𝟷𝟼 ¦ 𝙻𝙴𝚂 𝙿𝙴𝚄𝚁𝚂 𝙰𝙼𝙾𝚄𝚁𝙴𝚄𝚂𝙴𝚂³

𝙲𝙷𝙰𝙿𝙸𝚃𝚁𝙴 𝟷𝟼
ᴘᴀʀᴛɪᴇ ⒊

     Marco fronça le nez à l'entente du son désagréable que produit son réveil de si bon matin. Il éteignit cette invention infernale à tâtons, sans pour autant se résoudre à sortir de son lit douillet. Son bras s'enroula à nouveau autour des épaules de son ami qui ne l'avait pas lâché dans son sommeil. En sentant la chaleur de son corps contre le sien, le brun fut certain de ne pas avoir rêvé : quelques heures plus tôt, Jean l'avait bel et bien embrassé. Les souvenirs qu'il gardait de la veille demeuraient incroyablement nets et il priait pour qu'il en soit ainsi jusqu'à la fin de son existence. Si seulement le temps pouvait épargner la douceur de ce premier baiser... Marco resserra son emprise sur le garçon qui en fit de même.

     — T'es réveillé ? s'étonna-t-il.

     Un grognement étouffé lui répondit. Son meilleur ami n'était décidément pas du matin et, comme toujours, le brun s'en amusa. Il chatouilla sa nuque, puis il en profita pour respirer une dernière fois l'odeur de ses cheveux.

     — J'aurais vraiment aimé rester là, regretta-t-il, mais on a cours dans deux petites heures.

     À ces mots, Jean se redressa à contrecœur, ses yeux fatigués à peine entrouverts. En dehors des trois heures précédentes, le garçon n'avait visiblement pas passé une très bonne nuit.

     — Ça va mieux ? lui demanda Marco.

     Leur regard se croisèrent, mais Jean détourna hâtivement le sien avant d'acquiescer. Il frotta son visage dans ses mains, espérant ainsi dissimuler les rougeurs qui menaçaient de s'y installer. Sa propre mémoire était intacte et prenait un malin plaisir à le mettre dans tous ses états. Pourtant, en voyant que son ami s'apprêtait à quitter le lit, le châtain glissa ses bras autour de sa taille pour l'enlacer par derrière. Son front se posa sur l'épaule de son vis-à-vis qui frémit au contact des mèches venant lui effleurer la nuque.

    — Merci pour hier, murmura Jean. Pour tout.

     Surpris par cette initiative soudaine, Marco accepta néanmoins l'étreinte qu'il apprécia en silence, bien qu'ignorant précisément ce qui l'avait motivée. Il descendit le premier pour préparer leur petit-déjeuner, mais ses pommettes ne se débarrassèrent pas de leur couleur rosée avant un long moment. À ce train là, Jean ne tarderait pas à comprendre les effets grisants qu'il provoquait si facilement chez lui. Au vu de ses réactions, son ami n'avait pas oublié leur baiser, il en était absolument certain. Ce dont il doutait encore, c'était la valeur qu'il voudrait bien lui conférer. Marco craignait qu'il n'ait agi que par instinct, alors qu'il se trouvait au plus bas, et que cette effusion de sentiments ne visait qu'à épancher un simple besoin de réconfort. Le brun avait pourtant cru percevoir un rapprochement entre eux, vérifié par leur baiser avorté, deux semaines plus tôt, mais il préférait garder ses espoirs sagement sous clé. Mieux valait éviter le risque des désillusions que lui ferait subir son propre cœur transi d'amour.

     Une fois prêts, les deux garçons partirent en avance afin de passer chez les Kirschtein pour récupérer le sac de Jean. Lorsqu'il ressorti de chez lui, ce dernier attrapa la main de son ami qui lui emboîta le pas en direction de leur établissement scolaire. Tandis qu'ils marchaient côte à côte, Marco lui lançait des coups d'œil réguliers en se demandant ce qu'il pouvait bien se passer dans la tête du châtain. Jusqu'à preuve du contraire et à son grand soulagement, il ne semblait pas regretter son geste, ce qui signifiait qu'il ne l'avait pas dégoûté. Il n'appliquait pas non plus la politique de l'autruche, qui consistait à faire comme si de rien n'était, car il s'en trouvait tout bêtement incapable. En plus d'être un partisan farouche de la communication, Jean ne savait pas cacher ses émotions qu'on pouvait aisément lire sur son visage. Marco le voyait bien : son ami était troublé. Et pour le moment, cela lui suffisait amplement. Il avait déjà attendu près de cinq ans, alors il pouvait bien patienter quelques jours de plus, le temps que chacun d'eux mette ses idées au clair.

     Leur journée de travail se termina de concert avec un cours d'humanités. Peu passionné par celui-ci, Jean en avait profité pour faire sa troisième sieste de la journée, rattrapant ainsi le sommeil nécessaire au bon fonctionnement de son corps. Pour une fois, Marco s'était lui aussi assoupi pendant une petite heure et il devait avouer qu'il se sentait plus en forme qu'avant. Ils venaient tout juste de sortir de l'enceinte scolaire quand Gaitō surgit brusquement devant lui, l'air sombre. Sans un mot, il fit un signe de tête en direction du coin où se regroupaient généralement les fumeurs, tout en désignant plus précisément une personne qu'il s'y trouvait. Le brun reconnu immédiatement cette silhouette menaçante. Derrière lui, Mikasa, qui les suivait, fronça les sourcils.

     — Qu'est-ce qu'il fout là, lui ? Je croyais qu'il avait été viré du bahut.
     — C'est pourtant le cas, marmonna Marco.

     Il se tourna soudainement vers Jean, légèrement inquiet à l'idée que la situation ne dérape une seconde fois. Il comprenait bien sûr sa colère, il la partageait même, mais il refusait que son ami risque aussi gros pour une piètre satisfaction qui n'en valait pas la peine. À ses côtés, le châtain n'avait pas esquivé le moindre geste, comme paralysé, le visage terriblement blême. Marco comprit alors quel fut le sujet du mauvais rêve qui l'avait tant secoué, au point de débarquer chez lui en pleine nuit. Arashi choisit précisément ce moment pour les remarquer.

     — Eh, Marco !

     L'interpellé ne se gêna pas pour l'ignorer royalement. Il attrapa immédiatement le bras de Jean pour les entraîner aussi loin que possible de l'autre détraqué. Au vu des récents évènements, une confrontation entre tout ce joli monde ne semblait pas très appropriée. Malheureusement, Arashi ne lâcha pas l'affaire pour autant.

     — Fais pas ton timide, cria-t-il, s'attirant ainsi l'attention de quelques curieux. T'aurais pas un truc à me dire, par hasard ?

     Marco sentit une main se poser sans douceur sur son épaule. Aussitôt, il attrapa ce poignet étranger et fit volte-face tout en contrôlant le mouvement de l'articulation entre ses doigts. L'épaule du garçon fut emportée par cette rotation désagréable, jusqu'à ce que son bras se retrouve plaqué entre ses omoplates.

     — Décidément, j'adore te voir démarrer au quart de tour, susurra-t-il avec un sourire en coin.

     Une lueur de fureur s'alluma dans les yeux ambrés de Jean. Il s'apprêtait à intervenir, mais Mikasa fut plus rapide que lui. Si Arashi leva un sourcil moqueur en la voyant s'approcher, il se retrouva bientôt par sol, le souffle coupé par le violent coup de genou que la jeune fille venait de lui enfoncer dans l'estomac.

     — Putain, mais t'es qui, toi ?!
     — Ta future belle-sœur, connard.

     Cette déclaration incongrue ne manqua pas d'abasourdir Gaitō qui se trouvait quelques pas derrière eux. Pendant que Mikasa maintenait impitoyablement le visage de son frère contre le bitume, elle fit signe aux deux garçons de s'éloigner sans tarder. Sachant pertinemment que la japonaise avait les choses en mains, Marco suivit sagement son conseil. Tandis qu'il mettait de la distance entre eux et leur lycée, la voix d'Arashi s'éleva une dernière fois.

     — Tu crois que je vais te laisser me faire ça ?! La désobéissance a des limites ! crachait-il. Je vais t'apprendre à mordre ton maître, moi ! T'es qu'un chien, Marco, t'entends ?! Un sale clébard !

     Jean fit brusquement volte-face, bien décidé à lui faire avaler sa propre langue pour l'empêcher de lancer des horreurs pareilles. Il n'avait pas encore fait un pas qu'on lui attrapa l'épaule avec autorité.

     — Non, lui intima aussitôt le brun. Il cherche à t'énerver.
     — Et il y arrive un peu trop bien, grogna son ami en réponse.

     Marco glissa ses doigts derrière ses oreilles, forçant ainsi leur regard à se rencontrer. Les yeux ambre de son vis-à-vis lui renvoyaient toute la colère qui gonflait son cœur, mais il y décela également l'ombre de ses peurs. Jean souffrait, à sa manière ; il le savait, sans pour autant l'avoir jamais réalisé aussi clairement. Il attira son visage à lui jusqu'à ce que leurs fronts se touchent et que leur souffle se mélangent.

     — Ne le laisse pas gagner.

     En proie à ses émotions, le châtain serra très fort ses paupières alors qu'il s'efforçait de rester rationnel. Il finit par se détourner du garçon qui braillait encore quelques injures au loin pour suivre Marco qui reprit son chemin sans un regard en arrière. Trois rues plus loin, il dévia de leur trajet habituel pour entrer dans un petit parc pour enfants et il se laissa tomber sur le premier banc libre en soupirant longuement.

     — Ça va ? demanda-t-il à Jean.
     — C'est moi qui devrait te demander ça, lui fit remarquer l'autre.

     Le brun eut un léger sourire.

     — J'ai connu mieux, admit-il, mais j'ai surtout connu pire. Il n'aime pas trop s'attirer un public, d'habitude. Je ne pense pas qu'il aurait osé en venir aux mains devant tout ce beau monde, mais on n'est pas trop prudent... Après tout, je suis en train de lui coller un procès sur le dos.
     — Un procès dont il est le seul responsable, rebondit immédiatement son ami. Ce déchet n'a que ce qu'il mérite.

     Il s'assit à son tour sur le banc, l'esprit visiblement agité.

     — Tu devrais appeler Laure, lui conseilla-t-il enfin. Il- Il vient de te menacer ! On doit bien pouvoir faire quelque chose pour l'empêcher de s'approcher de toi.

     Marco eut bien un instant d'hésitation, mais il savait que la situation présente l'exigeait. Lorsqu'il l'avait interrogé à ce sujet, quelques semaines plus tôt, l'avocate affirmait qu'ils ne pouvaient pas en faire davantage du moment que les réactions d'Arashi restaient purement hypothétiques. Or, le garçon était justement venu l'interpeller à la fin d'une journée de cours, devant un établissement scolaire dont il avait été expressément renvoyé. Le brun sortit donc son téléphone portable afin de chercher le numéro de Laure dans ses contacts. Tandis qu'il portait l'objet à son oreille, Jean fit glisser sa main le long de son bras pour entremêler leurs doigts ensemble. Il écouta son ami raconter à la jeune femme leur rencontre plutôt houleuse avec Arashi, puis il prêta une attention toute particulière à la solution qu'elle leur proposa.

     — Tu as bien fait de me prévenir aussi vite. On ne va pas le laisser te tourmenter à sa guise ; il existe des moyens pour restreindre ses déplacements. Je vais informer le juge de cet écart et il prendra les mesures nécessaires, affirma-t-elle à l'autre bout du fil. De ton côté, tu pourrais te renseigner sur les élèves qui étaient présents ? Quelqu'un pourrait avoir pris des photos ou des vidéos. Sinon, quelques témoignages écrits devraient suffire à appuyer nos dires. Je vais t'envoyer un modèle par mail.

     En raccrochant, Marco se sentit un peu plus léger, comme débarrassé d'un poids qu'il avait confié à quelqu'un d'autre. Il se tourna vers Jean qui lui sourit et, bientôt, ils reprirent leur chemin. Lorsqu'ils pénétrèrent chez les Bodt, les deux garçons tombèrent sur Gabriel et Marie qui prenaient le thé dans la salle à manger.

     — Tiens, plaisanta-t-elle, voilà le fils que j'ai égaré cette nuit.
     — Désolé, s'excusa celui-ci. Je n'aurais pas dû filer comme ça. J'ai eu une réaction un peu... disproportionnée.
     — J'aurais tendance à te dire que oui, mais j'aimerais bien comprendre ce qui t'est passé par là tête pour pouvoir véritablement en juger.

     Jean pesa ses mots, chose qu'il n'avait pourtant pas l'habitude de faire en présence de sa mère.

     — J'ai fait un cauchemar. C'était trois fois rien, assura-t-il. J'ai juste... légèrement paniqué.

     Les trois visages qui l'entouraient haussèrent de concert un sourcil peu convaincu. Pressentant que la conversation pourrait prendre un moment, Marco s'assit lui aussi autour de la table.

     — Tu as rêvé de lui, pas vrai ? Je l'ai vu dans tes yeux, tout à l'heure.
     — Comment ça ? rebondit son père.
     — Arashi m'attendait devant le lycée, rapporta le brun en soupirant. Ce n'était pas bien grave, mais j'ai quand même appelé Laure. Elle m'a dit qu'elle s'en occupait.

    Gabriel se passa nerveusement une main dans les cheveux, le visage soudainement sombre.

     — D'accord, tu as bien fait. Je lui passerai un coup de fil plus tard.

     L'affaire n'en était qu'à ses débuts, mais elle ne manquait pas de leur causer son lot de difficultés. Un silence pesant se fit, rapidement rompu par la voix douce de Marie.

     — Le procès approche, c'est normal que tout le monde soit à cran d'une manière ou d'une autre. Et en parlant de ça, poursuivit-elle, je me disais que vous seriez peut-être intéressés par des séances chez un psychologue. À vrai dire, j'aurais même dû vous le proposer bien plus tôt, mais vaut mieux tard que jamais.

     Jean lui lança un regard étonné. S'il comprenait aisément pourquoi Marco serait susceptible de recourir à cette solution, il ne voyait pas bien en quoi cela pourrait également le concerner.

     — Mon chéri, je sais que ce n'était pas ton premier cauchemar. Les psychologues ne s'occupent pas que des grands blessés de la vie ; il suffit d'avoir des choses à dire. Personne ne vous oblige à quoi que ce soit. Mais vous avez beaucoup encaissé, l'un comme l'autre, et en discuter avec un professionnel pourrait vous aider à aborder la suite plus sereinement. Si jamais vous en ressentez le besoin, sachez que je peux vous rediriger vers une connaissance. C'est une simple possibilité qui reste ouverte.

     Finalement, les deux garçons lui promirent d'y réfléchir sérieusement. S'ils avaient réalisé une chose aujourd'hui, c'était que la volonté seule ne suffirait pas pour éviter les épreuves qui les attendaient au tournant du chemin sinueux sur lequel ils avançaient prudemment. Au-dessus de leur tête, l'orage les menaçait encore de ses nuages sombres, prêt à craquer.

𝟸𝟸𝟿𝟶 ᴍᴏᴛs
ᴀ̀ sᴜɪᴠʀᴇ...

𝘱𝘢𝘳𝘤𝘦 𝘲𝘶'𝘶𝘯 𝘣𝘪𝘴𝘰𝘶 𝘯𝘦 𝘴𝘢𝘶𝘷𝘦𝘳𝘢 (𝘮𝘢𝘭𝘩𝘦𝘶𝘳𝘦𝘶𝘴𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵) 𝘱𝘢𝘴 𝘭𝘦 𝘮𝘰𝘯𝘥𝘦, 𝘭𝘢 𝘧𝘪𝘯 𝘴'𝘢𝘱𝘱𝘳𝘰𝘤𝘩𝘦 𝘢̀ 𝘵𝘰𝘶𝘵 𝘱𝘦𝘵𝘪𝘵𝘴 𝘱𝘢𝘴

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