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TRIMORION
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Décembre 1540.
La sue perlait à son derme.
L'orage des cieux s'accalmait tandis que dans le silence notoire de la pièce, le chagrin l'étranglait. Son échine se cambrait à ses douleurs pour la cause de son organe vital qui lui lacérait les entrailles à battre un peu vite, il battait un peu trop. Le sentiment de la mort l'étreignait.
La sombre clarté l'aveuglait à la clôture de ses paupières. L'homme, de ses cheveux de jais, apposa l'avant de son bras à son front, et à la souvenance des mains hémoglobines d'Ho-Seok, un sourire s'étira à ses lèvres.
Chô-Seon s'éveillait sous les gaietés et les scandes des marchands. Les rayons solaires filtraient les verres et illuminaient les faces de Park Ji-Min, décorées du sang de cet autre qui gisait au sol. Les voix s'élevaient en son esprit. Elles parlaient. Elles chahutaient. Plus fortes, plus hautes, plus cruelles, et revenaient à ses crimes. À cet homme et ses châtaignes ondulations qui seyaient à son allure noble. Les timbres trémulaient. Ils susurraient les mots et les actes ; le Park agissait, tête basse et pleine. Ils se montraient là, tapis dans l'ombre de ses pensées. Certains temps lui apparaissaient des images sommaires où il apercevait la chair de son amant puante et répugnante. Décharnée sous ses doigts.
Au désormais, les orbes du brun s'exorbitaient. Son corps traînassait au par-terre, les membres à la forme d'une étoile, et Dieu ce que l'infime lucidité en ce Ji-Min crèverait pour re-sentir les enlaces chaleureuses de l'inerte...
Les voix, encore. Celle de l'homme noble, toujours avec cet éclat de rire qui le caractérisait. Diable, elle l'abrutissait ! Elle terrifiait Ji-Min, elle était là et lui perçait l'ouïe. L'ébène ne supportait guère plus le cristal de ses vocales claires ni les tentatives de rendu coupable alors qu'il ne restait coupable de rien hormis de son meurtre simple, à cet homme qu'il aimait.
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Des semaines naguère, les tensions s'accroissaient à la capitale. La répression des uns empêchait le repos des autres, et le sien surtout qui subissait les malédictions et les rituels chamaniques de tous. Le Park ne quittait plus son modeste hanok qui accueillait sa vie devenue misérable de maladie. L'habitation situait l'arrière d'une école où les rêves et les espoirs des érudits du royaume prenaient source. Il y faisait obscur et froid, quelque peu. Les courants passaient sans mal ; or, il s'acclimatait suffisamment bien pour ne point se plaindre. La nuit, il couchait au sol et la journée, il méditait de l'aube à la tombée. Les seuls temps où Ji-Min dressait le courage de sortir n'étaient qu'à fins de ravitaillement. Et à ces moments, il essuyait les regards et les injures et les insultes du voisinage. Son trouble - ses voix - terrifiait. Beaucoup des apeurés évoquaient la possession démoniaque mais le concerné se persuadait à l'obstination que ses hallucinations annonçaient le bon. Néanmoins, chacune des heures de la journée restait une lutte pour la clairvoyance. Une guerre se parait à l'imminence entre le rationnel et un hybris démesuré. Une guerre spirituelle où le second saisirait le dessus à des temps où la santé mentale ne demeurait que chimère.
Ce songe le conduisit imperceptiblement à la glace du séjour où il contempla son reflet éreinté par les aléas. Des cheveux à la robe jais cascadaient ses épaules frêles ; ses pommettes égaraient leur grosseur ; et ses pupilles nûment étirées par la pauvreté similaient le brun. Un nez plat, des lèvres pleines, une misère là. Depuis que Choe Min-Ho se donna la mort, il y a six ans et après l'avoir élevé ces années, nul contentement ne se dessina plus à sa face.
Et il lui apparut, lui... L'homme qui désirait tant sauver sa part de lui des plus mauvaises.
Ji-Min ne discerna pas son arrivée et s'étonna de sa présence, alors, qui prouvait une déroutante fascination pour l'hôte de ces lieux. Le miroir ne lui offrait pas la grâce. Une allure majestueuse, une taille distinguée, des yeux effarés et des jambes fuyantes vers la sortie. Contrariété. Quel inconscient se promènerait si aisément là, dits hantés par une ombre fantasmagorique ? En l'occurrence, le vingtenaire troublé et guerroyant contre ses tourments. Un soupir ébranla sa glotte. Il ne s'agissait que d'un vaniteux qui se voulait brave comme si venir le confronter relevait d'un miracle.
Pourtant, ce fut le même qui revint. On le revoyait jour après nuit, se donnant meilleure force avant de partir queue entre cuisses. L'époque filait et Ji-Min le distinguait un peu plus. Parfois, il lui semblait très grand ou si nain que la pénombre luminée agrandissait sa silhouette au mur. Il fallait croire que les maux altéraient sa vision du réel puisqu'à d'autres croisées, il paraissait châtain ou un peu roux. Le jais aimait cette pensée-là. Imaginer ses poils d'une teinte pleine de stigmates le laissait croire qu'il était un peu moins seul. Cela mit un cycle avant qu'on n'entendît sa parole au seuil d'un simple « bonjour ». Une joie embarrassante engloba tous deux. Lorsque le presque-rouge disparut encore, le démon-quasi retourna, docile, à ses affres.
Lors d'une soirée martiale où la lune égayait les cœurs, le troublé serpenta dans les rues paysannes. Il évita les gardes monarchiaux qui faisaient la ronde à la cité, et progressa dans les dédales de commerces. Il se recroquevillait. A mesure de ses avancées, les chuchotis et les cailloux se perdirent contre son lobe. L'attaqué gémit son heurt, et ravala les pleurs dès que les voix apparurent à nouveau.
« Retrouve le rouge. Il désire ton mal, ta perte, ta mort... Tue-le. »
Le tourmenté pressa ses paumes contre ses tempes : elles devinrent doubles, triples et hurlèrent à en perdre haleine. Ses tremblements reprirent. Sa respiration, chaotique. Sa course freina, et son corps glissa le long d'une cloison à l'exode des étudiants quittants leur école. Les rougeurs montèrent à la vue du Park malade ; il la perdit peu à petit jusqu'à l'arrivée des nausées et des frissons de dégoût. Les voix riaient à gorge ouverte, elles le terrorisaient, elles lui montraient les visages monstres de ses martyres, elles riaient de lui. Lorsqu'on l'approcha pour quêter sa santé, Ji-Min hurla et détonna que l'on s'éloignât.
Les voix répétèrent alors il écouta, il saisit, il comprit. Cela lui valut une main tendue d'un visiteur dernier qu'il attrapa, timide, dans sa patte. Ses prunelles s'élevèrent et croisèrent les siennes à une couleur familière. Leurs âmes se plurent, et un sourire du sauveur apaisa le cadet tout complet.
- Tu vas attraper froid, il tonna.
Les sourcils du jais se froncèrent. La bienveillance de l'un peu roux le toucha plus que de raison. Certainement puisque cette fois, il ne lui échapperait plus à grandes jambes...
- On s'est déjà vus, tu es le reclus de la capitale...
- Ji-Min, ledit se présenta farouche.
- Ji-Min, je... Pardon.
Une émotion naïve berça les cœurs de ceux qui se rencontraient enfin. Une allègre atmosphère, quelque chose de doux qui s'insinuait dans leurs esprits curieux de l'autre. Le second se nomma : Jung Ho-Seok, fils bâtard d'un dignitaire de la cour. Le Park inclina la tête de côté, interrogeant en silence les excuses de cet homme qu'il ne connaissait pas.
- D'avoir pris peur en t'apercevant alors que tu es aussi délicat qu'un soleil d'été.
- J'ignorais qu'un soleil pouvait être "délicat", railla le troublé, fin sourire à ses lèvres de chair.
- Un soleil est délicat et enfantin lorsqu'il n'a aucun nuage pour masquer sa lumière.
- Ah ! Je suis saoul de nuages, dans ce cas !
Les deux se firent face avec un empressement gâteux. Ho-Seok, radieux et hésitant, posa la main sur le sommet du crâne de son plus jeune et agita doucereusement le chef.
- Non, Ji-Min... Toi, tu as seulement besoin d'aide.
Un doux reniflement bouleversa l'ordre méditatif. Les foules se dispersaient, ils ne les percevaient plus. Le jais laissa une plainte échapper à sa langue, un léger chagrin qui glissait vers un soulagement certain. Les échos grandissèrent en eux, ils se mêlèrent et enlacèrent les pensées de l'un et de l'autre. Ji-Min entendit les voix, encore. Elles perturbaient son tout-lui, son tout-entier et son tout-complet. Elles le tenaient. Elles jouissaient de ses ténèbres qui l'engloutissaient tout-profond. La ventée éleva les chevelures dans son sillon tandis que les regards s'imbriquèrent pour ne jamais point se lâcher. Un poison s'immisça doucereusement dans la tête de Ji-Min. Une souffrance taiseuse. Une chimère bien réelle qui ondulait ici et là, sans la cesse. Égorger le Jung. Le jais grimaça et tenta de chasser ces songes intrusifs de son corps. Égorger le Jung. Le Park pressa ses doigts à l'arrêt de son nez avec le désir fervent qu'on le laissât en paix. Égorger le Jung. Ji-Min recula de ses quelques pas et à l'idée seule des mains hémoglobines d'Ho-Seok, un sourire s'étira à ses lèvres.
Chô-Seon s'éveilla sous les chuchotis et les morosités des marchands. Les halos lunaires filtrèrent les verres et illuminèrent les faces de Park Ji-Min, décorées du sang de son amour-propre qui gisait au sol. Les voix peuplières s'élevèrent contre ses lobes. Elles parlèrent. Elles chahutèrent. Plus fortes, plus hautes, plus cruelles, et revinrent à ses crimes, l'unique, celui de vivre marginal. À cet homme et ses châtaignes ondulations, qui seyaient à son allure noble, et lui tendirent la patte. Les timbres trémulèrent. Ils susurrèrent les mots et les actes ; le Park agit, tête basse et pleine, paumes contre ouïe. Ils se montrèrent là, tapis dans l'ombre de la cité. Certains temps lui apparurent des images sommaires où il aperçut la chair de son amant puante et répugnante. Décharnée sous ses doigts. Comme il en rêvait, en dépit de sa raison.
Les rues se manifestaient de taches carmines et dorées, d'une intense chaleur qui signait RÉVOLTE en grosses lettres. En ces temps capitaux, le pouvoir vacillait sous les torches de ses paysans terrorisés. À la cour, le ministère des Rites connaissait l'existence du mal du pays, ou de celui qui le causerait. Il portait un nom à douces consonnes tintantes avec ses voisines, voyelles, Ji-Min, un homme dont on ne croyait, pourtant, que le pire. Le troublé dansa à pas reculons. Coeur à torrents. Esprit à nœuds. Pleurs aux cils. Son souffle anarchique souleva son derme harcelé de piques et de flèches, et d'objets dont il ne distingua jamais la forme. Ses joues, roses et tout en courbes, se firent les témoins d'un quotidien sinistre et impénétrable. L'ingénu Ji-Min resserra son habit entre ses neuf doigts, le dixième arraché plus tôt de la bouche de la bête du village. Au désormais, il devint le monstre à sa place, la bête de foire d'un royaume peu prêt à sa différence. Il se replia. À son dos se trouvait les remparts, et au-delà de ces remparts, un inconnu qu'il se savait trop puéril pour embrasser. La nuit, les hautes branches offraient le sombre spectacle de la ventée y sifflante, de formes par mille qui rappelaient les incubes et les succubes à l'œuvre pandémoniaque. Chô-Seon n'était plus Chô-Seon. Seulement un gigantesque Pandémonium où régnait la corruption, un désordre infernal qui effaçait la dissemblance entre victimes et bourreaux.
Les voix revinrent. Et ce fut pire que le tout dans un ballet de douleurs pareilles à des outils jardiniers fouillant les organes de son porteur. Le crâne, d'abord, le lança. Sa cervelle s'agita, éclaboussante, et lui brûla la rétine de visions allégoriques. Le Park tout-saoul aperçut des ombres aux places des chô-seonins. Et par elles, il vit la haine. Injectée de sang aux yeux. Chargée d'aversion. Gorgée d'un fanatisme pleurant. Les mains, en secondes, firent trembler son corps complet. Et cela dura d'interminables minutes qui durèrent des heures. Son discernement s'amenuisit. Aussi, il ne remarqua pas la tête rousse de ses fantasmes se croquir dans la foule invectivante. Un sourire parut fendre sa bouche en deux. Une énigme peignit le visage du Ji-Min farouche au-devant des yeux lamentables de Jung Ho-Seok pour lui. Du bout de sa langue, on l'entendit susurrer le nom de son voulu-protégé tandis que pour le souhaité-protégé, égorger son ami devenait une idée qui libérait son euphorie. Décharné sous ses doigts. Comme un animal.
La respiration alourdie, troisième. Elle se révéla être la conséquence d'un sommeil lourd de cauchemars. Une nuitée où le troublé sembla hors de sa chair, où chacun de ses gestes s'avérait plus monstrueux sous son regard. Ji-Min s'éveilla de son mauvais rêve. Rêve qui eut lieu, il y a deux vingt-quatre heures, mais qui ne l'apaisa jamais plus. Affalé sur le parquet bruissant, il songea encore à son unique ami. À son allure alors qu'il étudiait à l'école de la fonction publique. Pittoresque, il ricana. À dire le véritable, le malheureux ignorait le signifié de ce terme en P qu'il ouït des lèvres d'un disciple. Néanmoins, sa lettre première rimait avec pitoyable, pathétique, et avec son patronyme, Park. Et cela lui suffisait.
- Tu ne devineras jamais ce que le maître nous a dit...
Le timbre rocailleux du rouge gai s'éleva en un murmure, quand l'hôte de cet hanok lui ouvrit.
- Il nous invite à passer la nuit à l'école pour nous apprendre à contrôler... le Démon.
Et il acheva son dire dans un son presque imperceptible comme si la seule évocation de Satan le rendrait davantage réel.
- Tu crois vraiment à ces âneries ?
- Pas toi ? Non mais Ji-Min, peut-être qu'il me fera chaman !
- Tu devrais changer de rêve, s'amusa doucement le troublé.
De temps en temps, les échanges se déroulaient d'anecdotes à anecdotes. Ho-Seok revint à toutes les journées, aux heures les plus sombres de son Ji sans réaliser, à l'immédiat, qu'il était le vecteur d'un bonheur fugace et tortionnaire. Or, il y avait du thé autour de discussions intimes. Or, il y avait le troublé semblant retrouver un semblant de vie normative. Or, il y avait un imbécile, peut-être deux, amoureux de plus en plus d'une vulnérabilité commune et appréciable. Un matin, le jovial apportait des baies en accompagnant l'adoré jasmin de son visité. Un autre, il lui apprenait les arts, la peinture notamment qui illuminait - toujours plus, oui - Jung Ho-Seok, le passionné. À ces jours, ses mains similaient une œuvre d'art, une toile tachetée de sciences et du souffle créatif de sa jeunesse. Le soir, tous deux se couchaient au par-terre, les idéaux fusaient, et les craintes dans le secret de la nuit. Le rouge confia sa peine. Celle de son impuissance au-devant des pleurs de son ami. Et puis, celle du regard des chôseonins qui le battraient de vie à trépas s'ils découvraient son affection pour le reclus marginal. À cela, Ji-Min étonna son visage. Un doucereux rire ébranla sa glotte, et alors, il réalisa que ce fut le premier véritable depuis de longues années. Le bavard s'interpella de silence, il poursuivit. Il était issu d'une famille gérontocrate, où le grand patriarche humiliait sa condition de fils bâtard, et lui portait de grands espoirs irraisonnés.
- Alors... Le jour de la révolte, tu ne m'as pas aidé parce qu'il était là ?
Mais le rouge ne répondit guère, il se mit à sangloter.
La fois suivante, ce fut un baiser vierge qui les rabibocha. Initié par Ho-Seok. Rendu par Ji-Min. Les voix reprirent. Tabassantes à tel point que leur hôte pensa saigner de ses tympans. Sa tête carbonisait de sombres songes et desseins dans lesquels il dessina, de sa pensée à son corps, celui de son amant putréfié. L'intestin découvert. Et des mouches. Des millions de mouches qui vrombrissèrent amoureusement autour du cadavre. Et des larves. Des milliards de larves qui serpentèrent dans la cavité béante de son enveloppe de chair. Des orbes révulsés, du sang... Du sang, partout. Le Park se replia de ce contact labial, dévisageant son amour comme on se méfierait du plus vicelard des criminels. Son chef s'inclina, ses sourcils se creusèrent, se levèrent, papillonnèrent, se fermèrent, et il voulut ne plus jamais les ouvrir à la lumière. Son palpitant causa des secousses dans ses tempes propagandées de haine. Ho-Seok ne saisit pas la froideur soudaine de son aimant, sa distance soudaine, ses façons de le tenir au plus loin tandis que leurs uniques souhaits tenaient en un mot : Aimer. Il tenta d'entrelacer leurs mains mais cela se solda d'un échec, d'un rejet qui leur fit mal à tous deux. Nul n'osa replacer un geste encore. Ce fut à ce temps que dans l'obscurité, de grandes lames blanches luisirent en croissant de bouche. Dans la petite clarté, on ne perçut que le souffle régulier de Ji-Min, ses yeux soucoupes, et le sourire écarté de la base jusqu'à la racine de ses cheveux. Toutes ses dents les plus maculées qui, bientôt, se teinteraient d'un chatoyant rouge à la couleur d'obsession.
L'air se chargea de discorde. À l'isolement, le reclus y demeura alors qu'à l'à présent, minuit tinta. Le jovial disparut sous la lune, gorgé de plaintes humaines et d'appréhensions utiles. Les foules de disciples se bousculaient à travers les corridors étroits de l'école. L'excitation gagnait son paroxysme : ce soir, les écoliers de Mudang chasseraient le Mal dans une pratique proche de l'exorcisme d'État. Mais en viles. En fourbes. En davantage plus discrets puisqu'il y avait de cela, le chamanisme se maintenait muet et dangereux comme un animal serpentant dans les fougères.
Parmi la vingtaine d'étudiants en alerte au-devant de leur précepteur se dégagea un crâne bien poli, une tête pleine et rousse qui trémoussa son impatience. Ho-Seok essuya l'oeil accusateur de tous ; on lui reprocha, d'un silence distrait, ses couleurs - de ses cheveux à son teint, - sa bouche pipelette, ses façons féminines, sa bâtardise sans réaliser que l'unique chose dont il se rendait fautif était d'éponger la haine sur chacun des pores de sa peau. Il eut sa pensée pour Ji-Min. Il songea notamment à leurs lèvres scellées sous de belles auspices. Toutefois, la mine lugubre de son amant expiré ne le quitta pas. Elle s'accouda dans un coin de son esprit, et contempla les passions du rouge portées par l'effervescence de l'événement. Le maître, barbe savante, petits yeux, corps grêle, annonça le début des festivités. Et la consigne fut claire : par groupe de trois, et accompagné du matériel adéquat, purifier une salle au choix en accomplissant le rituel idéal. Les trinômes se conclurent, et Jung Ho-Seok, vingt-deuxième de sa classe, et profondément roux et bavard, resta seul.
Profondément seul.
Cette conclusion ne le chagrina pas. Il ignora, à l'instant, s'il s'agissait de l'habitude ou d'une indifférence obligée alors que son sentiment situait plutôt l'enthousiasme à l'idée de ce qui l'attendrait tantôt. Alors il déambula dans son bassin solitaire. Il sautilla avec l'unique dessein de se faire grand chaman, et de rendre fier son grand-père. Néanmoins, il ne se douta jamais que cet ésotérisme révulsait les traditions, les leur, à sa famille de conservatisme, la faute.
Le bâtiment se composait de classes diverses, réparties en couleurs selon les âges des gamins. Les principaux corridors se comptaient par trois : le jaune, ensoleillement et vivacité, se limitait aux pré-pubères, ceux qui ne virent jamais l'ombre d'un poil au menton ; le bleu, loyauté et apaisement, était pour les adolescents, les esprits les moins sages ; et un rouge mûri. Excitation. Alerte. Danger. Et lorsque l'on mêlait les deux nuances dernières, un violet naissait, à la teinte d'une paix intérieure qu'Ho-Seok perdit à quinze ans, quand il fut présenté à son grand-père. Jung Jee-Moo demeurait un homme, à la fleur de son âge septuagénaire. Le monde le distinguait par son corps court, trapu, recourbé, recroquevillé, ses épaules voûtées, sa barbiche verbeuse, la soie lumineuse de ses habits, et le presque haut-de-forme qui habillait son crâne calvitique. On le respectait, cet ancêtre d'une prestigieuse famille. Il s'agissait, notamment, de son caractère intransigeant, rigide, strictement outrecuidant. Aux façons d'un précepteur, il déambulait les mains enlacées au-derrière de son dos, la bouche en cul-de-poule, les sourcils plissés, il renvoyait l'image d'un roi épuisé de ses années de pouvoir. Il se sentait, toutefois, aussi puissant que Sa Majesté Yi. C'était à ce niveau-ci de considération que le petit-fils l'estimait : comme son seigneur.
Depuis que le mauvais enfant tomba dans une bassine à la poudre de henné naturel, teinté de vermillon, le patriarche comprit qu'il deviendrait déception après déception. Ji-Min fut le seul à s'émerveiller devant les extravagances capillaires - involontaires - d'Ho-Seok. Et la chaleur naquit. De la même manière que son œil luisit à la croisée d'un regard éteint, monotone, sincèrement monocorde. Une forme mouvante s'esquissa dans la pénombre, chétive, si frêle qu'un brin de vent la ferait vaciller comme une brindille au rebord d'une fenêtre. À l'embrasure de la porte, on ne découvrit qu'un dos. Ho-Seok songea, en premier, à l'éventualité d'une apparition fantomatique. Or, la silhouette bougeante, ralentie, lui parut soudainement et à la fois, si étrangère et familière. Une chevelure éparse. Ce fut l'unique trait qu'il remarqua aussitôt. À dire l'honnête, ce crâne similait bien plus une boule pleine, poilue au sommet mais trouée à divers lieux, près des oreilles notamment. Une plainte leur échappa à tous deux. Stupéfaite pour l'un, déchirante pour le second. Le souffle du dernier devint anarchique et catastrophé, au point minimum que son premier se fit davantage de bile que d'effroi. Car il le reconnut. Ce son sonnant comme du cristal, ce timbre tonnant dans son esprit qui, lui, ne se douta jamais qu'il occupait la désormais plus grande place dans le sien comme un poison déroutant. Il ne rétorqua que le rien quand Ho-Seok laissa échapper le doux nom de Ji-Min du filtre de ses lèvres. L'interpellé pivota d'une lenteur cadavérique. De son tout-lui transpirait une détresse frappante, un appel au secours traduit par les innombrables voix qui lui caressaient violemment la tête. D'interrogations en interrogations de silence, une sourde contemplation débuta entre les anciens futurs amants. L'aspect squelettique du Park effraya son Jung, il le terrifia d'un souci de connaître son état. Fatigué. Fiévreux. Fantomatique. Fantasmagorique. Fermement mutique. Or, il l'approcha, inquiétude aux tempes, amour et désir aux yeux, peur au ventre... Pas à pas.
Cet échange similait un ballet audacieux, d'un chorégraphe enseignant à son danseur l'orchestique du cœur. Ho-Seok et Ji-Min ressemblaient à une ventricule sauveuse et un poumon en peine, deux âmes en perdition qui ne réclamaient qu'un brin de bienveillance.
Leurs mains se trouvèrent et leurs pupilles ne se quittèrent jamais. Elles ne se laissèrent pas lorsque le rouge croquit un maigre sourire à l'attention de l'autre, ni quand leurs corps se rapprochèrent dans le dessein de s'unir en un baiser contrôlé par l'appétit de l'un, par la convoitise, par l'envie plus forte que toute volonté alienne, et par les voix implacables qui étouffaient sauvagement la raison. Le reclus, dans son habit ample et limpide, luttant, enlaça la nuque de son messie de ses bras dès lors que ce dernier apposa ses petites paumes dans la chute de ses reins. L'instant dura ainsi : des paires de regards méditatifs, un oeil farouchement noir dans un oeil adorablement châtain. Et leurs bouches se scellèrent. Elles prirent un moment pour s'accoutumer à la silhouette de chacune et ainsi, elles se murent, et la danse se poursuivit. Plus sensuelle. Infiniment plus désespérée. Cette seconde fois marqua l'avènement d'un doux sentiment qui correspondait au souhait chaleureux de demeurer ensemble jusqu'au-delà de la mort. Les lèvres se décrochèrent un temps, et se rabibochèrent, acquiesçant lorsqu'il fallait changer l'angle de l'enlace. Pour Ho-Seok, la présence de Ji-Min resta une énigme mais qu'importait alors qu'il s'agissait d'un deuxième bisou, bien moins surprenant que le premier et tout aussi époustouflant. Une chaleur diffuse dénoua son estomac pris d'assauts par des milliers de papillons rubiconds. Les hommes se séparèrent, hors de leur haleine, et profondément sidérés par les gouttes tombant au plancher, des gouttes douloureusement hémoglobines.
- Ji-Min...
L'interpellé offrit ses dents en écho, un bras encore à la nuque, et l'autre, tenant une lame du bout de ses doigts cisaillés. Ho-Seok devint blême, et son intérêt se porta à son abdomen disséqué abruptement. Et aux restes de papillons qui gisaient en lui. Ji-Min largua le fer au par-terre, il recula en dépit des babillages de son dommage qui s'écroula simplement. Et cela ne fit guère de bruit à cause de l'orage.
À l'intérieur de sa tête, les timbres se turent, satisfaites d'un hôte qui céda à ses pulsions. Néanmoins, il demeura statique au-devant de la dépouille, visage figé, vide d'un quelconque ressenti. Il s'écoula de nombreuses heures, et la nuit complète, durant laquelle il étudia les conséquences de sa paranoïa. Il parut dans un déni mais au fond, tout son lui se perdit dans les abîmes de sa souffrance sans espoir de retrouver la surface. À l'aube, les disciples quittèrent l'école déjà, donnant l'occasion au démon de sortir de sa tanière. Alors il sortit.
Chô-Seon s'éveilla sous les gaietés et les scandes des marchands. Park Ji-Min apporta l'effroi, joignant la lumière, décoré du sang du fiel, et traînant par la jambe la chair de son amant, puante et répugnante. Décharnée sous sa patte. À son derrière, il laissa une bavure de rouge et de sable, et quelques morceaux de peau. Il sillonna ainsi lors d'une heure où on lui jeta des airs horrifiés, susurrant sa malédiction, et appelant la garde de la cour. Or, il s'arrêta devant un hanok aux allures de noblesse où, à la porte, on put y lire le nom précieux de Jung, et entendre le hurlement d'affliction du grand-père de famille. Le blafard s'inclina d'un respect curieux, déposa la dépouille aux pieds du patriarche, et sans un œil supplémentaire, il regagna sa maison. Le dos voûté, il perdit son peu de philanthropie, et cela se sut, de la capitale aux contrées les plus isolées.
TRIMORION
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