Chapitre 36 : Revers d'état d'âme
Ses nerfs étaient à vifs. Il avait tellement contracté les mâchoires au cours de la journée qu'il en éprouvait une tension sous le crâne. Ses paumes le picotaient. Depuis le retour des stages, tout semblait se conjuguer pour le faire sortir de ses gonds, et il avait chaque jour un peu plus de peine à contenir la colère qui frémissait en lui.
Les heures s'égrenaient et Katsuki s'astreignait à ne pas envoyer valser le premier objet qui lui tombait sous la main, à ne pas exploser le second, et à ne pas envoyer son poing dans la gueule de l'abruti qui aurait le malheur de se trouver à proximité. Ses sautes d'humeur auraient des conséquences, désormais, et il ne torpillerait pas son avenir aussi stupidement.
Sa jauge de domination de soi tomba cependant à zéro à la fin des cours, lorsqu'il entendit Yeux Noirs et Tête d'arriéré se réjouir des conditions de l'examen pratique. Balançant son sac par-dessus son épaule, il se leva brusquement sans pouvoir réprimer la réflexion qui lui brûlait la langue :
- Que ce soit des gens ou des machines, c'est la même tant que vous les explosez. Qui parle d'un jeu d'enfants, crétins !
Les choses auraient pu en rester là. Il aurait pu exécuter les quelques pas qui le séparait de la porte, et laisser derrière lui cette bande de chieurs. Mais c'était sans compter Kaminari, qui réagit au quart-de-tour.
- Qui tu traites de crétins, crétin !
Et puis merde.
- LA FERME ! Si tu dois contrôler ton Alter, fais pas chier et contrôle-le CRÉTIN !
La poche de ressentiments et de fureur réprimés éclata avec son cri. La déflagration se propagea violemment dans toute sa poitrine, lui monta droit à la tête. Non, finalement, il n'allait pas en supporter davantage. Il se tourna sans transition vers le merdeux aux boucles vertes.
- Pigé, Deku ? Je sais pas si t'as saisi comment maîtriser un peu ton Alter ou quoi, mais tu me tapes vraiment sur les nerfs !
C'était encore Deku, bien sûr. C'était toujours Deku. Non seulement il n'avait toujours pas dégagé de sa vie, restait obstinément dans son sillage, mais il se permettait maintenant de passer les vitesses en le mimant lui, en lui volant ses idées, son style, ses mouvements.
Un silence plombé était tombé sur la salle. Tous s'étaient figés, leur attention braquée vers lui. Mais il s'en foutait. Seul le martellement fulminant de son pouls résonnaient à ses oreilles. Les mots éclataient dans sa poitrine et franchissaient ses lèvres sans qu'il ne les contrôle plus. Il s'entendit déclarer les hostilités, annoncer à Deku qu'il ne voulait pas d'un autre résultat foireux comme au festival, et il l'avertit, il promit, qu'il l'écraserait, le buterait.
Tant pis, il préférait ça de toute façon. Ils feraient ça dans les règles, puisqu'il le fallait. Le dénouement sera le même. À la fin, il leur fera tous mordre la poussière. Et «tous» incluait...
- Todoroki ! Ça vaut pour toi aussi !
Le prodige. Le bâtard de Double-face qui lui avait cédé la victoire, et menaçait de lui retirer ce qu'il n'était pas prêt à disputer. Celui qu'il avait dû laisser épauler Seki à sa place, parce que, pour des raisons que Katsuki ne parvenait pas encore à bien déterminer, il détenait les connaissances et les moyens dont lui était dépourvu pour ce rôle.
Déchargé de son trop-plein de hargne, Katsuki quitta la classe, claquant la porte après lui.
- Seki, ramène-toi ! La somma-t-il depuis le couloir, d'une voix suffisamment forte pour être entendu de l'intérieur de la salle.
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https://youtu.be/9uWh-TlEQ4k
Je fourrai mes affaires dans mon sac et endossai mon blazer en réprimant un soupir de dépit. Si seulement je n'avais pas autant atermoyé l'inévitable, peut-être les conditions dans lesquelles Katsuki et moi aurions tenu cette discussion auraient-elles été moins tendues, moins propices à la dissension. Je ne pouvais plus reculer à présent, je n'avais plus aucune excuse de retarder l'échéance. C'était donc à un blond hors de lui, en rogne contre le monde entier, que j'allais révéler le plus inavouable de mon existence.
- Tu veux que je t'accompagnes ? Proposa Izuku, une lueur contrite au fond de ses yeux verts.
- Non ça va, refusai-je catégoriquement, mais sans dureté. Je dois lui parler seule.
Je ne m'attardai pas plus longtemps en classe. Sac-à-dos sur les épaules, je sortis dans le couloir, où les cohortes d'élèves confluaient déjà vers la sortie. Je me glissai entre les épaules, me frayant des coudes un chemin parmi le brouhaha afin de rattraper Katsuki. Une fois hors du bâtiment, je balayais la houle de têtes qui encombrait la large allée conduisant au portail, cependant le blond n'était nul part en vue. Je pressai le pas et, sitôt dégagée de l'affluence, je m'élançai en courant sous la chaleur humide de mi-Mai.
Je savais sans songer une seule seconde à questionner cette certitude que Katsuki ne dévierait pas du trajet habituel, et irait droit à la station. J'arrivais donc essoufflée à celle-ci, seulement pour voir les portes de la rame claquer et le train se mettre mécaniquement en route, sa prise de vitesse soulevant un souffle tiède qui gondola les plis de ma jupe.
Je remis en place mes mèches courtes dérangées par ma course, puis allai me laisser tomber sur un banc, résignée à attendre le prochain. Alors que j'hésitais à envoyer un message à Katsuki pour le prévenir que s'il ne m'attendait pas à notre arrêt, je rentrerai directement chez moi, ma tresse fut saisie par derrière pour me faire lever la tête d'une traction sèche, quoique sans brusquerie. Mon regard croisa la fulgurance rouge de celui du blond, qui se tenait dans mon dos, incliné au-dessus de moi, appuyé d'une main contre le dossier métallique.
- Merci d'avoir attendu, grommelai-je.
- Tu peux le dire ! Je fais que ça depuis des jours, répliqua-t-il rudement. Lève-toi, on rentre à pied. Faut que je bouge.
- À pied ? C'est super loin.
- T'auras tout le temps de causer comme ça.
En vérité peu m'importait. À choisir entre un compartiment bondé et suffocant, et un trajet à l'air libre sous un soleil radieux, je ne balançais pas longtemps. D'autant plus que la saison des pluies était imminente. Autant profiter autant que possible du ciel dégagé et sec. Nous quittâmes la station pour prendre la route pédestre qui filait parallèlement à la voie ferrée. Katsuki avait enlevé son blazer et l'avait enfoncé dans sa sacoche. Ses épis resplendissaient d'or sous le soleil, et sa chemise était d'un blanc éclatant de lumière. Transpirante sous mon propre uniforme, je retirai ma veste et la gardai pliée sur mon coude.
- Ce qui t'arrive, commença lentement Katsuki au bout d'un long moment. Pourquoi tu peux pas m'en parler ?
Je répondis en m'empêchant de réfléchir, pour ne pas me laisser le temps de me raviser :
- C'est pas que je peux pas. C'est que j'ai peur que ça change ta manière de me voir.
Il pivota abruptement pour se camper devant moi, me faisant m'arrêter net. Ses prunelles rutilantes me toisèrent avec désapprobation.
- Tu crois vraiment que je me contrefous de toi à ce point ?
- Quoi ? Lâchai-je, interloquée.
- Sinon je vois pas comment tu pourrais penser que ça me ferait changer d'avis.
- Tu sais même pas ce que je vais dire...
- Je connais les bails : t'as des soucis familiaux et Double-face est dans le tas.
J'eus à la fois envie de lâcher un rire jaune face à l'euphémisme, et de grimacer à la mention de Shoto. Katsuki était parfois plus pertinent qu'il ne s'en doutait. Face à mon mutisme, l'intensité de son regard redoubla, captant le mien, m'interdisant toute esquive.
Et subitement je ne redoutais plus de parler. Le chatoiement de ses yeux estompait toutes mes inquiétudes. Cette érubescence vermeille me confortait intimement que rien n'avait assez de poids pour ébranler tout ce qu'il m'eût jamais accordé. Les mots vinrent d'eux-même, s'articulant pour raconter mes plus lointains souvenirs. Je n'eus pas à raconter les détails, je savais à présent que ce n'était pas ce que le blond demandait. Tandis que nous reprenions notre avancée, je lui exposai seulement l'essentiel : qui étaient mes véritables géniteurs, comment j'avais rencontré Shoto, pourquoi j'avais perdu la mémoire. Et alors que je lui faisais ses révélations, je n'eus à aucun moment besoin de mentionner ni les supplices, ni les affres qui avaient si profondément marqué ces moments. Parce qu'ils ne comptaient plus, compris-je en moi-même. Le temps avait passé et eux avec. Seuls demeuraient les faits.
Ce fut quand j'en arrivais à l'évolution actuelle des choses que la prise de distance s'effaça tout à coup. Je marquai une pause, cherchant la meilleure formulation possible, non pas pour Katsuki mais pour moi. Le chemin que nous suivions, longue bande goudronnée et rectiligne, s'était écarté de la voie ferrée et courrait à présent le long d'un canal jalonné de cerisiers en fin de floraison. J'abordai alors la survenue de ma mère à la fin du stage et l'accord passé avec Hawks. J'achevai mes explications avant d'en arriver aux autres enfants Katagiri. Leur seule pensée me perforait le ventre et me soulevait le cœur de sensations innommables.
Quand je me fus tu, Katsuki demeura un instant sans proférer le moindre son. Mes pas mollirent à mesure que se prolongeait son silence, la crainte de sa rancune me reprenait. Je le laissai me devancer, fixant sa carrure avec l'envie grandissante d'invoquer mes ailes et de m'envoler loin d'ici. Loin de lui.
Puis sa voix s'éleva finalement, rauque et basse, sans la moindre acrimonie :
- Et donc ? Ça change quelque-chose à ces huit ans ?
Je m'immobilisai, le souffle suspendu. Ces huit ans. Soit l'étendue du temps depuis lequel je le connaissais. Il se retourna, son expression réitérant la question.
- Non, répondis-je, incapable d'élaborer d'avantage.
Il découvrit les dents sur un rictus narquois.
- Alors espère pas que je vais arrêter de t'appeler «Seki» !
Ce qui me traversa tout à coup était sans commune mesure avec tout ce que j'eus jamais pu éprouver. Violent comme une secousse et fluide comme une onde. Mon cœur se dilata de soulagement et de joie. Une bouffée d'émotions me submergea. J'étirai un sourire incontrôlable, alors qu'une piqûre dans la cornée m'embuai les yeux.
Les larmes s'accumulèrent sous mes paupières, que je tentai énergiquement de refouler. Montrer mes pleurs avait toujours été inadmissible, je ne supportais pas l'humiliante impression d'extrême vulnérabilité dans laquelle cela me mettait. Cependant l'effusion émotionnelle était trop vive, je n'allais pas pouvoir les ravaler, ni même les contenir. Je fis alors la seule chose qui me permettait de concilier l'élan d'affection qui me parcourait, et la nécessité de dissimuler mon visage au blond.
La bretelle de mon sac glissa de mon épaule quand je le laissai choir au sol. En deux foulées je comblai la distance qui me séparait de Katsuki, et enroulai mes bras autour de son cou pour l'étreindre, menton appuyé contre son épaule. Katsuki tressaillit, et s'insurgea dans mon oreille :
- Eh ! Non ! Qu'est-ce que tu fous ? Lâche !
Je resserrai davantage ma prise, les larmes débordant de mes yeux pour rouler rapidement sur mes joues.
- Seki, lâche ! Lâche où je te jure que tu finis à la flotte !
Insensible à sa menace, je pressai mon nez contre sa chemise imprégnée de son odeur chaude et puissante. L'instant suivant, les protestations retentissantes cessèrent de m'assourdir les tympans. J'entendis le son mate de sa sacoche s'écrasant sur le bitume, puis j'eus la surprise de sentir ses bras solides se refermer sur moi pour me soulever légèrement de terre. Il y eut un balancement alors qu'il exécutait quelques pas, et soudain nous partîmes à la renverse pour basculer droit vers l'eau étincelante du canal. Avant que l'exclamation logée au fond de ma gorge n'eut pu jaillir, nous fracassâmes la surface et nous enfonçâmes dans un grouillement de bulles argentées. L'eau m'emplit les yeux, les oreilles et la bouche, néanmoins le niveau était assez bas pour que mes épaules émergent lorsque je me redressai sur les genoux. Je crachai un filet d'eau au goût vaseux, aveuglée par mes cheveux qui me coulaient sur la figure. Des doigts rugueux et endurcis écartèrent malhabilement mes mèches. Dès que m'apparut Katsuki, entre les genoux écartés duquel j'étais assise, je lui frappai le torse.
- T'es à l'eau aussi.
- Tu voulais pas décrocher, répliqua-t-il avec un sourire extrêmement satisfait de lui-même.
Il passa la main dans ses propres cheveux pour redresser les épis aplatis et dégoulinant, et quelque-chose dans son geste, dans son expression d'authentique contentement, éclipsa tout ce qui se trouvait aux alentours.
Sa chemise trempée qui adhérait à son corps attirait irrésistiblement le regard. Le tissu gainait ses reliefs fermes, je pouvais voir la couleur chair de sa peau par transparence. Je cillai rapidement, en proie à des palpitations frénétiques et étrangères. Je me rappelai la pression et la chaleur de ses bras autours de moi un instant auparavant. C'était tout autant déstabilisant qu'enivrant. J'avais les genoux enfoncés dans la tourbe spongieuse, mais ne voulais pas sortir de l'eau, je ne voulais pas m'écarter de lui.
Je consultai la physionomie Katsuki d'un coup d'œil, en quête d'explications à ce qui était en train de se produire, et eus la surprise de découvrir son air désemparé. Il crispait la bouche d'une façon qui fit se serrer mon ventre. Nous nous jaugeâmes sans bouger, éblouis par les reflets ambrés du soleil sur l'eau, le courant charriant des pétales entre nous.
Puis le blond s'ébroua, et frappa la surface pour m'arroser. La figure claquée par la bordée liquide, je plongeai aussitôt les bras sous l'eau et, d'un geste ample, ripostai par une giclée. Nous bondîmes simultanément sur nos pieds tout en poursuivant la bataille, nous précipitant vers la rive en une course implicite dans de grandes éclaboussures, sans cesser d'asperger l'autre. Gênée par ma jupe alourdie qui entravait mes enjambées, je perdis. Katsuki mit le premier le pied au sec.
- Au fait, lui dis-je. Mon deuxième Alter est peut-être en train de revenir...
Ces épaules se tendirent d'une crispation nerveuse. Il fit volte-face et me repoussa droit dans le canal.
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Deux jours plus tard, quand j'eus constaté au réveil que les figures de Lichtenberg s'étaient complètement estompées, je profitai de la pause déjeuner pour me rendre à l'infirmerie, une pointe de fébrilité au cœur. Recovery Girl me reçut sans délais et me demanda d'activer intégralement mon Alter. Je retirai mon haut d'uniforme, puis déployai mes ailes, attentive à l'espace qu'elle occupait et aux sensations que leur matérialisation me procurait.
Le poids supplémentaire fut la première chose que je remarquai. Un courant d'euphorie se déversa dans mes veines. Je tordis immédiatement la nuque pour que mes yeux me le confirment.
Elles étaient là. Si petites et frêles qu'elles me paraissaient infirmes, l'ossature apparente sous le plumage majoritairement constitué de duvet.
- Est-ce que tu as mal quelque-part ? M'interrogea Recovery Girl en me trottant autour pour les étudier.
Je secouai négativement la tête, rendue aphone par l'émotion.
- Tu peux les bouger ?
Les étendre me demanda plus d'effort et de concentration que ce à quoi je m'attendait. C'était à peu près tout ce dont j'étais capable pour l'instant. L'infirmière procéda à un examen scrupuleux avant de me laisser les révoquer. Le peu de mouvements qu'elle m'avait demandé d'exécuter avait rendu ma seconde paire percluse d'élancements, et les muscles dorsaux auquel elles étaient connectée s'étaient rapidement échauffés.
Recovery Girl m'expliqua que cette régression n'avait rien de surprenant. À la manière d'un muscle atrophié suite à une période d'inutilisation trop prolongée, mes ailes allaient nécessiter une rééducation. Elle me recommanda donc de les faire travailler quotidiennement, et de ne surtout pas tenter de manipuler la foudre tant que je ne les aurai pas renforcé. Elle m'indiqua ensuite qu'elle se chargeait de mettre Eraser Head et All Might au courant de ma nouvelle situation, afin qu'ils surveillent le développement de mon Alter pendant les entraînement.
J'exultais en quittant l'infirmerie. La vague de joie me monta à la tête, et je dus refréner l'envie de courir dans les couloirs pour rejoindre le réfectoire et annoncer la nouvelle à Izuku. Je gagnai finalement l'immense salle pleine d'odeur de nourriture, du tapage de vaisselle et de confusion des conversations. Dehors, les nuages filaient rapidement devant le soleil, plongeant tour à tour le Lunch Rush dans l'ombre, puis dans un flot de lumière vive. Après avoir enduré la queue jusqu'aux guichets, je pus finalement m'engager entre les tables, plateau en main. Repérant la tignasse noire lustrée d'émeraude de mon frère par-dessus un dossier, je me frayai un chemin dans sa direction.
Ce ne fut qu'en arrivant à la hauteur de sa table que je m'aperçus que Shoto y était également installé. Un courant de panique m'envahit. Je réagis par réflexe, sans réfléchir, et m'empressai de poursuivre mon chemin pour m'éloigner de la tablée qui m'avait pourtant déjà vu m'avancer. Épaules crispées, doigts compulsivement serrés sur les bords de mon plateau, le cœur affolé, je rejoignis la bande de Kyoka, Mina, Kaminari, Eijiro et Katsuki, et me laissai tomber sur une chaise à côté de ce dernier, qui n'avait rien manqué de la scène.
- C'était quoi cette esquive bien minable ? Ne se priva-t-il évidemment pas de relever.
- Rien, ripostai-je un peu trop abruptement.
Il se pencha sur le côté pour étudier la table de l'autre groupe avant d'insister :
- Pourquoi tu te dégonfles face à Double-face, maintenant ?
Je me mis à aspirer mes nouilles afin d'éviter d'avoir à répondre. Et surtout de lui donner raison.
Je n'avais en aucun cas voulu réagir de cette façon, et je le regrettai déjà, me flagellant intérieurement d'avoir laissé la panique prendre les commandes. Seulement je n'avais pas d'autre recours contre la perturbation venue semer le désordre en moi. Perturbation engendrée par un simple coup de fil, et dont Shoto était le nœud.
J'ignorais si Hawks m'avait fait ces révélations à propos des Katagiri par calcul, mais il n'avait certainement pas mesuré l'impact qu'elles produiraient sur moi. Quand je croyais enfin être capable de me garantir contre le moindre mal qu'aurait pu m'infliger le clan, je m'apercevais que les tourments trouvaient toujours un moyen de ressurgir, et que j'étais attendue au tournant. Des pensées insupportables étaient larvées dans mon esprit, des sentiments crucifiants couvaient entre mes côtes, et je ne pouvais rien faire d'autre que tout intérioriser pour ne pas les laisser s'emparer de moi.
C'était là que Shoto compliquait les choses. Parce que l'équilibre que je maintenais précairement était menacé en sa présence. Me retrouver face à lui, c'était approfondir mes failles, compromettre mes défenses. Je perdais la maîtrise de ce que je ressentais, or je ne voulais surtout rien ressentir.
Kaminari -jusque-là occupé à se chamailler avec Kyoka - se tourna vers nous.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Seki vient de baliser à cause de Double-face.
- Sérieusement ? S'étonna la brune au carré rock'n'roll. Pourquoi, vous vous êtes embrouillés ?
La mine sardonique, Katsuki répondit à ma place :
- J'avais plutôt compris le contraire.
Je lui cognai la jambe sous la table. Il riposta par un coup de genou dans le mien, avant de piéger ma cheville entre les siennes pour m'empêcher de riposter.
- Ça expliquerai ton pétage de plomb l'autre jour, s'esclaffa Eijiro.
- «Moi casser gueule rival, casser gueule frère», le parodia Kaminari avant que que Kyoka ne l'étourdisse avec son Earphone Jack.
- «Eiko venir et faire bi...» commença de renchérir Mina, interrompue par le rugissement ulcéré du blond.
- VOS GUEULES BANDES D'ENFOIRÉS !
Le voir se faire titiller par les autres et tomber si lamentablement dans la provocation me fit pouffer sous cape avec eux. Katsuki donna une secousse rancunière à mon pied, toujours coincé dans son étau, avant d'engloutir son riz à coups de baguettes furieux.
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Il fallut une bonne semaine à Shoto pour remarquer que Arashi s'était distancée. D'abord, il ne pensa rien du fait que les occasions de se retrouver seul à seul avec elle s'étaient raréfiées jusqu'à disparaître. Elle ne s'attardait jamais seule après les cours quand elle ne rentrait pas directement chez elle, plaçait toujours plusieurs de leurs camarades entre eux lorsqu'ils mangeaient à la même table au Lunch Rush, et avait même décliné de réviser avec lui pendant le week-end, prétextant qu'elle avait déjà prévu d'aller chez Yaoyorozu. Il ne réalisa que ce qu'il avait pris pour une soudaine propension à l'extroversion était en fait une stratégie d'évitement que lorsqu'il se retrouva à ne plus pouvoir lui adresser la parole. Arashi ne le regardait même plus dans les yeux.
Shoto nageait en pleine incompréhension, effleuré bien qu'il s'en défende d'un brin d'irritation. Après plusieurs jours de tentatives avortées de confronter Arashi, la contrariété l'avait gagné. Dès que la fin des cours sonna, il remonta la rangée et s'arrêta près de la jeune fille, qui terminait de ranger ses affaires. Elle s'obstina à ne pas croiser son regard en quittant sa place, jetant un «à tout à l'heure» à son frère, puis entreprit de le contourner pour s'esquiver vers la sortie. Son attitude fit se serrer la poitrine de Shoto sur quelque-chose d'aigre et désagréable. Son bras se tendit de lui-même pour retenir Arashi par la manche, en un geste un peu plus sec que ce qu'il avait voulu. Les traits de son visage s'étaient durcis malgré-lui.
Alors seulement se tourna-t-elle pour lui faire face, ses prunelles mauves rencontrèrent les siennes, le plongeant dans une confusion encore plus grande. Tendue comme si elle allait bondir, mais hésitait entre lui sauter à la gorge ou détaller, frémissante de toutes les émotions qui se disputaient sur sa physionomie, elle lui jeta un regard heurté, accusateur, effarouché et désolé tout à la fois. Le déchirement peiné qu'elle lui jeta à la figure fit se bloquer dans sa trachée tous ses reproches de paire avec son souffle, et lui retourna le ventre. Décontenancé, Shoto resta sans réagir. Arashi se dégagea délicatement de sa prise, et tourna les talons, la tête rentrée entre les épaules.
Interdit, il jeta un coup d'œil à Bakugo, qui avait assisté sans broncher à cet échange incompréhensible. Le blond renâcla avec son dédain coutumier.
- Elle a ses phases. Mais si t'attends que ça passe, tu vas attendre longtemps.
Néanmoins Shoto n'avait pas besoin qu'il le lui dise. Il avait déjà résolu de mettre un terme à son silence.
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https://youtu.be/qg4SgNYeCgU
📩 De : Shoto
Désolé, j'ai mis du temps à comprendre, mais je crois que je sais ce qu'il se passe, et il faut que je te parle.
Mille réponse me vinrent à la lecture du message de Shoto, mais je n'en tapai aucune. Assise à même le sol dans ma chambre, mes bras enserrant mes genoux repliés contre moi, ailes ployées en une enceinte protectrice de plumes, je tachai de me concentrer sur les musiques de ma playlist qui s'enchaînaient aléatoirement. M'efforçai d'étouffer mes scrupules. D'ignorer la sensation lancinante de manque qui s'approfondissait chaque jour qui passait. De rompre le cercle vicieux.
Quand il me sembla que j'avais regagné la maîtrise de mes états internes, je désactivai mon Alter, pour m'efforcer de m'absorber dans mes révisions. Dehors, la pluie tombait drue, dégoulinant le long de la fenêtre. Des nuées de plombs couvraient le ciel, si bien que la lumière parvenait amoindrie dans ma chambre. C'était l'une de ses averses précurseuses de la saison des pluies.
📩 De : Shoto
Je suis en bas de chez-toi. Tu peux descendre, ou je peux demander à ton frère de m'ouvrir.
Le message me figea un instant de sidération, puis la colère que je jugulais vaille que vaille depuis plus d'une semaine éclata, coula comme un acide dans mes veines, et se retourna contre celui dont j'avais à tout prix voulu éviter d'en faire la cible. Je traversai à pas vifs l'appartement, enfilai en hâte une paire de basket, et dévalai les escaliers, ayant la ferme intention de le repousser, quitte à y employer toute ma hargne et mon acrimonie.
Je me reçus le grain de plein fouet dès que je mis le pied à l'extérieur. L'ondée s'abattait raidement, brutalement, dans un clapotement assourdissant. Mais ce qui me fustigea plus vivement que le fouet des trombes fut le regard vindicatif de Shoto, posté au pied de mon immeuble sous un grand parapluie noir criblé de gouttes. Une résolution d'une force aussi inexorable que la glace animait ses yeux, et referma son étau sur moi sitôt que les miens les eurent croisé. Le tumulte qui s'agitait en moi mourut sur le coup, me laissant démunie sous la pluie. J'avais oublié qu'il savait mieux que quiconque comment endiguer mes déchaînements.
Je m'approchai juste assez pour être entendu par dessus le fracas du déluge, instaurant une distance défensive entre nous. L'eau avait rapidement pénétré mes vêtements et ruisselait sur mon front, dans mon cou, le long de mes bras nus.
- Tu sais pas ce qu'il se passe, dis-je avec infiniment moins d'énergie que prévu.
- Ah oui ? Répliqua-t-il en s'avançant d'un pas. Donc je ne sais pas ce que c'est que de se forcer à réfuter tout ce qui a un lien avec son sang et son passé parce que c'est le seul moyen d'avancer ?
Son timbre dur conjugué avec l'inflexibilité de son expression m'interdisait toute réfutation. Il fit un autre pas.
- Je ne sais pas ce que c'est de lutter tellement fort contre ce qui me mine de l'intérieur que je me démolis moi-même ?
J'étais clouée sur place, la gorge douloureusement étranglée, les yeux brûlants. Shoto s'approcha encore d'un pas.
- De ne plus pouvoir voir quelqu'un parce qu'il représente tout ce que tu détestes ?
Un autre pas accompagna le hoquet suffoqué qui m'échappa alors que je secouai la tête. Il se tenait maintenant devant moi, son parapluie nous enfermant dans un abri sec sur la toile duquel crépitait l'averse. La glace fondit dans ses iris hétérochromes, son ton s'adoucit.
- Je suis pas en train de dire que je t'en veux, déclara-t-il. Mais toi ne m'en veux pas de t'empêcher de faire la même erreur que toi.
La respiration que je retenais fusa en un sanglot.
- Non, tu comprends pas. C'est pas à toi que j'en veux. Et tu ne me rappelle pas ce que je déteste, c'est tout le contraire ! Tu es la première personne qui ait jamais compté pour moi. Mais c'est précisément ça le problème ! C'est tellement injuste !
- Injuste ? Injuste pour qui ?
- Pour eux ! Lâchai-je dans une plainte qui m'ébranla le cœur. Tous les autres enfants Katagiri ! Si j'avais pas caché mon identité tout ce temps, si j'avais rapporté tout ce que je savais, peut-être qu'ils les auraient trouvé, peut-être qu'ils les auraient sauvé ! Ça aurait pu être moi, Shoto ! Endeavor aurait pu enquêter sur n'importe quel autre couple du clan, et je n'aurais pas survécu, je me serais pas échappé ! Et maintenant c'est trop tard... quoi qu'il leur soit arrivé, c'est de ma faute.
Shoto me dévisageait, le visage enténébré d'une émotion indescriptible. Des larmes brûlante et amères striaient mes joues, irrépressibles. Ma respiration hachée secouait mes épaules. Je pressai une main contre ma poitrine, à l'intérieur de laquelle une poigne insupportable me broyait le cœur. D'une voix qui n'était guère plus qu'un souffle gémissant, mes pleurs avalant mes mots, je lui avouai finalement la raison pour laquelle j'avais désespérément fuit sa présence :
- C'est pas ton père qui m'a trouvé, c'est toi. Et je mérite même pas de te regarder en face.
J'achevai à peine que Shoto passait son bras libre dans mon dos pour m'attirer fermement à lui, me pressant contre sa veste en denim.
- Comment est-ce que tu peux penser ça une seule seconde ? M'accusa-t-il à l'oreille.
Il m'étreignit plus fort tandis que j'appuyai mon front contre son épaule, incapable de calmer les spasmes des sanglots qui m'assaillaient le thorax.
- Arashi, c'est parfaitement normal d'avoir de la peine pour eux, mais tu n'as pas à te sentir coupable. Ne t'impose pas un fardeau pareil. Tu étais juste une enfant, tu ne savais même pas qu'il y en avait d'autres... rien de tout ça n'est de ta faute.
Sa main qui serrait par derrière mon épaule remonta s'apposer sur mon crâne, et sa large paume flatta doucement mes cheveux.
- C'est la plus grande hantise des héros, après tout : on ne peut pas sauver tout le monde.
Je ne savais pas comment il y parvenait, mais Shoto semblait absorber tout l'excès de désolation et de misère contre lesquels je m'étais vainement débattue. J'exhalai un souffle évacuateur avant de parvenir finalement à prendre une profonde inspiration, puis une autre, jusqu'à me sentir délestée d'un poids. La tristesse demeurait, mais elle n'était plus qu'une douce meurtrissure.
Je croisai les bras dans le dos de Shoto. Stupéfaite de constater que ma rémission résidait en lui tout ce temps. Contre lui, il n'y avait plus d'affliction ni de remords suffocants. Ce qu'il me transmettait à présent, sans une parole, simplement par le glissement de ses doigts dans mes cheveux trempés et son souffle dans mon cou, éclipsait tout le reste. J'étais soudain transporté à une multitude d'autres endroits, en d'autre temps. Des temps de goût de baies sauvage sur ma langue, de fraîcheur d'une eau bleu profonde sur ma peau, et de lumières de lanternes dans mes yeux.
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Alors, ce chapitre a été un vrai plaisir à imaginer, mais un vrai calvaire à écrire, parce que je ne suis pas DU TOUT une personne démonstrative, donc les scènes d'émotions de ce genre sont celles avec lesquelles j'ai le plus de mal. J'ai toujours peur d'en faire trop ou pas assez.
Malgré tout, j'espère que j'ai bien réussi à transmettre les sentiments d'Eiko, qui sont très important, et notamment sa culpabilité vis à vis de ses frères/sœurs/cousins/cousines.
Les musiques sont celles qui m'ont motivé à écrire les passages dans lesquels je les ai inséré. La deuxième : She remembers, me fait presque pleurer quand je l'écoute, alors j'ai pensé qu'elle était de circonstance. x)
Team Shorashi, team Eitsuki, j'espère que vous avez eu votre dose, et surtout que vous n'avez pas eu d'indigestion de guimauve, parce que c'est encore au menu pour le prochain chapitre !
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