𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟏
— U L T I M E S O U H A I T —
JE PENSE N’AVOIR jamais été aussi embarrassée de ma vie.
Une partie de moi se voit rongée par le fait que cette soirée est absolument abominable tandis que l’autre geint à l’idée qu’Ace avait raison. Et je ne sais laquelle de ces deux propositions est la plus écœurante.
Le restaurant nous entourant est pourtant assez agréable. Tamisé, quelques guirlandes de LED violettes épousent le plafond tandis que divers aquariums sont illuminés pareillement. Le tout confère aux canapés de cuir blanc et bar noir l’allure d’une boite de nuit de jeux vidéo. Pourtant, il s’agit bel et bien d’un endroit où diner.
Bien qu’il ne faille pas être très dégourdi pour réaliser qu’il est coutume d’emmener manger ici des personnes que l’on traine immédiatement après au motel bordant ce bâtiment.
— …Mais moi, je n’y peux rien si les gens aiment mon visage. J’aimerai qu’ils comprennent juste que je suis pas qu’un beau mec sympa, musclé, mignon, altruiste, craquant, attentif, diplômé… Enfin, je veux dire que je suis plus que la carricature du mec parfait.
Chad est d’un ennui mortel.
Avec ses yeux bleus et ses boucles blondes, il doit sûrement parvenir à charmer n’importe qui mais mon esprit est encore trop embrumé par ma dispute avec Ace pour réellement y prêter attention. Et les très rares fois où je l’écoute, il est en train de parler de lui-même.
Les plats vont bientôt arriver et entre l’entrée et l’apéritif, je n’ai pas parlé une seule fois et Chad ne l’a même pas remarqué. Nous qui étions censés nous voir pour convenir d’une vidéo à filmer ensemble… Je réalise maintenant que le noiraud disait vrai — bien que cela me coûte de l’admettre — et que ni l’aspect de ce restaurant, ni le monologue du blond n’ont trait à quoi que ce soit de professionnelle.
— Je sais qu’on dirait que je me vante…
Non, on ne dirait pas ?
— Mais ma vie est un véritable enfer, ma belle.
Je me replace sur ma chaise en entendant ce surnom, mal à l’aise. Mais, me voyant faire, il interprète visiblement très mal mon geste puisqu’il m’adresse un clin d’œil doublé d’un sourire. Je détourne le regard, embarrassée.
— Sois pas gênée, ma belle. T’es pas la seule à qui je fais de l’effet même si t’es la seule qui me fait de l’effet.
Je sers le poing en réalisant combien le noiraud disait vrai. Ce mec est un beau parleur et un tombeur. Mais jamais je n’admettrai cela devant le pirate, il serait trop content de me l’entendre dire. Cependant une question me taraude… Pourquoi diable travaille-t-il avec cet abruti ?
Ce dernier me déçoit énormément. J’ai l’habitude de regarder régulièrement son contenu, distraite par son humour et appréciant les jeux vidéo auquel il joue. La plupart du temps, les graphismes de ceux-là sont impressionnants et il a une façon de parler et commenter ce qu’il fait qui embaume l’air.
Mais force est de constater qu’en réalité, il est similaire. Trop similaire. Il ne se tait jamais et ce, même si cela fait vingt minutes que son interlocuteur n’en a pas placé une.
Ce doit être la force de l’habitude.
— Mais je parle un peu trop de moi…, lâche-t-il au moment où le serveur dépose deux assiettes devant nous.
Je ne prends même pas la peine de relever l’inexactitude de l’adverbe employé qui amenuise beaucoup trop son niveau d’égocentrisme et me contente d’un haussement de sourcil. Il n’y prête pas attention, s’emparant de ses couverts et commençant à découper sa viande.
— …Alors, parle-moi de toi ! lance-t-il avec un sourire large creusant des fossettes sur ses joues.
Décontenancée, je mets quelques temps avant de réaliser qu’il vient belle et bien de poser une question n’appelant pas à formuler de réponses sur lui. Cela est une première depuis les deux heures que nous avons passées ensemble. Je lui souris, réfléchissant à quoi aborder.
Mais je n’ai même pas le temps de songer que parler de mes études serait un sujet trop rasoir.
— Ace, alors ? Toi et lui… Hein ? lâche-t-il dans un clin d’œil. J’ai entendu légèrement votre dispute de tout à l’heure, dis-donc ça a l’air de chauffer ! C’est pour ça que vous vous adressez plus la parole ? Tu peux tout me dire, tu sais ! Les filles aiment se confier à moi !
Putain mais quel boulet.
Chad a beau être un tombeur, je commence à me poser de sérieuses questions sur sa vie sentimentale s’il en est toujours au stade où il considère « les filles » comme une masse uniforme dont les membres agissent tous de l’exact même façon.
— Je peux même « bitcher » sur lui ! lance-t-il dans un rire en avalant une gorgée de bière. Je trouve qu’il se prend trop au sérieux ! Je veux dire, le mec refuse de donner son vrai nom et d’aller dans l’eau ! Comme si c’était un vrai utilisateur de fruit du démon ! Non mais mec, paye-toi une personnalité, tout pomper sur Ace, ça t’amènera pas loin.
— Et critiquer tes collègues dans leur dos, ça t’amènera loin ?
Ce n’est que lorsque mes paroles traversent mes lèvres que je prends conscience de mes mots. Je n’ai pas pu m’en empêcher, c’était plus fort que moi. Chad m’agace depuis des heures et, bien que je sois en colère contre Ace, je ne parviens étrangement pas à tolérer qu’on puisse le critiquer dans son dos.
Le blond me fixe de ses yeux écarquillés. Le temps d’un instant, je crains qu’il me plante en plein milieu du repas. Me prendre un râteau ne me gênerait pas forcément mais la raison pour laquelle je n’ai pas fui le diner plus tôt en prétextant aller aux toilettes est que nous sommes venus dans sa voiture.
Si je veux pouvoir repartir sans dépenser de précieuses pièces dans un taxi en qui je n’aurais pas forcément confiance, je dois faire profil bas. Là est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis tue la majeure partie de la soirée.
Mais Portgas D. Ace était la goutte de trop.
— Chad ! Chad ! C’est toi ? résonne soudain une voix féminine, à quelques mètres.
Nos yeux se lèvent sur une adolescente brune d’une quinzaine d’année, un portable à la main et des taches de rousseur étalée sur le nez dont les yeux s’écarquillent en me voyant.
— Oh ! Mince, je suis désolée ! Je n’avais pas vu que tu étais accomp…
— Non, t’inquiètes ! rit-t-il en se levant, attrapant son téléphone pour faire une photo et enroulant un bras autour de ses épaules. Mon amie allait partir, de toutes façons.
L’insistance avec laquelle il me fixe malgré la jeune fille souriant à l’objectif de sa caméra montre qu’il ne compte pas revenir sur sa décision. Et quand bien même il le ferait, je ne compte pas me ridiculiser en le suppliant de me ramener.
Et merde, je vais devoir prendre l’option taxi.
Me levant, je lance un sourire aux deux me regardant. Celui-ci est large, factice mais je m’en contrefiche. Je passe une veste sur mes épaules et ne peux m’empêcher de lancer une petite pique au moment de sortir du restaurant :
— Donc, en résumé, monsieur Cortez, vous ne devez absolument pas avoir peur. Les fissures anales, ça arrive à énormément de personnes et malgré le rythme de masturbation élevé que vous avez, ça ne les aggravera pas. En revanche, calmez-vous un peu parce que trois fois par jour c’est beaucoup et je ne veux plus vous revoir avant un bon bout de temps dans mon cabinet ! C’était sympa de diner avec un patient, c’est plus détente pour annoncer les résultats d’analyse. Je devrais le faire plus souvent !
Sous les regards atterrés du youtubeur et de sa fan qui commence soudain à s’écarter de lui, je tourne les talons. Il ne me faut que quelques secondes avant de pousser la porte de verre et prendre une profonde inspiration, me délectant de la fraicheur de cette soirée.
Debout sur le trottoir, j’ai à peine le temps de fermer les yeux pour apprécier la brise qu’un mouvement attire mon attention.
Juste devant moi, une voiture noire aux vitres teintées s’arrête, la portière côté passager à hauteur de ma personne. Mes sourcils se froncent jusqu’à ce que la vitre s’abaisse et que je remarque le visage d’Ace, penché depuis le côté conducteur.
— Qu’est-ce que tu veux ? je crache, agacée. Je croyais avoir été claire sur le fait que…
— Je sais que t’as besoin d’un chauffeur.
— Non, t’en sais rien, je secoue la tête.
Le noiraud pousse un soupir en levant les yeux au ciel, agacé par ma mauvaise fois. Il dit vrai, je préfèrerai grimper dans sa voiture que dans un taxi conduit par une inconnue. Mais, d’un autre côté, lui donner raison en admettant que ma soirée avec Chad a tourné au cauchemar lui ferait bien trop plaisir.
Il coupe court à mes débats intérieurs.
— Ça sert à rien de te la jouer mystique avec moi, je t’attends depuis le début de la soirée. Chad s’est vanté dans sa story privée avant de venir te chercher qu’il allait te laisser comme une conne dans ce restau juste pour se foutre de ma gueule.
Mes sourcils se haussent. Non mais ce mec à quel âge ?
— Je t’ai dit, qu’il était complètement con. Le pire c’est qu’il trouve même pas ça méchant et il se croit pas blessant, il a vraiment la sensation d’être drôle.
Je pousse ma joue de ma langue, partagée entre l’agacement des m’être préparée aussi longuement pour un plouc pareil et celle de voir toutes mes illusions sur un influenceur que j’apprécie tomber à l’eau.
Fin du mirage, bienvenu dans la réalité.
— Bon, grimpe, on va pas y passer la nuit ! lance-t-il.
Un soupir franchit mes lèvres et je lève les yeux, comprenant qu’il est maintenant inutile de protester. Ouvrant la portière, je m’engouffre dans l’habitacle chaud et ferme derrière moi avant de me ceinturer. Le parfum embaumant l’air est familier, réconfortant après une telle soirée.
Quelques instants défilent avant qu’il n’allume le moteur. Embarrassée, je ne le regarde pas quand je murmure :
— Merci. T’étais pas obligé de passer me prendre.
Je marque une brève pause.
— Surtout que t’étais si impatient de te marrer devant les storys où il se foutrait de ma gueule.
— J’ai dit ça pour te blesser dans un accès de colère, répond-t-il en tournant le volant, concentré sur la route. Je n’arrive même pas à croire que qui que ce soit se détende vraiment devant ce genre de connerie.
Je me replace, soudain inconfortable sur mon siège.
— Je me doute que t’es curieuse, lance-t-il, mais c’est tellement irrespectueux que je préfère ne même pas te proposer de les regarder. Le mec fait des storys sondage pour demander à ses amis proches sur instagram si il doit, oui ou non, se taper la nana avec qui il dine.
Je lève les yeux au ciel. Ce mec est vraiment un sacré porc.
— Fin, après si tu veux vraiment les v…
— Non, ça va aller ! je le coupe aussitôt.
Il rit légèrement de ma réaction et je ne peux m’empêcher de me dire que ce son est particulièrement mélodieux.
— Je peux te poser une question ? je demande après un bref silence.
— Vas-y.
Malgré notre dispute de ce matin, les tensions ne sont pas le moins du monde vive entre nous. Comme si nous moquer de Chad nous avait permis de trouver un terrain d’entente.
— Pourquoi tu travailles avec lui ? T’as tellement besoin d’argent ?
Il pousse un long soupir exténué.
— Edward est un coloc en or mais je préfère me dire que plus vite j’apprends à vivre seul, payer des impôts sans l’aide de personne, gagner ma vie, plus vite je serais indépendant et mieux j’appréhenderai cette vie que je me dois d’accepter.
J’acquiesce légèrement.
— Je comprends.
Il se tourne vers moi, détachant les yeux de la route un bref instant. Je lis une certaine surprise dans son regard.
— Vraiment ?
— Oui. J’aurais dû t’écouter, tout à l’heure. Ce monde est différent de Grand Line et moi plus que quiconque je sais qu’on ne peut pas se permettre de faire un tri dans les gens qu’on aime ou pas quand on a besoin d’argent.
J’ai eu tort de le traiter comme je l’ai fait.
Je le sens se détendre, à ma gauche. Comme si notre dispute de tantôt l’avait mis dans une posture inconfortable et qu’il n’avait besoin que de mes excuses pour respirer mieux. Cette idée propage en moi une douce chaleur.
— Merci, (T…
Il n’a le temps de finir sa phrase que la voiture s’arrête brutalement. Mon corps bascule en avant dans un geste sec mais le bras d’Ace me plaque soudain au siège, empêchant ma tête de cogner contre le tableau de bord.
Légèrement surprise, je le regarde pour être sûr que tout va bien.
— C’était quoi, ça ? je lâche.
Il grimace.
— Et bien, « ça », comme tu dis c’est la voiture qui tombe en panne et nous qui allons rentrer à pied.
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ça s'intensifie hehe
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