13° Une Passion Peu Commune
Livaï
L'enterrement d'Erwin a beaucoup plus fatigué Livaï que ce qu'il aurait cru.
Peut-être que c'est dû au fait qu'il ait pu voir sa dépouille une dernière fois avant d'être mis en terre ? A moins que ça ne soit à cause du discours du Général Darius Zackley sur ce qu'Erwin Smith a apporté au Bataillon d'Exploration ? Ou alors, c'est à cause de la promesse qu'il n'a pas su tenir envers lui, à savoir l'élimination du Titan Bestial ?
Peut-être bien un peu des trois en même temps.
D'ailleurs, Darius Zackley a demandé à Livaï s'il souhaitait faire un discours pour honorer la mémoire de l'ancien chef du Bataillon d'Exploration. Il a refusé tout net. Faire étalage de ses états d'âme ? Hors de question. Et puis, si c'était pour rappeler encore et encore que leur combat n'était pas terminé et que la vie du Major Erwin devrait servir d'exemple pour les prochaines recrues à venir, Zackley pourrait parfaitement s'en charger. Il n'empêche que pendant toute la durée des funérailles, une boule amère s'est logée dans la gorge du soldat le plus puissant de l'Humanité.
Depuis qu'Isabel et Farlan sont morts, Erwin a été le plus solide rempart de Livaï. C'est sa philosophie sur le fait de ne pas regretter ses choix qui lui a fait tenir le coup, lorsque le Bataillon d'Exploration a subi d'importantes pertes. C'était surtout le cas lorsqu'il a perdu son escouade une première fois. Livaï n'oubliera jamais le moment ô combien éprouvant où il a dû jeter le reste de ses soldats en pâture à des titans qui les poursuivaient. La vue de cette scène lui donne encore la nausée.
Après tout, le Caporal Livaï a fait le serment de toujours suivre Erwin et ses enseignements. Comme pour ceux qui sont tombés avant lui, il s'engage à faire en sorte que son sacrifice ne soit pas vain.
Après la mise en terre d'Erwin, tous les soldats se sont progressivement retirés. Au bout de dix minutes, il ne restait que Livaï, avec Hansi à côté de lui. Les gens l'oublient souvent, mais Erwin a aussi beaucoup compté pour la scientifique récemment devenue le quatorzième Major du Bataillon d'Exploration. Elle l'a connu avant que Livaï ne quitte les Bas-Fonds. Et puis, si Erwin a choisi Hansi pour le succéder, c'est qu'il a cru en son potentiel et qu'il lui a fait confiance pour prendre les rênes du Bataillon d'Exploration. Ils avaient tous les trois une relation de confiance et d'amitié sincères les uns envers les autres. Ils n'en avaient peut-être pas l'aspect familial, presque fraternel, comme ça a pu être le cas avec Farlan et Isabel. Mais le fait est qu'ils étaient liés par le sentiment d'appartenir au même corps d'armée, et d'avancer dans la même direction pour leur salut à tous.
Enfin... Il y a le fait qu'Erwin n'hésitait pas à sacrifier ses soldats pour ses ambitions personnelles qui vient obscurcir l'image du Major sans défaut, prêt à tout pour le salut de l'Humanité. Cette vérité dérange énormément Livaï.
-Erwin nous a laissé une lourde charge derrière lui.
La voix pleine de gravité d'Hansi a fait sortir Livaï de ses pensées.
-Ouais... c'est maintenant à nous de faire en sorte que sa mort serve à quelque chose, a-t-il dit en fixant la tombe d'Erwin.
Le nouveau Major a poussé un long soupir.
-Quand je pense à tout le boulot qui m'attend... Souhaite-moi bonne chance, Livaï. J'en aurai bien besoin.
-Je te souhaite de bien t'amuser, Quatre Z'Yeux.
-Évidemment, je peux toujours compter sur toi pour me soutenir.
Un silence est passé entre les deux amis avant que la scientifique ne reprenne la parole.
-Tu devrais aller te reposer. Je peux comprendre que tu sois particulièrement marqué par tout ça mais...
-Nan c'est bon, c'est pas la peine. Il y a des trucs que je dois faire.
Hansi n'a pas jugé bon d'insister. Elle sait que lorsque Livaï a une opinion arrêtée sur un sujet, plus rien ne peut le faire changer d'avis.
Et malgré la douleur qu'a causé le deuil d'Erwin, Livaï n'y est pas allé par quatre chemins - ce qu'il a l'habitude de faire, cela dit.
***
Après avoir passé des jours et des jours à entendre parler de cette fameuse mer, le Caporal ne demande pas mieux que d'apprendre ce qu'il en est de la bouche de celui par qui toute cette histoire a commencé. Et en l'occurrence, Armin, bien qu'ayant l'air perplexe, ne semble pas totalement surpris par la requête qu'il vient de formuler.
-Que voulez-vous savoir sur la mer, exactement?
-Raconte-moi tout ce que tu sais, ça suffira.
Les yeux du jeune blond s'agrandissent progressivement, comme si toutes les informations qu'il avait à ce sujet remontaient à la surface. Et même, vu le visage qu'il fait en ce moment, Livaï comprend que son jeune subordonné ne sait pas par où commencer. Alors il lui laisse le temps de trier ses idées. Progressivement, la respiration d'Armin se fait plus rapide, alors qu'il tapote ses genoux du bout des doigts. On croirait que les données qu'il reçoit sont sur le point de lui causer une overdose.
-La mer, Caporal, c'est... c'est comme un immense lac qui s'étend jusqu'à l'horizon à perte de vue. Et l'eau aurait la particularité d'être salée. Je pense qu'un marchand de sel n'aurait pas assez de toute sa vie pour l'extraire complètement.
-Ouais... jusque-là, j'ai bien compris, dit Livaï. C'est juste la millième fois que j'entends cette info.
Loin de se laisser démonter par la remarque de son supérieur, Armin poursuit sur sa lancée avec plus d'assurance dans la voix.
-Jusque-là, je pensais que personne n'avait encore réussi à atteindre la mer. Mais avec ce qu'on a appris récemment, sur le fait qu'on ne soit pas les seuls êtres humains au monde, ça me fait reconsidérer beaucoup de choses... Quoi qu'il en soit, je sais qu'il y a bien longtemps, dans des civilisations anciennes, on attribuait les mouvements perpétuels de la mer à des divinités qui sont, forcément, liées à la mer et aux océans. On y compte, par exemple, Poséidon, dieu de la mer, des océans, des rivières, des sources, mais aussi des tremblements de terre et des chevaux. Il y a aussi ce qu'on appelait les nymphes, c'est-à-dire des divinités dites mineures et qui sont principalement représentées sous des traits féminins et associées à différents aspects de la nature.
L'excitation du petit blond est plus que visible, malgré les efforts qu'il fait pour ne pas le montrer. La peur qu'il avait l'air d'avoir au début s'estompe petit à petit, remplacée par une passion, non pas violente comme c'est souvent le cas chez les gens, comme par exemple Eren, mais qui inspire, au contraire, un sentiment de paix, et qui force à faire l'impossible.
-Quant aux animaux qui y vivent, il y en a une immense quantité...! Des poissons, et d'autres mammifères marins comme des dauphins par exemple, ou encore des phoques, des otaries, des morses ou encore des loutres de mer... Et il y a même des coquillages apparemment, des coquilles de mollusques marins... C'est tellement fascinant...!
Ça y est, c'est bon... Je crois que je l'ai perdu, pense Livaï.
Malgré cela, il n'ose pas interrompre le jeune garçon, dont la voix vibre d'un espoir presque inexprimable. Livaï sent très clairement l'émotion et la transe qui se dégagent d'Armin, et il est transporté par ce qu'il raconte - même s'il fait tout pour ne pas le laisser paraître, bien évidemment. Ce gamin a véritablement un don pour raconter des choses toutes simples, et le fait qu'il parle en plus d'une chose qu'il rêve ardemment de voir ne fait qu'ajouter de l'intensité dans ses paroles, même si le Caporal ne comprend pas toujours tout ce qu'il a évoqué.
Le Caporal Livaï n'aurait jamais cru que quelqu'un d'aussi calme et paisible pouvait avoir une telle force dans ses propos. Et pourtant, il en a la preuve juste en face de lui.
Ce gosse est vraiment spécial. C'est une certitude.
-Montre-moi ce fameux bouquin qui parle de la mer, demande-t-il d'une voix plus douce qu'il ne l'aurait voulu.
Armin ne se le fait pas dire deux fois. Il sort aussitôt de la pile un livre à la couverture bleu foncé et, déplaçant sa chaise à côté de son supérieur, le jeune stratège commence à faire défiler quelques pages en lui montrant les illustrations des choses dont il a parlé, bien qu'elles soient en noir et blanc. Il lui fait ensuite apprendre que ces livres en question étaient des livres interdits par les autorités, ce qui lui vaut un certain respect de la part de Livaï. Il n'aurait jamais cru qu'Armin Arlert aurait un comportement digne d'un hors-la-loi, en bravant les interdits pour pouvoir continuer de rêver. Et en ce qui concerne les comportements dignes d'un hors-la-loi, le Caporal Livaï en connait un rayon, ayant lui-même été un criminel lorsqu'il vivait encore dans les Bas-fonds...
Après quoi, Armin se met à expliquer comment il a découvert le fameux livre qui a pour sujet la mer. D'après lui, son grand-père le lui a confié alors que les parents du petit blond avaient pour ambition de partir en montgolfière pour explorer le monde. Ayant compris l'enjeu de tout ceci et partageant le rêve de ses géniteurs, Armin a aussitôt eu le désir d'en faire part à Eren, qui était à l'époque son unique ami.
-C'est à partir de là que notre rêve de voir la mer a vu le jour, explique Armin à son supérieur. On passait nos journées à en parler, et même quand Mikasa nous a rejoint.
-Mais vous saviez que vous pouviez vous faire griller à tout moment par les autorités en parlant de tout ça?
Le garçon hoche la tête en guise de réponse.
-Est-ce que tes parents ont pu s'échapper?
Voyant la tristesse qui voile les yeux bleus de son jeune interlocuteur, Livaï devine qu'il vient de toucher un sujet sensible.
-Non hélas... Les autorités leur ont tiré dessus alors qu'ils essayaient de grimper dans leur montgolfière... Après leur décès, c'est mon grand-père qui m'a élevé.
Un silence se fait durant lequel Livaï laisse à Armin le temps de faire passer son chagrin.
-C'est ton grand-père qui t'a appris toutes ces choses sur le monde extérieur, hein?
-Oui, Caporal, répond le jeune blond d'une petite voix.
-Et je vois qu'il a bien fait son boulot, visiblement. Sans lui, tu ne serais peut-être pas qui tu es aujourd'hui.
C'est une expérience qui est familière au Caporal Livaï. Lui-même a été élevé par la seule famille qui lui restait, à savoir Kenny, après la mort de sa mère. Celui que l'on surnommait l'Égorgeur lui a appris tout ce qui était nécessaire pour vivre dans le monde cruel et sans pitié qu'est celui que constituent les Bas-Fonds. Et, de la même manière, le grand-père d'Armin lui a enseigné ce qu'il savait sur le monde extérieur pour alimenter sa curiosité face à un monde où rêver n'est pas permis.
Même s'il n'a pas l'intention de dévoiler à Armin son passé peu glorieux, Livaï est forcé de constater que, sur ce point, son jeune subordonné lui ressemble. Ils ont tous deux reçu de la part du dernier membre de leur famille respective quelque chose qui ont participé à faire d'eux ce qu'ils sont devenus, et qu'ils ont cultivé pendant toutes ces années pour survivre. Le savoir et la sagesse pour Armin, et la capacité d'attaque et de défense pour Livaï.
-On a tous reçu quelque chose de la part de quelqu'un, je pense, dit Armin comme s'il avait lu dans les pensées de son supérieur. Une morale, une façon de penser ou de faire... et c'est quelque chose qui nous influence plus ou moins.
Si tu savais, Armin, se dit Livaï en pensant à Erwin.
Si la théorie concernant la loyauté des Ackerman est correcte, ça signifie donc qu'ils considèrent que la personne qui leur a ouvert les yeux un moment donné est également leur maître incontesté, et qu'ils leur seront fidèles jusqu'à la fin. Peu importe ce qu'ils feront à l'avenir, le souvenir de cette personne en question influencera le moindre de leur choix. Livaï espère que cette théorie est fausse. Être considéré comme l'homme le plus puissant de l'Humanité et n'être appelé que de cette façon l'agace déjà bien suffisamment comme ça. S'il faut en plus qu'il soit considéré comme une machine de guerre ayant le devoir d'être soumis à une personne en particulier, il serait alors un esclave dans tous les sens du terme. Pour un peu, on ne le verrait même plus comme un être humain.
Il n'y a pas à dire, être fort et imbattable s'accompagne très souvent d'un prix.
-Caporal?
L'homme plus âgé reporte son attention vers Armin, lequel le regarde avec un air tracassé. Il se fait sans doute du souci pour lui.
Livaï ne sait pas quelle tête il tirait pour jeter le jeune Arlert dans une telle inquiétude, mais il pense que le petit blond n'a pas besoin de savoir ce qui le torture autant, même s'il souhaite malgré tout faire part de ses doutes à quelqu'un. Mais ça, il n'en était pas question. Il a un rôle à tenir et ne peut pas se laisser aller.
-Ça suffit pour aujourd'hui, gamin. Reviens demain, même endroit, même heure.
Il se rend compte avec un temps de retard de la voix dure qu'il a prise pour s'adresser à son jeune soldat. Au regard perplexe que fait ce dernier, il est fort probable qu'il ait compris que quelque chose ne va pas dans le comportement de son Caporal.
Armin se lève de sa chaise pour reposer le livre sur le bureau. Puis il reste là, comme s'il voulait s'attarder un instant. Livaï fronce les sourcils devant cette attitude. Il est sur le point de lui demander sèchement s'il attend le déluge pour partir, mais le jeune blond le devance:
-Vous pouvez jeter un œil aux autres livres sans moi si vous le souhaitez, Caporal. Ça ne me dérange pas.
Il ne le regarde pas dans les yeux, et Livaï réalise qu'il a pris sur lui-même pour lui dire cela. Sûrement que le nouveau détenteur du Titan Colossal devait appréhender de prendre la parole en premier pour lui confier une telle chose. Un peu comme quand ils se sont brièvement parlé, avant la reprise de Shiganshina.
C'est alors que le Caporal prend soudainement conscience de la confiance que lui fait Armin en lui laissant les livres de son grand-père. Il aurait tout aussi bien pu lui demander de les emmener avec lui et de les garder précieusement. Au lieu de cela, il les lui confie. Livaï ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec les réflexions qui l'ont assailli juste avant qu'il ne dise à Armin qu'il pouvait quitter son Bureau. C'était comme si le petit blond lui disait de façon indirecte qu'il pouvait avoir confiance en lui, comme lui-même lui fait confiance pour lui laisser ces ouvrages qui lui sont précieux.
Connaissant le génie précoce du garçon, Livaï ne serait même pas étonné qu'il ait la capacité de formuler des phrases à partir de non-dits.
-Non, c'est bon. Ça ira.
Une fois Armin parti, Livaï reste dubitatif face au comportement de son jeune soldat, qui est un mystère pour lui. Il est d'un naturel craintif mais cherche à surmonter ses peurs. C'est un rêveur qui arrive à rester terre-à-terre. C'est quelqu'un de doux qui parvient à insuffler de la force dans ses mots. Il est pondéré mais n'hésite pas à être radical s'il le faut. Il a des réflexions matures pour son âge, mais il a aussi un côté enfantin presque touchant, qui s'émerveille pour des petites choses.
Ce garçon est décidément un mélange de beaucoup contradictions, et ça ne fait qu'attiser la curiosité de l'homme le plus puissant de l'Humanité qui aimerait apprendre à le connaître un peu plus.
Qui est réellement ce môme?
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J'espère que ce chapitre vous a plu !
On a pu assister aux impressions de Livaï sur l'enterrement d'Erwin, et on a même eu un aperçu du trio qu'ils formaient avec Hansi. (J'avoue que je sais jamais comment écrire son prénom.) Qu'avez-vous pensé de cette analyse, d'ailleurs ?
Et bien évidemment, Livaï a été aux premières loges pour voir de plus près la passion qui anime Armin quand il évoque la mer. Il commence également à le connaître un peu, et il n'est pas près d'avoir fini d'être surpris par lui.
On voit également qu'il y a des choses qui tracassent Livaï suite à la mort d'Erwin, notamment son appartenance au clan Ackerman, et la remarque d'Armin réveille des interrogations chez lui.
Ça nous donne pas mal de grain à moudre en gros, surtout si on compte assister au lien naissant entre Livaï et Armin...
C'est là-dessus qu'on se quitte, et le prochain chapitre sera signé Armin !
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