00:01:40
— So far from who I was...
En posant ma pierre sur mon tas de feuilles, je levai la tête vers mon frère, accroupit à quelques mètres de moi. Il tentait de faire tenir des bâtons les uns sur les autres tout en chantonnant une chanson que j'entendais souvent.
— From who I love...
Le soleil tapait dans notre dos qui pelait déjà à certains endroits, il n'y avait que très peu de nuages dans le ciel, et les vagues étouffaient les rires des touristes sur la plage. D'un coup d'œil, je regardai la rive et trouvai mes parents assez rapidement malgré les dizaines de mètres qui nous séparaient. Papa était en train de jouer aux raquettes avec Jihyuk sur le sable, tandis que Maman semblait papoter avec des personnes à côtés de nos serviettes. Quelle heure était-il ? Cela faisait pas mal de temps que nous étions sur notre petite île, à chercher de quoi faire des cheveux ou une bouche pour nos œuvres en herbes.
— From who I want to be...
Papa venait de manquer la balle malgré sa taille, Jihyuk en riait à cœur ouvert. Pas mal de monde venait visiter le petit bout de terre sur lequel nous nous étions installés, quelques personnes avaient jeter un coup d'œil à ce que nous faisions. Je craignais qu'ils écrasent notre occupation. Ils parlaient la plupart du temps dans une langue que nous ne comprenions pas, et c'était assez compliqué de deviner avec le ton s'ils se moquaient ou complimentaient. Jihyung pensait qu'ils en disaient du mal, car le landart avait pratiquement disparu de notre société, préférant la technologie. La nature était passé en second plan désormais.
Comme à chaque fois qu'il expliquait quelque chose, je ne savais pas si je comprenais tout correctement, juste l'idée. Maman disait que mon frère devait avoir un potentiel intellectuel supérieur, c'était pour ça qu'il allait passer un test de QI à notre retour en Corée du Sud. Elle n'était pas la seule à dire ça, sa maitresse à l'école le disait aussi.
— So far from all our dreams... Kookie qu'est-ce que tu penses de ce que j'ai fait ?
Sortant de mes pensées, je tournai la tête vers mon frère et me levai sans plus attendre pour le rejoindre. Je fus alors incroyablement surpris et émerveillé par la beauté de son travail. Avec de multiples fleurs, herbes, cailloux de différentes couleurs, il avait créé une spirale qui me laissait bouche bée. Comment avait-il pu faire ça en si peu de temps ? Je me sentais honteux avec mon dessin de bonhomme qui entrait dans une maison.
— C'est super beau, lui avouai-je avec un grand sourire.
Il se leva à son tour pour observer son œuvre de plus haut. Plongé dans ses réflexions, je reculai discrètement et retournai à ma place pour regarder ce que j'avais fait. Après quelques secondes, je mis un coup de pied dedans. Tout fut détruit et mes poings se serrèrent. Ce n'était pas beau.
— Pourquoi tu as fait ça ?
D'un léger sursaut, je me retournai vivement vers mon frère, qui me fixait d'une mine incompréhensive. Une vague de honte me prit l'estomac et je baissai la tête, la voix coupée. Ce dernier s'accroupit devant les restes de mon landart et bricola je savais quoi. Je n'avais pas envie de regarder. Mon cœur battait à une telle allure à cause de la honte que je ne pus m'empêcher de m'éloigner de quelques mètres. Je n'aimais pas paraitre faible, jaloux, quoique ce soit devant lui. Si lui était parfait, est-ce que j'avais le droit de l'être aussi ? C'était démesuré.
Subitement, un vent brutal nous frappa et la spirale multicolore de Jihyung s'envola dans les airs, montant aux nuages noirs au-dessus de nos têtes. Le temps venait de s'assombrir à une vitesse folle, et d'énormes bourrasses tentaient de nous pousser hors de la petite île. Au loin, le prénom de mon frère et le mien résonnèrent à travers le vent et le vacarme des vagues se fracassant contre le rivage. Papa nous appelait en se dirigeant dans notre direction, défiant à lui seul et ses capacités de nageur, les vagues de plus en plus puissantes.
Paniqué, je cherchai mon frère du regard et le vis debout, face à la mer déchainée, silencieux. Le vent s'engouffrait dans ses cheveux, une atmosphère dramatique m'oppressait de plus en plus et un mauvais présentiment tordit mon vendre. Lentement, il se tourna vers moi, me tendit sa main, un sourire déchirant son visage triste. Il me disait adieu.
☯︎
— Je ne comprends pas pourquoi tu ne le lui dis pas.
Sirotant mon milkshake, je levai les yeux vers Elisio, qui me fixait, intrigué par mes choix. Sa tarte à la fraise n'avait pas été touchée, la cuillère en bois encore posée sur le côté. Après quelques secondes de silence, je jetai un œil autour de nous pour voir si celui dont il parlait n'était pas entré dans la cafétaria de Mid Studio.
— Je ne sais pas, finis-je par répondre en évitant son regard. Je pense qu'il est assez perturbé comme ça, je n'ai pas envie d'en rajouter plus.
Mon ami huma et ne dit rien d'autre. Je n'étais pas sûr qu'il sache que Jimin avait déjà été atteint d'un cancer, et que lui parler de celui que j'avais malencontreusement choppé allait sûrement le démoraliser encore plus. En fait, il se pouvait déjà qu'il soit au courant rien que par déduction, par lecture, comme il le faisait à chaque fois que quelque chose n'allait pas avec moi. C'était peut-être une raison du pourquoi il ne cherchait pas à savoir non plus, je n'en avais strictement aucune idée. D'un certain côté, cela me pesait sur le cœur aussi de ne pas le lui dire, parce qu'étant passé par ce même sentiment que je vivais depuis quelques jours, il devait peut-être avoir quelques conseils à me partager. Encore une fois, je ne voulais pas lui mettre un poids en plus sur les épaules. L'absence de Haneul, sa maladie, et mon hébergement devait lui suffire. Il n'était pas la peine d'en rajouter plus que ça.
— Et Zhu ? Tu l'as revue ?
Le ton d'Elisio s'était obscurcit. Rien que d'entendre le prénom de cette psychopathe me hérissait le poil. Je ne voulais pas en entendre parler. Cela faisait près d'un mois que je n'avais eu de nouvelles d'elle, ni de mon appartement dans lequel elle devait sûrement faire comme chez elle. Malheureusement, il allait falloir que je prenne mon courage à deux mains et que je la mette dehors. Je ne pouvais pas la laisser trop longtemps à croire que je ne reviendrais jamais, et qu'elle pouvait se permettre de considérer mon logement comme le sien. Cela faisait deux semaines qu'elle avait arrêté de m'envoyer des dizaines de messages tous les jours, cela était un vrai soulagement mais aussi une source d'inquiétude. Je ne savais pas ce qu'elle faisait chez moi, si elle fouillait dans mes affaires en recherche d'argents, si elle avait trouvé mon petit coffre derrière mes livres, et que c'était la raison de son silence.
Malheureusement, j'étais effrayé à l'idée de la voir à nouveau, et rien que de m'imaginer la blessure que je lui avais faite me mettait dans un état de stress. Cette sensation d'avoir apprécié lui faire du mal, que ce soit par pure défense, ne me quittait pas un seul instant. Mes doigts s'en rappelaient, en tremblaient encore.
— Combien de fois je t'avais répété qu'il fallait que tu la dégages de chez toi, hein ?
Je gonflai les joues et fuis son regard qui cherchait le mien, pour me faire comprendre que j'avais mal agit. Ce n'était pas ma faute. Ma perte de confiance et tout ce qu'elle m'a fait traverser me hantaient continuellement, faisant d'elle la gagnante dans l'histoire. Je le savais très bien que j'avais mal fait les choses, que j'aurais dû tourner la page et aller de l'avant. Seulement, je m'en sentais incapable seul.
— Ok donc au programme, Elisio se mit à compter sur ses doigts, mettre cette connasse aux portes, aller voir Minkyung, et retourner à l'hôpital.
Je fronçai les sourcils.
— Pourquoi aller voir Minkyung ?
Mon ami ricana nerveusement et bascula sur le dossier de sa chaise.
— Parce que si tu crois qu'il va revenir vers toi tout seul, tu te trompes lourdement. Il ne reviendra pas tant que tu ne feras pas un pas vers lui. Tu l'as bien compris quand il a dit à Jimin que l'on ne pouvait pas sauver une personne qui ne voulait pas être sauvée, en parlant de toi.
Au creux de ma poitrine, mon cœur se serra. Il avait raison. Ce soir-là, quand j'étais arrivé en piteux état chez Jimin, il n'avait pas montré un seul brin de compassion. Je me souvenais de ses yeux posés sur moi, dans les bras de mon ami, à peine sorti de la baignoire. Un regard neutre, qui me crachait à la figure comme quoi j'avais bien cherché la merde qu'il m'arrivait.
— Donc le mieux à faire désormais, c'est que tu reprennes ta vie en main, Jungkook.
J'eus une grimace, je n'appréciais pas du tout lorsque l'on m'appelait par mon prénom. Cependant, il s'arrêta dans son élan et jeta un œil par-delà la fenêtre, avant de reprendre.
— Tu as récupéré Jimin, tu as revu Taehyung, ta maladie est curable, tu es à présent devant deux chemins ; l'un est de continuer à vivre comme tu le fais maintenant et de laisser ta peine te ronger petit à petit. L'autre est de prendre tes couilles, te débarrasser de Zhu, te réconcilier avec Minkyung, et prendre soin de ta santé. Pour l'instant, laisse Taehyung de côté. On ne sait pas ce qu'il pense, il pourrait très bien te détruire une nouvelle fois, ou bien te reconstruire trop tôt.
Subitement, une vague de colère me prit et je tapai du poing sur la table, le faisant sursauter.
— Je suis persuadé que Taehyung avait une bonne raison de faire ça.
Prononcer son prénom me provoqua de légères fourmis aux lèvres. Cependant, je ne pus savourer leurs sensations quand je vis le regard d'Elisio se métamorphoser par suite de ma déclaration. Qu'est-ce qu'il se passait ? Pourquoi me regardait-il de cette manière ?
— Est-ce que tu as déjà pensé à l'éventualité qu'une personne pourrait être à l'origine de tout ça, et non pas seulement lui ?
Son ton et ses manières me donnaient l'impression qu'il était en plein jugement sur ma personne. Cela me rappelait quelqu'un, mais qui ? Où est-ce que j'avais vu ce même regard méprisant ? Ses iris émeraudes ne scintillaient plus comme avant, elles étaient au contraire vides et dénuées de toute compassion. Comme elle, comme lui ?
— Jeon Jungkook ?
Brutalement, j'eus un sursaut et je me tournai vers la personne debout à notre table, qui semblait attendre quelque chose de ma part. C'était un collègue du réalisateur d'un de mes scénarios. La tête bourdonnante, je jetai un œil à Elisio, qui dégustait tranquillement sa tarte à la fraise, le visage tourné vers la fenêtre. Qu'est-ce qu'il se passait ? Un sentiment de vertige me prit et je dus me rattraper en posant violemment les mains sur la table. Pourquoi si soudainement tout semblait se fissurer à nouveau ? Non, ce n'était que des illusions, mon esprit devait encore s'amuser à me jouer un sale coup post-traumatique. Je soufflai donc longuement, les yeux fermés, et m'intéressait à celui qui était venu nous déranger dans notre conversation. Mes jambes tremblaient sous la table.
— Je suis envoyé par Monsieur Kang, le réalisateur de Sooty. C'était pour vous dire que le tournage venait de débuter, et que si vous désirez aller sur les lieux, vous aviez le droit.
Pris au dépourvu, je papillonnai des paupières quelques instants, le temps que l'information monte jusqu'en haut. Pourquoi me parlait-on soudainement de quelque chose que j'avais complètement oublié ?
— Hm— D'accord...
J'esquissai un sourire forcé, ce qui sembla convenir à cette personne que je n'avais jamais croisée ici. Ce dernier opéra donc un demi-tour, et disparut à la sortie de la cafétaria. Depuis combien de temps étais-je ici ? Je fus pris d'un bâillement soudain, et en rouvrant les yeux, je vis Elisio, calme, regarder par la fenêtre.
— Il va pleuvoir.
A mon tour, je jetai un œil par-delà la baie-vitrée. De gros nuages noirs menaçaient l'horizon. Annonçait-il déjà des orages pour ce début de printemps ? J'allais sûrement rentrer sous la pluie, je n'avais rien pour me couvrir.
— Kook.
Subitement, mon sang ne fit qu'un tour dans mes veines, ma respiration se coupa et je me mis à fixer Elisio, toujours aussi calme, tartouillait du bout de sa cuillère son dessert.
— Réfléchis à la possibilité d'une tierce personne.
Pourquoi utilisait-il ce surnom ? Cela faisait tellement longtemps que je ne l'avais pas entendu, surtout avec ce ton employé. Celui où tu veux attirer l'attention d'une personne, dans la douceur. Taehyung faisait pareil autrefois, lorsqu'il voulait me demander ou me proposer quelque chose. Oui, c'était lui qui avait en quelque sorte inventé ce surnom auquel je m'étais attaché. Seulement, l'entendre d'une autre bouche me procurait un sentiment d'inconfort.
— Je préfèrerais que tu quittes Mid Studio pour le moment.
Je sortis brutalement de mes pensées à la suite de cette annonce et papillonnai des yeux, incompréhensif à ce qu'il venait de dire.
— Règle tes soucis, reprends-toi en main, et ensuite, reviens ici pour te remettre à travailler correctement. Parce ton manque de détermination se fait très ressentir, et ça peut te porter défaut.
Lentement, Elisio se leva de sa chaise. Son dessert n'était pas terminé. D'une main, il prit sa veste et l'enfila, sans un mot. Son regard d'émeraude fixait le vide pendant quelques instants, avant de monter vers moi, toujours assis à notre table. Anxieux, je déglutis difficilement en appréhendant ce qu'il pouvait dire de plus. Était-il en train de me forcer à quitter temporairement sa compagnie pour que je retrouve celle que j'avais perdue ? Je ne le voyais plus que très peu en ce moment, n'avait-il plus envie de m'avoir à ses côtés ? Ou était-ce seulement pour que je pense à ma santé ? C'était étrange. Les mots qui sortaient d'entre ses lèvres me paraissaient irréels, comme si je ne les comprenais pas et qu'il fallait que je me répète plusieurs fois la même chose pour que ce soit le cas. Un sourire se dessina sur ses lèvres et ses yeux formèrent de légers croissants.
— A bientôt Jungkook, prends soin de toi.
☯︎
Dix-sept heures cinquante-six.
Le vent se faufilait entre les buildings, leurs sommets disparaissaient dans les nuages noirs qui planaient sur la ville. Le visage en l'air, les passants se demandaient s'il ne valait pas mieux accélérer le pas, ou prendre les transports en communs. D'autres cherchaient sans doute leur parapluie au fond de leur sac, avant de se rappeler qu'il était resté à leur domicile. La ville devenait sombre, les éclairages publics s'allumaient petit à petit, remplissant les paysages d'étoiles multicolores. Des étoiles troublées, floues, qui tremblaient au fur et à mesure que mes yeux se remplissaient de larmes.
Les bras ballants le long du corps, mon manteau sur les épaules, la tête baissée, je marchais. Si lentement que je ne voyais pas passer les escargots. Je ne savais pas quelle était ma destination. Mon appartement ? Chez Jimin ? Dans les deux cas, j'étais sur la bonne route. Est-ce que j'avais le courage d'aller confronter Zhu ? Non. Est-ce que j'avais le courage de me pointer une nouvelle fois chez mon ami, et devoir lui imposer ma présence une nuit de plus ? Je n'en avais pas envie. Tout ce que je voulais à cet instant, était de me fondre dans les bras de quelqu'un. De coller mon oreille contre son cœur, l'entendre battre, écouter la vie, la ressentir, et en prendre soin. Décompresser, se reposer. Passer des heures en compagnie d'une personne chère. Maman était trop loin. A Séoul, je n'avais plus personne.
A cette pensée, j'eus un rire nerveux. J'avais toujours été seul quand je pensais être accompagné. Cela était triste à dire, cela me brisait le cœur, mais c'était la vérité. On ne voulait plus de moi à Mid Studio, je n'avais quasiment nulle part où aller, personne à qui m'adresser. Je ne voulais pas plus embêter Jimin, j'en avais marre d'avoir l'impression d'être un poids pour lui. Mon cœur était vide. Complètement vide. Comme si je venais de perdre quelque chose, la même sensation lorsque j'avais perdu Taehyung.
Une goutte tomba dans mes cheveux, puis une autre sur mon épaule. En seulement quelques secondes, les passants déployaient déjà leurs parapluies et hâtaient le pas. Certains à contresens me dévisageaient, se demandant pourquoi je ne faisais pas comme eux. Cela était simple, je n'avais ni parapluie, ni capuche, ni force pour accélérer le pas. Ce n'était pas la première fois que j'allais me retrouver trempé jusqu'à la moelle, peut-être était-ce devenu une habitude.
Plus les secondes passaient, plus les lumières de la ville et de son activité se reflétaient sur le sol, créant un autre espace. Une impression que si l'on marchait encore quelques mètres, un autre monde pourrait s'ouvrir à cause de ce miroir naturel. Mon corps entier me fit subitement atrocement mal, et en regardant mes mains, je vis du rouge. Enormément de rouge qui se faisait rapidement dilué par la pluie. Où est-ce que je saignais ? J'avais autre chose à faire. Combien de temps fallait-il que je marche avant d'arriver ? Je n'arrivais pas à me repérer. Tout ce que je savais, était que j'étais du bon côté du fleuve et que Coquelicot n'était pas si loin de celui-ci, en plein centre de Séoul. La voiture venait de tomber.
Chaque pas était une réelle souffrance, une impression que l'on s'amusait à couper mes nerfs dans chaque membre. Arrivé sous un lampadaire, je crachai l'excès d'eau et de sang qui se coinçait dans ma bouche et regardai l'état de mes jambes. Quelques bouts de verres avaient transpercé mon pantalon et étaient encore coincés dans ma chair. Me rendre compte de ces blessures aggrava malheureusement la douleur et je dus me mordre les lèvres pour ne pas hurler. Mes larmes avaient recommencé à couler et se mélangeaient à la pluie. Qu'est-ce qu'il se passait ? Pourquoi est-ce que mon corps se brisait au fur et à mesure de mes pas ?
Mon manteau, trempé, pesait une tonne sur mes épaules. Une perte d'équilibre me prit subitement et j'eus à peine le temps de me rattraper contre un banc qu'une vive douleur me transperça l'être. Mes genoux venaient de frapper le sol, les bouts de verres tranchaient ma peau, s'enfonçaient jusqu'aux os pour ensuite devenir les plus vilaines cicatrices que je n'avais jamais eues. La voiture devait être au fond du fleuve. Est-ce qu'elle y était toujours ? Mes poumons se remplissaient de sable au fur et à mesure que j'essayais de trouver de l'air. Aucun. Ma vue se brouillait à cause de la pluie, des larmes, de la douleur, de la fatigue.
A moitié couché sur un banc, la tête sur un bras, le vide était tout ce que je ressentais. Ce profond vide, cette affreuse souffrance qui te tordait le cœur, les tripes, te faisait revivre des souvenirs. Celui qui arrivait lorsque tu perdais quelqu'un. Au fond de moi, je savais très bien que je sortais de Mid Studio et non pas du fleuve comme autrefois. Que mes plaies dû au verre s'étaient refermées depuis longtemps, mais cela me paressait tellement réel que j'en étais pétrifié. Je ne voulais pas que ça recommence.
J'entendais des voix, plus ou moins proches. Sûrement était-ce des personnes qui tentaient d'avoir mon attention, ou des hallucinations. Je n'avais plus d'énergie. Mes jambes étaient incapables de bouger, la pluie continuait de s'abattre de plus en plus fort, et les voitures passaient à une vitesse folle. Un câlin, je voulais un câlin. Ma vue se troublait, les lumières qui la traversaient semblaient aller à une vitesse affolante qui me donnait un affreux mal de crâne.
La tête allongée sur un bras, affalé sur ce coin de banc, je ne savais plus. Comment je m'étais retrouvé ici, pourquoi mon corps était à nouveau transpercé par du verre, pourquoi ce sentiment de vide m'avait fait dégringoler dans cet état. Aucune force ne venait, il n'y avait plus rien. Juste, un silence, une ombre, du noir.
☯︎
— Je vais juste passer chez toi avant de le ramener.
Une légère musique.
— Il était évanoui, là il a l'air de dormir.
Cette voix qui résonnait dans mon crâne de plus en plus clairement, me disait quelque chose. Seulement, je n'arrivais pas à mettre un visage sur celles-ci. Les paupières lourdes comme une porte de prison, la nuque cassée, une douleur dans l'entièreté du corps, j'entrouvris les yeux avec difficulté. Tout était flou, sans aucun sens. Je n'arrivais à faire aucun discernement, des points lumineux changeaient de couleur plus ou moins vite, puis il arrivait que je me sente porter vers la droite, ou la gauche. Nous tournions. J'avais chaud.
— Je te laisse, à demain.
Et la musique elle seule s'installa. Il me fallut bien quelques minutes pour pendre à moitié conscience de là où je me trouvais. Dans une voiture. Assez moderne, un kit main libre où Youtube était lancé, et une personne, une main autour du volant, l'autre sur une cuisse. Quelle heure était-il ? Un élan de panique me prit et je sursautai sur mon siège. Il m'emmenait au commissariat de police, où était le pont ? Non, je voulais revoir Taehyung une dernière fois. Le volant, il fallait que je choppe le volant pour-
— Hé !
Je me figeai, la respiration bloquée.
— Non mais qu'est-ce que tu fous, sérieux ?
Subitement, mon corps se détendit et mon cœur se calma de ses pulsions. Comment avais-je fait pour me retrouver ici ? Je me revoyais dehors, et désormais dans une voiture, à l'abris de la pluie. Celle-ci qui frappait le parebrise comme de la grêle en fonction de la vitesse. Il faisait chaud. Seulement, ce n'était pas tout ces changements qui venaient de me figer, c'était celui qui se trouvait devant moi, à derrière le volant, à me dévisager après avoir contrer ma main qui tentait de prendre le volant.
— Reste tranquille, je passe juste quelque part et je te ramène chez Jimin.
Yoongi. Le pianiste de Coquelicot se tenait à mes côtés, l'attention portée sur les routes inondées. Je rêvais. Cela n'était pas possible que je le rencontre à nouveau dans de telles circonstances, après deux ans. Alors que je voulus parler, une toux me prit et je me réfugiai rapidement dans mon coude pour tout étouffer. Ma gorge me brula après seulement quelques secondes, et je mis un temps affreux à reprendre correctement ma respiration. Tellement de temps que Yoongi m'avait demandé s'il voulait qu'il s'arrête pour m'aider. Ce à quoi j'avais secoué la tête.
Dix-huit heures quarante-cinq.
C'était l'heure qu'affichait l'écran sur le tableau de bord. Combien de temps cela faisait que nous roulions ? Des milliers de questions se posaient dans ma tête, me donnant un mal de crâne affreux. Mes vêtements étaient encore trempés, j'avais chaud, parfois froid, et chaud à nouveau. Le cuir de ses sièges allait être abîmé, il ne fallait pas que je sois assis plus longtemps.
— Tu... Peux me poser là ? Chuchotai-je.
— Sur un périphérique ? Bien sûr.
Son ton narquois déclencha une vague de honte et une bouffée de chaleur en moi. J'aurais mieux fait de me taire, comme à chaque fois. Pourquoi était-ce tout le temps les autres qui venaient à mon aide, et jamais l'inverse ? Je n'en pouvais plus d'être celui que l'on devait tout le temps sauver, celui qui avait toujours besoin d'aide dans n'importe quel domaine. Alors je me tus, le cœur rempli de honte, et regardai par la fenêtre. Seulement, il n'y avait pas qu'à l'extérieur qu'il pleuvait, il y avait aussi à l'intérieur.
Le voyage fut interminable. Mes joues et mes yeux brûlaient de sécheresse, aucun mot n'avait été échangé depuis, et mon corps tremblait de froid. J'eus l'impression de me réveiller brutalement quand le moteur se coupa, et que Yoongi se détacha. Dans un élan de panique, je me redressai sur mon siège.
— Eh, eh, calme-toi. Je dois juste aller chercher quelque chose, je reviens tout de suite.
Mon attention n'était pas fixée sur lui. Non, elle était à l'extérieur, sur l'enseigne du restaurant que je connaissais par cœur. Coquelicot. Nous étions garés de l'autre côté de la chaussée, juste devant. Qu'est-ce que l'on faisait là ? Je déglutis difficilement et me tournai vers Yoongi, incompréhensif.
— Tu veux venir avec moi ?
Immédiatement, je secouai la tête de droite à gauche, une peur bleue dégoulinant dans mes veines. Comme s'il s'y attendait, le pianiste ne répondit rien et sortit de la voiture en répétant qu'il n'en avait pas pour longtemps. Je le suivis du regard, perdu entre l'intérieur du restaurant quasi vide, et lui, qui emprunta la porte juste à côté de l'entrée. Il n'allait pas chez Coquelicot. Il allait à l'appartement qui se trouvait au-dessus. Les immenses baies vitrées reflétaient les lumières de la ville, et, quelques secondes après, le salon sembla s'allumer. Les stores, qui n'avaient pas pour habitude d'être fermé, laissaient passer quelques brins de lumière. J'étais devant son appartement, celui où j'avais quasiment habité pendant un an et demi. Mes mains tremblaient de stress sur mes cuisses, je n'arrivais pas à croire que tout cela se déroulait en si peu de temps. J'étais effrayé mais à la fois curieux du pourquoi du comment.
Malheureusement, tous ces sentiments contraires s'effacèrent très vite lorsque mon regard se fit attirer par quelqu'un à l'intérieur du restaurant. Un frisson d'effroi me parcourut quand je reconnus Eunji, les mains sur les hanches, à donner des directions aux employés. Il n'y avait plus un seul même serveur du temps où je travaillais. Du peu que je pouvais discerner, je ne voyais pas beaucoup de clients à cette heure de pointe habituelle. Ce n'était pas la première fois que je la voyais avec le tablier de patronne, et cela me mettait toujours dans un état de colère et d'incompréhension. J'avais beau chercher des raisons pourquoi Taehyung, qui aimait plus que tout son restaurant, aurait laisser son ancienne petite-amie prendre sa place. Cela me paraissait impossible, pas après la haine qu'il avait après elle pour l'avoir détruit. Quelque chose avait donc forcément engendré ce changement.
La pluie continuait de fracasser la voiture, le sol, les passants malgré leurs parapluies. La nuit était tombée depuis bien longtemps. Quelle heure était-il ? J'étais gelé. Je n'arrivais pas à trouver la force pour chercher mon téléphone dans mes habits trempés. Depuis combien de temps Yoongi était parti ? Je jetai alors un œil aux baies vitrées fermées, d'où ne sortaient plus de lumière à travers les stores. Au même moment, la porte à côté du restaurant s'ouvrit et celui que je cherchais apparu, un sac sur le dos. Par des pas rapides, il revint à la voiture, mit les affaires dans le coffre et se dépêcha de rentrer s'assoir.
— C'était plus long que prévu, désolé.
N'osant pas le regarder, je secouai la tête et coinçai mes mains gelées entre mes cuisses. J'étais frigorifié.
— Maintenant, je t'amène chez Jimin.
Dix-neuf heures six.
La tête contre la vitre, je luttais pour ne pas m'endormir. Du mauvais rap américain passait à la radio, la pluie et le moteur faisaient un bruit infernal qui me donnait mal au crâne. Malgré cela, je ne pouvais pas m'empêcher de me poser des milliers de questions. Fallait-il que je vire Zhu en premier, ou que je parle à Minkyung ? Dans quel sens je devais le faire ? On m'avait conseillé d'aller voir Taehyung quand tout serait rentré dans l'ordre. J'eus un rire nerveux. Est-ce que j'avais le courage de faire tout cela ?
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