tout cela. Il veut lui éviter de s'attirer la jalousie potentielle de ses camarades. Les autres membres de son escouade en sont l'exception, bien sûr - il parle surtout de ceux recrutés récemment dans l'armée. Déjà que le jeune blond complexe à mort par rapport au fait que Livaï l'ait choisi à la place d'Erwin, inutile de lui ajouter en plus ce poids.

Les pensées du Caporal se perdent alors que son pouce caresse légèrement son coquillage entre ses mains. La venue récente d'Armin dans son Bureau lui fait raviver plus de souvenirs qu'il ne le souhaite.

Son jeune subordonné a été chargé par Hansi de lui remettre une pile de courriers. Aussitôt, les deux hommes n'ont pas perdu leur temps. Ce qui devait être à la base une simple remise de courriers à remplir et signer s'est rapidement transformé en discussion comme ils avaient l'habitude d'en faire auparavant.

-J'te jure que si je pouvais j'irais chier sur toute cette paperasse, histoire qu'on me foute la paix, a-t-il dit avec cette délicatesse qui lui est propre.

Ce commentaire a arraché un rire à Armin, habitué au vocabulaire peu conventionnel de son supérieur.

-C'est vrai que tout ça a l'air laborieux, a-t-il admis. Tout le monde est de plus en plus sollicité. Surtout avec ce qui nous attend.

Livaï a légèrement plissé les yeux en observant le jeune blond.

-T'as encore grandi, toi, hein ?

Ça, par contre, c'est la pire blague qu'on puisse lui faire. Il est condamné à voir grandir des gamins qu'il a connus alors qu'ils avaient environ la même taille que lui alors qu'il restera bloqué à un foutu mètre soixante toute sa vie.

Bordel, la vie est injuste.

Armin a eu l'air surpris par cette remarque.

-Ah bon, tu trouves ? Je n'ai jamais été le plus imposant de tous alors j'imagine que je n'ai pas fait attention.

-Tch... Et t'oses remuer le couteau dans la plaie en plus.

Le garçon lui a fait un sourire navré.

-Désolé. C'était pas mon intention.

Son visage s'est davantage éclairé lorsqu'il a vu ce que son supérieur tenait dans sa main.

-Je suis ravi de voir que mon cadeau te plaît, a-t-il dit en fixant le coquillage gris aux reflets clairs. Quand on est partis voir la mer, il y en avait une infinité. Mais quand j'ai vu celui-là, j'ai pensé qu'il pourrait te correspondre.

-Qu'est-ce qui t'a fait croire ça ?, a demandé Livaï en levant un sourcil.

-Eh bien... il n'est pas entièrement gris. En fait, il est gris mais on peut y voir plusieurs rayures d'une couleur plus claire. Je pense qu'on ne devrait pas s'arrêter à ce qu'on voit à vue de nez mais prêter attention à ce qu'on ne voit pas... Parce que, quelque part, c'est là qu'on peut faire la différence.

Le Caporal a pris sur lui pour masquer le fait qu'il ait été pris de court par cette affirmation qui ressemble lourdement à un message caché. Il semblerait qu'il a vu juste car les joues d'Armin se sont légèrement teintées de rose.

-Hansi commence à déteindre sur toi, et ça devient franchement flippant.

Le gamin n'a pas répondu. A la place, il a sorti un coquillage de sa poche - celui qu'il garde avec lui depuis qu'ils sont revenus de la mer.

-En fait... j'y pense parce que j'ai débloqué de plus en plus de souvenirs de Betholdt. Il y a beaucoup de choses que je comprends mieux. J'ai pu voir comment sont traités les aspirants guerriers, là-bas, chez les Mahrs. J'ai aussi vu comment ils étaient traités, lui, Reiner et Annie.

Les yeux bleus azurs d'Armin se sont teintés de... de quoi exactement ? Il y avait sur son visage une expression que Livaï ne lui connaissait pas et qui était assez improbable. De la tristesse, de l'espoir, mais avec également de la curiosité et de l'appréhension. Un mélange assez unique qui donnait un air mystérieux au jeune Arlert.

-J'ignore si elle peut m'entendre quand je lui parle, mais j'ai besoin de voir Annie... Il faut que j'essaye de la comprendre, malgré le fait qu'elle se soit enfermée dans un bloc de glace. Elle pourrait m'aider à y voir plus clair, mais en même temps... J'aimerais tant être avec elle, pouvoir l'aider...

En entendant cela, Livaï a froncé les sourcils. Est-ce qu'il lui parlait encore ? Ou bien parlait-il seul ? Armin a eu l'air d'avoir compris ses interrogations car il s'est mis à rougir encore plus, tout en triturant le coquillage qu'il tenait entre les mains. Le Caporal Livaï ne l'avait encore jamais vu ainsi.

Lui-même a encore du mal à pardonner à Annie d'avoir décimé son ancienne escouade. Pourtant, il a dû se rendre à l'évidence qu'elle, Reiner et Betholdt étaient tous les trois victimes du système dans lequel on les a enfermés. Ils ont dû composer avec le fait que leur race soit considérée comme une erreur de la nature et, pour pouvoir prouver au peuple parmi lequel ils ont grandi qu'ils sont méritants, ils ont été condamnés à massacrer ceux avec qui ils partageaient la même ethnie. Finalement, c'était comme s'ils avaient été obligés de renier qui ils étaient pour pouvoir être acceptés par les autres.

Pour Livaï qui a grandi en ignorant tout de son héritage en tant qu'Ackerman, ce constat lui parle, et pas qu'un peu. Et ça le dérange énormément.

En face de lui, Armin a été tellement gêné par ses propres dires qu'on pourrait croire qu'il cherche à se dissimuler derrière ses cheveux blonds. Éprouver de l'attirance envers quelqu'un qui est supposée être son ennemie, c'était vraiment la dernière chose à faire. Face à cette pensée, Livaï a poussé un soupir tout en réprimant le sourire moqueur qui menaçait dangereusement d'apparaître.

-T'es vraiment un cas à part.

Un petit rire s'est échappé de la bouche d'Armin, alors que ses joues avaient la même couleur que l'écharpe que Mikasa trimballe en permanence.

-Regarde un peu ce que tu me fais faire : je suis censé bosser et toi tu viens me parler de tes états d'âme, a dit le puissant soldat pour reprendre contenance.

-Très bien, je vais te laisser tranquille alors.

En repensant à tout cela, Livaï ne peut s'empêcher de soupirer. Il y a encore tant de choses qu'ils ignorent, tous, au sujet de ce monde extérieur qui souhaite raser entièrement leur peuple. Mais la question est: est-ce qu'ils auront le temps de trouver une solution sur le long terme qui permettrait de les faire vivre en sécurité ?

Pourquoi tout doit être si foutrement compliqué..., songe-t-il.

Il y a autre chose qui le perturbe, aussi. Armin lui rappelle de plus en plus Erwin. Son regard de plus en plus pragmatique sur le monde qui l'entoure devient plus proche de celui de son défunt ami. Bien sûr, il a conservé cette douceur presque naïve qu'il a toujours arboré, mais force est de constater que lui aussi a évolué. Et c'est peut-être ce qu'il redoute le plus.

Il craint de faire une bourde avec lui. Si cela arrivait, il s'en voudrait terriblement.

-Pourquoi tout doit être si foutrement compliqué, bordel, murmure-t-il à voix haute tout en serrant son coquillage entre ses mains.

~~~

J'espère que ce nouveau chapitre vous a plu ^^

De nouveaux défis et de nouvelles remises en question sont au rendez-vous, visiblement. Que pensez-vous de tout ça ?

Bon, j'avoue que j'ai pas grand chose à dire sur cette fin de page. Mais en fait, je ne veux surtout pas vous spoiler pour le chapitre suivant... Oooh, le suspens à deux balles.

Allez, à la prochaine !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top