Chapitre 2 : Question sans réponse
Inko Midoriya avait assez d'un fils. Un bébé. Elle avait toujours su qu'elle n'aurait jamais besoin d'en bercer un autre dans ses bras, d'en nourrir un autre à son sein.
Les premiers rires de son petit bout, ses premières dents, ses premiers pas, l'avaient comblé de bonheur pour une vie entière.
Néanmoins, elle avait toujours regretté de ne pas avoir donné de petit-frère ou de petite-sœur à Izuku.
Au fil de la croissance de celui-ci, à mesure que s'épanouissaient ses rêves, menacés dès leur éclosion de flétrir sous l'ardeur de la réalité, une pensée lui était revenue, avait persisté, s'était précisée jusqu'à devenir projet.
Et s'il n'avait pas été le seul sans-Alter de la famille ?
Un cadet ou une cadette dans la même condition auraient-ils pu le consoler de cette désolation qu'il muait obstinément en détermination ?
C'est ainsi qu'après des années de réflexions, de parcours administratif, d'évaluations socio-économiques, et de bilans psychologiques, Inko prit à charge une autre enfant.
C'est ainsi qu'à l'âge de huit ans, je me vis attribuer une nouvelle identité forgée de manière à ce que je m'insère le plus aisément possible dans le moule de cette société de héros.
Eiko Midoriya, amnésique, sans-Alter.
Voilà par quoi on commença à me catégoriser.
Mensonge, mensonge, mensonge.
Mon nom n'étais pas Eiko Midoriya. Et s'il était vrai que je ne me rappelais plus de mon véritable nom, je n'avais pas oublié tout ce qui précédait mes cinq ans.
Je me souvenais très bien que j'avais usé de mon Alter pour commettre une atrocité.
La mémoire de ce jour m'est revenue après quelques mois passés dans les montagnes. Elle m'a frappé comme une vague, m'a happé, et m'a recraché nauséeuse, horrifiée, larmoyante.
Une pièce nues, plongée dans la pénombre. Le sol froid sous mes pieds. Les traces de suie aux murs. Les corps inertes au sol. Encore fumant.
Et les éclairs qui crépitaient de moi, générés par ma paire d'ailes antérieure.
J'étais sans nom, je n'avais que des bribes de souvenir, et je possédais une hybridation d'Alter à laquelle je faisais appel pour survivre par mes propres moyens.
Aucun autre souvenir ne me revint jamais, mais le seul que je possédais m'emplissait d'une telle culpabilité, d'un tel dégoût de moi-même, que je résolus de m'amender en me dépouillant de cette aptitude livreuse de mort.
J'arrachai deux de mes ailes.
Les plus petites, celles qui me servaient à contrôler mon Alter de foudre.
Je n'oubliais jamais la douleur. Elle me hantait la nuit, fourmillait dans mon dos. Mais c'était infiniment plus supportable que les images qui me tourmentaient.
Il ne me restait plus que l'autre moitié de mon Alter : la paire d'ailes supérieures, celle couplée avec ma manipulation du vent. Ce fut l'un des majeurs facteurs qui me permit de survivre trois années dans la nature.
Puis le jeu du hasard me plaça sur la route d'une équipe de héro. Malgré mon choc et ma méfiance, je me gardai de faire appel à mon Alter. Au fond de moi, je craignais que cela suffisse à me relier au crime que j'avais perpétré. Je redoutais que ces pairs qui me reprenaient parmi eux ne l'apprennent.
Je fus donc confondue avec une sans Alter, et ne fis jamais rien pour prouver le contraire. Tout comme je ne révélai jamais les fragments de mémoire imprimés au fer rouge dans mon esprit. Induits en erreur quand à ma condition, les services sociaux jugèrent préférable de me placer dans une famille habituée à traiter avec un sans Alter, ceci afin que je ne sois pas davantage stigmatisée.
C'est ainsi que je devins Eiko Midoriya.
Izuku fut le premier être humain à gagner ma confiance. Comment aurait-il pu en être autrement ? Sa candeur et sa sensibilité me firent abaisser mes défenses. Je lui vouai une sincère affection et m'attachai à lui comme à un véritable frère.
Ce fut par pure sollicitude que je lui mentis.
Mensonge par omission, diraient certains, mais mensonge tout de même.
Je ne lui dis jamais que je n'étais pas sans Alter.
Et voilà que le garçon idolâtré par Izuku faisait irruption, et posait la question tabou :
- Et toi, t'as un Alter ou pas ?
Je cherchai une réponse à lui donner. A mon propre étonnement, je me refusai à lui mentir comme je l'avais fait avec tant d'indifférence pour tous les autres. Izuku mis à part, tous ces gens, tous ces adultes qui tournoyaient autour de moi n'avaient été qu'une foule de visages insignifiants. Katsuki Bakugo ne souffrait pas la comparaison. Déjà à cet âge là, dès notre première rencontre, il dégageait quelque-chose d'intense, de vivifiant. Je ne voulais pas le duper.
Mais je ne voulais pas blesser Izuku. S'il apprenait que, tout compte fait, je n'étais pas comme lui, je craignais que ce lien si précieux qui s'était tissé entre nous ne se rompît.
Mon silence hésitant leurra Izuku pour la seconde fois. Il se rapprocha de son ami pour lui souffler :
- Katchan, évite de lui en parler.
- Donc c'est non ?
Le blond s'esclaffa.
- Deux sans Alter, vous pourriez être de vrai frère et sœur !
- Je ne suis pas sans Alter.
Les mots, hauts et cinglants, franchirent mes lèvres avant que je ne pus les retenir. Ce garçon de huit ans, avec sa voix forte et son air supérieur, venait de chatouiller un ego que personne avant lui n'avait été capable d'égratigner. Il ricana de plus belle.
- Ah oui ? Bah montre-le nous, alors.
Je baissai les yeux et m'enserrai machinalement de mes bras, mes doigts glissant sous la couverture pour effleurer le bas de mon dos. Un geste qui fit ciller Katsuki.
- Je ne peux pas, répondis-je dans un filet de voix.
C'était la vérité. Parce que j'avais perdu l'habilité de contrôler la foudre, et parce que si je dévoilais celle qu'il me restait, je trahirais Izuku. Lorsque je retournai mon attention vers le blond, tout air narquois s'était évaporé de ses traits. Il me fixait gravement, un brin de curiosité au fond de ses prunelles pourpres.
- C'est vrai que t'as des cicatrices ? S'enquit-il sans ambages.
Inko et Mitsuki Bakugo firent leur retour dans le salon à ce moment là. La mère de Katsuki lui asséna un tape sur le crâne.
- Dis-donc, toi ! Qu'est-ce que je t'ai dis en venant ici !
- Laisse, il n'y a pas de mal, tempéra la brune avec un sourire gênée.
Pas de mal ? Qu'est-ce qu'elle en savait ?
Mitsuki se retourna vers moi, un sourire traversant son visage si semblable à celui de son fils.
- Excuse-le, petite. Ce mioche n'a aucun tact.
Elle approcha la main de ma tête. Pour flatter mes cheveux ? Pour pincer ma joue ? Ces marques de familiarité m'étaient inconnues à l'époque. D'après mes acquis aliénés par un état d'hyper-vigilance constant, l'envahissement inopiné de mon espace vital était synonyme de danger.
J'eus un brusque mouvement de recul et me plaçai hors de sa portée avant qu'elle ne puisse m'atteindre.
- Oh, Mitsuki, désolée. Elle n'aime pas trop les contacts, justifia Inko à ma place.
- Et tu viens de me frapper, normal qu'elle t'évite ! Renchérit Katsuki.
La femme blonde se redressa et se retourna vers son enfant.
- Ça n'a rien à voir, c'était de l'éducation, mon chéri.
Je tins ma langue, mais Katsuki n'était pas dans le tord à mon propos. Sous les regards joyeux d'Izuku et ennuyé de son ami, les deux mères se répandirent en commentaires et sollicitations bienveillantes à mon attention. A l'image de son fils, Mitsuki était bien plus énergique et bien plus crue que ma mère adoptive, mais je ne lui trouvai rien de mauvais. Elle me rendait nerveuse, c'était tout.
Elle était trop grande, trop bruyante, et chahutait trop. Malgré les mises en garde de son amie, elle tenta plusieurs fois de m'ébouriffer la tête, emportée par son enthousiasme. J'avais déjà du mal à m'accoutumer à Inko -sa prévenance extrême et son dévouement m'oppressaient- alors maintenant qu'elles étaient deux...
D'un seul coup, je n'y tint plus. Je bondis hors du canapé dans lequel elles m'avaient assise. Mon premier réflexe fut de courir me réfugier dans ma chambre, mais je m'immobilisai devant la porte du bureau en entendant la soufflerie de l'ordinateur et la rumeur d'une vidéo. Je pénétrai silencieusement dans la pièce pour y trouver Izuku et Katsuki, captivés par l'actualité en directe diffusée sur un quelconque site internet. A l'écran, une figure imposante, auréolée de bravoure, un sourire ineffable aux lèvres, affrontait ce que la présentatrice décrivait comme : «un preneur d'otage». La lutte, filmée depuis un hélicoptère se jouait sur le toit d'un train en marche.
Je m'approchai du fauteuil que se partageaient les deux garçon. Leurs yeux écarquillés débordaient de la même adoration. Si j'étais accoutumée à voir cette expression sur le visage d'Izuku, je fus surprise de la découvrir sur celui de Katsuki.
- Eiko, regarde ! S'exclama mon frère adoptif en s'apercevant de ma présence. C'est All Might !
Je me hissai à côté de lui, juchée sur l'accoudoir, tandis que son ami me jetait un bref coup d'œil. J'arrivais juste à temps pour assister à la victoire écrasante d'All Might, qui mit le vilain hors d'état de nuire tout en empêchant le train lancé à pleine vitesse de dérailler. Lorsque le héro se retourna triomphalement vers la caméra, Katsuki se dressa debout sur le fauteuil, le poing brandit en l'air dans un geste d'exultation. Je me pris à sourire devant son engouement. Il surprit mon regard, et me rendit franchement mon sourire, les yeux pétillants.
Ce fut à cet instant précis, par ce sourire spontané, que s'engrena mon destin de héro. Je n'en avais pas encore conscience, mais ce moment de pure allégresse que nous partageâmes, cette incarnation de l'innocence enfantine, marquerait ma vie à jamais. Je venais de me lier avec Katsuki Bakugo.
- - -
Deux semaines après leur rencontre, Eiko fit son entrée en primaire. La rumeur de son arrivée avait déjà filtré, plongeant les élèves dans l'effervescence. L'admiration que ses camarades vouaient à Katsuki redoubla lorsqu'il se vanta d'avoir déjà rencontré la nouvelle. Ce jour-là, la classe fut deux fois plus longue à s'installer, car un noyau s'était formé autour du jeune prodige pour le presser de questions. Certains avaient bien tenté de tirer des informations à Izuku, mais celui-ci les avait découragé par des balbutiements inintelligibles.
- A quoi elle ressemble ?
- Comment elle s'appelle ?
- Elle a quoi comme Alter ?
- Pourquoi elle vit chez Midoriya ?
Jubilant de détenir un savoir que les autres brûlaient d'obtenir, Katsuki les narguait en esquivant chaque question. L'instituteur entra dans la salle sur ses entrefaites et ramena tout ce petit monde au calme par quelques injonctions. Une fois l'ordre rétabli, il introduisit enfin Eiko. Des murmures d'excitations l'accueillirent. Katsuki, lui se redressa de surprise.
Vêtue comme une parfaite petite écolière, son cartable de cuir rouge sur le dos, Eiko n'avait plus rien de la petite fille indomptée qu'il avait rencontré. Ses cheveux d'argent avaient été coupé en un carré dégradé, elle chaussait les uwabaki réglementaires, et ses doigts crispés sur les bretelles de son sac ne se terminaient plus que par de jolis ongles roses. Inko s'était visiblement donnée du mal pour que son apparence ne soit pas sujette aux cruelles moqueries caractéristiques des jeunes enfants.
Bien que son faciès ne trahissait aucun sentiment, Katsuki décela une lueur effarouchée au fond de ses yeux violets. Tous les regards la suivirent quand l'instituteur l'envoya s'installer à côté de son frère adoptif.
La matinée fut un supplice pour les élèves, qui refrénaient tant bien que mal leur impatience et leur curiosité. Tout le cours durant, Katsuki jeta des coups d'œil aux Midoriya. Complètement déboussolée par le système scolaire, Eiko bénéficiait au moins de l'assistance dévouée de Deku. Il finit par s'en désintéresser, jusqu'à ce que des gloussements étouffés attirent son attention. Se retournant, il s'avisa qu'elle avait retiré ses chaussons, laissant ses orteils à l'air, au grand amusement de ses voisins. Trop occupé à gérer leurs deux prises de notes simultanément, son frère adoptif n'avait rien remarqué. Katsuki s'empara de la gomme de sa voisine et, d'un lancé impeccable, l'expédia sur la tête du brun. Lorsque celui-ci lui décocha un regard interloqué, Katsuki répliqua par un signe de tête en direction de leurs pieds. Ce fut suffisant pour que Deku rectifie la situation.
Lorsque vint enfin l'heure de la récréation, la classe convergea vers Eiko comme un seul homme. Son frère adoptif batailla pour la préserver de leur intérêt inquisiteur, en vain. Néanmoins, à son étonnement et à celui de Katsuki, la nouvelle ne parut pas déroutée par cette marée humain. Elle les jaugeait calmement, en s'efforçant de répondre au flot de questions. Pas une fois ses lèvres ne s'étirèrent-elles en un sourire.
Katsuki se tint en retrait, connaissant déjà la réponse à la majeur partie de leurs interrogations, jusqu'à ce que soit prononcé la fameuse question :
- C'est vrai que t'as pas d'Alter ?
Pensant lui éviter le pénible sujet, l'instituteur avait déjà informé la classe de son statut de sans-Alter. C'était sous-estimer la curiosité insatiable des primaires. Les mains d'Eiko se crispèrent en poings. Elle pinça les lèvres en une ligne serrée.
- Alors ? Insista quelqu'un.
Elle baissa la tête tandis que Deku l'observait d'un air désolé, plus conscient que quiconque de son tourment.
- ... ailes, marmonna-telle par-dessous le rideau soyeux de ses mèches.
- Quoi ?
- J'avais... des ailes.
- Comment ça «avais» ? T'en a plus maintenant ?
Eiko s'emmura brusquement dans le silence. Ils ne lui arrachèrent plus un mot, et elle refusa obstinément de croiser leurs regards. Katsuki s'avança jusqu'à son pupitre.
- Eh, tu vas répondre un jour ? Comment tu as pu perdre ton Alter ?
Comme toujours, les élèves reconnurent en lui leur leader et firent bloc avec lui. Tandis qu'ils la harcelaient de questions, Katsuki se remémora brusquement la conversation du Supermarché.
- C'est ça, les cicatrices ? S'enquit-il, mettant aussitôt un terme au tapage.
Le mot «cicatrice» fit tressaillir Eiko, et fut reprit en écho par le groupe. Le blond se tourna vers Deku, qui se tenait aux côté de sa sœur adoptive, furibond mais impuissant.
- Elle en a ?
- C'est... c'est pas tes affaires, Katchan.
Sans le vouloir, Izuku provoqua l'escalade précipitée des choses. Irrité qu'il osât répliquer, Katsuki brandit ses mains aux creux desquelles se mirent à crépiter de minuscules déflagrations. Elles produisaient à peine plus qu'un pétard, mais la transformation à laquelle se livra Eiko stupéfia l'ensemble de la classe.
Alors qu'un moment auparavant, elle était cantonnée sur sa chaise, muette et la tête basse, elle se dressa en un instant sur ses pieds, ramassée en une posture défensive, les doigts recourbés comme des serres et les lèvres retroussées sur ses dents. Ses yeux étaient deux orbes flambant de férocité. Mais le plus saisissant était le son.
Un chuintement monté du fond des entrailles et raclé dans sa gorge, semblable au feulement d'un puma.
Plusieurs élèves reculèrent sous le choc. Les autres demeurèrent pétrifiés.
Passée la première réaction instinctive, Eiko prit finalement conscience qu'elle n'était pas menacée, et se détendit. L'air félin s'évanouit de ses traits. En un battement de cils, elle était de nouveau la petite fille grave et impénétrable.
Katsuki fut le premier à se remettre de sa stupeur. Titillé par sa propre fierté, il lâcha narquoisement :
- Bah alors ? Peur d'un Alter ?
Les rires explosèrent, glissèrent sur Eiko sans l'émouvoir, atterrèrent Deku, et restaurèrent la toute puissance du blond. L'inconnue avait été estimée, sa position hiérarchique attribuée immuablement. Ainsi étaient les choses en classe de primaire.
- - -
Un chapitre un peu plus long cette fois ! J'essaie de condenser pour ne pas passer trop de temps sur la période "primaire", mais j'ai tout-de-même quelques points important à mettre en place.J'espère que ça ne vous ennuie pas...
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