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Je nouai ma cravate pour la dixième fois depuis vingt minutes jusqu'à ce qu'enfin elle se décide de ne pas être moche. Elle commençait à vraiment me gonfler. J'arrangeai ensuite mes cheveux, qui d'ailleurs prenaient une longueur dont je n'avais pas l'habitude, en leur mettant un peu de gèle, puis maquillai légèrement mes yeux. Un peu de crayon et c'était nickel. Je ne m'habillais pas souvent comme ça, mais là, c'était pour une occasion spéciale.
Le café dans lequel j'avais postulé m'avait contacté dans la semaine pour un entretien en ce samedi matin. J'avais bien reconnu la voix, c'était celle du serveur qui avait pris mes coordonnées, une voix toujours amusée et souriante.
Droit comme un pique devant le miroir de ma salle de bain, mes yeux dérivèrent sur le costume que je portais. C'était celui de mon père à son mariage avec ma mère, j'étais fier de le porter pour une occasion qui aiderait ma vie de tous les jours. Je joignis mes mains, paumes l'une contre l'autre, fermai les yeux et pensai à lui, le remerciant pour tout ce qu'il faisait encore pour moi. Il me manquait.
Papa, j'espère que tu es fier de ce que je suis devenu.
Regarde-moi grandir et effacer mes erreurs du passé.
Toi aussi, Jihyung.
☯︎
Je fermai mon logement, un cartable en cuir dans une main où j'avais soigneusement mis mes papiers. Une boule se forma dans le creux de mon ventre, et je détestais cette sensation. Pourquoi stresser pour un petit entretien comme celui-là ? Ce n'était pas comme si c'était pour entrer dans une grande boîte de production cinématographique. Je soufflai, et partis pour le café.
La température n'était pas très haute à l'extérieur, même si le soleil brillait de mille feux dans un grand ciel blanc. Je n'avais pas pris de veste car je n'avais qu'une centaine de mètres à faire, cela n'allait pas me tuer. Dans les hauteurs, des nuages noirs d'oiseaux hurlaient et volaient dans tous les sens, préparant leur voyage pour les pays chauds. La nature me fascinait. Pensant que ça pouvait faire un bon plan, je sortis ma petite caméra de mon cartable, une que je prenais toujours sur moi, et filmai calmement l'organisation de ces oiseaux tout en marchant. Ce que j'aimais avec cet appareil, c'est que les mouvements ne se percevaient pas s'ils n'étaient pas accentués. J'arrêtai lorsque la vague noire disparue derrière les immeubles, et rangeai ma caméra à sa place initiale.
Mais quand je relevai mes yeux pour me concentrer sur mon chemin, je remarquai que l'enseigne du café de ne trouvait plus dans la rue.
Bah merde alors, je me suis trompé de route ?
Naturellement, je fis demi-tour et là, je vis, à quelques mètres, l'entrée du café. Je soupirai, j'étais tellement dans ma prise de rush que j'en avais loupé ma destination. Je me raclai la gorge, arrangeai une dernière fois mon haut et entrai pour la seconde fois. Il y avait pas mal de monde installés aux tables, et j'attirai certains regards plus ou moins appuyé. Arrêtez de me regarder bon sang, je ne suis pas votre chocolat chaud.
— Bonjour ! Me salua une serveuse en arrivant, ce sera pour combien de personne ?
— Hm, aucune, c'est pour un entretien.
— Oh pardon ! Je vous invite alors à aller patienter au bar, on va s'occuper de vous.
Je la remerciai en une légère courbette et me rendis comme indiqué, au zinc où quelques personnes étaient installées. En attendant qu'on me prenne en charge, je me tournai vers le piano, juste en face. Placé devant un écran rouge, je ne voyais qu'une ombre bouger derrière, ainsi que des tas de feuilles sur le sol miroir noir. Le pianiste devait sûrement chercher ses partitions. On me tapota l'épaule, me sortant de mon observation. Ils n'utilisaient pas la langue dans cette ville ?!
Je me retournai presque calmement, et plantai mes yeux dans ceux de l'homme qui avait pris mes coordonnées quelques temps plus tôt. Je me demandai vraiment quel âge il avait.
Bon Dieu j'avais l'épaule qui me démangeait à cause de ce contact, encore une fois. Je ne me sentais pas très bien.
— Jeon Jungkook ?
— Oui. Il sourit.
— Suivez-moi, on ne va quand même pas faire notre entretien dans ce boucan.
Cette personne avait vraiment l'air de respirer la joie de vivre, cela ne faisait que deux fois que je la voyais, mais il avait toujours le sourire et riait au moindre dire. Il était un peu le genre de personne que dès que l'on voit, tous nos soucis disparaissaient et laissaient place à la bonne humeur. Ces gens là étaient des pépites.
Je le suivis donc, passant par la porte interdite à la clientèle au fond de la pièce. Je n'étais jamais allé dans les « coulisses » d'un café, et dans celui-ci, elles se résumaient à un grand couloir blanc pourvu d'une dizaine de porte de chaque côté. Les murs étaient décorés de quelques tableaux, sans trop que ça ne surcharge. Avant d'entrer dans une pièce ouverte par mon embaucheur, je vis un escalier en colimaçon au fond du couloir. Cet endroit avait l'air vraiment grand, d'extérieur, je ne l'aurais jamais pensé.
Entré dans la pièce, l'homme dont je ne savais toujours pas le nom m'invita à m'assoir devant un bureau, ce que je fis avec politesse. Mon cartable se retrouva à mes pieds et j'observai l'ambiance de la pièce en attendant que la discussion débute. Une grande fenêtre donnait vue sur un jardin et apportait beaucoup de lumière, une large commode se tenait derrière le bureau où étaient déposés des photos, une horloge à pied, ainsi que d'autres bibelots. Un gros appareil photo aussi. Au fond de la pièce, il y avait un espèce de petit salon avec quatre canapés gris installés autour d'une table basse.
Il s'assit à son tour sur l'un des deux fauteuils en face de moi avec une dizaine de feuilles qu'il avait dû prendre dans un meuble derrière, prit un stylo qu'il fit claquer deux trois fois, et écrivit mon nom en haut de la page.
— Vous avez fait un bon plan ? Me demanda-t-il sans ôter les yeux de ses écrits.
— Je vous demande pardon ? Rétorquai-je ahuri, croyant avoir mal compris la question.
Il me regarda d'un drôle d'air jusqu'à exploser à moitié de rire, le faisant tomber au fond de son fauteuil.
— Je crois que nous n'avons pas été sur la même longueur d'onde, fit-il après s'être légèrement calmé.
— De même.
La boule de stress s'estompait de plus en plus, cette différence d'esprit m'avait amusé. Mais je ne voyais toujours pas ce qu'il voulait dire dans sa question.
— J'étais en train de servir un couple vers l'entrée lorsque je vous ai vu passer devant le café, vous aviez la tête en l'air avec une petite caméra, s'amusa-t-il.
Oh, la honte.
Très belle première impression, je ne te félicite pas Jungkook.
— Vous êtes étudiant de quoi ?
— De cinéma, à l'école Yeonghwa.
Je tentai d'être le plus naturel possible même si j'avais très envie de prendre la porte. Il fut étonné.
— Vraiment ? C'est très dur d'entrer dans cette école. Je souris. Vous devez avoir un sacré potentiel en matière d'art.
— Je ne m'en cache pas, c'est vrai.
— C'est bien. Si on ne s'envoie pas des fleurs, personne ne le fera pour nous.
Il nota quelques phrases sur sa feuille avec un air satisfait. Un téléphone à ses côtés, que je n'avais pas vu, s'alluma, attirant son regard qui naturellement, se posa sur la notification de message qu'il venait de recevoir. Il l'effaça d'une balayette sur l'écran.
— Le patron arrive.
— D'accord.
— N'ayez pas peur, il ne fera que regarder et posera peut-être quelques questions.
J'acquiesçai. Pourquoi voir peur ? Parce que c'était le chef et que mon admission ici allait reposer en parti sur lui ? Peut-être. J'allais bien voir la bête.
Pendant les quelques minutes qui suivirent, il me posa les questions basiques d'un entretien. Quelles étaient mes motivations, pourquoi ce café et pas un autre, ma situation familiale, si j'avais déjà travaillé dans la vie active, jusqu'à ce que la porte par laquelle j'étais entré s'ouvre, nous interrompant. Je n'avais même pas entendu frapper.
Je devinai que ce nouveau venu était le patron. Mais ce qui m'avait étonné, c'était qu'il avait l'air très jeune pour en être un. Enfin, je dirais qu'il avait quelques années en plus que moi mais, je ne m'attendais pas à devoir travailler pour une personne aussi jeune. Je pensais que cela allait être un vieillard, proche de la retraite ou alors âgé minimum de cinquante ans.
Ses cheveux ondulés étaient d'un noir pire que ténébreux, sa peau nacrée où chaque femme voudrait déposer ses lèvres surplombait son cou et ses yeux reflétaient le pire des hivers. Un frisson parcourut mon échine, il n'avait pas l'air bien sympathique. Il était assez grand, peut-être le même mètre quatre-vingts que moi, vêtu d'une chemine bleue et d'un pantalon noir. Mais ce qui m'irritait le plus, c'était l'affreuse odeur d'alcool qui venait de se faire maître dans la pièce, un alcool fort, dur.
Plus je le regardai, plus il me disait quelque chose, comme une impression de déjà-vu.
Celui avec qui je parlais, dont je ne savais toujours pas le nom, râla dans sa barbe inexistante, sortit une bouteille de parfum d'un des tiroirs du bureau et en aspergea le patron lorsqu'il fut installé dans le second fauteuil. Une grimace de dégout déformait son visage et pendant qu'il chassait l'air pour diluer le parfum un peu partout, l'homme lui jetait un regard tueur de ses yeux imbibés de sang. Finissant de balayer des mouches invisibles, il rejeta le même à celui-ci, qui ne le quitta pas des yeux avant que mon employeur ne se concentre de nouveau sur ma petite personne. Il y avait une lourde tension à présent. Il ne m'avait pas dit bonjour, et moi non plus.
Moi non plus ?
Je me rattrapai honteusement en lui faisant un signe de la tête, qu'il ne me rendit pas, se contentant de m'observer. L'un de ses coudes était appuyé contre l'accoudoir, et son indexe caressait doucement ses lèvres charnues.
Le serveur lui fit lire la feuille où il avait noté mes réponses aux questions. En moins d'une minute, le papier était revenu à sa place initiale.
— Tu as ton CV ? Me demanda le patron.
Sa voix sombre me fit vibrer. Je ne m'étais même pas penché sur le tutoiement dont il avait opté pour s'adresser à moi, sa voix était très calme et dure à la fois. J'avais l'impression d'avoir à faire au diable en personne afin de savoir si je devais aller en enfer ou au paradis. Ce n'étaient pas les limbes.
Sortit de mon cartable, je lui tendis de mes deux mains sa demande. Il la prit, puis se mit à lire du fond de son fauteuil.
— Bref, reprit l'autre, je vous présente Kim Taehyung, le patron de ce café et, espérons, votre futur supérieur. Moi, je suis Kim Seokjin, serveur principal, designer, sous-chef, et employeur d'ici.
J'acquiesçai. Je connaissais enfin son identité, ou plutôt leurs identités.
Puis pendant une dizaine de minutes, le dénommé Seokjin continua l'entretien pendant que le chef continuait d'analyser mon CV. Ses yeux allaient quelques fois rencontrer les miens, avant de retourner sur ce papier qui avait l'air très intéressant à son égard.
Midi pile, l'horloge sur le meuble sonna.
— Jeon Jihyuk ?
Je regardai, surpris que ce nom sorte d'une bouche inconnue, le patron qui n'avait plus sorti un mot pendant une trentaine de minutes.
— Non, lui c'est Jeon Jungkook, rectifia Seokjin.
Taehyung leva les yeux au ciel et ignora la remarque de son collègue.
— As-tu un frère s'appelant Jeon Jihyuk ? Recommença-t-il en me fixant.
— Oui... répondis-je encore sous le choc. Comment le savez-vous ? Je n'ai pourtant pas mis cette information.
Fin de l'échange, il ne me répondit pas en se contentant de secouer légèrement la tête de haut en bas. Comment pouvait-il connaître mon frère alors qu'il avait quitté le pays depuis plusieurs années ? Je ne savais même pas si j'avais encore son numéro de téléphone, nous étions comme des étrangers lui et moi. Le soleil et la lune, la chaleur et le froid, l'ange et le démon. Je le considérais seulement comme mon frère car nous venions des deux mêmes êtres, sinon, il n'y avait rien d'autre.
☯︎
L'entretien venait de se terminer après une heure et demie de paroles et d'échanges. Avant que je parte, Seokjin m'avait dit qu'il allait de nouveau m'appeler dans la semaine prochaine pour savoir si j'étais engagé ou non. L'homme qui se disait être patron ne m'avait pas dit au revoir, sûrement beaucoup trop occupé à me fixer sans réel but jusqu'à ce que je disparaisse de la pièce.
Enfin à l'extérieur, j'inspirai un maximum d'oxygène dans mes poumons avant de tout relâcher d'un coup. Voilà quelque chose de fait, il ne me restait plus qu'à attendre le verdict. Je lâchai un pouffement, j'avais l'impression d'être un lycéen qui venait de terminer ses examens. La sensation était exactement la même.
La rue était beaucoup plus active que quand je venais d'arrivé, étant un samedi, beaucoup de jeunes ou de couples sortaient pour trainer les rues ou les magasins. Le ciel s'était un peu éclaircit, mais la température n'avait pas eu l'air d'augmenter. C'est donc sous un rayon de soleil que je rentrais chez moi, passant devant une ruelle voisine au café où était garée une grosse voiture noire dans la pénombre.
Et je n'avais pas vu le crâne jaune fluo accroché au rétroviseur intérieur, qui semblait observer le monde.
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