Chapitre 22 : Le Championnat
Foule surexcitée, feux d'artifices pétaradant au-dessus du stade, élèves fébriles, l'ambiance était enflammée comme jamais à U.A. Bruit et monde ne constituaient pas un environnement très commode pour moi, mais j'étais résolue à l'endurer le temps qu'il le faudrait. J'avais de toute façon d'autre préoccupations en tête.
Le défi lancé par Shoto à mon frère un peu plus tôt, alors que toute la classe se trouvait encore dans la salle d'attente, m'avait en tout cas conforté dans mon choix de ne pas prendre part à la compétition pour le podium. Eux et Katsuki démarraient ce championnat avec une réputation déjà établie, entrer en concurrence avec eux m'attirerait donc une attention dont je préférais me passer.
Le blond ne se gêna pour attiser la tension ambiante en déclamant un discours d'ouverture on-ne-peut-plus laconique et irrespectueux. Je ne faisais pas grand cas de son rôle de représentant des Premières, mais je me sentis irritée face aux manifestations d'aversion que son serment déclencha. Tandis que Katsuki redescendait de l'estrade, une fille de la filière générale m'apostropha venimeusement :
- Eh, toi. Tu traînes avec lui, non ? Vous êtes tous comme ça dans la filière héroïque ?
Katsuki parvint à ma hauteur avant que j'eus pu répondre, et fixa la lycéenne en se positionnant à côté de moi. Cette dernière se ravisa brusquement sur son désir de chercher querelle, et se détourna raidement.
Je tâchai d'accorder mon attention à Midnight, qui exposait la nature de la première épreuve, mais les mots amplifiés et répercuté en échos par les baffles me parvenaient sans faire grand-sens. Je venais de repérer Endeavor, posté dans les gradins.
Je n'étais qu'une élève parmi des centaines d'autres, vêtue de la même tenue de sport et sans attributs physiques exubérant, pourtant je me sentis tout à coup comme une souris en terrain découvert. Mes paumes se firent moites, mes entrailles se nouèrent. Tout ce que j'avais obtenu, tout le chemin que j'avais parcouru, il était l'homme capable de réduire tout cela à néant.
Katsuki m'effleura soudain le coude.
- Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Si tu avais mon Alter, tu pourrais faire exploser le stade, là. Depuis quand t'angoisses pour ce genre de truc ?
J'essuyai mes mains sur mon tee-shirt en marmonnant :
- J'angoisse pas.
Il ne fut absolument pas convaincu, mais n'insista pas. Lui aussi avait d'autres préoccupations pour le moment.
- - -
Je débouchai, hors d'haleine, du couloir d'arrivée reconduisant à l'intérieur du stade. Balayant rapidement du regard le nombre de participants déjà présents, j'estimai être classée dans les vingt premiers. Satisfaite, je cherchai mon frère, dont je connaissais déjà le placement grâce aux braillements enthousiastes de Present Mic. Je repérai finalement sa tignasse brune moirée d'émeraude, et me dirigeai vers lui. Il m'accueillit avec un sourire de congratulation, les yeux un peu hagards de fatigue et d'incrédulité.
- Premier, hein ? Lui dis-je, plus fière de lui qu'il ne semblait l'être lui-même.
- J'ai eu de la chance, répondit-il avec une modestie authentique. Et toi ? Tu n'as pas utilisé tes ailes ?
Je secouai négativement la tête.
- Sachant qu'il y a deux autres épreuves derrière, je n'ai pas envie de les passer avec la migraine et les muscles du dos en compote. Je ne les ai utilisé que pour le deuxième obstacle.
Il s'agissait d'une partie de la vérité. J'avais concouru en me propulsant à la manière de Katsuki avec ses explosions, adaptant seulement sa technique à mon Alter. Chose qui s'était également avérée efficace pour glisser sur la piste de glace créée par Shoto sur la dernière partie. Seulement cela m'avait positionné bien trop en tête, aussi avais-je préféré ralentir pour ne franchir la ligne d'arrivée que dans les vingt premiers, et non dans les dix.
Cette explication suffit néanmoins à Izuku, qui partit féliciter les autres membres de la classe. Katsuki m'aperçut alors, et s'avança vers moi, la mine contrariée.
- Seki ! C'est maintenant que t'arrives ? T'as laissé ces branleurs de la 1-B te doubler !
- J'y peux rien ! Protestai-je avec moins que conviction que ce que j'aurais voulu.
Il renifla avec agacement, puis reprit en revenant à un timbre de voix moins tonitruant :
- Défonce-les à la prochaine.
- C'est un championnat, pas un combat de gladiateurs, lui fis-je remarquer.
En temps normal, cela aurait suffi à nourrir le conflit. Aujourd'hui cependant, le blond était entièrement focalisé sur ses propres objectifs, et abandonna là son idée de réveiller mon esprit de compétition. Ce qui m'arrangea bien. À lui, je ne pouvais pas expliquer les véritables enjeux, pas plus que je ne pouvais lui fournir d'excuses crédibles.
Tandis que le reste des participants continuaient d'affluer, je déambulai dans la presse afin de ne pas me refroidir. Je vis Shoto, qui m'adressa un signe de tête approbatif de loin, mais je ne me risquai pas à aller lui parler.
Le moment vint finalement d'annoncer la deuxième épreuve. J'écoutai les instructions de Midnight avec effarement. Le rapport entre la bataille de cavalier et la profession héroïque m'échappait. Restait qu'à l'issue de cette épreuve, le nombre de candidats serait considérablement réduit. Difficile alors de ne pas me faire remarquer d'Endeavor. Il me fallait prouver un minimum ma valeur, mais au final, je devais échouer. Ce qui signifiait que j'allais peut-être devoir saboter ma propre équipe.
Pour cette raison, j'écartais d'emblée tous les élèves de la 1-A comme coéquipiers potentiels. J'en étais à me demander si je ne pouvais pas trouver des membres de la filière de gestion, quand un tapotement sur mon épaule me fit me retourner. Le 1-B avec qui j'avais fait équipe lors du cours d'All Might me souriait.
- Tu es..., commençai-je avant de réaliser que j'avais oublié son nom.
- Eizan Takeru, m'indulgencia-t-il. Dis-moi, tu ne veux pas vraiment remporter ce championnat, pas vrai ?
Prise de court, je me crispai.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? M'enquis-je d'une voix tendue.
Takeru agita nonchalamment la main avant d'expliquer :
- Relax. Je t'ai vu à la course. Tu t'es laissée dépasser alors que tu aurais pu décrocher une bonne position. J'étais derrière toi. En fait, moi aussi j'ai mes raisons pour perdre à cette épreuve. On fait équipe ?
La légèreté de son ton me rassura quelque-peu. Tant qu'il ne se montrait pas inquisiteur, et si ses objectifs étaient les mêmes que les miens...
- J'ai quand-même besoin de gagner quelques points, avançai-je.
- Pas de problème, ça paraîtra louche si on n'essaie même pas. Et puis on connaît nos Alter respectifs et nos fonctionnements, ça facilite les choses !
Forcée d'admettre la pertinence de ses arguments, je cédai finalement avec une pointe de soulagement.
- D'accord alors, va pour faire équipe.
- - -
Si Hizashi était trop obnubilée par les équipes stars du pensionnat, le duo que formait Eiko Midoriya et Eizan Takeru ne manqua pas de retenir l'attention de Shota. La première juchée sur les épaules du second, ils avaient opté pour une stratégie qui combinait leurs deux Alters de manière optimale.
Dès qu'une équipe adverse faisait mine de vouloir leur soustraire leurs bandeaux, Midoriya déployait ses ailes tandis que Takeru se dématérialisait. Tous deux filaient alors hors d'atteinte pour que le lycéen retrouve son enveloppe solide et que sa coéquipière atterrisse sur ses épaules. De cette manière, ils restaient toujours en mouvement, toujours insaisissables, et parvenaient à rafler des bandeaux au passage.
Shota fut surprit de la rapidité avec laquelle ils parvinrent à se coordonner. C'était à peine s'ils avaient besoin d'échanger le moindre mot avant d'agir. La tactique semblait même les divertir, car ils ne tardèrent pas à flasher des sourires assurés avant chaque dérobades, l'œil allumé d'un éclat acéré, et à afficher la même expression de triomphe, forts de l'efficacité de leur manège, lorsqu'ils se rejoignaient.
Le héro soupçonnait déjà l'aisance de son élève à adapter ses attitudes de combat à celles d'autrui, aussi ce talent ne parvint pas à lui masquer ce qu'il se jouait entre les deux lycéens :
En dépit de leur performance, tous deux se modéraient.
Ils possédaient des Alters à même de lancer de puissantes attaques longues distances. Ils avaient de quoi pouvoir mener un jeu offensif sans encourir trop de risque, et se cantonnaient pourtant à l'esquive et à la défensive.
Si, faute de pouvoir l'expliquer, il s'y était attendu de Takeru, cela l'étonnait en revanche grandement de Midoriya.
- - -
Je ne rechignai pas à échanger un check avec Eizan lorsque sonna la fin de la deuxième épreuve. Nous étions arrivés septième. C'était la fin du championnat pour moi. Toute ma tension et ma nervosité s'évaporèrent, ne laissant qu'une légère euphorie. Notre stratégie s'était si bien déroulée que j'en étais venue à me prendre au jeu, mon cœur se gonflant d'exaltation à chaque bandeau sur lequel j'avais refermé le poing.
- Bien joué, miss ! Me félicita Eizan. Je te reprends comme équipière quand tu veux !
Il m'adressa un clin d'œil, puis me quitta pour retrouver les membres de sa classe. Je fus peu de temps après rejointe par Tsuyu et Kyoka, qui ne participaient pas non plus à la troisième épreuve. Kyoka me donna un coup de coude :
- Faire équipe avec le beau gosse de la 1-B ? Tu perds pas le nord, toi ! Plaisanta-t-elle en tirant la langue.
Present Mic ayant annoncé la pause déjeuner, le flot d'élèves convergea vers le réfectoire. Débarrassée de ma crainte d'être reconnue par Endeavor, je me mangeai et discutai avec les filles l'esprit léger. Il ne me restait plus qu'à profiter de la fin du Championnat depuis les gradins.
Deux heures plus tard, plantée devant l'un des miroirs des vestiaires, je tirai le bout de mon débardeur ridiculement court en grimaçant. Il laissait mon dos découvert, exposant mes cicatrices à la vue de tous.
- Je n'aime pas du tout la couleur, me plaignis-je.
- S'il n'y avait que la couleur..., renchérit Momo en essayant d'ajuster le sien. Je ne suis pas certaine que ce soit la bonne taille.
- Ça l'est, confirma Kyoka entre ses dents. C'est bien le problème.
- Et comment est-ce qu'on est censé danser avec ça ? Interrogeai-je, dubitative, en secouant les pompons jaunes qu'on m'avait refourgué.
Je commençais à me dire que les matchs étaient préférables à ce concours de dernière minute. Toru tenta bien de me faire une démonstration, mais je ne voyais d'elle que l'uniforme de pom pom girl et les boules de papiers s'agitant dans le vide. Lorsque rester à l'abri des vestiaires ne fut plus longtemps une option, nous nous résolûmes à regagner le stade.
Il s'avéra que nous étions les seules élèves du lycée en costume, chose que Present Mic souleva avec incrédulité au micro. Momo s'emporta contre Denki et Minoru, apparemment les instigateurs de cette farce, tandis que j'imitai Kyoka en bazardant mes pompons dans un coin. J'étais plutôt réjouie de ne pas avoir à gesticuler dans cet accoutrement.
J'eus une brève frayeur lorsqu'une poignée de participants déclarèrent forfait, mais ne fus heureusement pas appelée à participer à leur place aux match. Il y eut un moment de pression parmi les participants à la prochaine épreuve quand les premiers tours furent dévoilés, puis les feux d'artifice éclatèrent derechef, et l'ambiance générale vira à la fête alors que démarraient les jeux.
Un peu submergée par l'animation et le tohu-bohu endiablé qui emplirent le stade, je décidai de profiter de la carte blanche qui nous était accordée quant à nos occupations, pour m'éclipser dans un endroit plus serein et me ressourcer un instant au calme avant d'avoir à revenir assister aux matchs.
Je venais d'emprunter l'un des couloirs de sortie quand un écho de pas se fit entendre derrière moi.
- Seki, m'interpella abruptement Katsuki.
Je me retournai pour le voir me fustiger du regard en me rejoignant d'une démarche qui trahissait son mécontentement. Tant pis pour le calme, alors..., soupirai-je intérieurement.
- Tu ne devrais pas te préparer pour les matchs ? Tentai-je pour esquiver la confrontation qui allait s'ensuivre.
- Tu devrais pas en être ? Rétorqua-t-il en s'arrêtant devant moi.
Je haussai les épaules. Jouer les innocentes ne mènerait à rien avec lui, aussi lâchai-je en guise d'aveux :
- Tu sais que je ne suis pas intéressée par la compétition.
Une contraction exaspérée creusa sa joue et il ouvrit la bouche pour rétorquer, mais les mots qu'il allait prononcer parurent lui échapper un instant alors que ses prunelles balayaient rapidement ma tenue. Il se reprit promptement :
- C'est pas la question ! T'as rien donné aujourd'hui ! En quoi ça va t'avancer ?
Je comprenais parfaitement qu'il ne pouvait pas concevoir que je bride mes capacités un jour pareil, mais ce n'était ni le lieu ni le moment de lui donner des explications. Jusqu'ici, ma priorité avait été de me sortir de ce guêpier. Maintenant que c'était chose faite, j'éprouvais en réalité une certaine amertume à ne pas avoir pu me mesurer pleinement aux autres. Et bien sûr, Katsuki était celui à venir taper trop près de la cible. Frustrée et énervée contre moi-même de ne pas pouvoir éclaircir les choses avec lui, je voulus couper là la conversation.
- J'ai besoin d'air, prétextai-je rapidement avant de me détourner.
Je n'avais pas fait un pas que le blond m'arrêtait en m'empoignant le bras.
- C'est quoi ça ? Interrogea-t-il, les yeux dardés au bas de mon dos. Tes cicatrices...
Il avança inconsciemment la main, et traça du pouce le contour désormais atténué de la marque rosâtre. Le toucher sur ma peau fit remonter un frisson le long de ma colonne. Mes vertèbres fourmillèrent, et une décharge fut relâchée à travers les doigts de Katsuki. Il la retira vivement.
Soutenant péniblement son regard stupéfait, je croisai les bras sur moi-même.
- C'est nouveau. Je t'expliquerai plus tard, marmonnai-je.
- T'as intérêt ! S'emporta-t-il. Parce que je...!
Il s'interrompit pour secouer la tête, la mâchoire serrée.
- T'es vraiment...! Merde, j'arrive pas à me concentrer avec cette putain de couleur ! Ragea-t-il en pointant ma tenue du doigt.
Désarçonnée, je baissai la tête vers mon débardeur. Puis je pris parti de profiter de l'ouverture pour glisser :
- J'allais me changer justement. On se retrouve dans les gradins.
Le blond enfonça les mains dans ses poches et voûta les épaules.
- Ouais c'est ça, répondit-il, lâchant finalement l'affaire.
Ce fut son tour de se détourner, mais je le rappelai, traversée d'une impulsion :
- Katsu.
Il me regarda par-dessus son épaule.
- Bonne chance pour les matchs.
Je n'eus qu'un grommellement en réponse.
- - -
Assise parmi les lycéens de Première B, Ryoka feignit d'arranger les mèches tombant sur son front pour masquer le sourire amusé qui lui vint aux lèvres lorsque Eraser Head s'empara brusquement du micro et se fit un devoir de remettre en place les héros qui venaient de huer son élève.
Entre ses doigts, elle observa la tribune depuis laquelle les deux professeurs commentaient le championnat. Aizawa n'avait pour ainsi dire pas décroché un mot depuis le début de l'événement, et voilà qu'il sortait de ses gonds, réprimandant vertement ses confrères. En son fort intérieur, elle se rangeait à son opinion. La stratégie de cette Uraraka lui était immédiatement apparu comme la meilleure option dans cette situation, et elle s'était réjouie de la voir la mettre en exécution. Peut-être sympathisait-elle un peu trop pour les Premières, car elle s'était sentie offensée lorsque les spectateurs avaient commencé à blâmer Bakugo. Aussi l'intervention d'Eraser Head la satisfaisait-elle plus qu'elle ne devrait.
Jamais vu un prof aussi protecteur. C'est adorable.
Réalisant la pensée qui venait de lui échapper, la jeune femme se renfrogna. Oublie-pas qu'il a potentiellement joué un rôle dans la disparition d'Akira, ma vieille, se morigéna-t-elle.
Mais si elle était totalement honnête avec elle-même, ses précédentes rencontres avec le héro avaient, d'une manière ou d'une autre, diminué l'aversion qu'elle lui portait.
Ryoka croisa les bras sur le dossier du fauteuil devant elle, et y reposa son menton. En parlant de rencontres...
Elle aurait dû s'y attendre, connaissant l'efficacité des soins de Recovery Girl, mais Aizawa était sur pieds bien plus tôt qu'elle ne l'avait escompté. A ce rythme, il serait très vite de retour sur le terrain. Ce qui signifiait que le champ libre dont elle disposait était compté.
- - -
Je ne sais pas pourquoi je ne vis pas venir l'inexorable avant que Shoto et Izuku ne s'avancèrent sur le ring. J'avais bien remarqué, en l'observant de loin, que Shoto devenait plus sombre et tourmenté à mesure que se déroulait le Championnat, mais je n'avais pas encore bien réalisé l'incidence que lui et mon frère exerçaient l'un sur l'autre.
La confrontation escalada donc rapidement, à l'ahurissement complet du public. La glace se dressait, explosait, les ondes de chocs propageaient un vent glacial, et je tressaillais à chaque os que se brisait mon frère. Les dents serrées, je le regardais s'esquinter un peu plus à chaque parade.
Pour l'ensemble du public, Shoto avait indubitablement l'avantage. Mais je savais que lui accusait les dommages intérieurement. Je sentais comme s'il s'agissait de la mienne la lutte à laquelle il était en proie. Shoto affrontait en réalité plus d'un adversaire à la fois.
Izuku. Son père. Et lui-même.
Littéralement réduite à l'état de spectatrice, incapable de prendre parti, je ne pouvais que contracter la mâchoire, fermer les poings, et espérer que mon frère réussisse là où j'avais échoué.
Puis Izuku allongea le premier coup. Je me décollai de mon dossier pour me pencher vers le ring, les yeux écarquillés, osant à peine ciller, retenant mon souffle. Ma peau se mit à picoter, et un vrombissement arracha mon attention du combat. Je baissai les yeux pour découvrir les arcs bleutés se tortillant autours de mes avant-bras. Sous le coup de l'émotion, la bride de mon Alter s'était relâchée.
Assit à côté de moi, Katsuki les fixait intensivement. Je m'empressai d'en regagner la maîtrise, et lui jetait un regard en biais. Il ne paraissait pas décidé à aborder le sujet pour le moment, mais son expression me fit savoir qu'il y reviendrait en temps voulu.
Les exclamations de la foule ramenèrent notre attention vers le ring. L'impact du discours d'Izuku sur son adversaire était à présent clairement visible. C'est à ce moment là que mon frère rugit les mots fatidiques. Des mots qui percutèrent avec plus de force que toutes les attaques précédemment lancées, qui suspendirent le temps, le rembobinèrent, et abattirent des portes condamnées depuis des années.
Je vis sans erreur possible les lèvres de Shoto articuler silencieusement la phrase qui brûlait au fer rouge dans mon esprit.
Les flammes jaillirent en un instant, si hautes et vives que Shoto ne fut pour un bref instant qu'une torche vivante. Je me retrouvai debout sans savoir le souvenir de m'être levée. Cela faisait dix ans que je n'avais pas vu ce feu. Même depuis les gradins, j'en sentais la chaleur sur ma figure. Et la fournaise était comme une étreinte longuement perdue.
- - -
Assise à même le sol, le dos contre le mur, je fixai la porte de l'infirmerie, résolue à ne pas quitter mon poste temps que mon frère n'en serait pas sorti. La présence de l'homme décharné que j'avais croisé plusieurs mois plus tôt m'avait intrigué, mais l'état d'Izuku me préoccupait trop pour que j'y accorde d'avantage de réflexion.
Sa détermination et sa ténacité forçaient mon admiration. Plus que cela, sa tendance à ignorer ses propres limites et à pousser tout son être à l'extrême m'inspirait un respect neuf. J'avais toujours soupçonné chez lui cette braise de pugnacité sauvage qui n'attendait qu'un souffle pour prendre, car je possédais la même. Seulement nos feux intérieurs n'étaient pas nourris par le même bois. Les motivations d'Izuku m'avaient toujours semblé si pures, si vertueuses, que je m'étais efforcée de les faire miennes depuis mon arrivée dans le foyer Midoriya.
Pourtant, Izuku n'était pas pour moi qu'une inspiration. Il était avant tout ma seule famille. Un frère que j'avais connu sans défenses et démuni. Malgré sa nouvelle puissance, l'instinct de protection que j'avais développé envers lui était toujours engravé en moi. Aussi m'était-il insupportable de le voir se briser sans considération pour sa propre sauvegarde.
- Je savais que tu serais là.
La voix de Shoto me fit tourner la tête. Il avait enfilé une tenue de sport neuve après avoir réduit en cendre la moitié de la précédente, mais ses cheveux restaient désordonnés de l'affrontement, et ses mèches ocre lui couvraient l'œil gauche. Il paraissait plus en paix que je ne l'avais vu depuis longtemps. Mon frère était peut-être bel et bien parvenu à le délester de son trop plein de rancœur refoulée.
Il vint s'asseoir à côté de moi, une jambe étendue au travers du couloir, l'autre repliée pour appuyer son bras contre son genou.
- J'avais oublié, lâcha-t-il.
Il n'avais pas besoin d'en dire plus pour que je saisisse à quoi il faisait référence. Comme il s'était assis à ma droite, je percevais le vague halo de chaleur qu'il émettait encore. J'eus presque envie de me rapprocher pour l'apprécier davantage.
- Comment tu te sens ? Demandai-je.
Shoto renversa lentement la tête en arrière, les yeux fermés, jusqu'à ce que son crâne repose contre le mur.
- Je ne sais pas vraiment où j'en suis, admit-il.
J'acquiesçai bien qu'il ne puisse pas me voir. Imitant sa position, je laissai mon regard errer au plafond.
- Il y a un truc que je ne t'ai jamais raconté, dis-je doucement.
Elle surgit de nul part. Un instant, j'étais seule dans la cours, le suivant, sa silhouette bloquait la lumière du soleil, me plongeant dans son ombre. Entièrement constituée d'une matière plasmatique d'un bleu phosphorescent, elle ne portait aucun vêtement. Son visage lisse était sans traits. Seuls se discernaient ses yeux, dépourvue de prunelles, légèrement plus luminescent que le reste de son corps.
Je sus dès que je la vis qu'elle était dangereuse. Du haut de mes quatre ans, je n'envisageai pas d'autre solution que la fuite. Je fis volte-face pour retourner me réfugier à l'intérieur, mais une masse corpulente me bloquait le passage. Un homme à l'air mauvais, doté de cornes enroulées entre ses cheveux hirsutes et de défenses qui débordaient sur sa lèvre supérieur.
Un flot de peur déferla dans mes veines, sans plus réfléchir, je bifurquai et me mis à courir droit vers le mur d'enceinte, cherchant seulement à mettre le plus de distance possible entre eux et moi. La main colossale de l'homme se referma sur mon poignet. Mes os émirent un craquement lorsqu'ils les broya, et je hurlai comme jamais auparavant. Mes ailes jaillirent, toutes chargées d'éclairs, et la foudre me traversa le bras, décuplant la douleur de ma fracture, pour frapper mon assaillant. Il me libéra en grognant de douleur et de colère.
Titubante, je fis quelques pas à reculons, la vision brouillée de larmes, la respiration saccadée, mon bras blessé serré contre moi. La femme s'avançait tranquillement, aussi mortellement fascinante qu'un cobra. Elle fit un geste vif de la main, projetant une nuée de dards vers moi.
L'air ronfla furieusement, et je fus soudain couverte d'un rideau de plumes. Plus longues, moins duveteuses, plus lustrées que les miennes.
Ma mère venait d'atterrir dans mon dos pour me faire un rempart de ses ailes. Lorsqu'elle les écarta, la femme avait été renversée à terre.
- Je suppose que vous vous attaquez à ma fille en connaissance de cause, déclara-t-elle d'une voix impériale, une main passée autours de mes épaules pour me ramener contre elle.
Je m'agrippai à son keikogi noir de ma main libre. L'homme gronda :
- Oh que oui. Nous ne tolérerons pas plus longtemps vos petites expériences d'Alter ! Votre clan est allé trop loin !
- Vous auriez mieux fait de rester à votre place, riposta Setsuko.
Sur ce, elle relâcha une nouvelle salve de vent qui faucha l'intruse alors que celle-ci tentait de se remettre sur ses pieds. La force du vent empêchait son acolyte d'approcher, mais ne le déstabilisait pas. Le nez dans la poussière, la femme émit tout à coup un rire fielleux. Elle fit une nouvelle tentative de se redresser, et y parvint cette fois. Le vent était brusquement tombé.
- Les effets commencent à se faire sentir ? Interrogea-t-elle avec une joie mauvaise. Mes dards ne sont pas seulement piquants, ma belle.
Les majestueuses ailes de ma mère s'affalèrent au sol comme des traînes. Mes yeux tombèrent sur les dards bleus fichés entre les plumes irisées. Un son de chair déchiré accompagné d'un hoquet me fit rediriger mon regard vers l'intruse.
Légèrement cambrée en arrière, les mains tremblantes, elle avait baissé la tête vers la longue lame vermeille qui émergeait de sa poitrine. Une auréole de sang noir croissait sur son plexus. Mon père venait de se glisser dans son dos pour la transpercer. L'homme aux corne poussa un cri de rage avant de le charger. D'un même mouvement, Ogai libéra sa lame du corps de la femme et la brandit sous la gorge de son ennemi, qui s'immobilisa net.
- Je te laisserait bien la vie sauve pour que tu transmettes aux tiens que personne ne s'attaque à ma femme et ma fille sans le payer de son sang mais...
D'un geste presque négligeant, il lui trancha l'artère.
- Ta mort sera plus parlante.
Les deux intrus à présent effondrés dans une marre de leur propre sang, mon père se tourna vers nous. Ma mère s'écroula à genoux, livide, me tenant toujours.
- Maman...
- Tout va bien, petit aigle argenté. Ils ne te feront plus de mal.
- - -
Ce chapitre est un petit peu long, je sais, mais je n'avais pas envie de le couper en deux.
Je sais qu'il y a beaucoup d'ellipses, mais
J'espère qu'il vous a plu !
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