17° Fantômes du Passé
Livaï
Est-ce que je te fais flipper, Armin?
Aussi fou que ça puisse paraître, Livaï avait besoin d'avoir une réponse claire à cette question. Car bien que son jeune subordonné ne soit plus aussi effrayé par sa présence, il aurait tout aussi bien pu ne plus l'être uniquement parce qu'il parlait du monde extérieur. Alors il s'est rappelé de la première fois où il l'a convoqué dans son Bureau, et de l'attitude craintive qu'il avait, au point de le remercier pour avoir fait un truc aussi simple que de lui donner une pomme pour se remplir l'estomac. Ce constat a fait réfléchir le Caporal qui s'est demandé si Armin lui montrait régulièrement ses livres seulement parce qu'il le lui a demandé. Il ne se l'est pas encore totalement avoué, mais l'idée de forcer son jeune subordonné et, quelque part, de se servir de lui pour voir à quoi ressemble le monde extérieur... eh bien, ça lui était désagréable. Le Caporal Livaï a ses moments de cruauté, bien sûr, mais pas au point de faire faire à quelqu'un quelque chose qui le révolterait s'il était lui-même forcé de le faire.
Heureusement, ce n'est pas comme ça qu'Armin a vu les choses. Il a réellement l'air d'apprécier ce qu'il fait en lui montrant ce qu'il sait sur le monde extérieur. Surtout lorsqu'il a prononcé la phrase suivante:
Je crois... que je suis chanceux de vous avoir à mes côtés.
Ça, par contre, c'était beaucoup plus que ce que Livaï aurait pu imaginer. Qu'un de ses soldats et membre de son escouade admette à voix haute qu'il prend plaisir à être en sa compagnie, ça, c'est du jamais vu. D'ordinaire, on le craint, on évite de le contrarier. Qu'Armin réussisse à franchir cette barrière, c'est totalement inattendu. Dans tous les cas, par cette simple phrase, le petit blond a fait comprendre à son supérieur que c'était son choix de continuer à lui montrer les livres de son grand-père.
C'est son choix, et il ne le regrette pas. De cela, Livaï en a maintenant la certitude. Et ce constat lui enlève une petite partie d'un poids sur ses épaules.
Un poids qui est présent depuis la mort d'Erwin qui, lui, n'aurait peut-être pas eu le moindre scrupule à utiliser le savoir d'un de ses subordonnés pour enrichir ses propres connaissances.
Repenser à son ami défunt ne fait que lui pincer le cœur. Il ne sait pas si c'est son sang d'Arckerman - oui, encore et toujours quelque chose lié à ce clan maudit - qui le fait se sentir ainsi, ou si c'est parce qu'il a été celui qui lui a servi de repère depuis la mort de Farlan et Isabel, ses meilleurs amis, mais son absence lui est plus que jamais pesante. Il est de plus en plus fatigué, mais ce n'est pas faute de ne pas beaucoup dormir. De toute façon, il n'a jamais eu besoin que de deux ou trois heures par nuit pour piquer un somme, et c'était amplement suffisant pour lui. Du moins, il l'a toujours cru...
C'est avec ces pensées en tête que Livaï se rend au Bureau de la dernière personne qui lui reste en tant qu'amie - bien qu'il ne l'admettra jamais. Après quoi, il ira rejoindre Armin dans son Bureau, à qui il a demandé de l'y attendre le temps qu'il arrive.
-Alors Livaï !, lance Hansi à peine a-t-il eu le temps de rejoindre la scientifique dans son Bureau. Qu'est-ce qui t'amène?
La femme en face de lui a l'air comme survoltée, et il se demande combien de tasses de café elle a pu s'enfiler.
-Gueule pas trop fort, la binoclarde, rétorque-t-il de sa voix bourrue. Tu penses à arrêter de bosser, parfois? Si tu continues, tu vas devenir encore plus folle que tu l'es déjà.
La brune pousse un immense soupir. Elle se laisse ensuite tomber sur son siège.
-Je te cache pas que c'est dur pour moi, en ce moment. J'ai pas mal de chats à fouetter, entre toute la paperasse à remplir et les prochaines opérations à effectuer... J'en oublie même de faire des pauses, c'est te dire! En plus, il n'y a même plus Moblit pour s'assurer que je me détende un peu...
Elle passe une main sur son visage, l'air exténué. Livaï la reçoit cinq sur cinq. Moblit Berner a été son assistant lors de ses expériences farfelues sur les titans. Il a malheureusement perdu la vie lors de la reprise du Mur de Shiganshina. Maintenant que ce dernier n'est plus de ce monde, Livaï a comme l'impression qu'il est le seul à pouvoir convaincre son amie de s'arrêter de temps à autre.
Et si la négociation ne marche pas, il reste la manière forte. Après tout, ça ne serait pas la première fois que le Caporal assommerait littéralement la scientifique pour la faire prendre un bain alors que cette dernière serait inconsciente.
-Et tu veux que je te dise, franchement?, continue Hansi. Ça fait à peine quelques semaines que je suis Major et j'ai pourtant l'impression que ça fait une éternité. Y a pas à dire, mais qu'est-ce que c'est éreintant... Je me demande comment faisait Erwin.
Elle pousse de nouveau un soupir avant de demander à Livaï:
-Et toi? Comment t'arrives à gérer tout ça?
Ah, nous y voilà.
-Mouais, on fait comme on peut. C'est pas la première fois que je passe par là, de toute façon. Ce sont des choses qui arrivent quand on entre dans l'armée.
De son unique œil, Hansi l'observe avec attention.
-Tu as l'air épuisé, toi aussi.
Pendant un temps, Livaï ne répond pas, maîtrisant au mieux ses émotions qui tourbillonnent en lui. A vrai dire, il n'y a pas que l'absence d'Erwin qui le met dans un état pareil.
-Ouais, c'est logique, répond-il finalement. Avec cette histoire d'Ackerman et toutes les conneries qui vont avec. Et toi, t'es celle qu'il a désignée pour le succéder. Donc ça te fait un poids sur les épaules.
Il fait une courte pause avant d'ajouter:
-Mais je crois pas qu'on soit les seuls à être affectés par ça. Armin aussi a un poids immense sur ses épaules. Puisqu'on lui a chargé de prendre sa suite et qu'il doit en plus être confronté au regard de ces abrutis de haut-gradés, je crois que lui aussi a l'impression que le fantôme d'Erwin le suit en permanence.
Le regard d'Hansi (est-ce qu'on peut vraiment parler de regard maintenant qu'il lui manque un œil?) se fait songeur.
-J'ai pu collaborer avec Armin, ces derniers temps. Pour discuter stratégie. Il est vachement perspicace pour son âge, c'est indéniable. J'ai l'impression qu'il a toujours une longueur d'avance sur moi.
Elle commence à sourire.
-En plus, on doit tester ses aptitudes de titan, demain. Je crois que c'est la seule chose qui me met réellement de bonne humeur. En plus, il m'a dit qu'il a pu débloquer des souvenirs de Betholt et plus précisément sur la façon qu'il avait de se transformer en titan!
-Ton obsession pour les titans devient carrément flippante, là.
-Roh allons, Livaï! C'est bien comme ça que tu m'as connue, non? Tu sais ce qu'on dit: on change pas une équipe qui gagne.
Oh, ça oui. Beaucoup d'événements ont marqué Hansi Zoe, au point quelques fois d'obscurcir sa personnalité guillerette et optimiste, mais s'il y a un point sur lequel elle n'a pas évolué d'un pouce, c'est bien son amour quasi-malsain pour les titans.
-Tiens d'ailleurs! Puisqu'on parle d'Armin, j'ai remarqué qu'il n'est plus pareil depuis que tu commences à le convoquer tous les soirs ou presque. Il s'exprime avec beaucoup plus de facilité qu'avant. Quand il vient me voir pour parler des prochaines opérations, quand je l'emmène avec moi pour parler aux hauts-gradés... Si si, je te promets! Il les regarde droit dans les yeux sans sourciller alors que je suis sûre qu'il a peur, intérieurement, comme n'importe quel soldat s'adressant à un haut-gradé. Il a une telle force et une telle tranquillité quand il s'exprime, c'est incroyable. Il inspire la confiance, tout simplement. Et en plus il a une voix toute douce, on croirait entendre de l'eau couler...
-Tu veux lui faire une demande en mariage, aussi?
-Bref, tout ça pour dire que parler avec toi ne fait que l'aider à s'améliorer, continue Hansi en ignorant magnifiquement Livaï. Et si je peux me permettre, de quoi vous parlez, tous les deux?
-Du monde extérieur. Faut que j'y aille d'ailleurs. Et je te conseille d'arrêter de bosser et d'aller pioncer, sinon je saurai t'y forcer.
Loin d'être intimidée par cette menace, Hansi éclate de rire.
-Tu perds jamais le nord, toi, hein?
Livaï a déjà la main sur la poignée de la porte, prêt à quitter le Bureau de son amie. Au dernier moment, il lui confie:
-Tu vois Hansi, je sais qu'Armin est différent d'Erwin, j'en ai la confirmation tous les jours. Mais parfois, quand je le regarde, j'ai l'impression de le voir, lui. Surtout au niveau des yeux.
Le visage de la brune se fend d'un sourire triste.
-Oui... j'ai cette impression, moi aussi. Peut-être bien qu'ils sont plus similaires que ce qu'on pensait.
Livaï lui lance un dernier regard avant de fermer la porte derrière lui. Le temps d'arriver devant la porte de son Bureau, la conversation qu'il a eue avec Hansi a eu le temps de tourner une fois de plus dans sa tête. En s'introduisant dans son Bureau, il voit qu'Armin y est déjà, comme convenu. Il est assis sur une chaise, comme à chacune de ses venues.
La seule différence, c'est qu'il s'est endormi. Il a la tête entre les bras, sur le bureau de son supérieur, et son sommeil est tellement lourd qu'il n'a même pas entendu que Livaï est arrivé.
J'ai quand même pas fait aussi longtemps chez l'autre bourrique à lunettes..., réfléchit-il. S'il est fatigué à ce point, ça veut dire qu'il a loupé plusieurs nuits de sommeil. Après, bon... je suis pas le mieux placé pour lui faire ce genre de reproche.
Qu'est-ce qui pourrait empêcher son jeune subordonné de dormir, la nuit? Serait-ce sa transformation prochaine en Titan Colossal qui lui faisait si peur? Le Caporal a appris à connaître le petit blond, et tel qu'il le connaît, il doit sûrement se dire qu'il n'a pas droit à l'erreur, auquel cas il penserait que tout le monde le verrait comme un bon à rien.
Alors qu'il dort, le visage d'Armin semble détendu et serein, si bien que Livaï hésite à le réveiller. Cette journée de demain doit lui sembler bien redoutable s'il manque à ce point de sommeil, et Livaï se dit que lui faire parler du monde extérieur ne ferait que raccourcir son temps de récupération. Peut-être faudrait-il le réveiller dans ce cas, et lui dire d'aller directement rejoindre ses camarades pour dormir. Ce serait une bien meilleure idée...
Mais une part de lui ne veut pas le réveiller. Ça parait assez bête, mais regarder Armin dormir lui est à la fois attendrissant et douloureux.
Pourquoi douloureux? Eh bien, tout simplement parce que le voir dans cette posture - et, de façon générale, le fait de le recevoir dans son Bureau chaque soir - lui fait revenir en mémoire de lointains souvenirs. C'est complètement fou, même pour lui, mais le Caporal Livaï voit en Armin des aspects des personnes qui lui étaient chères et qui ne sont plus de ce monde.
Quand il voit l'intelligence et la prudence d'Armin Arlert, Livaï repense à Farlan Church. Comme lui, il est le cerveau du trio qu'il forme avec Eren et Mikasa. Quand il voit son désir d'explorer le monde et l'émerveillement qu'il possède face à des choses qui semblent minimes, Livaï repense à Isabel Magnolia. Rien que le fait d'avoir vu le petit blond prendre plaisir à donner des noisettes à manger à un écureuil lui rappelle la fois où Isabel s'est démenée pour soigner un oiseau blessé. Quand il voit sa loyauté envers les autres et son envie de toujours bien faire les choses pour ne pas décevoir les autres, Livaï repense à Petra Ral, l'un des membres de son ancienne escouade décimée par le Titan Féminin. De tous les soldats avec qui il a pu interagir, elle est la seule avec qui il s'entretenait régulièrement mais leurs rapports étaient strictement professionnels. Et encore, sa disparition a été particulièrement difficile à supporter parce que sa subordonnée lui rappelait Isabel...
Et évidemment, il y a Erwin... Bien qu'ils aient en commun leur esprit stratège et une façon de parler bien à eux pour convaincre les gens, la ressemblance est surtout physique. Il y a, bien sûr, leurs cheveux blonds, mais aussi et surtout leurs yeux bleus. Ceux d'Erwin étaient peut-être plus marqués par la fatigue et le devoir, ainsi que la conscience d'envoyer des hommes à leur mort pour la perspective ultime de réaliser son désir personnel. Car même lui n'était pas aussi parfait que ce que prétendent les gens. Par contre, la lueur qui brillait dans ses yeux et qui brille dans ceux d'Armin est de la même nature. C'est une lueur faite d'espoir qui ne laisse personne indifférent.
Par contre, Livaï doit bien admettre que, d'un certain point de vue, Armin ressemble aussi à Hansi. Tous deux font preuve d'ingéniosité dans leurs idées, et leur façon de penser diffère avec celle des autres. Ils cherchent toujours à sortir des sentiers battus. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles la scientifique apprécie le jeune garçon.
Toutes ces similitudes, bien qu'elles perturbent le Caporal, ne doivent en aucun cas être une raison pour faire d'Armin une sorte de remplacement. Non, chacun est comme il est. Armin est comme il est, et on ne lui demandera jamais d'être quelqu'un d'autre que lui-même.
En voyant son jeune subordonné si paisiblement endormi, le Caporal est soudain pris d'un élan affectueux et protecteur envers lui. Ce garçon au mille contradictions qui a réussi, malgré lui, à faire partie du quotidien de Livaï. Ce garçon qui ressemble tant aux personnes qui ont compté pour Livaï mais qui n'en est pas moins unique à ses yeux.
Il avance sa main vers le visage du petit blond et, à peine en a-t-il caressé la joue avec son index qu'il se sermonne mentalement.
Tch, qu'est-ce qui me prend... C'est pas mon petit frère, et encore moins mon gosse. De toute façon je serais vraiment à chier, comme père.
Et comme pour prouver qu'il est bien dans une phase d'analyse de ressemblance, les derniers mots de Kenny lui reviennent en mémoire: Je n'ai pas la fibre paternelle. Je ne l'ai jamais eue. Il ressemble certainement beaucoup plus à son oncle que ce qu'il aurait cru.
-Arrêtez... arrêtez ça...
Ces supplications à voix basse, ainsi que le bruit d'une respiration rapide et de gémissements plaintifs font sortir Livaï de sa rêverie. En face de lui, Armin est en train de faire un cauchemar.
~~~
Alors alors... qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
On y voit encore une fois Livaï repenser à Erwin, mais également aux personnes qu'il a perdues. On le voit aussi se questionner sur son sang d'Ackerman.
On le voit aussi interagir avec Hansi et rassurez-vous, on aura droit à d'autres interactions entre ces deux-là. Sérieusement, ils me font parfois penser à un vieux couple et les voir se parler est juste hilarant, des fois.
Et bien sûr, on comprend dans ce chapitre que Livaï se sent de plus en plus attaché à Armin, même s'il n'est pas encore prêt à l'admettre. Que pensez-vous des ressemblances qu'il lui trouve avec les gens de son passé (et de son présent aussi, vu qu'on parle d'Hansi) ?
Et à votre avis, de quoi peut bien parler le cauchemar d'Armin ?
Réponse... au prochain chapitre !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top