𝟷𝟽 ¦ 𝙻𝙰 𝙲𝙷𝚄𝚃𝙴 𝙳𝙴𝚂 𝙰𝙽𝙶𝙴𝚂³
𝙲𝙷𝙰𝙿𝙸𝚃𝚁𝙴 𝟷𝟽
ᴘᴀʀᴛɪᴇ ⒊
La grossesse d'Alix se déroula aussi bien qu'on aurait pu l'espérer. En dehors d'une fatigue un peu plus prononcée qu'à l'accoutumée, elle ne ressentie pas de grandes transformations tout au long du premier trimestre. Ce fut en allant réaliser la première échographie de leur bébé, dont les contours se formaient doucement, que les deux jeunes gens réalisèrent vraiment qu'ils seraient bientôt parents. À partir du deuxième trimestre, la future maman dû se rendre à des examen prénataux mensuels pour s'assurer que la grossesse poursuivait son cours sans encombres. On pouvait déjà voir son corps s'adapter peu à peu au fœtus qu'il abritait et qui ne cessait de grandir. Son ventre s'arrondit et causa quelques douleurs à la jeune femme, liées à sa prise de poids, mais elle se sentait globalement plus en forme et un peu excitée à l'idée de constater tous ces nouveaux changements. En raison de sa bonne humeur habituelle, elle ne fut pas trop sujette aux sautes d'humeur que pouvaient causer les variations hormonales. Et quand bien même il lui arrivait parfois de se sentir fatiguée ou irritée, Gabriel s'assurait toujours d'être aux petits soins pour son amoureuse. Ils profitèrent également de cette période plutôt tranquille pour faire quelques achats indispensables : une poussette, des vêtements pour nouveau-né, un bon stock de couches, un petit lit et tout un tas d'autres choses. Il s'efforcèrent de prendre des articles de seconde main dans la mesure du possible, mais on ne pouvait pas nier qu'un bébé représentait un certain budget.
Le troisième trimestre fut, sans grande surprise, le plus éprouvant de tous. Alix se fatiguait très rapidement et n'hésitait pas à faire le plus de siestes possible. Elle arrêta de se rendre à ses cours, laissant à Laure le soin de lui ramener ses notes pour qu'elle puisse les recopier. L'arrivée du printemps fut une bénédiction pour la jeune femme qui, pas frileuse pour un sous, continua de porter ses t-shirts habituels, quand bien même ceux-ci ne couvraient pas la totalité de son ventre bien rond. En la voyant ainsi, alors qu'Alix s'était exceptionnellement déplacée pour accueillir Gabriel après son dernier examen, Amélie manqua de faire un malaise. Bien sûr, elle avait entendu les rumeurs, mais alors qu'elle tentait de se convaincre qu'il ne s'agissait que de bruits de couloir, la vérité lui fit un sacré choc dont Alix se délecta malicieusement.
Dans la foulée, les futurs parents — et Théia la chatte — décidèrent également d'emménager ensemble dans un nouvel appartement un peu plus grand au loyer raisonnable. Gabriel prit tout de suite goût à cette vie commune, tout content d'avoir quelqu'un qui l'attendait lorsqu'il rentrait chez eux. Afin de gagner un peu d'argent sans s'engager sur une longue durée, étant donné que l'accouchement n'était plus très loin, le jeune homme donnait des cours particuliers à des lycéens en filière littéraire plusieurs fois par semaine. Le reste du temps, il le passait avec Alix et l'enfant qu'elle portait. Il se demandait de quelle couleur seraient ses yeux et s'iel aimerait le gros ours en peluche que lui avait acheté Laure. Il se moquait bien du sexe qu'iel aurait, mais il espérait secrètement qu'iel hériterait des taches de naissance de sa mère qu'il aimait tant. Malgré tout le plaisir qu'elle tirait de sa grossesse, Alix avait de plus en plus hâte que le bébé se décide enfin à sortir de son ventre où il occupait vraiment beaucoup de place.
Leur petit garçon naquit finalement à terme, un seize juin. L'accouchement fut aussi horrible que Gabriel se l'était imaginé. Il ne comprenait décidément pas comment un trou si petit pouvait se dilater au point de laisser passer une tête de dix centimètre de diamètre. La nature était étrangement faite, et toutes les mères du monde avait son respect le plus sincère. Il en sortit probablement plus traumatisé qu'Alix qui se remit de cette aventure à une vitesse fulgurante. Dix jours plus tard, contre l'avis des sages-femmes, elle se rendit aux rattrapages des épreuves écrites du second semestre qu'elle n'avait pas pu passer et valida ainsi sa licence. Gabriel en resta absolument bouche-bée.
— Si ce bébé hérite de ta force d'esprit titanesque, déclara-t-il avec admiration, je crois qu'il pourra surmonter toutes les épreuves !
— À mon avis, c'est la surprise qui t'attend dans sa couche qui est titanesque ! renchérit Laure en faisant mine de se boucher le nez.
Étienne prit Marco dans ses bras et, en effet, le derrière du petit garçon semblait bien trop lourd pour que ses langes ne soient imbibées que d'un petit pipi. Imperturbable, le jeune homme s'en alla le changer dans la salle de bain sans même sourciller face à l'odeur nauséabonde qui se dégageait de sa dernière commission. Une fois le poupon tout propre, celui-ci gazouilla quand il fut de retour dans les bras de sa mère.
— Y'a pas de quoi, répondit Étienne.
Les minuscules doigts de Marco s'élevèrent dans les airs pour attraper le médaillon doré qu'elle portait autour du cou, cadeau de Gabriel. Ces derniers temps, le jeune homme souriait tant qu'il en avait parfois mal aux joues. Certes, il ne se passait pas un seul jour sans que les jeunes parents ne rencontrent une difficulté, mais le bonheur que lui procuraient des moments comme celui-ci suffisait à lui faire oublier la fatigue accumulée. Chaque fois qu'il posait les yeux sur sa famille, il priait les forces invisibles du monde de les laisser en profiter un peu plus longtemps.
Uɴ Aɴ ᴇᴛ Dᴇᴍɪ Pʟᴜs Tᴀʀᴅ
Lorsque Gabriel ouvrit la porte de leur appartement, ce jour-là, le silence lui réserva un accueil particulièrement froid. Le jeune homme se sentit imperceptiblement frissonner, comme si son corps pressentait qu'un drame se profilait. Il appela Alix, mais personne ne lui répondit. En sortant, ce matin, elle lui avait pourtant affirmé qu'elle comptait rester à l'intérieur avec Marco pendant qu'il faisait sa petite sieste de l'après-midi. Gabriel prononça une nouvelle fois le nom de sa petite-amie, sans que celle-ci ne se manifeste. En revanche, il entendit des gazouillis inintelligibles en provenance de la chambre à coucher. Son fils fut probablement la seule raison qui le poussa finalement à s'avancer dans l'appartement. Face à la porte close, il prit une profonde inspiration avant d'en tourner la poignée.
La lumière pénétra avec lui dans la pièce dont on avait tiré les rideaux pour permettre au bébé de s'endormir plus facilement. En le voyant, Marco lui adressa un petit cri joyeux, mais les yeux de Gabriel étaient figés sur le corps qu'il pouvait distinguer, étendu sur le lit double. Il s'en approcha fébrilement alors même que son cœur s'emballait. Il tenta vainement de se convaincre qu'Alix était certainement trop profondément endormi pour pouvoir l'entendre ou qu'elle attendait simplement qu'il se trouve suffisamment près pour lui sauter dessus en riant. Pourtant, quelque part au fond de lui, Gabriel sut à ce moment précis que tout était fini. Ses doigts se glissèrent contre l'un de ses poignets, d'abord trop tremblants pour détecter correctement son pouls. Mais il n'y en avait déjà plus et son cœur se serra.
Que pouvait-il faire, en de pareilles circonstances ? Il ignorait combien de temps s'était écoulé depuis qu'elle avait cessé de respirer et si un massage cardiaque pouvait toujours la sauver. Son regard dévia vers le réveille-matin posé sur la table de chevet. Celui-ci avait été programmé pour sonner une heure plus tôt, et Gabriel compris qu'il était déjà trop tard. Ses jambes se dérobèrent sous son poids. A genoux au bord du lit, il pleura de longues minutes sans pouvoir s'arrêter, le front posé contre le matelas, incapable de lever les yeux pour les poser sur le corps inanimée de celle qu'il aimait. Ses doigts s'accrochèrent désespérément aux draps qu'il serra à s'en faire blanchir les phalanges. Dans son esprit endeuillé, une seule question revenait le hanter. Pourquoi la Mort s'acharnait-elle toujours à lui prendre ce qu'il avait de plus cher ?
Il fallut un long moment à Gabriel pour réussir à se relever, aller chercher le téléphone fixe dans le salon et composer le numéro des secours. La voix de l'opératrice qui lui répondit lui semblait terriblement loin et il ne se souvenait absolument pas de ce qu'il avait bien pu lui bafouiller entre deux sanglots. Une fois cette épreuve derrière lui, il se rendit à nouveau dans la chambre pour récupérer Marco qui le scrutait de ses grands yeux curieux, inconscient de la tragédie qui s'était jouée dans son sommeil et qui venait de lui ôter sa mère. Gabriel sortit de la pièce en refermant soigneusement la porte derrière lui, s'interdisant de poser le regard sur le corps d'Alix. Il refusait de garder d'elle cette image froide et sans vie qui lui correspondait si mal.
Son dos se posa contre l'un des murs du couloir et il s'effondra pour la seconde fois. Son corps glissa jusqu'à ce qu'il se trouve au sol et ne puisse plus tomber plus bas. Gabriel sentit les larmes monter à nouveau et il pleura encore et encore, serrant son fils dans ses bras tremblants.
De retour sur le canapé du salon des Bodt, Marco encaissait difficilement le coup. Les yeux brillants, il releva un visage confus vers son père.
— Comment... ?
— Alix était épileptique. Et pour une raison ou une autre, soupira Gabriel, elle était persuadée qu'elle allait en mourir. L'épilepsie augmente légèrement les chances de ce qu'on appelle une mort subite. Cela reste très rare, mais... Alix a fait une crise dans son sommeil, qui a provoqué un arrêt respiratoire.
Le trentenaire renifla discrètement. Quinze ans avaient passé depuis, mais si la douleur s'estompait avec le temps, elle ne l'avait jamais quitté pour autant.
— Les mois qui ont suivis furent... difficiles, poursuivit-il. J'ai foiré mon dernier semestre et j'ai dû redoubler ma dernière année de master. Laure est partie suivre une formation à la capitale, Étienne était déjà établi ailleurs. Le temps a achevé de nous séparer. Je me suis retrouvé tout seul, avec toi. On a dû déménager, mais c'est rapidement devenu difficile de vivre à deux sur mes économies et l'héritage de mes parents. J'ai essayé de travailler à côté des cours, mais il fallait trouver quelqu'un pour te garder... Je ne pouvais pas me permettre de payer une véritable nourrice et ça me rendait malade de te laisser au premier venu. J'ai aussi songé à prendre un prêt étudiant, mais je n'avais pas de revenus et donc aucune garantie à fournir à la banque. Bref, je me suis vite retrouvé coincé.
Marco ne savait pas vraiment ce que son père lui réservait encore, mais il aurait parié que la réponse n'allait pas lui plaire.
— C'est dans ce contexte que j'ai recroisé les Chevaliers. Je ne leur ai rien demandé, mais ils ont appuyé ma demande de prêt, ce qui m'a enfin permis de l'obtenir. Une fois mon master en poche, ils m'ont aidé à m'insérer sur le marché du travail grâce à leurs connexions. Je n'avais pas le luxe de pouvoir refuser la main qu'il me tendait, même si ce fut probablement ma première erreur. Les Chevaliers pouvaient se montrer charmants, quand ils le voulaient bien, et je me suis laissé amadouer, avoua Gabriel. C'était comme s'ils avaient placé une bouée de sauvetage autour de moi dont je ne parvenais pas à me défaire, de peur de couler. Ensuite... Amélie a commencé à agir comme un couple avec moi. C'était vraiment étrange au début, mais encore une fois, je me suis laissé faire. Ça me semblait être ma meilleure option. Je me sentait incapable d'aimer à nouveau, alors je me moquais bien des intentions d'Amélie. On en est venu à sortir ensemble. Le temps est passé... Les Chevaliers ont très vite amené les sujet du mariage sur la table. Les bourgeois semblent se passionner pour ce stupide contrat, alors j'ai bêtement accepté. Je pensais que ce n'était pas si mal, comme compromis, et qu'avec un peu de chance, je pourrais t'offrir une vie de famille.
Gabriel eut une grimace. Le père comme le fils savaient tous deux que les choses ne s'étaient pas vraiment passées comme escompté.
— Amélie n'a jamais apprécié les enfants. Le fait que tu sois celui d'Alix n'arrangeait rien. Elle voyait son fantôme sur ton visage. Elle a commencé à faire comme si tu n'existais pas. J'ai naïvement pensé que les choses s'arrangeraient. Je me suis accroché à cette illusion parce que je ne voyais pas comment m'en sortir. J'étais encore dépendant des Chevaliers ; je leur devais mon travail et le remboursement de mon prêt. J'ai essayé d'éloigner Amélie de la maison, où elle se montrait exécrable. Seulement, j'ai réalisé que je ne te voyais moi-même plus grandir que de loin. On s'est tous retrouvé malheureux à notre façon. J'ai essayé de faire comprendre à Amélie que ça ne fonctionnait visiblement pas et qu'on ferait peut-être mieux de repartir chacun de notre côté. Elle n'a pas apprécié l'idée déclara sans surprise Gabriel. Elle m'a rétorqué que sa famille n'accepterait pas l'échec d'un divorce et que si jamais je venais à y songer, elle ferait en sorte de détruire nos vies. Je savais qu'elle en était capable, alors je me suis dégonflé.
Marco ignorait qu'une telle situation s'était déjà produite entre ses parents alors qu'il était plus jeune. Son père eut un regard embêté.
— J'ai utilisé l'arrivée de Jean dans ta vie comme un prétexte à mon inaction. Tu méritais une famille décente et je n'étais visiblement pas capable de t'en offrir une. Je pensais que tu serais heureux avec eux et que je n'avais plus mon mot à dire. Seulement... J'ai réalisé que je ne pouvais pas continuer à fuir éternellement. Un jour, Amélie m'a sous-entendu qu'elle a hâte de se débarrasser de toi. Je ne pouvais plus la supporter alors je me suis renseigné de mon côté sur les effets du divorce. Heureusement pour moi, notre contrat de mariage ne donne pas à Amélie les moyens de me détruire financièrement. En plus de ça, j'ai réussi à décrocher un nouveau poste dans un journal de l'autre côté de la ville. Et donc... je vais enfin mettre un terme à tout ça.
Marco fixait le sol de ses yeux, ne sachant guère que dire. C'était pourtant de sa propre vie dont il était question et de tout un pan dont il n'avait jusqu'alors même pas connaissance.
— Désolé, s'excusa Gabriel. Je sais que ça fait beaucoup.
Le garçon hésita plus d'une fois. Bon sang, il en avait le tournis.
— Ou- Oui. Hum, bredouilla-t-il Je vais me coucher et, hum... Un autre jour, d'accord ?
Du temps, Marco avait besoin de temps. Gabriel le comprenait et l'acceptait. Il regarda son fils remontrer les escaliers, le cœur lourd, mais l'âme un peu plus en paix. Il se demanda soudain si Alix pouvait le voir, de là où elle se trouvait, et si elle pourrait un jour lui pardonner ses trop nombreuses erreurs.
𝟸𝟺𝟽𝟽 ᴍᴏᴛs
ᴀ̀ sᴜɪᴠʀᴇ...
𝘷𝘰𝘪𝘭𝘢̀ 𝘲𝘶𝘪 𝘤𝘰𝘯𝘤𝘭𝘶 𝘵𝘰𝘶𝘴 𝘤𝘦𝘴 𝘧𝘭𝘢𝘴𝘩-𝘣𝘢𝘤𝘬𝘴 ! 𝘪𝘭𝘴 𝘴𝘰𝘯𝘵 𝘥𝘦́𝘫𝘢̀ 𝘣𝘪𝘦𝘯 𝘨𝘢𝘳𝘯𝘪𝘴 𝘮𝘢𝘪𝘴 𝘥'𝘢𝘶𝘵𝘳𝘦𝘴 𝘱𝘦𝘵𝘪𝘵𝘴 𝘥𝘦́𝘵𝘢𝘪𝘭𝘴 𝘷𝘪𝘦𝘯𝘥𝘳𝘰𝘯𝘵 𝘭𝘦𝘴 𝘤𝘰𝘮𝘱𝘭𝘦́𝘵𝘦𝘳 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘦𝘴 𝘱𝘳𝘰𝘤𝘩𝘢𝘪𝘯𝘴 𝘤𝘩𝘢𝘱𝘪𝘵𝘳𝘦𝘴 :)
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