Chapitre 34 : Tolérance et bénéfice du doute
Shota dut patienter que Ryoka recouvre ses forces avant d'aborder les sujets qui devenaient un peu plus pressant à chaque heure qui passait. La jeune femme avait fini par sombrer dans un sommeil comateux et, à voir les crispations qui troublaient ses traits : agité. Le héros s'affaira à préparer la rentrée jusqu'à ce qu'elle émerge, en début d'après-midi. Un carré de lumière tombait sur le canapé. Le soleil de début Mai, encore doux, dorait la pellicule de sueur qui lui couvrait la peau, et faisait luire les mèches qui collaient à son front. Une vision qui aurait été subjuguante si ce n'étaient le sang séché qui lui encroûtait le visage et les trop nombreux bandages et compresses. Reste qu'il s'agissait de Cheshire, qu'il confrontait pour la première fois sans masque ni faux-semblant.
L'insaisissable, l'imprévisible, l'incontrôlable Cheshire, qui ne lui glissait entre les doigts que pour revenir. La femme qui piétinaient les lois et le système, mais dont il discernait à présent l'éthique particulière. Mise à l'épreuve des circonstances, il l'avait lui-même vu interposer sa propre vie entre la menace et un étranger. La femme dont il avait pu découvrir l'identité uniquement parce que, l'espace d'un instant crucial, elle n'avait pas joué le rôle d'une héroïne : elle en était devenue une.
La couverture dont il l'avait recouverte enroulée autour de ses épaules, elle glissa les jambes en dehors du canapé. Shota referma son ordinateur en interrogeant d'une voix abrupte :
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je vais juste prendre un verre d'eau, répliqua-t-elle.
- Tu peux demander.
Une étincelle malicieuse dans les yeux, elle lui rappela :
- Je sais où sont rangés les verres.
- Ce n'est pas la ques...
Le soupir excédé qu'il souffla dans la paume de sa main balaya la fin de sa phrase. Il se leva, prenant de vitesse la jeune femme encore trop faible pour se mouvoir correctement, et alla remplir un verre qu'il lui posa sur la table basse, comme la veille. Une fois désaltérée, elle s'enquit :
- Qu'est-ce que tu as fait de mon costume ?
- Ce n'est pas vraiment la priorité, rétorqua-t-il, intransigeant.
Bras croisés, il la somma d'un regard d'entamer les explications qu'il attendait. Cheshire avait toujours procédé en rapports de contreparties et de gains mutuels. Il n'y avait pas de raison que cette fois fut différente. Si elle avait sollicité son aide, ce n'était pas sans renseignements à lui échanger ni offres à lui proposer.
Ryoka se recula contre le dossier du canapé avant d'obtempérer. Elle commença par lui confirmer ce qu'il supposait déjà, à savoir qu'elle avait suivi seule le plan sur lequel ils devaient collaborer avant l'incident à Hosu. Puis vinrent les informations qui manquaient depuis le début à l'enquête sur Suzuki Akira : l'embrigadement de jeunes, la planque, Kubo, ses hommes de mains, le détail de plusieurs de leurs Alter, tout y passa. Et lorsqu'elle lui eut tout rapporté, elle se tue. Pas de proposition, de chantage, ni de marchandage. La jeune femme se contenta de le lorgner posément du fond du canapé. Elle attendait sa décision.
Les options qui se présentaient à présent, Shota les avait déjà toutes examiné tandis qu'elle parlait. Profitant de l'initiative qu'elle lui laissait, il lui exposa ses termes.
- - -
L'eau teintée de rose disparaissait en tourbillonnant dans le drain. Ryoka avait reprit un cachet contre la douleur et les inflammations, calmant les fulgurances de son poignet et de son épaules, cependant les perforations des points de suture l'élançaient toujours. La série de piqûres singulières fusionnait en une seule traînée embrasée tout le long des plaies qui lui zébraient le flanc. Une fois débarrassée du sang séché, elle resta sous le ruissellement de la douche jusqu'à temps que son épiderme s'engourdisse de froid. Elle quitta la salle de bain vêtue des vêtements de Daisuke laissés chez le héros, un rien revivifiée par la sensation de propre et l'atténuation de ses maux.
Dans le salon se trouvaient Recovery Girl ainsi que le détective Naomasa, lequel se raidit à son entrée. Tous deux étaient arrivés pendant que la jeune femme se débarbouillait. Ryoka échangea un regard avec Aizawa. Je te fais confiance comme je le fais à très peu de gens, alors prouve-moi que je suis pas en train de faire la connerie de ma vie, fut ce qu'elle aurait aimé lui exprimer. Au lieu de quoi, elle alla se servir un café dans le coin cuisine, et préféra s'appuyer contre le plan de travail plutôt que de s'asseoir autours de la table avec les trois autres. Elle garda pour une fois ses tirades sarcastiques par devers elle tandis qu'elle écoutait le brun leur révéler toute la vérité à son propos. Elle se contenta simplement d'ancrer ses yeux dans les leurs par-dessus le rebord de sa tasse lorsqu'ils jetaient un coup d'œil dans sa direction. Son deuxième café au lait sucré était entamé quand Aizawa leur fit connaître les détails de leur accord.
La collaboration se poursuivait et Ryoka était assuré de ne pas être inquiétée ni par les Héros Professionnels, ni par la police jusqu'à ce que Akira soit retrouvé. À la condition qu'elle termine son année à U.A en tant que Eizan Takeru.
La déclaration fit bondir Naomasa.
- C'est inadmissible ! Refusa-t-il, paumes à plats sur la table.
La jeune femme fut surprise de voir l'infirmière argumenter en faveur de cet arrangement. Si elle poursuivait son année au lycée, cela la plaçait cinq jours par semaine sous la surveillance directe d'Aizawa. En outre, la réputation de l'établissement avait déjà été suffisamment mise à mal ce trimestre-ci, la disparition d'un élève du jour au lendemain ne ferait que le placer davantage en porte-à-faux. Celle d'Akira n'était passée sous le radar des médias que parce qu'elle s'était produite durant les vacances, et la direction avait pris toutes les mesures pour ne pas ébruiter l'affaire. Ce qui était ironiquement la raison pour laquelle Ryoka avait infiltré U.A en premier lieu. Aizawa conclut en avançant qu'elle pourrait se révéler un atout majeur dans la recherche de la taupe. Si la véritable identité de la jeune femme n'était connue que d'un noyau restreint de membres du personnel, elle aurait le champ libre pour débusquer l'espion.
- Ou pour vous monter les uns contre les autres, souleva Naomasa, toujours profondément septique.
- Tu crois vraiment que je ne m'en apercevrais pas si elle jouait à se jeu là ? Rétorqua le héros.
Une réplique goguenarde traversa l'esprit de Ryoka, mais elle ne la laissa pas glisser.
- Nezu devra également être informé de tout ça, chevrota la vieille Chyio.
- C'est prévu, approuva son collègue.
Naomasa fut contraint de plier, non sans manifester sa récalcitrance par un regard lourd d'avertissement lancé à Ryoka. Il prit ensuite congé d'eux et, tandis qu'il s'entretenait à voix basse avec Aizawa sur le pas de la porte, Recovery Girl se tourna vers la jeune femme.
- Bon, viens me montrer ces blessures. Mieux vaut que Takeru soit en forme pour la rentrée.
- - -
Stationnée à l'angle de rue où le trajet de Katsuki ralliait le mien, je patientai presque un quart d'heure avant de voir le blond approcher. Je m'étais levée plus tôt que d'ordinaire, l'esprit trop agité par les événements de la vieille pour profiter des quelques minutes supplémentaires de sommeil dont je bénéficiais.
Si mon entretient avec Hawk n'avait pas suffi à dissiper entièrement mes craintes, au moins le Numéro 3 était-il parvenu à rayer la dimension critique de la situation. Installée face à lui dans son bureau, je lui avais exposé l'entière vérité, relatant mon enfance sans rien omettre. C'était étrange : alors que je m'attendais à être submergée d'émotions et de souvenirs, j'avais détaillé les événements avec un détachement dont je ne me croyais pas capable. Comme si je récitais l'histoire d'une autre. Comme si, finalement, tout cela était bien trop loin pour m'atteindre. La véritable menace ne résidait pas dans mon enfance, après tout.
- Endeavor est réputé pour être impulsif et butté, avait convenu Hawk lorsque j'eus terminé.
Il était conscient que si le Numéro 2 ne pouvait me faire appréhender, il était bien capable de s'acharner à me faire renvoyer de U.A afin de m'éloigner de son fils.
En ce qui concernait les Katagiri, Hawk affirmait que si ma mère s'était manifestée précisément à ce moment-là, cela signifiait qu'elle n'avait en réalité aucun moyen de me récupérer contre ma volonté. En admettant que le clan subsistait, il avait la discrétion pour mot d'ordre, et m'approcher avec trop d'insistance attirerait sur eux l'attention des Héros Professionnels.
Au vue des circonstances, Hawk avait décidé d'enquêter officieusement sur les Katagiri afin d'obtenir une idée plus précise de leur activité actuelle. En fonction de ce qu'il déterrerait, il aviserait des mesures à prendre. Pour ce qui était de ma véritable identité, il se permettait, en sa qualité de Numéro 3, de ne pas l'exposer du moment que je limitais au maximum mes contacts avec le clan. Ce qui ne pouvait pas me convenir davantage.
Quand la silhouette de Katsuki se profila sous le flot de soleil matinal, mon cœur exécuta un soubresaut. Le pêle-mêle de réalisations que j'écartais de mes pensées depuis le réveil me percuta. Ce qui n'avait été qu'une pelote brouillonne de réflexions se déroula en lignes claires et indubitables.
J'étais affligée que la semaine passée me force à garder davantage de choses sous silence. J'étais tenaillée de dépit, parce que je ne voulais plus laisser ces dissimulations nous écarter. Parce que j'étais remuée par l'irrésistible besoin du contraire. Le retrouver après cette semaine folle me faisait l'effet d'une soupape s'ouvrant enfin pour me décharger de mes tensions. Être proche de lui m'était tout à coup indispensable.
Alors que le blond approchait, ces moments particuliers que nous avions partagés dernièrement -dans le train après l'attaque du CSA, ou chez lui après le Championnat- se rappelèrent à moi. Était-ce parce que j'avais désormais conscience que tous ces instants, ces nœuds qui se formaient dans nos liens, pouvaient m'être arrachés comme ils l'avaient été avec Shoto dix ans auparavant ? Quoi qu'il en fut, j'avais tellement envie de sentir de nouveau ses bras autours de moi que j'en oubliais de respirer en le voyant me rejoindre.
Ce ne fut que lorsqu'il marqua une halte devant moi que je relevai le détail dont mon attention avait été détournée jusque-là. Ses cheveux n'étaient plus coupés en brosse, mais peignés et lissés au point de donner du lustre à ses mèches platines.
- J'aime pas du tout, lâchai-je sans pouvoir détacher mes yeux de l'espèce de casque pilaire dont il était coiffé.
Sa main m'écrasa les joues tandis que ses vociférations troublèrent la quiétude de la rue en y raisonnant d'un bout à l'autre :
- Putain j'y peux rien ! L'autre maniaque compulsif a abusé de la cire et maintenant ils tiennent TOUS SEULS, bordel !
Je donnais un coup de dents à ses doigts pour me dégager, puis levai les bras pour essayer de hérisser ses cheveux en y passant mes mains.
- C'est encore pire que l'autre blond de la première B, fis-je remarquer, sans parvenir à redresser ses épis. Ah oui, ils sont vraiment fixés, en fait.
- Laisse-tomber, répondit-il en repoussant mes poignets. Si y en a un qui se fout de ma gueule au bahut, je le crève. Et me compare pas à ce plagiaire de mes deux !
Il enfonça ses mains dans ses poches et me détailla de haut, ses prunelles écarlates me sondant avec inquisition.
- Quoi ? M'enquis-je, étonnée par son silence subit.
- T'es redevenue normale, dit-il sur le ton de la constatation.
Toute la bonne humeur que ces deux dernières minutes m'avaient insufflées retomba. Évidemment, Katsuki ne pouvait pas laisser en suspens la conversation téléphonique à laquelle j'avais brusquement mis fin il y a deux jours. Je me détournai pour me remettre en chemin.
- Il y a eu pas mal d'imprévus ces derniers jours, dis-je mornement, les yeux rivés devant-moi. J'ai été perturbée.
- Imprévus du genre «mon frère a fini à l'hosto» ? Railla-t-il derrière moi. Ou «j'ai eu des nouvelles de mes vieux» ?
Je tournai violemment la tête vers lui, estomaquée.
- Comment tu as s...
L'exclamation mourut sur mes lèvres en découvrant son expression. Préoccupation et accusation se disputaient dans son regard et crispaient ses traits. Son timbre était bas et sourd lorsqu'il répondit :
- T'avais jamais parlé de ton «autre famille» avant.
Il se rapprocha jusqu'à ce que nous soyons à moins d'un pas l'un de l'autre, me dominant des dix bons centimètres dont il me dépassait. Nous nous regardâmes dans les yeux, immobiles et sans une parole, pendant un moment. Cette proximité que j'avais si vivement désiré quelques instants plus tôt me chamboulait de l'intérieur. Les tambourinements effrénés contre mes côtes me paraissaient audibles dans toute la rue.
Désarçonnée, je me rétractai sous ces prunelles d'un rouge incandescent dont je ne reconnaissais pas l'étincellement. Je déglutis, tirai machinalement les épaules en arrière et, dans un éclair d'inspiration, je lui cinglai au nez :
- Je peux pas me concentrer avec cette coupe. On en parlera quand elle sera redevenue comme d'habitude.
La figure de Katsuki se décomposa de stupéfaction. Assumant à peine la réplique que je venais de lui opposer, je me détournai pour la seconde fois, mais une traction sur une mèche de ma queue-de-cheval m'arrêta en plein élan et me fit pivoter sans ménagement vers lui. Je me retrouvai cette fois presque buste-contre-buste et nez-contre-nez avec le blond, si bien que son déodorant chatouilla mes narines.
- T'auras intérêt à causer, crétine, asséna-t-il en guise de consentement, tandis qu'il s'emparait de mon nœud de cravate pour le rectifier.
Le ruban vermillon ne fut pas autant malmené entre ses mains que d'ordinaire, Katsuki l'arrangea presque sans brusquerie, ses doigts effleurant la naissance de ma gorge. Nous ne nous lâchâmes pas du regard temps qu'il ne se fut pas reculé.
- - -
Je retirai mon survêtement de sport avec un rictus pénible. Soucieuse, je passai une main dans mon dos pour frotter du pouce la sensation de déchirement qui me lancinaient sous la peau. Je n'avais utilisé mon Alter que le temps de la course de sauvetage, aujourd'hui, soit trop peu pour justifier une douleur pareille, et encore moins à ce niveau là. Le contact cribla mes cicatrices de pointes endolories.
- Tout va bien, Eiko ? S'inquiéta Momo à côté de moi en s'apercevant de mon manège.
- Oui, oui. Je crois que je ne me suis pas encore complètement remise de mon stage, c'est tout.
La déléguée suppléante examina mon dos sans que la moindre trace de dégoût ou de pitié ne vienne teinter son regard face aux marques qui s'étoilaient sur mes reins. Elle se mit alors à me vanter les vertus du baume du tigre, un onguent utilisés par les praticiens de la médecine chinoise, qu'elle me conseillait de m'appliquer pour soulager mes muscles. Des couinements libidineux et haut-perchés la firent cependant s'interrompre dans ses explications. Un silence révulsé se fit dans le vestiaire à l'entente des propos de Mineta. Ce fut Kyoka qui se chargea de le faire taire en infiltrant l'une de ses prises jack dans la percée du mur à laquelle il venait de coller son œil. Alors que les filles la remerciaient en se couvrant machinalement, les rugissements de Katsuki nous parvinrent à travers la cloison :
- QU'EST CE T'AS DIT SUR LES CUISSES DE SEKI ?! QU'EST CE T'AS DIT ?!
S'ensuivit un vacarme de pétarades, de piaillements paniqués de Mineta, des récriminations d'Iida qui soulignait que celui-ci manquait de respect à l'ensemble des membres féminins de la classe, et de la voix quasiment indistincte de Shoto qui paraissait vouloir faire taire Katsuki.
- Il y a vraiment des cas dans cette classe, lança Kyoka dans un grommellement irrité.
Ce à quoi nous acquiesçâmes toutes.
Une fois rhabillée, je remontai en classe en compagnie de Mina et Kyoka pour déposer mes affaires de sports et récupérer mon sac de cours. N'ayant eu aucune occasion durant la journée de prendre Shoto à part pour lui rapporter tout ce qui s'était produit ces deux derniers jours, je voulus ensuite le retrouver ; mais il avait dû lire mes intentions dans l'attitude que j'avais eu envers lui pendant les cours, car il m'attendait déjà dans le hall.
- Tu sais, si tu as quelque-chose à me dire, tu peux m'envoyer un message, me fit-il remarquer.
Son visage ne portait plus les marques de son affrontement contre Stain, et ses traits étaient détendus sous les mèches albâtres et auburn encore humides de la douche prise après le cours de Super Héros 101.
- Je l'aurais fait si je t'avais pas trouvé.
Nous franchîmes l'imposante porte des premières années, tenue ouverte à cette heure-ci afin de ne pas congestionner le défilé d'élèves qui quittaient comme nous le lycée. À mi-chemin de l'allée pavée reliant le portail au bâtiment une brusque interpellation s'éleva derrière nous :
- Seki ! T'oublies pas un truc ?
Tignasse blonde aussi hérissée qu'à l'accoutumée, chemise négligemment déboutonnée au col et blazer fourré en boule dans son sac, Katsuki nous fusillait du regard. J'avais espéré pouvoir m'esquiver avant qu'il ne m'intercepte, mon excuse fumeuse ne m'ayant pas même laissé une journée de sursis.
- Non, admis-je, mais il y a quelque-chose dont je dois parler avec Shoto. C'est urgent.
Le concerné tourna des yeux interrogateurs vers moi, tandis que je poursuivis dans l'espoir d'ajourner encore un peu l'inévitable:
- Demain. Promis, demain.
Anormalement silencieux, le blond nous jaugea tour à tour de ses iris pénétrantes et intenses sous ses sourcils froncés. Puis il combla la distance entre nous pour venir se tenir à côté de moi de sorte que je devais lever la tête en biais pour guetter les émotions qu'il endiguait. Lui, l'air absorbé, regardait droit devant lui.
- T'as vraiment l'intention de me le dire ? Interrogea-t-il.
J'aurais voulu, de tout mon cœur, répondre oui. J'en fus incapable. Il abaissa alors le regard vers moi et, au lieu des éclats de reproches et de rejet que j'avais redouté, je n'y décelais qu'une flamme grave et impérial. Un rictus suffisant releva le coin de ses lèves.
- À quel moment t'as cru que t'étais obligée ? Je m'en cogne, au fond.
Là-dessus, il s'éloigna, me laissant trop décontenancée pour réagir. Une part irraisonné de moi-même voulut courir le rattraper et se décharger, là, tout de suite, tout déballer, n'avoir plus rien à cacher. Mais une autre fut lâchement soulagée de le voir abandonner l'affaire sans faire davantage de difficulté.
Je cessai de fixer son dos et me tournai vers Shoto. Pour le moment, c'était lui que je devais impérativement mettre au courant de la réapparition de ma mère.
- - -
Dans le loft vaste et confortable que Kubo s'était fait aménager dans leur nouvelle planque, l'air était irrespirable. Leur angoisse à tous – Baku, Shin, et Chika, répandait son fumet âcre, mêlé à l'acidité de la sueur glacée qui mouillait leurs nuques et poissait leurs paumes. Seule Vitaly ne dégageait aucune odeur désagréable, mais sa longue chevelure vert de gris indiquait clairement qu'elle se trouvait dans le même état qu'eux. Akira, lui, n'éprouvait aucune crainte. Il avait anticipé ce moment où Kubo les convoquerait dès l'instant où sa sœur aînée avait fait irruption dans leur précédent repère, et s'y était préparé. Le jeune homme n'était pas tranquille pour autant. Les signaux qu'émettaient ses quatre compagnons étaient trop puissants et agaçaient son attention. Le tressautement de leurs glottes lorsqu'ils déglutissaient, les palpitations de leur pouls sous leur peau, leurs muscles raidis, les cillements de leurs paupières ; il percevait chacun de ces infimes mouvement du coin de l'œil ; et chaque frémissement poussait un peu plus la bête à émerger pour bondir et mordre.
Quant aux signaux qui émanaient de Kubo, ils le rendaient presque fou. Son visage lisse et son attitude mesurée étaient aux antipodes de ce qui bouillonnait derrière ces yeux bleus fumée et ce fin sourire mielleux. Kubo était furieux. Peu de choses pouvaient le contrarier, et Ryoka était parvenue à toutes les cumuler. Il n'aimait pas qu'on se mêle de ses affaires, il ne tolérait pas qu'on lui manque de respect, et il détestait ne pas avoir le contrôle. Akira percevait avec une acuité aiguë les pulsions meurtrières qui imprégnaient chacune de ses fibres. Cette impétueuse démence sur le point de le submerger entrait en résonance avec la sienne. En ce point, le blond et lui étaient identiques. Leurs colères prenaient des proportions disproportionnées, animales, et lorsqu'elles les envahissaient, plus rien d'autre ne les habitait qu'un besoin de détruire.
D'un geste du doigt, Kubo fit signe à Vitaly de sortir.
- Je vais parler distinctement, déclara-t-il. Tu n'as pas besoin de traduire.
- Elle doit me traduire, moi, signa Akira.
Quand elle lui eut rapporté ses propos, le blond consentit finalement à ce qu'elle reste. Il se leva alors de son canapé pour faire face aux cinq jeunes alignés devant lui. Akira n'entendit pas un mot de ce qu'il racontait, mais il les lut aisément sur ses lèvres. Le contraste entre son discourt inaudible, son expression faussement navrée, et le déchaînement intérieur de ses émotions produisaient un effet aussi perturbant que glaçant.
Comme Akira s'y attendait, Kubo avait finalement fait le lien entre leur petite bande et les interventions de Eraser Head et Cheshire. Il prétendait vouloir des explications, chercher à découvrir qui de Chika, Baku, Shin et lui pouvait bien avoir attiré l'attention d'un Héros Professionnel associée à une causeuse de troubles, quand en vérité, il n'avait en tête que de rasseoir sa domination et céder finalement à ses élans de brutalité.
Akira levait déjà les mains pour signer quand Baku prit véhément la parole. Le temps de tourner la tête vers lui, le jeune homme manqua le début de sa phrase :
- ... feraient jamais ça ! On n'y est pour rien !
Il en aurait feulé. Le garçon venait de réagir exactement comme Kubo l'escomptait. Celui-ci s'avança, le regard froid, les commissures des lèvres relevées en un sourire de satisfaction venimeux.
- Donc j'ai tord, et je vous accuse injustement ?
Les yeux entièrement rouges de Baku cillèrent, sa peur grimpa en pic, agressant les narines d'Akira... Et de Chika. L'adolescente aux attributs de guépard s'interposa entre eux, la queue battante, les crocs dénudés, le regard farouche et protecteur. Elle non plus ne réalisait pas que ce genre de réaction impulsive était exactement ce à quoi Kubo les poussait. Ce dernier s'immobilisa et les fixa d'un air affecté.
- Chika, Baku, vous le savez pourtant. Tout type d'insubordination se paie.
Vivement conscients de ce qui allait se produire, tous réagirent simultanément. Quelle que fut la fidélité qu'ils devaient à Kubo, personne ne s'en prenait à l'un d'entre eux sans que les autres n'interviennent. Shin et Vitaly n'eurent que le temps d'esquisser un mouvement vers Baku et Chika, qui se ramassaient en posture défensive, avant que le blond n'active son Alter. Les quatre jeunes furent écrasés au sol, leurs figures tordues par le supplice, leurs muscles tendus contre le poids qui les collait au tapis. Seul Akira avait combattu tous ses instincts pour demeurer parfaitement immobile, et s'était vu épargné.
Il s'approcha alors de Kubo, d'une démarche aussi sereine qu'il en était capable. Le blond tourna son regard vers lui, et le jeune homme fut tellement galvanisé par la lueur qui s'était allumée dans ses prunelles transparentes, qu'il dut user de toute sa volonté pour ne pas laisser ses griffes et ses crocs s'allonger. Il empoigna sans brusquerie le col en cuir de la veste incarnat que portait Kubo, et colla sa bouche à la sienne. Comme chaque fois, quelque-chose rua immédiatement au fond de ses entrailles. L'odeur de l'homme, de sa peau, sa suavité, étaient intoxicantes. Kubo ne fut pas long à le prendre délicatement à la gorge pour faire remonter ses doigts jusqu'à sa mâchoire et le maintenir ainsi tandis que leurs langues se faisaient fougueuses. Ses doigts accrurent graduellement leur pression sous son menton, la main d'Akira passa derrière sa nuque pour y planter les ongles -les griffes ? Il ne savait plus – et le baiser devint dur ; les dents du blond s'entrechoquèrent avec ses crocs puis mordirent sa lèvre au sang. La rage froide de Kubo fut engloutie par la saveur métallique qui emplissaient leurs bouches en proie à une lutte brûlante.
Lorsqu'ils rompirent l'échange, la respiration un rien erratique, Akira garda ses yeux plongés dans ceux de l'homme, lâcha les cheveux platine et lustrés qu'il avait agrippé, puis signa :
- C'était moi.
Kubo étira un lent sourire doucereux et caressant. Son pouce traça la courbe de ses lèvres pour y essuyer le sang.
- Évidemment, répondit-il.
- - -
Poste en 2/2 avant de partir, moyennement contente de la qualité d'écriture mais tous les événements que je voulais raconter sont là. Pas le temps de me relire. J'espère que ça vous a plus quand-même, Ryozawa, Eistuki etc. Les Suzuki sont désespérants. Shorashi pour la prochaine fois, bisous !
MERCI POUR LES 3K de VOTES !
⭐⭐⭐
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