Chapitre 20 : L'Affaire Katagiri



La pluie balayait la plage. La mer, sombre et houleuse, crachait de l'écume en clapotant sous l'averse. Le sable était piqué de myriades de gouttes. J'avais ôté mes chaussures détrempées pour courir. Les grains mouillés crissaient sous mes pieds nus. Izuku, lui, avait conservé ses baskets. Nous avions adopté le même rythme, et nos souffles s'étaient calés l'un sur l'autre. L'averse nous cinglait en plein visage, mais je trouvai cela plus vivifiant qu'autre-chose. Mêlé d'embruns, la pluie avait un goût salé.

Cela faisait quatre jours que mon frère et moi allions pratiquer ensembles des courses de fond, en vue de travailler notre endurance. Même l'amoncellement de nuages menaçants se matin ne nous avait pas découragé.

Cela faisait presque deux heures que  nous arpentions en longueur la plage de Dagobah, quand mon portable vibra dans ma poche. Mon cœur sauta un battement. Ça y est, pensai-je.

Je fis signe à Izuku de poursuivre sans moi, et ralentis l'allure pour finalement adopter le pas. Protégeant d'une main mon écran, je consultai le message que j'attendais depuis plusieurs jours.

Agence. 11h.

Décidément, Shoto était encore plus succin par écrit. Onze heure. Cela me laissait tout juste le temps de rentrer me changer. Je récupérai mes chaussures là où je les avais laissé, et les enfilai malgré mes pieds couverts de sable. Une poignée de minutes plus tard, je pénétrai en trombe dans l'appartement pour troquer mon jogging dégoulinant contre un jean et un tee-shirt, endossait une veste en cuir à capuche amovible, puis frottait rapidement mes pieds avec une serviette avant de sauter dans une paire de bottines à lacets.

Ce ne fut qu'une fois assise dans le train, le front appuyé contre la vitre ruisselante de pluie, que je pris pleinement la mesure des choses. J'avais convenu avec Shoto qu'il me ferait signe dès qu'une occasion se profilerait, afin que nous puissions établir l'ampleur du risque qu'Endeavor me reconnaisse comme une Katagiri. Seulement je pris conscience qu'il ne s'agissait pas uniquement de déterminer ce qu'il savait, mais aussi de lever enfin toute la vérité sur mes origines. Et j'appréhendais au plus haut point ce à quoi j'allais être confrontée.

Le gratte ciel se dressait comme une tour d'onyx polie sous les trombes qui fouettaient ses façades, l'enveloppant d'une fumée blanche. Shoto, vêtu d'une chemise en jean par-dessus un tee-shirt blanc et un pantalon noir, m'attendait au sec sous le porche. Je gravis les marches à sa rencontre, et il me fit rentrer par les portes coulissantes tandis que je rejetai ma capuche en arrière. Le trajet de la station jusqu'au bureau des Héros m'avait douché. Mon jean collait à mes jambes. Des perles d'eau coulaient de mes cheveux sur mon visage. Je les essuyai d'un revers de main.

- Mon père ne sera pas là avant la fin d'après-midi, mais on ferait mieux de ne pas traîner, m'indiqua Shoto alors qu'il me conduisait vers les ascenseurs.

La cabine était aussi austère et digne que le reste de l'édifice, avec ses parois de marbre gris, son plafond en nid d'abeille, et son tableau de manœuvre en inox. Nous nous appuyâmes contre la main courante, dos au miroir, et l'ascenseur entama sa montée.

Malgré son apparent stoïcisme, Shoto me jetait des coups d'œils furtifs tout en esquivant mon regard. Je finis par hausser un sourcil inquisiteur, et il se racla la gorge avant de me reprocher :

- Tu aurais pu prendre un parapluie.

Ce disant, il fit un mouvement de tête vers la glace, comme pour m'inviter à m'y regarder. Je me retournai face à mon reflet. Des mèches trempées pendaient devant mon visage et se plaquaient à mon cou. Mon cuir ouvert s'égouttait et laissait entrevoir le textile trempé de mon tee-shirt qui adhérait à ma peau, moulant les contours de mon soutient-gorge.

- C'est encombrant, répliquai-je en passant une main dans mes cheveux pour y remettre un peu d'ordre.

Les portes s'ouvrir dans mon dos. Je remontai la fermeture-éclair de ma veste avec une pointe d'irritation. C'était encore moins confortable.

Je chassai cependant rapidement tout désagrément mineur de mon esprit alors que j'emboîtais le pas à Shoto dans les couloirs. Il y régnait une effervescence étouffée, presque dévote. Les conversations bruissaient derrière les portes, inintelligibles, couvertes par la rumeur des ronronnements de photocopieuses, des cliquetis de claviers, et des sonneries de téléphone.

Le simple fait de circuler dans le bâtiment jouait sur mes nerfs. Je me sentais en territoire ennemi. Ma présence ici me remplissait autant de satisfaction sauvage que d'angoisse. Je m'inquiétai du personnel que nous croisions, mais Shoto remarqua mon trouble et m'assura que son père ne discutait de rien d'autre que de son travail avec ses employés, aussi personne ne penserait à mentionner ma visite.

Nous gagnâmes finalement le bureau du Héro numéro 2. Le qualifier de spacieux aurait été un euphémisme. Il faisait au moins le quadruple de mon appartement. L'ameublement spartiate ne se composait en tout et pour tout que de deux canapés encadrants une table basse placée sous un lustre massif, et d'un bureau derrière lequel était encadré un tableau.

La pluie martelait la baie vitrée, et son ruissellement sur les vitres dessinait des ombres dans la flaque de jour gris répandue au sol. Shoto s'avança sans hésiter vers le bureau, ouvrit un tiroir, et en sortit un ordinateur portable dernier cri. Il ne manifesta pas non plus la moindre incertitude avant de pianoter sur le clavier pour entrer le mot de passe. Côte à côte face à l'écran, nous fîmes défiler une multitude de dossiers avant que le nom «Katagiri» me saute aux yeux. Le lycéen me consulta d'un regard. Malgré mon estomac noué, j'acquiesçai. Il double-cliqua pour ouvrir le rapport, et me céda la place afin que je fasse moi-même défiler les pages.

Rapport de Mission

«Affaire Katagiri»

Je soussigné Héro Professionnel Endeavor,

Rapporte les informations suivantes :

13 Juin

M'étant rendu à ma résidence située dans la préfecture de Tochigi, Kantô, à proximité d'un des domiciles du clan Katagiri, je confirme la présence des époux Setsuko et Ogai Katagiri, ainsi que de leur fille, Arashi Katagiri.

19 Juin

Après six jours d'observation, je suis en mesure d'attester de la menace pour la société que représentent les desseins des Katagiri. La progéniture de Setsuko et Ogai comprise, le clan est maintenant en possession d'un Alter développé sur quatre générations. Or la troisième génération de mariage d'Alter ayant déjà contribué à l'essor du clan Katagiri dans le milieu criminel, il est à envisager que la suivante pose davantage de difficultés.

Arashi Katagiri a en effet hérité de trois des quatre propriétés totalisées par les individualités de ses géniteurs, à savoir l'Alter Wind Wings de Setsuko Katagiri, et l'Alter Lightning Blood de Ogai Katagiri.

Il reste encore à déterminer le potentiel de la successeure.

Le tambourinement de mon cœur contre ma cage thoracique se confondait avec celui de la pluie contre les carreaux. La lecture de ces lignes me donnait l'impression d'avoir avalé des échardes de verre. Elles glissaient, froides, dans ma gorge nouée, et perforaient mes entrailles de leurs fils aiguës.

A côté de moi, Shoto s'était raidit tout entier. Sa main broyait convulsivement le dossier de chaise sur lequel il s'appuyait.

Nous nous étions inconsciemment penchés vers l'écran, absorbés par ce qui s'inscrivait noir sur blanc devant nos yeux, si bien que nos épaules se frôlaient. Ce n'était peut-être qu'une impression, mais il me semblait que la température s'était rafraîchie autours de nous.

25 Juin

Je confirme la suprématie de l'Alter Storm Wings possédé par Arashi Katagiri. Suffisamment développé, il présentera peu de revers, peu de failles, et une puissance offensive conséquente. Sous la tutelle de ses géniteurs, Arashi Katagiri montre en outre une habilité correcte à le maîtriser.

A partir de ces observations, il est à craindre qu'une fois parvenue à maturité, la quatrième génération ne puisse plus être vaincue que par les Héros Professionnels les plus hauts gradés.

1 Juillet

Fin de la surveillance.

Aucun agissement délictuel de la part des conjoints Setsuko et Ogai Katagiri n'est à reporter. Comme le veulent leurs traditions, ils ont cessé toute activité et suspendu tout contact avec le reste du clan. Nous pouvons donc les considérer inactifs jusqu'aux 12 ans de leur progéniture.

Je recommande cependant une appréhension et une mise en détention immédiate dès que suffisamment de charges à leur encontre seront recueillies. Quand à Arashi Katagiri, s'il ne s'avère pas possible de la retirer du foyer familial avant ses dix ans, elle sera à considérer en priorité comme une menace plutôt que comme une victime.

Les comptes-rendu s'interrompaient ici, pour reprendre quelques mois plus tard. Les dates inscrites firent tressaillir Shoto, et il porta une main à son œil gauche. Je me détachai un instant de l'écran pour tourner la tête vers lui. Il était livide de colère, ses prunelles noyées d'une haine profonde. Son souffle se condensait devant son visage.

- L'enfoiré, gronda-t-il d'une voix basse, murmurant presque. Il se servait de la mission comme d'un prétexte. Pour m'éloigner du public. Pour cacher ce qu'il infligeait à sa propre famille.

- C'est lui qui t'as fait... ça ?

Ce n'était peut-être pas le moment le plus opportun, mais j'étais présentement hantée d'images du passé, et Shoto, la tête enserrée d'un bandage, figurait parmi elle. La question que je ne m'étais pas autorisée à poser à l'époque venait de franchir mes lèvres sans préavis.

- Non, répondit-il, la voix acerbe. Mais il en est entièrement responsable.

Il croisa mon regard. Quelque-chose dans son ton et son expression me fit comprendre que ses propos ne s'appliquaient pas seulement à sa cicatrice. Je sus alors que lui aussi venais de replonger dix ans en arrière. Lui aussi revivait ce jour fatidique.

25 Septembre

Retour à Tochigi. Reprise de la surveillance.

Une autre saisie, faite six jours plus tard, rapportait le peu d'évolution de la situation. Puis une troisième venait subitement casser la fréquence jusque-là suivie par Endeavor.

3 Octobre

Un incident s'est produit au domicile des Katagiri dans la nuit du 2 au 3. Il semblerait qu'il se fût agi de la manifestation de l'Alter d'Ogai ou d'Arashi Katagiri.

Estimant que la sécurité de mon fils, Shoto, présent avec moi, pourrait être compromise, j'interromps aujourd'hui ma surveillance pour le ramener à Musutafu.

4 Octobre

Retour à Tochigi.

J'ai pris l'initiative de mener une reconnaissance des lieux ce matin à 4 heure, et ai constaté d'importants dégâts matériaux. Aucune trace d'occupation du site. Le domicile semble abandonné.

Les rapports suivants décrivaient tous la même chose : la famille Katagiri avait disparue. Mon pouls battait si frénétiquement que j'en étais suffoquée. Une faiblesse me fit vaciller sur mes jambes.

- Il aurait dû trouver les corps, soufflai-je en reculant. Il aurait dû trouver les corps ! Pourquoi est-ce qu'il n'a rien trouvé ?

Shoto pianota sur le clavier, parcourant rapidement d'autres dossiers, d'autres pages, dont je ne distinguais rien de là où j'étais.

- Apparemment, Setsuko et Ogai ne se sont plus jamais manifestés après ce jour-là, affirma-t-il. Ils se sont volatilisés.

Il se redressa et se retourna vers moi.

- D'autres membres de ton... du clan ont pu récupérer leurs dépouilles dans le laps de temps qu'a mis mon père à me raccompagner à Musutafu. Ils devaient couvrir leurs traces.

Oui. C'était l'hypothèse la plus plausible. Rien qui ne vaille la peine de s'affoler. J'inspirai un bon coup, et la vague de panique qui m'avait envahi reflua. Je me rapprochai alors du bureau.

- Et les autres ? Le reste du clan ?

Il ne nous fallut pas plus de quinze minutes de recherches supplémentaires pour établir que je n'avais plus grand-chose à craindre d'eux. La majorité des membres avaient été arrêtés depuis le temps, que ce soit de l'action d'Endeavor ou d'autres Héros. Le reste avait n'était que du «menu fretin» aux dires du Numéro 2, de petits Vilains sans envergure, dépouillés de toutes ressources, privés de tout le pouvoir et l'influence dont jouissaient autrefois les Katagiri.

Après quoi, Shoto éteignit l'ordinateur et le replaça au fond du tiroir, verrouilla la porte du bureau derrière nous, et me reconduisit aux ascenseurs. Nous demeurâmes chacun plongés dans nos réflexions le temps de la descente, le regard échoué sur la pointe de nos chaussures. Le jeune homme devait, comme moi, avoir conscience de l'étendue de nos découvertes. Il n'avait sûrement pas manqué de remarquer que son père avait omis de mentionner notre rencontre dans son rapport. Par ailleurs, si quoi-que-ce-soit venait à se savoir, si quiconque parvenait à faire le lien entre Eiko Midoriya et Arashi Katagiri, mon avenir d'Héroïne prendrait fin aussitôt.

Mes géniteurs étaient peut-être de l'histoire ancienne, mais l'ombre d'Endeavor me surplombait toujours, véritable épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Et cette menace dans mon dos titillait de vieux instincts, réveillait des voix qui me soufflaient des solutions radicales pour assurer ma sécurité. Tu n'en as pas terminé, susurraient-elles. Riposte, Arashi.

Les portes s'ouvrirent avec un ding! qui m'arracha à la spirale sinistre que formaient mes pensées. Je m'ébrouai pour m'éclaircir l'esprit, et sortis de la cabine en compagnie de Shoto. Au-dehors, le déluge s'abattait toujours. L'eau ruisselait du auvent comme une cascade.

- Viens-voir une seconde, me dit le lycéen en se dirigeant vers l'imposant comptoir de l'accueil.

- Bonjour, Todoroki, le salua l'hôtesse. C'est la première fois que tu ramènes une amie.

Un sourire qui n'atteignait pas ses yeux s'étala sur son visage. Elle m'examina de la tête aux pieds tandis que Shoto passait derrière le comptoir. Mon allure lui déplu manifestement, car une lueur de dédain passa dans ses yeux.

- On avait un projet de classe à travailler ensemble, mentit Shoto. Et je lui ai proposé de passer puisqu'elle avait des choses à faire dans le coin.

Son ton était un brin cassant, juste ce qu'il fallait pour la dissuader de se montrer davantage inquisitrice.

- Bien sûre, approuva la femme, refroidit.

Shoto repassa de mon côté après avoir farfouillé dans les cases de rangements. Il tenait un long parapluie noir frappé du logo de l'agence qu'il me tendit.

- Tu peux le garder.

Je le pris plus machinalement qu'autre-chose, l'esprit encore trop occupé à assimiler tout ce que je venais d'apprendre. Nous sortîmes sur le large perron. L'air humide et saturé de l'odeur métallique de la pluie fut un bienvenue apaisement contre le mal de crâne qui commençait à poindre.

- J'imagine que tu as besoin d'intégrer tout ça pour l'instant, avança le jeune homme. Mais il faudra qu'on en reparle.

Je soupirai en me massant la tempe.

- Je sais. Il faut juste que j'y réfléchisse un peu.

Il acquiesça, puis conclut :

- Je te laisse, alors.

Sur-ce, il se détourna pour retourner vers les portes coulissantes, et je fis de même, mais pour m'avancer vers les escaliers. Mon parapluie claqua lorsque je le déployai, et l'averse se mit à crépiter sur la toile imperméable. J'avais seulement descendu quelques marches que je m'immobilisai, un pied en suspension dans le vide, avant de faire volte-face.

- Shoto ! Le rappelai-je.

Il s'arrêta, et pivota vers moi. Je dus hausser la voix pour me faire entendre par-dessus le fracas de la pluie.

- Merci.

Il secoua la tête.

- Je ne le fais pas vraiment pour toi.

- Pas seulement pour aujourd'hui, le corrigeai-je. Pour le SCA, aussi. Merci de m'avoir arrêté. Rien ne t'obligeait à le faire.

Une expression indéchiffrable passa sur son visage, comme une ride à la surface de l'eau.

- Si, lâcha-t-il.

Puis il s'avança hors du couvert du auvent, sous les précipitations qui le trempèrent en un clin d'œil, assombrissant ses vêtements et plaquant ses cheveux contre son crâne. Il dévala les quelques marches qui nous séparaient, et s'arrêta devant-moi, sous les baleines du parapluie, si proche que je respirai l'odeur de sa peau mouillée. Il avait le visage ruisselant de pluie froide.

- Parce que personne d'autre ne l'aurait fait.

- - -

Le salon de thé était une petite boutique coincée entre deux immeubles, lumineuse, confortable, aux tons épurés tranchants avec les couleurs chamarrées de la farandole de pâtisseries exposées sous des cloches de verre.

Ryoka replia son parapluie et se dirigea vers la table à laquelle était installée Hisae. La jeune femme de cinq ans son aînée, au carré négligé d'un blond platine terminé de pointes roses, l'accueillit avec un sourire.

- Du thé ? A quatre heure de l'après-midi ? Fit remarquer Ryoka en retirant son trench dégoulinant pour le déposer sur son dossier. Qu'est-ce qu'il est arrivé aux Mojitos de vingt-trois heure ?

- C'est justement une des raisons pour lesquelles je t'ai fais venir ici, répondit la blonde en contenant manifestement son excitation.

Malgré les multiples tentations que suscitait la carte, Ryoka fit rapidement son choix et la reposa afin de reporter son attention vers son amie. Elle la trouvait lumineuse. Son teint de pêche était frais, ses yeux oranges débordaient d'émotion.

Toutes deux se connaissaient depuis leur tendre enfance, étant autrefois voisines de pallier. Hisae avait toujours été comme une sœur aînée pour elle. Aussi Ryoka détecta-t-elle immédiatement la différence chez son amie, bien qu'elle fut incapable de mettre le doigt dessus.

Pourtant la blonde ne voulut rien lui dire avant que leurs commandes ne soient arrivées. Un assortiment de Wagashi pour Hisae, et un entremet aux myrtilles et à la mousse de vanille sur un sablé de cannelle pour Ryoka. Elle avait un faible pour les sucreries. Un gros faible.

Elles prirent chacune quelques bouchées, savourant le moelleux et l'onctuosité de leurs pâtisseries, puis Hisae joignit les mains sur la table en un geste qui fit s'entrechoquer ses bracelets. Hésitante, elle se mordilla la lèvre, puis se lança :

- Je n'étais pas certaine de la manière dont tu allais le prendre, étant donné tout ce que tu vis en ce moment. Je ne voulais surtout pas avoir l'air de t'étaler mon bonheur à la figure, sachant comment les choses sont difficiles pour toi. Mais d'un autre côté, ce n'est pas quelque-chose que je vais pouvoir taire longtemps, et si je te le dis maintenant, c'est parce que tu es l'une des personnes qui compte le plus pour moi, et je veux vraiment partager ça avec toi.

Piquée d'intérêt par cette entrée en matière, Ryoka en oublia de replonger sa cuillère dans son gâteau.

- Je t'écoute...

La joie se mit à déborder des yeux d'Hisae. Elle réprima péniblement un sourire, puis posa les mains sur son bas ventre.

- Qu'est-ce que tu dirais de devenir «Tante Ryoka ?»

Renversée de surprise, la jeune femme en demeura bouche-bée. Ses prunelles ambrées sautaient du ventre de son amie à son visage. Puis une poche creva en elle, et ses yeux s'embuèrent. Elle s'arracha à sa chaise pour aller enlacer Hisae, si submergée d'émoi qu'elle peinait à maintenir son équilibre sur les talons compensés qu'elle avait chaussé.

- Tu ne pouvais pas m'annoncer une meilleure nouvelle ! S'écria-t-elle, des trémolos dans la voix.

La blonde l'entoura de ses bras en riant. Elle dut sentir les perles d'eau s'écraser sur sa robe, car elle la taquina :

- Ne me dis pas que tu pleures ?

- Évidement que je pleures ! Tu es enceinte ! Tu vas être maman !

- Et tu vas être tante !

Un sanglot échappa à Ryoka. Des regards se tournaient vers elles, mais elle s'en contre-fichait. Elle resta ainsi jusqu'à ce qu'elle eut regagné un semblant de maîtrise sur ses émotions, puis libéra son amie pour s'agenouiller à côté d'elle, paume contre son ventre.

- Salut toi, hâte de voir ta petite bouille d'amour !

- Ryoka, c'est un fœtus. Il ne peut pas t'entendre.

- Raison de plus ! Il faut qu'il apprenne à me reconnaître tôt parce que ce petit est maintenant sous ma protection.

Elle releva les yeux vers ceux de Hisae, qui l'observait avec tendresse et ravissement.

- Tu as bien fait de me le dire, déclara-t-elle, son sérieux retrouvé.

La blonde posa sa main par-dessus la sienne.

- Je suis avec toi quoiqu'il arrive. Je compte bien que ce bébé rencontre son oncle.

- - -

Il sentait tout. Voyait tout.

Ses narines frémissaient de l'acidité des corps en transpiration, de la puanteur haleines avinées, du cuivre de l'hémoglobine séchée, toujours perceptible malgré les rinçages à l'eau de javel.

Ses prunelles percevaient avec une précision aiguë les moindre gestes de la foule survoltée, les grains de poussière dans la lumière crue des installations au néon, la pellicule de sueur sur les fronts.

Il exhala un souffle brûlant entre ses crocs.

Les dernières minutes restaient floues dans son esprit. Il n'en gardait qu'une impression de violence inouïe, un déchaînement libérateur, une joie enragée. Mais il avait gagné.

Son adversaire, étalé sur le ring, la poitrine lacérée, ahanant, postillonnant les glaires rougeâtres qui lui obstruaient la gorge, en attestait.

Le sang chaud et poisseux qui s'égouttait de ses griffes aussi.

Le sol vibrait sous les pieds qui battaient en rythme. Des poings étaient brandis partout. Les billets passaient de main en main. Les tête se renversaient pour vider les fonds de verre et de bouteilles.

Dans ce grouillement, une silhouette se déplaçait fluidement, si furtive que nul ne la remarquait, si agile que nul ne la bousculait.

Lui la repéra immédiatement. Lorsqu'elle se sut observée, la jeune fille capuchonnée s'immobilisa et releva la tête vers le ring. Ses prunelles semblables aux siennes -si ce n'était que leurs pupilles verticales ne s'illuminaient pas, et que l'iris qui les cerclait était fauve- se moirèrent d'un éclat phosphorescent.

Il s'avança droit vers la grille qui ceinturait le ring, bondit, inséra ses orteils dans l'entrecroisement des fils de fer, exécuta un soubresaut, se propulsa dans les airs, et se réceptionna lestement sur le béton, la grille vibrant encore dans son dos. Une action qui lui valut une nouvelle vague d'ovation.

On s'écartait devant lui en l'acclamant alors qu'il fendait la foule jusqu'à arriver à la hauteur de la brune qui l'attendait. Mains dans les poches de son sweat vermeille, elle le guigna, la tête inclinée, avec un sourire qui dévoilait ses crocs.

Il fit se résorber les siens et rétracta les griffes. L'épaisse crinière noire qui lui coulait jusqu'au bas du dos redevint son habituelle coiffure de jais mi-longue et indisciplinée.

- Tu m'épateras toujours, Akira, lut-il sur les lèvres de son amie.

De ses mains encore maculée de sang, il signa :

- Du nouveau ?

Elle hocha la tête. Apparemment, elle ne voulait pas prendre le risque de lui en dévoiler plus ici. Elle serait contrainte de bien articuler ses mots pour qu'il puisse les lire, or cela les rendraient d'autant plus audibles à des oreilles indiscrètes. Alors il toucha du bout des doigts son épaule gauche, puis sa droite : «très bien».

- Allons-y, ajouta-t-il, sachant qu'elle comprendrait.

Il sentait tout. Voyait tout. Mais n'entendait rien.



- - -

Chapitre 20 ! C'est un record pour moi ! Et c'est grâce à tous vos votes, lectures, commentaires, dessins, qui me donnaient envie de continuer et égayaient mes journées !

Vraiment, merci, je vous adore !

Je profite de cette étape pour faire un point avec vous :

- Premièrement, les Teams ne sont pas vraiment à jour, je vous ai peut-être inscrit deux fois, ou pas du tout, alors si vous souhaitez y figurer, allez mettre un petit commentaire dans la rubrique spécialement dédiée !

- Deuxièmement, un point sur la fiction en elle-même  :

Avez-vous des remarques à faire ? Incohérences, points faibles etc ?

Quels sont les points forts selon vous ?

Est-ce que vous arrivez à suivre avec tous mes OC ? (Surtout que je viens d'en rajouter un... :-p)

Qu'est-ce que vous attendriez pour la suite ?


Notez bien que rien ne vous oblige à répondre à toutes les questions, ou même à aucune,  c'est juste pour avoir votre point de vue et m'éclairer un peu sur les éventuelles corrections à apporter, ou aux futurs ajouts. :)

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