— U L T I M E S O U H A I T —
UNE DENSE CHALEUR m’enlise mais je garde la tête haute. Tel un feu crépitant dans mon ventre, elle s’agite et menace de me submerger. Pourtant, mon souffle demeure régulier. Je ne crains rien. Ni la morsure de mes propres tourments. Ni les débordements de la jungle qu’est ce monde.
Les paupières closes, je me délecte de la sensation. Chaque pore de ma peau semble se dilater, mes poils se hérissent sur mes membres, mon ventre tremblote comme si le bout d’une plume le caressait, je peine à demeurer debout mais maintient cette position.
— Je ne parle pas.
La tension retombe. J’ouvre les yeux. Au même instant, un rire moqueur éclate, à ma droite.
— Tout ça pour ça, lance Ace en coupant une rondelle de saucisson avec poignard, assis sur une pierre plate trainant au milieu de la forêt.
Cela fait une semaine à présent que nous vivons ici. Il a accepté de marquer une halte, au prix de longue dispute, sur cette île le temps que je m’entraine un minimum. Grâce à quelques conseils précieux d’Olympe, j’ai furieusement progressé.
Mais pas assez.
— C’est un début, je gronde.
J’ai d’abord essayé de me déplacer moi-même d’un point A à un point B et, d’après la Voyageuse, j’y suis arrivé anormalement rapidement. Alors, emplie d’une confiance nouvelle en ma personne, je me suis rudement entrainée sans dormir les deux premiers jours.
Après avoir été forcée par Ace au repos — il s’est jeté sur moi et m’a cloué au sol en attendant que je tombe, inconsciente, de fatigue — je suis remontée en scelle. Mais cette fois-ci, mes épreuves se sont corsées.
J’ai cessé de me téléporter et ai commencé à déplacer des petits objets. D’abord des brindilles puis des branches puis des troncs. Des matériaux toujours plus épais, toujours plus imposants, que j’envoyais toujours plus loin.
Et pourtant, là, je n’arrive à rien.
— Olympe t’a prévenu que téléporter des objets était beaucoup plus facile que de téléporter des humains, lance-t-il.
Oui, en effet. Mais depuis les deux jours où je me concentre, visualise le corps d’Ace à côté de moi, tente d’établir un lien entre nous, rien ne se fait. Je ne sais si le problème vient de lui ou moi, pour être honnête. Elle m’a certifié que pour un tel procédé, il fallait établir un lien solide avec la personne, imaginer une sorte de filaments nous touchant l’un l’autre et nous attachant.
Selon elle, cette technique a été créée par la Vipère elle-même qui s’est inspirée des enseignements de son époux. Mais je peine à les mettre en œuvre.
— Elle m’a dit qu’il fallait un lien avec la personne concernée, je grogne. La Vipère et Tengen se sont mariés donc je suppose que ça se bécote depuis un moment alors que…
Je me raidis, réalisant la perche que je viens de lui tendre. Me tournant vers lui, les yeux écarquillés, je montre la paume de ma main pour lui ordonner de se taire. Mais le sourire qu’il arbore me fait comprendre que cela n’est pas du tout dans ses projets.
— Ne t’avise même pas de faire cette bla…
— Alors comme ça, tu veux me bécoter, chérie ? lance-t-il en me faisant en clin d’œil.
— Gros porc, je crache pour toutes réponses.
Mais il éclate de rire et je ne peux m’empêcher de sentir un brin d’amusement s’emparer de moi à ce son. Ace n’est pas commun, jamais je n’avais rencontré auparavant de personnes pouvant autant m’exaspérer et me contenter en même temps.
Ses boutades à caractère sexuelle m’ont fait lever les yeux au ciel puis rire. Et ses allusions à une soi-disant flamme que je nourrirai pour lui ont tendance à m’enrager. Mais dès qu’il me sourit, les yeux plissés, la colère retombe.
Quand j’ai commencé à connaitre le noiraud, j’ai été surprise de constater à quel point il pouvait parfois être différent du garçon décrit dans One Piece.
Mais je comprends maintenant que vivre à ses côtés est découvrir toujours plus de facettes d’une personnalité complexe.
— Au lieu de fantasmer sur mon corps, concentre-toi, je siffle.
— C’est à toi de te concentrer, se défend-t-il.
— Espèce d’abruti, je siffle entre mes dents, connexion implique communication implique deux pôles parlant je vais pas taper un monologue psychique avec moi-même alors tu poses ce saucisson maintenant ou je te le fourre dans…
— Je le pose, je le pose.
Les mains en l’air, il se lève à la manière d’un homme se rendant. Je lève les yeux au ciel face à ses gestes dramatiques. Si j’avais su qu’il fallait le menacer de la sorte pour qu’il daigne enfin y mettre du sien, je l’aurais fait plus tôt.
Se plaçant devant moi, il fait rouler ses muscles sous sa peau pour se dégourdir. Je m’efforce de ne pas regarder la danse de ses pectoraux qui a si souvent attiré mon œil, au cours des derniers jours.
— Bon, alors… On fait quoi ?
Un soupir franchit mes lèvres.
— Mais c’est pas possible, tu m’écoutes pas du tout !? je m’exclame.
— Tu parles beaucoup, en même temps.
Aussitôt, mes sourcils se haussent en un regard courroucé. Il réalise son erreur et pose une main sur l’arrière de son crâne :
— Non, tu m’as pas compris. J’aime bien que tu parles juste j’écoute pas.
— Tu t’enfonces, trou du cul.
— Ouais mais… Fin… Voilà.
Les bras croisés, j’attends quelques secondes, espérant un peu plus de paroles que ces quelques bégaiements. Mais rien ne vient.
— Arguments poignants, je finis par commenter.
Approuvant ma remarque, il lève le pouce en l’air et je roule des yeux. Ce gosse ne saura décidemment jamais faire la différence entre du sarcasme et des compliments. Ce doit d’ailleurs être à cause de cela qu’il pense que je l’aime.
— Bon, je reprends. Nous allons nous regarder dans les yeux et, d’après Olympe, si nous avons vraiment la volonté d’entrer en contact, une sorte de lien va se tisser entre nous, un lien que nous allons sentir et qui s’éveillera naturellement plus tard quand j’en aurais besoin pour te téléporter.
— T’es en train de me dire que tous les Voyageurs font ça pour téléporter quelqu’un ? lance Ace. Mais je croyais que c’était facile.
— Comme toute chose c’est très compliqué la première fois. Mais elle m’a dit qu’avec l’habitude on peut créer ce lien en une fraction de seconde avec un simple passant dans la rue.
Ace hausse un sourcil.
— Eh bah toi, t’es clairement pas une habituée, commente-t-il.
— Oh, boucle-la.
Un sourire le prend face à mon ton exaspéré mais il obtempère, se dressant devant moi et me fixant dans les yeux. Ce contact visuel me prend d’abord de court. Bien qu’ayant demandé celui-ci, la violence avec laquelle ses iris viennent d’attraper les miennes me fait tressaillir. Je m’efforce de ne rien laisser paraitre de mon trouble.
Son rictus croit lorsqu’il voit ma surprise.
— Reste concentré, j’ordonne immédiatement.
— Mais vos désirs sont des ordres.
Son ton taquin provoque un émoi qui me secoue, une secousse qui se répand dans mes entrailles telles une douce torpeur agréable. Aussitôt, un claquement résonne en moi et ma poitrine me pince.
Face à moi, le sourire d’Ace est retombé et ses sourcils se froncent. Il remarque ma propre réaction et lance :
— Toi aussi, tu l’as senti ?
J’acquiesce à vive allure, si choquée que je ne songe même pas à formuler de réponse. Mes cordes vocales sont paralysées, atrophiées. Oui, la sensation est là. Un très léger tiraillement, si faible qu’à la moindre respiration, je crains de le briser. Mais je le ressens. Comme un fil invisible me liant à Ace.
Le noiraud fait un pas en ma direction et je manque de lui hurler dessus, craignant qu’il ne brise le lien. Mais aussitôt, celui-ci semble s’épaissir. Mes yeux s’écarquillent. Je marche à mon tour vers Ace. Il poursuit sa route.
A chaque avancée, l’attraction entre nous se fait plus forte, pénétrante. Le lien semble être directement planté dans mon cœur, je le sens pulser avec lui.
Bientôt, nous nous retrouvons juste en face l’un de l’autre. Mes yeux n’ont pas quitté les siens. Tout comme lui me fixe.
— Alors ? chuchote-t-il.
— Je sais pas, c’est… C’est bizarre.
Je ressens tout. Mon cœur battant mais aussi le sien, notre sang pulsant dans nos veines, le vent agitant ses cheveux, la brûlure d’une entaille qu’il s’est fait au doigt en coupant sa charcuterie… Je sens tout, comme si nous n’étions qu’un.
Mes yeux s’imbibent de larmes.
— Je… Je crois que j’ai réussi.
Mon cœur bat à toute vitesse. Oui. Le lien s’est éveillé et je sens que si je le voulais, je pourrais pousser Ace à voyager n’importe où. Enfin, j’atteins cet objectif que je m’étais fixé. Mon cœur se gonfle de joie.
— On va le faire ! Je vais te sauver ! je m’exclame en posant mes mains sur ses épaules. Je vais te…
Mais ses doigts se referment brutalement sur mon poignet, l’arrachant de son corps dans un geste sec. Lui ne sourie pas. Son expression vient de brutalement retomber. Et je sens sa colère grâce à notre lien.
Mes sourcils se froncent.
— Qu’est-ce que…
Fermement, il me montre ma propre main et mon regard se pose alors sur mon index ensanglanté. Aussitôt, il me présente sa paume droite où se trouve l’exacte même blessure. Seulement, à l’instant même où je les regarde, ma plaie se fait plus rouge et celle du noiraud s’éclaircit jusqu’à disparaitre entièrement. Mon cœur se fige.
— Olympe disait vrai, ce lien te relie à tous chez moi, y compris mes blessures et mon corps se soigne en te les refilant. Ce qui veut dire qu’à Marineford, même si tu me fais traverser le Silence pour que je sois soigné par lui, toi, tu ne guériras pas et tu auras la même blessure.
Je déglutis péniblement, sachant pertinemment qu’il m’est impossible de nier.
— Je peux toujours m’entrainer et…
— Laisse tomber pour aujourd’hui.
Lâchant soudain ma main, il tourne les yeux. Son brutal changement de comportement me surprend.
— Ace, je t’assure que tout ira bien. J’ai juste besoin d’un peu d’entrain…
— Va dormir.
Mon cœur se serre. Il ne me regarde même pas, debout dos à moi. Ses muscles sont contractés, de ses biceps jusqu’à sa mâchoire. Il n’est pas dans ses habitudes d’être aussi agacé mais je peux le comprendre. Il croyait enfin détenir une chance de survivre.
Je suppose qu’il a besoin d’être seul.
— Bien. Bonne nuit, Ace.
ꕥ
Mes paupières s’ouvrent dans une obscurité omniprésente et je fronce aussitôt les sourcils. Aucun feu n’illumine la nuit ou même réchauffe notre coin. Ce n’est pas normal. Ace est toujours là pour veiller sur le foyer.
— Ace ? j’appelle. Qu’est-ce que tu fous ?
Mes yeux s’habituent rapidement à la lueur du clair de lune et je parviens bientôt à distinguer les arbres nous entourant, le tas de bois cerné de pierre devant moi et la pierre plate sur laquelle dort habituellement le noiraud.
Mes sourcils se froncent. Il n’y est pas. Ce n’est pas normal.
Me levant, j’approche l’endroit afin de m’assurer qu’il n’est pas caché dans une ombre. Mais le noiraud ne dort vraiment pas là. Cependant, quelque chose s’y trouve bel et bien. Un papier blanc, plié.
Mon cœur se serre et j’écarquille les yeux. Non… Je reconnais ce papier. Il s’agit d’un des nombreux fragments qu’Ace a laissé à ses proches. Celui-ci symbolise son état de santé. A sa mort, il se consumera entièrement.
Ma gorge se serre quand, horrifiée, je constate les bords déjà noircis de la feuille. Non… Ce n’est pas possible… Il ne peut pas avoir eu ce combat… Pas maintenant…
Mon regard est attiré par quelque chose d’inhabituel. De l’écriture. Quelqu’un a écrit sur la feuille. Des lettres noires abandonnées en toute hâte. A la lueur de la lune, je parviens à la déchiffrer.
« Cette lettre ne sera pas aussi résistante que celle de mon père mais je n’avais pas d’autre papier sous la main. Barbe Noire a posé le pied sur cette île depuis trois jours et une source m’a dit qu’il repartait ce soir. Je n’ai pas d’autre choix que de l’affronter, il en va de mon honneur et mes valeurs.
J’ai essayé de repousser le plus possible ce moment, attendre que tu développes tes pouvoirs, en vain. Saches que tu n’es pas à blâmer.
Je comprends mieux ce que Roger entendait par « ultime souhait ». Car aucun dernier vœu de condamné n’égalerait jamais celui d’avoir pu passer mes derniers jours en ta compagnie, (T/P).
Tu as l’admiration d’un pirate de Grand Line, pour ce que ça vaut dans ton monde. Dans la vie comme dans la mort, je chérirai le fait de t’avoir rencontré.
Merci de t’être battue pour moi.
J’espère te revoir dans très longtemps. Toi, tu mérites de vivre. »
Une larme coule sur ma joue avant de s’écraser sur la lettre que je tiens dans ma main tremblante. Levant les yeux vers le ciel, je fixe celui-ci, désespérée. J’aimerai rejoindre Ace, mais je n’ai aucune idée d’où il est.
Et même si l’idée de me téléporter jusqu’à Impel Down me traverse, je ne sais pas du tout comment faire.
Mon cœur se fige.
— Ace, qu’as-tu fait ?
2219 mots
hey voici la suite
avec un bon gros retard
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