30:30:00
Dix heures cinq.
Je gonflai les joues.
Qu'est-ce que je faisais là ?
Je ressemblais pour un enfant en attente de se faire passer le plus gros savon de sa vie.
Une canette de soda atterrit entre mes mains que je triturais jusque là, et je sentis le canapé s'affaisser à mes côtés. Je lâchai un petit remerciement médiocre en n'osant toujours pas lever le visage. La colère et la frustration de mon ami m'oppressaient comme dans une boîte à sardine.
Jimin ne m'avait pas adressé la parole depuis le début des cours, si ce n'était que bonjour. Durant le deuxième cours du matin, il m'avait envoyé un message simple, direct : rendez-vous dans le hall de l'école. Alors je me retrouvai assis sur les canapés du hall, à attendre que la sentence soit prononcée.
Je soupirai, affalé sur les coussins, et jouai nerveusement avec ma canette entre mes jambes.
— Tu devrais envoyer un message à Lisa, conseilla d'un coup Jimin en apportant le goulot à ses lèvres. Elle culpabilise.
Je ne le regardai pas. Peut-être parce que j'avais trop peur d'être confronté à son regard perçant.
— Je n'ai pas son numéro...
— Je te le donnerai, au moins que tu la rassures que t'es vivant.
Sa voix était calme, mais je sentais qu'il refoulait de bon gré mal gré ses sentiments pour ne pas exploser. Je le comprenais de toute manière.
— Parce qu'elle me croit mort ?
— Tu vois bien comment elle est...
Je lâchai un pauvre sourire avant que Jimin ne se tourne vers moi en déposant une jambe sur le canapé, laissant son pied pendre dans le vide.
— Bref, je t'écoute.
Je me tendis et je mordis mes lèvres entre elles. Pourquoi est-ce qu'il me laissait patauger dans ma propre merde ? Il savait bien que j'avais besoin d'aide. Avait-il perdu son cœur bourré de vertus pendant le week-end ?
Je soupirai une nouvelle fois, mon regard fixé dans le vide avant que je ne le baisse.
— Je ne sais pas par où commencer...
— Très bien, alors je pose les questions.
Je ne savais pas si c'était mieux ou non. Mais au moins, il me creusait un chemin dans lequel marcher. Même si je pouvais trébucher à tout moment. Son regard me piquait une partie du visage. C'était la première fois qu'il était aussi énervé, et il n'y avait pas pire qu'une personne calme perdant ses moyens.
— Je n'aime pas le faire, avoua-t-il, mais ma patiente a des limites Jungkook, je veux bien te laisser du temps avant que tu ne m'avoues les choses, mais je pense qu'il s'est écoulé Samedi.
J'acquiesçai mollement comme seule réponse.
— Ça fait la troisième crise à laquelle j'assiste Jungkook, gronda-t-il en contrôlant sa voix agacée, tu te rappelles de la première ?
— Mh...
— Explique-la-moi.
— Je ne saurais pas trop te l'expliquer... murmurai-je, elle s'est déclenchée lorsque Monsieur Ling à parlé du stage à Tokyo... J'ai revu ce qu'il s'est passé quand j'y suis allé il y a quatre ans, et ça a dégénéré, c'est tout...
— Quand tu as franchi la barrière interdite ?
Cette question me donna un affreux frisson, et je fis oui de la tête, hésitant, comme si je ne voulais pas me l'avouer réellement.
Je l'entendis soupirer, et à mon grand soulagement, il me rassura qu'il ne voulait pas encore entendre cette histoire. De toute façon, je ne savais pas si un jour, j'allais vraiment la lui raconter. Je voulais rester ami avec lui, garder mon seul vrai ami que je n'avais jamais eu. Lui conter ce chapitre ne pouvait que fracturer notre relation, je le savais.
Il m'obligea ensuite de lui parler des deux autres crises auxquelles il avait assisté : celle de samedi avec Lisa, et celle lorsque Yoongi m'avait tapoté le dos pour me prévenir de son arrivée avec Haneul et les autres. Je lui avouais que tout ça était causé par mon haptophobie, ma peur des contacts physiques. Il ne fut pas surpris.
C'était ma tante maternelle, médecin, peu après mon retour de Tokyo, qui m'avait diagnostiqué de cette phobie. Elle avait eu du mal à m'ausculter mais m'avait directement mis sous traitement avant ma mise en hôpital psychiatrique. Cette sorcière m'y avait confiné.
Pour moi, je n'étais pas haptophobe. J'avais juste été profondément traumatisé par son toucher que depuis, mon corps se mettait à angoisser en se rappelant de cette nuit-là. Je n'avais pas peur des foules, ni de prendre le bus ou le métro, alors qu'un vrai haptophobe fuirait ce genre de regroupement. Et surtout, j'acceptai les contacts physiques avec ma mère et Taehyung. Concernant ce dernier, cette acceptation restait un mystère, mais j'étais rassuré d'avoir trouvé une autre personne avec qui je pouvais me sentir bien.
Cette phobie restait quand même flou dans ma tête. Je ne la comprenais pas vraiment.
À la fin de mon explication – exceptant mon patron, j'osai enfin levé les yeux vers Jimin, qui me fixait calmement, écoutant mes paroles avec grand interêt. Il inspira bruyamment.
— Comment ton patron a pu te toucher, savoir comment faire pour te calmer alors que tu dis ne pas supporter les contacts ?
Bien sûr, on devait forcément en arriver à sa personne. Il était décidément partout là où il n'était pas.
— Dès le début j'ai su que tu n'étais pas comme les autres, dit-il en m'empêchant de répondre. Constamment à craindre ce qu'il y a autour de toi, toujours sur le qui-vive, prendre quelque chose qu'on te tend avec angoisse. Cette phobie ne m'étonne pas.
Sa main passa dans ses cheveux d'or et il rajouta:
— Ce qui m'étonne le plus, c'est que tu as rejeté celui de ton collègue, et celui de Lisa, mais pas celui de ton patron. Pourquoi ?
— Je ne sais pas moi-même...
Il ne rétorqua rien, devinant que j'essayais de trouver les mots adéquats, pour tenter de lui faire comprendre ce qui ne pouvait être compréhensible.
— J'accepte celui de ma mère aussi, mais jusqu'il y a trois semaines avant que je découvre que je pouvais aussi accepter celui de mon patron, c'était le seul.
Je soufflai, baissant à nouveau les yeux sur ma canette encore pleine et fermée. Il n'y avait personne dans le hall, tout était silencieux et seules nos deux voix y résonnaient.
— Tu sais... Repris-je en chuchotant à moitié, il y a certaines choses dont je ne t'ai pas parlé concernant mes vacances...
— Mh ?
Je lui racontai alors tout depuis le début. Depuis mon gribouillage de discours, jusqu'à samedi lorsque Taehyung m'avait ramené chez moi.
Le soir où ce dernier s'était endormi sur moi devant Yumin, je lui avouai que c'était à ce moment là que j'avais découvert l'acceptation de son contact envers moi.
Je lui racontai aussi notre course poursuite dans la rue à minuit, que je me suis retrouvé coincé sous lui, et qu'on était resté comme ça pendant un certain temps et que je ne m'étais pas senti aussi bien depuis longtemps.
Puis que comme j'avais appris que mon grand-frère vivant en Australie était ami avec mes supérieurs, celui-ci les avait invités à passer le jour de l'an chez nous, dans notre maison de campagne.
À partir de là, je n'omis plus aucun détail. Je lui fis part de tout ce que je ressentais pour lui, de nos trois nuits passées ensembles, de son cauchemar, de mes deux crises dont celle où je m'étais retrouvé avec le bras momifié à cause de Jihyuk, du fait que je lui aie raconté la mort de mon père et de mon frère alors que je ne l'avais jamais fait, ainsi que les plus petits détails.
Qu'on se regardait sans arrêt, qu'il me manquait constamment, qu'il était venu me rejoindre au lac, que c'était lui qui s'était chargé de changer mon bandage, et qu'il m'avait plusieurs fois embrassé le visage et le cou. Moi aussi je l'avais fait, mais seulement une fois sur son front lorsqu'il cauchemardait.
Je ne remarquais même pas que lorsque je racontais tout ça, je sourirais comme un abrutis.
Plus je parlais, plus mon cœur faisait le tri entre les informations pour en conclure une chose. Une putain de chose qui n'était jamais arrivée.
Je me pris la tête entre les mains en soupirant, coudes appuyés contre mes cuisses.
— Je suis tombé amoureux de lui, Jimin, dis-je d'un rire grinçant en regardant le vide.
Quelle blague.
Comme si cela arrivait au bon moment.
Je me frottai frénétiquement les cheveux, pensant que cela pouvait changé quelque chose à ce sentiment nouveau et irritable. Mon cœur ne m'écoutait vraiment pas, il n'en faisait qu'à sa tête.
Je sentais des lames de honte couler sur mes joues que je séchai rapidement d'un coup de paume.
Jimin ne disait rien, toujours à m'écouter exorciser ces paroles pensantes.
— Je suis amoureux d'un homme, répétai-je en me laissant tomber sur le dossier du canapé. Et pourtant, je ne me sens pas gay ni attiré par d'autres hommes. Ni les femmes, tu me feras dire... En fait, je n'y ai jamais vraiment pensé.
Mon ami s'installa correctement sur les coussins, but une dernière gorgée de son soda avant de jeter la canette dans la poubelle à nos côtés.
— Je ne pense pas que tu sois amoureux uniquement de lui.
Je me tournai vers lui, une mine incompréhensive scotchée au visage. Son âme philosophique était de retour, et chaque chose qu'il disait lorsqu'il entrait dans cette peau, me clouait toujours au sol. Il regardait devant lui, à travers les fenêtres du hall qui donnaient sur la cour intérieure.
— Je pense plutôt que tu es aussi tombé amoureux de votre histoire.
Tombé amoureux de notre histoire ? Je ne comprenais absolument rien. S'il avait parlé en chinois, je crois que j'aurais mieux compris qu'en coréen. Taehyung et moi n'avions pas d'histoire, ce n'était encore qu'un bouquin vierge et dénué de sens.
— Je m'explique, fit-il en sentant mon désarroi. Toi et... Comment il s'appelle déjà ?
— Kim Taehyung.
— Toi et Taehyung avez une histoire, Jungkook, insista-t-il en me regardant du coin de l'œil. Que tu le veuilles ou non. Vous êtes pareil, vous avez été brisés par quelque chose qui se rattache lorsque vous êtes ensemble. Ca se voit dans votre regard, je l'ai vu Samedi. Vos yeux étaient complets, pas détruits.
— J'étais en pleine crise Jimin...
— Lui est aussi brisé que toi, tu dois le savoir ça, non ?
J'acquiesçai et craquai finalement le goulot de ma canette pour l'apporter à mes lèvres. Bien sûr que je savais que mon patron buvait constamment pour désinfecter ses blessures intérieures. Mais cela ne devait pas être suffisant, car l'alcool ne cachait pas tout, ne raccommodait rien, alors il lui fallait une autre échappatoire. Lorsque je posais mes yeux sur lui, je voyais un mur. Un second mur. J'avais réussi a brisé le premier lors de son cauchemar et je m'étais retrouvé devant une colombe blessée à une aile, piégée dans une spirale infernale mélangeant douleur et aliénation depuis des années. Une colombe si belle, mais qui se laissait mourir d'épuisement.
Depuis, cette vision ne me quittait pas. Je l'entendais encore me supplier de rester à ses côtés.
Je baissai la tête, faisant tourner ma boisson dans sa prison de fer.
— Il a besoin d'aide, avouai-je, mais ne veut pas le dire...
— Et toi, tu as besoin de quoi ?
— D'aide... Aussi...
Ma voix s'était cassée. Je me sentais tellement vide, tellement dénudé de mes secrets. Je n'aimais pas la facette que Jimin découvrait en ce moment, je voulais l'enterrer au plus profond de la Terre possible et qu'elle ne revienne jamais.
Je soupirai d'un souffle tremblant, maintenant mes émotions à l'intérieur de mon cœur qui menaçaient d'exploser.
— Quand tu es avec lui, tu te sens comment ?
— Je me sens revivre... Je me sens tellement bien, tu n'as pas idée... C'est comme si les morceaux se recollaient d'eux-mêmes, que rien ne s'était passé dans ma vie, que Mina, mon père et Jihyung étaient encore en vie et en bonne santé...
J'aurais parié qu'il avait froncé les sourcils à l'évocation d'un nom inconnu à son égard, celui de Mina. Mais il ne dit rien, et je me contentai de mordre mes lèvres entre elles et de me faire tout petit. Ce nom était sorti tout seul.
— C'est pareil pour lui, Jungkook.
— Comment tu peux le savoir ?
— Ca se voit, il posa l'une de ses chevilles sur le genou de son autre jambe, c'est flagrant, lorsque vous êtes ensemble, ses morceaux brisés se collent aux tiens pour former un nouvel ensemble. Un nouveau chapitre.
Je ne répondis rien. Je ne savais pas quoi répondre en réalité, cette conversation n'avait ni queue ni tête.
Et pourtant, mon cœur battait, il battait tellement vite que j'avais l'impression que Taehyung était là, tout près, en train de me regarder de son air habituel, son air perdu se masquant de suprématie. Je devais me rendre à l'évidence, j'étais comme Luca maintenant.
Une grimace barra mon visage, est-ce que j'agissais de façon aussi ringarde que lui ? Ce faux cul, là. Je lui ferais bien bouffer ses pieds.
Je soupirai une énième fois depuis le début de notre discussion, et d'une voix peu certaine, je demandai :
— Tu penses qu'un jour, on pourrait marcher ensemble ?
Mes yeux se tournèrent vers lui, comme si je voulais trouver refuge d'une possible réponse négative de sa part. Mais il n'y avait rien, il me fixait d'un regard compatissant, et un léger sourire étirait ses lèvres. Cela devait l'amuser de me voir nager dans l'inconnu, alors que lui, sachant son don pour tout deviner, il devait sûrement savoir la réponse à ma question. Peut-être même qu'au fond, il savait ce qu'il s'était passé à Tokyo, mais qu'il ne me le dirait jamais. Qu'il attendrait que je lui en parle pour confirmer ses hypothèses.
— Vous vous garantissez du mal, Jungkook, souffla-t-il, mais vous ne voulez pas vous avouer ce que vous représentez l'un pour l'autre.
Peut-être. Je ne savais pas. Je ne savais rien en fait. J'étais complètement perdu dans ce désert sans fin ni eau. Il y avait des questions, mais jamais de réponses.
Soudain, il remit les deux pieds à terre et se tourna complètement vers moi. Ses deux mains se tendirent devant lui, et se rétractèrent légèrement comme s'il avait un objet dans chaque paume.
— Jungkook, reprit-il. Imagine que je veuille t'offrir un cadeau et tu as le choix entre une rose et un rhipsalidopsis. Qu'est-ce que tu choisis ?
— Un quoi ?
— C'est une sorte de cactus.
Je lui jetai un œil méfiant. Je sentais la crasse venir, sauf que je ne savais pas où elle était. Mes yeux jonglèrent quelques secondes entre ses mains avant que je ne réponde:
— La rose.
— Tu es imprudent.
Je fronçai les sourcils tandis qu'un sourire qui ne me disait rien de bon orna son visage.
— L'Homme veut toujours avoir la vie la plus facile qui soit, fit-il alors. Il choisit instinctivement la rose, la plus belle fleur qui représenterait ici le bien, et le bonheur. Sauf que, ce que l'Homme ne sait pas, c'est que la rose meurt très tôt. Le pur bonheur est éphémère, Jungkook. Il ne dure d'un temps défini.
Il regarda sa main dans laquelle se trouvait une rose imaginaire, serra le poing d'un coup et fit mine de divulguer ses cendres sur le canapé. Je déglutis, ne savant pas trop quoi penser.
— Alors que le cactus, poursuit-il en louchant sur son autre main, lui est indépendant du temps et du climat, il est toujours le même, et représente le mal, et la douleur. Ses piques te blesseront plus ou moins profondément, sa carrure te fera peur à en avoir l'envie de tout plaquer, et tu souffriras. Mais un jour Jungkook, sais-tu ce que ce cactus te donnera ?
Je secouai la tête de gauche à droite, fixant mon regard incertain dans le sien, neutre, et d'un sérieux qui me donnerait la frousse.
— Il te donnera la plus belle fleur que tu n'aies jamais vue.
Un frisson me parcourut. J'entrouvris la bouche sans m'en rendre compte, et continuai de regarder le cactus imaginaire au creux de sa main.
— Le mal finit toujours par se dissiper pour laisser place à un bonheur encore plus pur que celui de la rose, continua-t-il d'un léger sourire. Cette fleur t'accompagneras un certain temps, et en fonction de comment tu en prendras soin, elle restera à tes côtés plus ou moins longtemps.
— Mais... L'interrompis-je doucement, elle ne meurt pas ?
— Bien sûr que si, j'eus une mine triste, elle mourra, et le mal reprendra sa place jusqu'à ce qu'une seconde fleur naisse.
Il mima une éclosion, et d'un large sourire angélique, il me fixa avant de lâcher un rire. Sûrement que mon expression ébahie en était la cause.
— Mais Jungkook, reprit-il encore une fois, la naissance d'une nouvelle fleur dépendra de comment tu t'occupes de ton cactus. Il ne faut pas que tu rejettes le mal qu'il te fera, car ce mal fait parti de ta vie. Si tu le chasses constamment, tu ne trouveras jamais la paix intérieure, et la nouvelle fleur ne naîtra jamais.
J'acquiesçai machinalement.
Même si c'était plus facile à dire qu'à faire, je savais, au fond, que Jimin avait raison. Ma mère aussi m'avait dit qu'il allait falloir que je vive avec ce démon, qu'il faisait maintenant parti de moi, car sinon, je ne connaîtrais que la noirceur de la vie, au détriment du bonheur qui me passerait sous le nez.
— Taehyung et toi n'êtes qu'au début d'une longue histoire, le bourgeon du cactus n'a pas encore éclos.
Je me mordis la lèvre, et baissai la tête à mes cuisses.
— Il le fera, un jour ?
— Seulement si tu en prends soins, c'est donnant-donnant.
Évidemment, ça ne pouvait pas être si facile.
Il souffla longuement, laissant ses yeux glisser sur les murs et les baies vitrées du hall. Dehors, il neigeait encore, et la ville devenait de plus en plus blanche au fur et à mesure des jours. Puis juste avant que sonnerie n'annonce le prochain cours, il ajouta:
— L'amour est une fleur Jungkook, si tu ne l'arroses pas, elle mourra.
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