𝟸𝟶 ¦ 𝙿𝙾𝙸𝙽𝚃𝚂 𝙳𝙴 𝚂𝚄𝚃𝚄𝚁𝙴²

𝙲𝙷𝙰𝙿𝙸𝚃𝚁𝙴 𝟸𝟶
ᴘᴀʀᴛɪᴇ ⒉

     Les yeux rivés au-dessus de lui, Marco songea que la façade du tribunal judiciaire était moins imposante que dans ses souvenirs. Les lieux n'avaient pourtant pas changé depuis sa dernière visite, six mois plus tôt, mais il y revenait avec plus d'assurance et moins d'appréhension. Il monta les quelques marches qui les séparaient de l'entrée d'un pas posé, sans avoir l'impression d'être porté par des jambes en coton ou de manquer d'oxygène. Son rythme cardiaque ne s'emballa pas non plus lorsqu'ils passèrent le portique de sécurité ou lorsqu'ils se dirigèrent vers la salle d'audience devant laquelle ils durent patienter. Gabriel et Laure discutaient à voix basse pour passer le temps. Cette fois-ci, le silence ne dérangea pas Marco qui tenait simplement la main de Jean dans la sienne. Ce n'était pas grand chose, mais ce geste suffisait à lui rappeler qu'il n'était pas tout seul et qu'il ne le serait plus jamais. Il n'avait aujourd'hui aucune raison de s'inquiéter ou de paniquer car, bientôt, tout serait enfin terminé. Pour Marco et ses proches, en tout cas. Arashi devrait encore faire face aux véritables conséquences de ses actions passées, à savoir la sanction que le juge lui imposerait d'ici peu, mais tout ceci ne concernerait plus Marco qui ne pouvait que se réjouir d'un tel soulagement.

     La porte du bureau s'ouvrit quelques minutes plus tard sur le visage familier du juge qui les invita à entrer. Gabriel et Laure se levèrent, aussitôt imités par Marco qui se sentait prêt à en finir pour de bon. Il se retourna vers Jean avant de faire le moindre pas, car celui-ci tenait encore sa main dans la sienne, l'empêchant ainsi d'aller plus loin. Son amoureux lui fit signe de se pencher et posa un rapide baiser sur ses lèvres.

     — Je t'aime, chuchota-t-il tout bas.

     Marco ne se lasserait probablement jamais d'entendre ces mots dans sa bouche. Ce fut le cœur un peu plus léger qu'il rejoignit les autres, déjà installés à l'intérieur du bureau. Arashi et son avocat arrivèrent moins d'une minute plus tard, s'excusant de leur léger retard, et l'audience put commencer. Il suffit d'un bref regard à Marco pour remarquer que le japonais n'avait vraiment pas bonne mine ; une constatation qui ne l'étonna finalement qu'en partie. Après tout, beaucoup de choses étaient arrivées en six mois, date de leur dernière rencontre involontaire au dojo.

     Les services sociaux avaient notamment terminé leur enquête et conclu qu'Iromi Burasuto n'offrait pas à son fils un environnement suffisamment sain. Son alcoolisme avait été plutôt facile à établir ; il suffisait de regarder ses dépenses hebdomadaires au rayon boissons du supermarché pour se rendre compte que la majorité de son maigre salaire y passait. Seulement, il restait encore à prouver les accusations de coups et blessures, un sujet où Arashi ne leur était d'autre aide car celui-ci continuait de tout nier en bloc. L'enquête avait pourtant conclu sur des violences intrafamiliales et Gaitō avait même soufflé à ses amis que le témoignage de son frère constituait apparemment l'un des éléments de preuve les plus accablants. Bien que borné à le couvrir, Arashi avait-il involontairement dit quelque chose qui pouvait incriminer son père ? Ou avait-il fini par s'ouvrir aux enquêteurs après avoir réalisé que l'homme en question l'abusait plus qu'il ne l'aimait ? Gaitō l'ignorait aussi. Quoi qu'il en fut, Iromi s'était vu retiré la garde de son fils qui vivait désormais dans une maison d'enfants à caractère social ; un placement judiciaire temporaire dont il devrait s'accommoder au moins jusqu'à sa majorité. Ce n'était finalement que justice pour Arashi, même si celui-ci ne devait probablement pas le voir sous cet angle. Avec un peu de temps, peut-être réaliserait-il qu'on lui donnait simplement l'occasion de se reconstruire, loin de son père abusif.

     Mais ce n'était là pas le sujet du jour. S'ils se trouvaient aujourd'hui à nouveau réunis dans le bureau du juge pour enfants, c'était pour assister à la deuxième audience de la procédure : celle du prononcé de la sanction. En dehors de leur rencontre plus ou moins accidentelle au dojo, Arashi n'avait pas commis d'autres écarts majeurs à sa mesure de mise à l'épreuve éducative. Il était, bien sûr, difficile de faire des pronostiques précis sur la sanction qui lui serait assignée. Même mineurs, les auteurs de harcèlement scolaire âgés de plus de treize ans pouvaient recevoir des peines dont la valeur était simplement diminuée de moitié par rapport à celles définies pour les adultes. Dans son cas, Arashi risquait jusqu'à dix-huit mois de prison et sept mille cinq cents euros d'amende.

     Pour définir la sanction qui lui serait personnellement attribuée, le juge devait notamment considérer l'existence ou non de circonstances aggravantes. Certaines étaient assurément remplies dans le cas présent : la violence dont s'accompagnaient les moqueries habituelles, les menaces de morts et l'emploi du cyberharcèlement n'iraient pas en la faveur d'Arashi. Au vu du contenu de certains des messages envoyés par ce dernier à Marco, Laure aurait bien voulu ajouter la provocation au suicide à ce palmarès peu glorieux, mais ce chef d'accusation n'était retenu que lorsqu'il entraînait effectivement un passage à l'acte — ce qui était vraiment bête quand on y pensait. Enfin, l'avocate s'estimait déjà heureuse que le juge ait pu connaître de certains actes de harcèlement qui remontaient jusqu'aux années primaires des deux garçons. La durée du délais de prescription des délits s'étirant sur six années, les tous derniers mois n'avaient pas encore été touchés par celui-ci, ce qui leur permettait aujourd'hui de les faire sanctionner par la justice au même titre que le reste.

     — Monsieur Burasuto, déclara enfin le juge d'une voix formelle, la chambre vous condamne à dix mois de prison, dont huit avec sursit, et à une amende de quatre mille euros. Vous avez le droit de faire appel de cette décision si vous le souhaitez. Il vous faudra, pour cela, en discuter avec votre avocat une fois cette audience terminée.

     L'annonce de sa décision fit l'effet d'une bouffée d'oxygène chez les Bodt. De son côté, Arashi gardait sa mâchoire serrée. Il ne s'énerva pas, il ne cria pas, il ne sauta pas non plus au cou du juge qui venait de lui retirer une partie de ce que les humains avaient de plus précieux : leur liberté. Le garçon se contenta de baisser la tête ; un geste de résignation dont Marco ne put s'empêcher de ressentir une certaine forme de satisfaction. Arashi l'avait maintes et maintes fois forcé à courber l'échine, alors il pouvait bien lui rendre la pareille, juste aujourd'hui.

     Le juge les garda dans son bureau pendant une bonne demi-heure, le temps notamment de préciser à la défense les caractéristiques de la sanction d'Arashi. L'audience levée, Marco fut le premier à sortir de la pièce pour retrouver Jean qui se redressa aussitôt.

     — Dis-moi que ce fumier va être enfermé. Même un seul putain de jour me ravirait.
     — Il en sortira d'ici quatre mois s'il se tient bien, lui répondit Marco.

     Un grand sourire prit place sur le visage de Jean qui, visiblement plus que satisfait, vint serrer son amoureux dans ses bras. Gabriel et Laure sortirent à leur tour du bureau, les traits plus apaisés de savoir cette affaire bouclée.

     — Ils ont toujours possibilité de faire appel, fit remarquer Laure, mais je doute franchement qu'ils s'engagent sur cette voie. Arashi comme son avocat ont l'air de comprendre qu'il vaut mieux pour eux s'arrêter à ce premier jugement, au risque de se voir assigner une peine encore plus lourde en deuxième instance.

     Ils commencèrent tous les quatre à se diriger vers les escaliers en direction de la sortie du tribunal judiciaire. Une porte claqua derrière eux et Marco se retourna à temps pour apercevoir Arashi qui sortait seulement du bureau du juge. Leur regard se croisèrent pendant un bref instant, le temps pour Marco de détailler une dernière fois ses yeux glacés. S'il avait l'habitude d'y voir de la haine, il reconnu également une forme de désir, d'envie, de jalousie qu'il éprouvait depuis toujours à son égard. Désormais, en plus du mépris qui y restait, Marco eut l'impression que d'autres choses se cachaient dans ces iris clairs. Des émotions qu'il ne reconnu pas et qu'il ne tenait pas à connaître, car lui ne ressentait désormais plus rien à son égard. Il n'était plus intimité, terrifié ou paralysé face à son ancien harceleur ; il était juste soulagé que tout soit enfin finit. Car aujourd'hui marquait le jour où chacun repartirait de son côté en priant pour ne plus jamais se croiser.

     Marco détourna les yeux, brisant leur dernier contact visuel. Ses doigts cherchèrent ceux de Jean qui attrapa immédiatement les siens pour les serrer doucement. Marco regarda alors droit devant lui, bien décidé à rentrer chez lui pour y retrouver un quotidien plus normal, un avenir plus joyeux. Car ce jour-là, il laissa son passé derrière lui, en haut des escaliers en marbre du tribunal.

𝟷𝟺𝟾𝟷 ᴍᴏᴛs
ᴀ̀ sᴜɪᴠʀᴇ...

𝘢𝘧𝘪𝘯 𝘥𝘦 𝘮𝘢𝘳𝘲𝘶𝘦𝘳 𝘭𝘢 𝘧𝘪𝘯 𝘥𝘦 𝘴𝘵𝘪𝘵𝘤𝘩𝘦𝘴, 𝘫𝘦 𝘷𝘰𝘶𝘴 𝘱𝘳𝘰𝘱𝘰𝘴𝘦 𝘶𝘯𝘦 𝘱𝘦𝘵𝘪𝘵𝘦 𝘧𝘢𝘲 ! 𝘷𝘰𝘶𝘴 𝘯'𝘢𝘷𝘦𝘻 𝘲𝘶'𝘢̀ 𝘮𝘦 𝘱𝘰𝘴𝘦𝘳 𝘵𝘰𝘶𝘵𝘦𝘴 𝘷𝘰𝘴 𝘲𝘶𝘦𝘴𝘵𝘪𝘰𝘯𝘴 𝘦𝘯 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘦𝘯𝘵𝘢𝘪𝘳𝘦𝘴 𝘦𝘵 𝘫'𝘺 𝘳𝘦́𝘱𝘰𝘯𝘥𝘳𝘢𝘪𝘴 𝘥'𝘪𝘤𝘪 𝘥𝘪𝘹 𝘫𝘰𝘶𝘳𝘴 𝘴𝘶𝘳 𝘪𝘯𝘴𝘵𝘢𝘨𝘳𝘢𝘮 (@𝘦𝘷𝘪𝘭𝘺𝘢𝘭𝘪𝘦)

𝘴𝘪 𝘷𝘰𝘶𝘴 𝘦̂𝘵𝘦𝘴 𝘤𝘶𝘳𝘪𝘦𝘶𝘹·𝘴𝘦𝘴 𝘥'𝘦𝘯 𝘴𝘢𝘷𝘰𝘪𝘳 𝘱𝘭𝘶𝘴 𝘴𝘶𝘳 𝘴𝘵𝘪𝘵𝘤𝘩𝘦𝘴, 𝘴𝘶𝘳 𝘮𝘦𝘴 𝘢𝘶𝘵𝘳𝘦𝘴 𝘩𝘪𝘴𝘵𝘰𝘪𝘳𝘦𝘴, 𝘴𝘶𝘳 𝘮𝘦𝘴 𝘧𝘶𝘵𝘶𝘳𝘴 𝘱𝘳𝘰𝘫𝘦𝘵𝘴 𝘰𝘶 𝘵𝘰𝘶𝘵 𝘴𝘪𝘮𝘱𝘭𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵 𝘴𝘶𝘳 𝘮𝘰𝘪, 𝘤'𝘦𝘴𝘵 𝘭𝘦 𝘮𝘰𝘮𝘦𝘯𝘵 !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top