Chapitre 3 : Menues mésaventures
La vue d'Izuku et moi en uniformes, près à entamer notre premier jour de collège, émut notre mère aux larmes. Derrière son appareil photo qui ne cessait de crépiter, elle s'extasiait sans discontinuer.
- Oh, mes deux chéris ! Tous beaux, tous grands !
Mon frère et moi émîmes un rire incertain, embarrassés et touchés par sa fierté de mère couveuse.
- Tiens..., s'étonna-t-elle tout à coup. Eiko, tu es plus grande qu'Izuku.
Surpris, nous nous fîmes face. Nous n'y avions jamais prêté attention quand nous nous tenions côte à côte, mais je dépassais bel et bien Izuku d'une demi-tête.
- Ma puce entre dans la pré-adolescence ! S'exclama-t-elle, les yeux véritablement mouillés à présent.
- Maman..., grommelai-je, tout à la fois gênée et flattée.
- Oui, oui, pardon. Partez maintenant, ne laissez pas votre vieille mère vous mettre en retard pour votre rentrée.
Nous l'embrassâmes chacun sur une joue avant de quitter l'appartement. Au-dehors, il faisait bon. L'air embaumait le pollen. Nous nous mîmes en chemin sous l'ombre mouchetée des cerisiers en pleine floraison. Izuku ne tarda pas à se mettre à marmonner.
- Est-ce que j'ai bien pris mon cahier ? Ah, mais si on tombe sur un affrontement en chemin, je n'aurais rien le temps de noter, on ne peut pas s'arrêter. Je pourrai toujours rattraper ce soir, mais je ne pourrai pas faire ça tous les jours. La charge de travail va considérablement augmenter maintenant, je n'aurai peut-être pas le temps en rentrant des cours. Et les études sont autant importantes, je ne dois surtout pas les négliger. Le mieux...
Je le laissai s'enfermer dans sa spirale de scénarios, accoutumée à le voir se plonger ainsi dans ses réflexions. Son soliloque devint un bruit de fond à peine plus audible que le ronronnement de la circulation et le bruissement des branches chargées de fleurs. Je tirai sur sa manche pour le faire s'arrêter à un feu rouge, et ce fut à peine s'il le remarqua. Une voix gronda soudain derrière nous :
- Eh sale nerd ! Tu vas pas commencer ! Hors de question que tu m'infliges tes conneries pendant tout le trajet.
Izuku sursauta, arraché au fil de ses pensées, et nous nous retournâmes pour découvrir sans surprise que Katsuki nous avait rattrapé. Nous venions juste de traverser le quartier dans lequel il résidait, et étant-donné que nous étions inscris dans le même établissement, je m'étais attendue à le croiser.
- D... Désolé, bredouilla mon frère en se tassant sur lui-même.
Je portai ma main horizontalement inclinée à mon front, avant de l'approcher de celui de Katsuki.
- Oh... toi aussi tu es plus petit, fis-je remarquer.
La différence était moins flagrante qu'avec mon frère, mais je l'emportai tout de même de quelques centimètres sur le blond. Il n'en fallut pas davantage pour le faire bondir hors de ses gonds.
- La ferme ! C'est toi qui a grandi, crétine ! Attends un peu et tu verras, tu feras moins la fière dans deux ans !
Ses yeux m'examinèrent rapidement de la tête aux pieds, puis il ajouta agressivement :
- D'abord comment tu peux te permettre de me critiquer en portant aussi mal l'uniforme ?
Je tirai machinalement sur ma jupe plissée. Mon malaise ne lui avait pas échappé. D'ordinaire, je ne portais que des pantalons. Cette marinière noire avec son foulard rouge contraignait mes mouvements et les chaussures de cuir me comprimaient les pieds. Je sentais déjà poindre les ampoules.
- Je sais ! Me défendis-je en fronçant les sourcils et pinçant les lèvres. C'est facile à dire pour toi. Vous les garçons, vous avez de la chance d'avoir un Gakuran.
- Parce que tu crois que ce truc est confortable ? Riposta Katsuki en tirant sur son col droit. On peut pas respirer correctement dans ce machin !
- Je te l'échange quand-même contre mon uniforme, répliquai-je, le plus sérieusement du monde.
- Mais t'es pas bien toi ?! S'écria-t-il, scandalisé.
Notre échange fit pouffer Izuku, ce qui lui attira aussitôt la fureur du blond. Il l'empoigna par le col pour lui gronder au visage :
- Toi, tu répètes ça à qui-que-ce soit, je te fume.
Je me crispai. Ces derniers temps, Katsuki était de plus en plus brutal avec mon frère. Je me gardais toujours d'intervenir, mais voir Izuku se ratatiner chaque devant lui, les yeux baissés de soumission, la voix défaillante, m'étais pénible. J'aurais préférer qu'il riposte. Qu'il repousse le blond derrière la limite intangible que celui-ci outrepassait toujours davantage.
J'étais en outre bien consciente que m'interposer signifiait piétiner sa fierté, ce à quoi je ne pouvais pas me résoudre.
- C'est vert, dis-je seulement en espérant que cela suffirait à désamorcer la situation.
Avec un grognement, Katsuki repoussa Izuku et s'engagea à grandes foulées sur le passage piéton.
- A... attends-nous Katchan, le rappela mon frère en lui emboîtant le pas.
Le blond ne fit que redoubler l'allure.
- Nan, vous me cassez les pieds ! Cracha-t-il.
Il mit un point d'honneur à nous distancer jusqu'à la station de railway, après quoi nous fûmes de toute façon séparés par la foule. Une fois montée dans le train, pressée de tous côtés par les voyageurs, je laissai mes pensée dériver afin d'échapper à cette promiscuité chargée d'effluves de déodorant et de cigarette.
Les jours de mon enfance avaient filé comme les arbres alignés le long des voies ferrées. Ils s'étaient succédé, s'étaient accumulés par fragments, pour former une mosaïque vive et chamarrée. Seules quelques pièces venaient la ternir, presque invisibles sous l'éclat de leurs voisines. Ce fut vers l'un de ces morceaux délavés que se dirigea mon esprit.
Pour la majorité des enfants, le monde est manichéen. On est bon, ou on est mauvais. On est fort, ou on ne l'est pas. On a un Alter, ou on n'en a pas. Mes camarades de primaire étaient donc incapables d'en concevoir la perte.
J'en fis les frais à mon troisième jour d'école. Nous étions dans le gymnase pour le cours hebdomadaire de gymnastique. L'instituteur nous avait rassemblé devant lui pour nous donner ses instructions. Dans les vestiaires, j'avais pris soin de me changer dos au mur afin qu'aucune des élèves ne puisse poser les yeux sur mes cicatrices. La curiosité de la classe à ce propos était encore trop vive. Je crus que cette simple précaution suffirait à les dissuader. Je me trompai.
Excessivement attentive aux directives de l'instituteur – encore inaccoutumée au système scolaire, j'étais néanmoins déterminée à m'appliquer – je relâchai ma garde. Une traction souleva soudain mon tee-shirt blanc, exposant la peau de mon dos à l'air. Je feulai et fit volte-face. Mon bras se détendit par réflexe. Un cri de stupeur mêlé de douleur résonna quand mes ongles mordirent la peau d'une joue dodue.
Trop tard. Tous ceux qui se trouvaient derrière moi, Katsuki comprit, avaient eu le temps de les voir. Les larmes aux yeux, Houchu Toriomy plaquait une main sur le côté de son visage.
- - -
Elles ne lui apparurent que l'espace d'un battement de cœur, mais l'image demeurerait gravé dans son esprit pour toujours.
C'étaient deux larges entailles, grossières, parallèles, blanchâtres : la peau qui s'était étirée ; avaient étendue ses fibres pour couvrir une surface qui n'aurait pas dû l'être. Deux marques, de part-et-d'autre de la colonne, juste au-dessus des hanches. La preuve indélébile de ce qui aurait dû se trouver à leur place.
- - -
Je me fis sermonner pour mon geste d'agression, mais les adultes ne se montrèrent pas trop sévères. Mes origines excusaient encore mon comportement. Je fus quitte pour un avertissement et une excuse envers Houchu que je débitai d'une voix sans timbre.
Je passai le reste de la journée pongée dans la morosité. Ma poitrine me serrait douloureusement. J'étais écrasée par un sentiment crucifiant, sans même comprendre ce qui le provoquait. Pourquoi me sentir aussi mal pour une broutille ? Pourquoi cacher mes cicatrices en premier lieu ? Pourquoi se sentiment d'exposition, alors que l'opinion des autres ne pouvait pas moins m'importer ?
La réponse me frappa en pleine nuit.
Les reliefs escarpés se déroulaient sous mes pieds. Mont, après mont, après mont. Tels les échines rocailleurs, hérissées de verdure, de quelques gigantesques bêtes, entre lesquelles se coulaient des nuages sombres.
Tout était pluie. Rideau gris poussé par le vent, qui balayait les sentes. Parfum de la terre, qui exhalait les plus riches de ses senteurs. Chant continu des milles ruisseaux et des cent cascades aux alentours, gonflés de l'averse.
Pluie qui me martelait le dos, trempait mes cheveux, gouttait à mes sourcils pour dégouliner dans mes yeux.
Postée tout au bord de l'à-pic, j'inspirai profondément. Il était temps.
Temps de s'en remettre au vent. Temps de mettre à l'épreuve ces quatre ailes qui étaient les miennes.
Elles étaient enfin assez développées. Jusqu'ici, je ne pouvais que planer sur de courtes distances, en me lançant d'un point suffisamment élevé. Cette fois-ci,je partais à l'assaut des cieux.
Je n'eus qu'à y songer. Elles se déployèrent dans mon dos, s'étendirent de tout leur long dans un froissement de plumes et un crépitement de pluie. Les gouttes glissaient sur le plumage. Leurs impacts faisait remonter des frissons jusque dans mes omoplates.
Un battement, et je m'arrachai au sol. Un autre, et je me hissai en chandelle dans le ciel. Un poids tomba au fond de mon ventre. Le visage levé vers l'amoncellement de nuages, je fendais l'air.
J'étais vitesse, j'étais vent. Impossible de savoir si mes ailes brassaient l'air pour me soulever, ou si les courants remontaient du fond des vallées pour me porter. Et je montais, montais toujours.
Sang et bourrasques rugissaient à mes oreilles, mes vêtements en haillons claquaient. Je crevai les nuages. Milliers de millions de gouttelettes autours de moi, qui stagnaient tandis que je m'élevais haut, plus haut, toujours plus haut.
Et soudain j'émergeai. J'eus le souffle coupée d'éblouissement et cessai de prendre de l'altitude. Sous moi roulaient les flots d'une mer de nuages, d'une pureté sans égale, mi-partie d'ombre et de lumière. Les amas cotonneux s'imbibaient des rayons d'or, tandis que le ciel s'embrasait d'une teinte orangée.
Mon cœur gonflé d'exultation cognait contre ma poitrine. Je me mis à panteler sous la puissance de l'émotion qui m'emplissait. Jamais encore je n'avais goûté plus pleinement à la liberté. Une liberté absolue.
Je renversai la tête en arrière, et des larmes perlèrent au coin de mes yeux pour dévaler mes tempes.
J'aurai voulu ne jamais redescendre.
Je m'éveillai brusquement, ma vision brouillée de larmes. Je m'étais endormie sur le canapé, où ma mère adoptive m'avait laissé, habituée à ce que je préfère me reposer partout, sauf dans mon propre lit. Le salon était plongé dans le noir. Seules les lumières des appareils électriques trouaient l'obscurité.
J'étais enfin lucide sur ce sentiment qui me tourmentait.
Le manque. Un manque lancinent, qui ne demandait qu'à être comblé. Le manque de mes ailes. Le manque du ciel.
Mais être Eiko Midoriya me condamnait à ne plus jamais répondre à cet appel.
Je frottai mes yeux encore brûlants et repoussai la couverture que je n'avais pas le souvenir d'avoir tiré à moi. A pas feutrés, je gagnai la chambre d'Izuku, dans laquelle j'entrai comme une ombre. Dormir dans un lit m'incommodait encore -c'était trop mou, le matelas m'engloutissait, les draps m'emmaillotaient, en revanche le contact humain favorisait considérablement mon sommeil. La tiédeur et l'odeur d'une présence familière repoussait les cauchemars et les spectres du passé.
Depuis mon arrivée chez les Midoriya, il m'arrivait d'éprouver ce besoin d'une présence dans laquelle je puisse puiser chaleur et réconfort. Izuku était le candidat tout désigné.
Il ne s'éveilla pas quand je vins me pelotonner contre lui. Au matin, j'avais roulé au pied du lit, et la couette avait été étendue sur moi.
- - -
Après un mois et demi à Oridera, ma relation avec les autres collégiens commença à s'envenimer. Non seulement l'image frêle et vulnérable que renvoyait Izuku déteignait sur moi, mais mes lacunes en compétences sociales nourrissaient l'antipathie de certains à mon égard. Quand on ne me prenait pas de haut à cause de mon statut de sans-Alter, c'était l'empreinte de ma vie sauvage encore ancrée en moi qui repoussait les gens. Je finis inéluctablement par être prise pour cible.
J'attendais mon frère à la sortie du collège quand un trio de filles, qui me jaugeaient depuis quelques instants, s'avança finalement vers moi. Je ne les saluai pas. Leur air bouffie de suffisance ne m'inspirait qu'aversion.
- Eh, Midoriya, m'apostropha l'une d'elle, une blonde à la peau pailletée. T'aurais pas un peu de monnaie à nous avancer ? On voudrait aller au karaoké, mais on est un peu juste là.
- Non, j'ai rien, répondis-je platement.
La plus petite du groupe, que je savais capable de matérialiser des sphères lumineuses, prit la parole :
- Qu'est-ce que tu racontes ? Je t'ai vu ouvrir ton porte-monnaie devant le distributeur, t'as largement de quoi nous en filer !
- Je voulais pas dire que j'en avais pas. Je voulais dire que j'ai rien à vous donner.
- Bel état d'esprit, persifla la dernière, une fille bien en chair aux yeux de poupée. Ça n'a même pas d'Alter, et ça se croit trop bien pour dépanner des camarades de classe ?
Autour de nous, les autres élèves, bien conscients de la scène, passaient leur chemin comme si de rien n'était.
- Je sais bien que vous rendez jamais les sommes que vous empruntez, répliquai-je, désireuse d'en finir au plus vite avec elles et d'être laissée tranquille.
Dans le dos du groupe de harpies, Katsuki franchit soudain les grilles, flanqué de sa nouvelle petite bande et de mon frère. Les traits de la fille scintillante se tordirent hargneusement.
- Oh tu le prends comme ça ? Très bien. Puisque demander gentiment ne sert à rien... (elle tendit la main d'un geste impérieux). File-moi ce porte-monnaie, maintenant.
Un bref coup d'œil m'informa qu'Izuku nous observait attentivement, les sourcils froncés de suspicion, tandis que le blond, entouré de ses amis -qui décapsulaient des canettes de soda en toute insouciance- suivait l'échange avec un flegme que je savais feint. J'étrécis les yeux.
- J'ai déjà dis non. Vous pouvez pas me faire changer d'avis.
- Espèce de..., s'étrangla la plus menue. Tu es sans Alter alors te la ramène pas trop !
- Exactement, renchérit la grosse. Qu'est-ce que tu crois pouvoir faire contre nous ?
L'agacement commençait à me gagner. Je plantai mon regard dans le sien pour riposter, ma voix plus basse et plus sourde qu'auparavant :
- Et vous, qu'est-ce que vous croyez pouvoir faire ? Vos Alter sont minables.
Oui, minables. Briller ? Faire flotter des boules lumineuses ? Pouvoir élever la fréquence de sa voix à la même hauteur que celle d'une baleine ? Quelle blague. En terme de capacité offensive, leurs Alters ne valaient rien. Si elles savaient, songeai-je. Si elles savaient ce dont je suis capable.
Courroucée, la collégiennes scintillante agrippa brusquement mes cheveux à la racine pour me faire incliner la tête d'une rude traction.
Un instant, un infime instant, l'idée m'effleura de faire appel à mon Alter. D'expédier d'un puissant coup de vent ces trois pestes loin de moi. Seulement le visage d'Izuku s'imposa à mon esprit. Izuku, qui assistait à la scène à ce moment même, ces yeux verts emplis d'indignation. Izuku, qui s'apprêtait à s'élancer vers le trio de mes persécutrices quand Katsuki l'empoigna et le tira en arrière. Ce dernier avait déjà compris. A croire qu'il avait su avant moi ce qui allait suivre.
Du talon de la main, je percutai le plexus de la blonde. Pas assez fort pour causer le moindre dommage, mais suffisamment pour lui couper le souffle et la faire lâcher prise. Alors qu'elle reculait d'un pas sous le choc, pliée en deux, ses amies se regroupant autour d'elle avec des piaillements scandalisés, je passai une main dans mes cheveux défaits, puis les dépassai pour rejoindre mon frère, que Katsuki libéra à son tour.
- Eiko ! Ça va ? S'inquiéta Izuku.
J'acquiesçai sans un mot. Les deux acolytes du blond avaient assisté au dénouement de la scène, et se joignirent à nous avec hilarité.
- Eh Midoriya, ta sœur a plus de répondant que toi, s'esclaffèrent-il avant de se tourner vers moi. On va à l'Arcade, ça te dit ?
La proposition ne me tentait pas, mais avant que je puisse refuser, Katsuki intervint :
- Comme si j'allais traîner avec ces deux-là ! Gronda-t-il.
- De toute façon o-on doit rentrer, bégaya mon frère, effarouché par son éclat d'humeur.
En vérité, nous étions libres de nous attarder à la sortie des cours, tant que le jour durait, mais je ne me donnai pas la peine de le contredire. Katsuki s'éloigna donc avec sa bande, tandis qu'Izuku et moi prîmes le chemin du retour. Une fois rentrés, nous nous installâmes ensembles pour faire nos devoirs, après quoi je me changeai, troquant mon uniforme contre une tenue de sport, et allai courir le long de la promenade littoral jusqu'à ce que mes jambes en tremblent.
A ce moment-là, je ne considérais déjà plus l'incident que comme un épisode négligeable. Le trio de racketteuses, en revanche, n'avait pas l'intention d'en rester là.
Le lendemain midi, alors que je m'efforçais comme d'ordinaire de retrouver Izuku et Katsuki parmi le grouillement d'élèves pressés de se rendre au réfectoire, je fus rudement bousculée de l'épaule par nul autre que l'opulente brune. Elle me décocha un regarde sournois en s'engageant dans la cage d'escalier. Je repérai alors la chevelure hérissée de Katsuki un pallier plus bas, et préférai aller le rejoindre plutôt que de répondre à la provocation. Avant que je pus le héler, je fus heurtée à nouveau, cette fois bien plus violemment. Un coude s'enfonça dans mes côtes et me propulsa en avant. J'aurais sans peine rétabli mon équilibre si l'adolescente à la peau scintillante, contre qui j'avais été précipitée, ne m'avait pas esquivé tout en allongeant perfidement la jambe.
Je buttai contre sa cheville et basculai en avant. Alors qu'elle poussait une plainte stridente, mon corps se mut de lui même afin de prévenir la chute mais, ce faisant, ma cheville se tordit sur une marche. Une sensation de déchirure me vrilla les ligaments. Mon grognement de douleur fut couvert par les gémissements de la blonde, qui s'était effondrée dans les escaliers. Un garçon, vraisemblablement son petit copain et que je reconnus comme celui qui m'avait poussé, accourut près d'elle. Le flot de collégien s'immobilisa pour aller se grouper comme ils le feraient autour d'une grande blessée. Je m'arrêtai aussi, mais seulement parce que je ne pouvais pas poser le pied au sol sans que de vifs élancements ne parcourent ma cheville.
- Regarde où tu vas, Midoriya, cracha un élève que je n'avais jamais rencontré.
- Ooooh mon coude, se plaignait l'adolescente. Et mon poignet. Je me suis tordue le poignet.
- J'ai cru que tu t'étais cogné la tête, s'inquiéta quelqu'un. T'as pas mal là ?
J'avais reculé contre le mur afin de patienter le temps que la douleur s'atténue. Malgré le rempart de dos face à moi, je vis entre deux épaules ses yeux briller de larmes factices. N'ayant guère envie d'assister plus longtemps à cette mascarade, je résolus d'endurer quelques pas afin de reposer ma cheville dans un lieu moins bondé. Chaque fois que mon poids passait sur ma jambe gauche, j'avais l'impression qu'une lame s'incisait à l'intérieur de mon articulation pour y sectionner les fibres. Je grimaçai un sourire. Cela ne m'était pas arrivé depuis que j'avais quitté les montagnes.
Alors que je descendais marche par marche, précautionneusement, je me remémorai ce jour d'automne par lequel je m'étais blessée de la même manière en négociant mal ma descente d'une crête. Je n'avais rien trouvé de mieux à faire que de marcher sur trois pattes jusqu'à mon abri. Chose que je ne pouvais décemment pas faire aujourd'hui.
- Donc tu souris jamais, sauf quand tu te fais mal ? Cingla une voix familière. T'as vraiment un problème.
- Je me suis pas fais mal, niai-je sans réfléchir en levant les yeux vers Katsuki.
Je n'avais jamais perdu l'habitude de dissimuler la moindre dégradation de mon état physique ; et de maquiller, d'étouffer, la moindre altération de mon état émotionnel. Se montrer affaiblie, c'était se rendre vulnérable. Une règle de survie devenue si viscérale, si instinctive, que cet artifice s'exerçait parfois sans même que je le veuille.
- Ah ouais ?
De la pointe de son soulier, il me frappa la malléole. Il n'y mit aucune force, pourtant la décharge de douleur me fit aussitôt lever le pied et me laisser aller contre le mur une seconde fois. Je sifflai entre mes dents. La marche forcée, puis le heurt, aussi bénin avait-il été, me donnaient à présent l'impression d'avoir la cheville écrasée dans un étau. Mes sourcils se froncèrent. Aurais-je été dans la nature, j'aurais plongé ma cheville dans l'eau de fonte qui s'écoulait en torrents et ruisseaux depuis les cimes. Ici, n'ayant aucun moyen de me traiter moi-même, j'allais devoir demander de l'assistance. Je décidai de montrer ma blessure à ma mère sitôt rentrée.
- J'ai encore trois heure de cours, fis-je la réflexion à voix haute.
- T'as jamais entendu parler de l'infirmerie ?
- Si, c'est là que va Zuku quand tu l'as cogné, répliquai-je en toute ingénuité.
Cette fois, Katsuki écrasa sa semelle sur l'extérieur de ma cuisse. Si le coup avait été plus rude, il avait toutefois pris soin de ne pas l'asséner sur ma jambe instable. Je répliquai en frappant son biceps du poing. Il repoussa ma main d'une tape, je lui giflai l'épaule.
Il ne s'agissait que d'un jeu, presque ritualisé, auquel nous nous livrions depuis les récréations de primaire, quand le blond s'était rendu-compte que je rendais chaque coup reçu. Combien de fois les instituteurs et institutrices étaient intervenus, croyant à une bagarre ? Combien de fois nous étions nous retrouvés au coin pour s'être livrés à une guerre de projectiles, balançant gommes, tubes de colle, pastels et feutres en travers des tables ?
La plupart du temps, ces échanges de coups, cuisants mais sans séquelles, éclataient quand l'un de nous deux vexait l'autre d'une quelconque façon. Ainsi, on ne savait pas systématiquement pourquoi on se recevait brusquement un coup de pied dans le tibia, mais au moins toute la rancune que pouvait bien entretenir l'autre à notre encontre se dissolvait-elle dans ce muet règlement de comptes.
Les élancements de ma cheville devinrent soudain trop prononcés, me faisant souffler en fermant les yeux.
- Va mettre de la glace à la fin, grinça Katsuki.
Je boitai jusqu'à l'infirmerie tandis qu'il marchait à mes côtés. Une fois que je fus assise sur un lit aux draps blancs et rêches comme du papier, un pain de glace pressé contre ma cheville, il se décida à me laisser quand je le retins d'une remarque :
- C'est pas vrai. Que je souris jamais.
Sur le seuil de la porte, il me dévisagea.
- Tu rigoles ? Je suis même pas sûr que tu ais les muscles pour !
- Tu souris pas beaucoup non plus.
- Plus que toi.
- Katsu, quand tu souris, on dirait un renard qui montre les crocs.
Il me décocha précisément ce sourire, acéré et féroce.
- Ouais ? Et alors ?
- - -
Un chapitre plus long que les autres ! J'espère que les grosses ellipses ne vous ont pas dérangé. Comme je l'ai dis précédemment, j'essaie de condenser les années qui précèdent le début de MHA, mais il y a quand-même certains points que je veux développer.J'espère aussi que je reste fidèle à la personnalité de Katsuki... ^^"
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