𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟗
— U L T I M E S O U H A I T —
LES SOURCILS FRONCES, je fixe mon écran depuis plusieurs minutes. Des instants durant, j’analyse les quelques lettres en haut à gauche de celui-ci ainsi que l’émoticône bleue à côté en me demandant si je n’hallucine pas. Car trop de choses se sont passées aujourd’hui.
Ce matin, Ace m’attendait de pied ferme devant la bibliothèque et, après une discussion ayant dégénéré en dispute, il m’a fougueusement embrassée avant de quitter les lieux sans un mot. Hébétée, je n’ai même pas eu la force de le suivre et me suis contentée d’observer le vide durant de longues minutes.
Puis mes collègues ont commencé à arriver et, lorsqu’Ashley, une fille marrante mais très bavarde a déboulé dans la salle de repos en me parlant de sa teinture bleue qui tenait anormalement bien, j’ai préféré tourner les talons.
Il me fallait du calme et j’en ai trouvé dans la tâche que m’a assigné Dan, aujourd’hui, et qui consistait à ranger un nouvel arrivage de livres après l’avoir étiqueté soigneusement.
Seule.
Cependant, à l’occasion d’une pause-café, je me suis assise devant mon ordinateur portable en me rappelant d’un mail à envoyer à ma propriétaire et ai eu le malheur de passer en revue mes notifications. Depuis, je ne suis pas parvenue à lever les fesses de cette chaise.
— Tout va bien, (T/P) ?
Un sursaut me prend et je lève les yeux vers Dan. Un café à la main et ses cheveux noirs tombant sur ses épaules, il me fixe, appuyé sur le plan de travail de la salle de repos. M’efforçant de ne pas resonger à la dernière fois où je me suis moi-même retrouvée dans cette position, je fronce les sourcils.
Assise à cette table couverte d’une nappe transparente et devant le canapé rongé aux mites, je n’ai même pas remarqué que je n’étais pas seule.
— Ça doit faire dix minutes que tu fixes ton écran. Une mauvaise nouvelle ? demande-t-il d’un air inquiet.
— Je…, je lâche en regardant à nouveau mon ordinateur. Non ? Enfin, je crois pas.
Mes yeux relisent une énième fois les quelques lignes s’affichant devant moi.
— Un collègue d’Ace m’a envoyé un message.
— Un collègue ? répète Dan. Mais Ace est devenu streamer !
Dan est un Voyageur au même titre que moi. Il m’a d’ailleurs fait découvrir la vérité sur ma propre personne et mes pouvoirs à la suite de ma toute première rencontre avec le noiraud, à Alabasta. Il sait pertinemment qui il est réellement et, même s’il n’est pas forcément ce que j’appellerai un ami, il a fait attention à moi au cours du dernier mois.
Chaque matin, il m’apportait un café et il a toujours eu un deuxième déjeuner préparé au cas où j’oublierai le mien. Un soir, après la toute première sortie de vidéo d’Ace, il m’a même demandé s’il voulait qu’on sorte « se bourrer la gueule ».
Mais j’avais tant envie de pleurer que j’ai préféré décliner afin de garder la face.
— Ouais, justement. Il dit qu’il sait que c’est moi, la « fille de la Fnac » et veut faire un live interview avec moi. Tu crois qu’Ace est au courant ?
— J’en sais rien du tout mais ça m’étonnerait, secoue-t-il la tête. Il a toujours fait un paquet de choses pour protéger ton identité. Même si vous vous revoyez pas, je crois qu’il tient encore à toi. Trop pour sacrifier ton intimité au profit de quelques vues.
Je baisse les yeux, embarrassée en songeant à nouveau au baiser de ce matin. La chaleur nous enlisant, ses bras s’enroulant autour de moi, sa bouche glissant sur la mienne… Les sensations sont encore vives sur mon corps.
Dan remarque mon trouble :
— Tout va bien ?
— O… Oui ! je lâche en me retournant.
Mais aussitôt, ses sourcils se froncent. Ma réaction est bien trop étrange pour qu’il me croit. Ses yeux ambrés me fixent quelques instants avant de s’écarquiller.
— Tu l’as embrassé ! s’exclame-t-il.
— Quoi !? Mais pas du tout ! Où est-ce que t’es allé chercher un truc pareil ?
— Nous parlons d’Ace mais au lieu d’avoir l’air attristé, tu baisses les yeux comme une collégienne donc quelque chose s’est produit. Ce mec t’a retrouvé alors que ça fait un mois que tout le monde se pose des questions sur ton identité donc je suppose qu’il vous a vu ensemble. Hier, tu as failli fondre en larmes quand Ashley a parlé d’Ace donc ça veut dire que le changement d’humeur est lié à quelque chose étant survenu entre hier et aujourd’hui. Ace ne sait pas où tu habites mais où tu travaille donc vous ne vous êtes sûrement pas vu cette nuit pour coucher ensemble et tu prendrais pas le risque de coucher sur ton lieu de travail puisque tes collègues peuvent débarquer n’importe quand. Conclusion, vous n’êtes pas allés aussi loin que le sexe mais vous vous êtes embrassés.
Médusée par sa logorrhée, je le fixe quelques instants. Il a débité à toute vitesse des arguments implacables.
— Mais t’es Sherlock Holmes !? je m’exclame.
— Non, mais en tant que Voyageur, je l’ai côtoyé durant trois mois.
Mes sourcils se haussent.
— En une phrase, t’as rendu ta vie bien plus intéressante que la mienne.
Un sourire étire ses lèvres et il rit légèrement, amusé.
— Tu as sauvé la vie d’un homme adulé par des milliards de personnes avant de l’embrasser et maintenant, son collègue veut faire de toi une célébrité, rétorque-t-il. Tu n’es pas en reste non plus.
Je me tourne vers mon écran, regardant une nouvelle fois l’invitation par message.
@elfamosochad : Hey ! Je travaille dans la même agence qu’Ace et il se trouve que j’ai appris votre petit lien ! Je te juge pas du tout, faut être une amie en or pour balancer des téléphones juste dans le but de protéger son pote ! Je voulais savoir si discuter de ça dans le but de faire un live te plairait ? Tu dois en avoir marre des memes sur toi et ça pourrait y mettre un terme ! :)
Mon numéro, si t’es intéressée : +33709564385
Dan, qui vient de se glisser derrière moi, boit une gorgée de son café en observant l’écran.
— Tu devrais y aller, lance-t-il.
— Quoi ? je m’exclame en me retournant.
— Il a juste parlé d’un rendez-vous dans le but de prévoir une diffusion en live. Ce serait pas une mauvaise idée d’en discuter avec lui.
— Bien sûr que si ! Je compte sûrement pas faire une vidéo pour des millions de personnes qui se foutent de ma gueule tous les jours sur twitter !
Dan hausse les épaules.
— Tout ce que je dis, c’est que combiner les explications d’Ace et une vidéo de Chad mettrait définitivement un terme à ces conneries.
ꕥ
« Je suis en bas de l’immeuble. Sweat noir. »
Envoyant ce message, je recule de quelques pas pour observer la bâtisse. Vaste et haute, tout en vitres bleutées et plantées au milieu d’autres gratte-ciels, elle prend place dans le quartier des affaires de cette ville.
Derrière moi, les silhouettes défilantes sont majoritairement habillées de costumes et je fais tache. Mais mon téléphone vibrant me tire de mes pensées.
« Je suis là ! Sweat vert ! :) »
Mes yeux se lèvent à l’instant même où un homme au teint hâlé franchit la porte. Je reconnais son sourire blanc et les yeux bleus perçants son visage telles deux saphirs. Dissimulant ses boucles blondes, un bonnet noir descend jusqu’à sa mâchoire carrée.
Bien que Chad soit un streamer spécialisé dans les jeux vidéo, il a bâti une partie de sa communauté sur ses tatouages, son corps musclé et son visage attrayant.
— Salut ! lance-t-il en m’approchant. Je suis content de te voir !
Je n’ai même pas le temps de répondre qu’il attrape ma main et, collant nos torses ensemble, pose son autre paume dans mon dos à la manière d’une accolade. Aussitôt, son parfum printanier m’assaille.
A mon oreille, il glisse simplement :
— Désolé, j’évite de faire la bise aux femmes en public.
Abasourdi, je ne réponds pas. Il ne s’en formalise pas et me tourne le dos afin de rentrer à nouveau dans le bâtiment, m’invitant à le suivre d’un geste de la main.
— C’est… bon à savoir ? je réponds en fronçant les sourcils.
Mais il ne m’entend pas alors je le rattrape en quelques pas. Les portes automatiques s’ouvrent sur le hall d’entrée. A ma droite, des comptoir blancs de standardistes se succèdent devant un mur paré du large logo de l’entreprise et, à ma gauche, des fauteuils sont éparpillés autour de tables basses pour patienter.
Chad les devance pour se diriger vers le fond où se trouve des portes d’ascenseur :
— On va aller dans mon studio, si tu le veux bien. Histoire de parler calmement, tu sais.
J’acquiesce. Être seul avec un inconnu ne m’enchante pas plus que cela mais j’ai un spray au poivre dans ma poche et aucune envie que des oreilles indiscrètes dans un restaurant aient vent de notre conversation.
Nous pénétrons l’une des cages d’ascenseur entièrement métallisé et il appuie sur l’une des touches noires. Les portes se referment dans un tintement sonore puis le silence se fait.
Bientôt cependant, il le brise :
— Du coup, Ace et vous, vous vous êtes rencontrés comment ? Et c’est quoi son vrai prénom ?
Prise de court, j’écarquille les yeux. Il est… direct. Deux questions auxquelles il me sera dur de répondre. Déglutissant péniblement, je fuis le regard de Chad que je sens sur moi.
— A la fac et j’ai pas le droit de le dire, je souris facticement.
Il rit légèrement.
— C’est cool qu’il puisse compter sur une amie à ce point, commente-t-il.
La cage s’arrête et les portes métallisées s’ouvrent sur un couloir. Celui-ci, éclairé, est parcouru de diverses portes noires qui mènent au studio — je le sais grâce aux vidéos de Chad. Je réalise alors aussi que les rumeurs sur le fait qu’Ace ait rejoint leur collectif sont fondées.
Ils font énormément de vidéos ensemble donc ça ne m’étonne pas.
— D’ailleurs, il a dit hier que vous vous étiez perdus de vue donc ça m’intéresse pas mal. Tu crois que tu pourras en parler en vidéo ?
— Euh…, j’hésite.
Non. Il en est tout à fait hors de question. Mais Chad est un youtubeur que j’affectionne et je suis assez impressionnée de le voir en vrai, aujourd’hui.
— Pourquoi tu lui demandes pas ? j’évite simplement tandis que nous avançons dans le couloir.
— Il se met en rogne dès qu’on parle de toi, c’est insupportable.
Mon cœur se serre. Il a l’air d’être encore très agacé. Cela ne m’étonne pas, étant donné ce qu’il m’a dit ce matin avant notre baiser.
Mes entrailles se tordent. Notre baiser.
— Le sujet est sensible et…
— (T/P) ? retentit soudain une voix.
Je me fige, alertée. Il s’agit de sa voix. Celle d’Ace.
Me tournant lentement, je pose les yeux sur la silhouette posée dans l’encadrement d’une porte, à ma gauche. Habillée comme ce matin, il me fixe sous ses sourcils froncés. Mais je n’ai le temps de me justifier que Chad enroule un bras autour de mes épaules.
Je me tends en voyant la mâchoire du noiraud se contracter et son regard se baisser sur nos corps pressés l’un contre l’autre.
— Ouais, je t’ai vu avec elle devant la bibliothèque ce matin alors j’ai cherché le nom des employés sur leurs sites et je l’ai dm sur Instagram. Je me doutais que c’était elle, la nana de la Fnac et elle a pas nié. Ce sera une superbe idée de vidéo ! Hein ?
Son avant-bras posé au-dessus de sa tête et appuyé sur l’encadrement de la porte me laisse voir son poing qu’il sert soudainement. Le noiraud ne semble pas du tout réjoui.
— (T/P) ? appelle-t-il sans me regarder, visiblement en colère.
— Oui ?
— On va parler.
Puis, sans me laisser le temps de réagir, il s’empare de ma main et me tire loin de Chad. Hébétée, je me tourne vers ce dernier pour m’excuser tandis que le noiraud nous emmène je-ne-sais-où.
Le blond se contente de me faire un clin d’œil et un signe de la main :
— T’en fais pas, on a qu’à reporter le rendez-vous ! Je suis libre ce soir, ma belle !
Je n’ai pas le temps de répondre mais sens nettement la main d’Ace se raffermir sur mon poignet quand ces deux derniers mots résonnent.
2063 mots
chapitre tardif et ace
en mode jaloux hehe
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