🆅︎. 𝐶𝑒 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑟è𝑔𝑙𝑒𝑠

Cela fait près d'une heure que je suis assis seul dans cette chambre qui devrait être la mienne, mais je ne reconnais rien. Tout a été refait pour me permettre de l'aménager à ma guise, mais je ne sais même pas par où commencer. J'ai demandé des posters plus tôt, mais rien ne me vient à l'esprit. Je reste là, figé, comme un automate au milieu de ce nouvel encombrement, et la seule chose que je souhaiterais, c'est de tout faire redevenir comme dans la cave.

Assis sur mon lit avec le dos droit, je n'ai d'autre choix que de fixer le mur devant moi. Cette action était devenue une routine pendant ma captivité, un moyen de passer le temps lorsque je n'avais rien d'autre à faire, lorsque les pages des livres avaient perdu toute leur magie. Je suis vêtu de vêtements que je n'ai pas choisis : un pantalon de jogging et un t-shirt à manches courtes. En réalité, je n'arrive même pas à envisager de remettre des jeans. Dans la cave, je ne portais que des pyjamas ou des tenues décontractées, et c'est une habitude qui m'est restée. Quant aux chaussures, c'est le casse-tête, une torture que je me refuse à subir. Mes parents m'ont donc acheté des tongs. C'est plus simple et confortable.

À 14 ans, je me sens à la fois enfant et adulte. J'ai des réflexes aiguisés, j'ai appris à développer des stratégies pour survivre. Je pense à la protection, à l'évitement de la douleur, plutôt qu'à m'amuser. La simplicité du jeu m'échappe, et lorsque je regarde l'heure, je suis frappé. 19 heures. Je me lève d'un coup, mes jambes molles se remettent en mouvement, et je me dirige vers la porte.

Une fois dans les couloirs, c'est comme un retour dans un labyrinthe dont je ne connais pas le chemin. La maison paraît grande, trop grande. Je dois marcher longtemps, le bruit de mes tongs résonnant sur le sol en bois, pour atteindre la salle à manger. J'entends des voix qui viennent de la cuisine, ma mère et SeokJin, je crois. Mon père également. Tout ceci me semble lointain et énigmatique. À l'écart, Saejin joue dans le salon, son visage d'ange admirant le monde avec des yeux pleins d'innocence.

Finalement, j'entre dans la salle à manger et je prends place à la table. Mes deux mains sont posées à plat sur le bois, le dos droit comme un soldat en posture de repos. Mon regard est rivé sur l'horloge. 19h23. Plus que sept minutes. Les secondes me semblent interminables, alors que je reste figé, répétant dans ma tête la nécessité de ce rituel. 19h25.

« Taehyung ? » m'interpelle une voix soudaine, celle de mon père. Il me fixe d'un regard désapprobateur et intrigué.

« Qu'est-ce que tu fais ? »

Je sens que quelque chose dans sa voix n'est pas en accord avec mon propre ressenti. « Ce sera bientôt l'heure du dîner, » dis-je, précipité et désespéré. « Jack me disait toujours d'être à table avant 19h30, parce que le dîner doit être mangé à 19h30. Je dois mettre mes mains à plat sur la table pour montrer que je n'ai rien à cacher. C'est la règle et je dois la respecter. » Mon regard se détourne de lui, se fixe à nouveau sur l'horloge.

Je suis obsédé par le temps qui passe rapidement, par l'imminence de cette punition que je crains. Je n'ai pas le droit de sortir mes mains de la table avant que l'heure du dîner ne sonne. Mais au fil des secondes qui s'égrènent, je sens un changement palpable. Le bruit des rires dans la cuisine s'estompe, et pour une raison que j'ignore, une peur sourde s'empare de moi. 19h28. Plus qu'une minute avant que je ne puisse respirer à nouveau.

« Chéri, souviens-toi, ici, nous dînons à 20h00, » commence ma mère, se plaçant près de moi. Elle capture doucement mes mains dans les siennes, mais une angoisse irrépressible m'envahit.

« Non ! Si je retire mes mains avant le dîner, je vais être puni ! » m'écriai-je en larmes, la panique affleurant dans ma voix. Le désespoir m'envahit. Je ne comprends même pas cette réaction. Je sais parfaitement que je ne suis plus à la cave, mais c'est comme si ces règles étaient gravées en moi, comme une seconde peau, un écho des années d'endoctrinement.

Ils me regardent, leurs visages marqués par l'inquiétude et l'empathie. Ma mère recule légèrement, surprise par ma réaction soudaine. « Taehyung, écoute... » commence-t-elle, mais j'interromps, le cœur battant à tout rompre.

« Je dois rester comme ça ! S'il vous plaît, ne me touchez pas, je dois faire ce qu'il faut ! » Ma voix tremble alors que je lutte contre mes propres souvenirs. Chaque mot qu'ils prononcent résonne comme une menace contre cette réalité apaisante qu'ils essaient de construire.

SeokJin, qui est resté en retrait, s'avance un peu, la voix douce. « Taehyung, tu es en sécurité maintenant. Ce ne sont plus les mêmes règles. Je sais que c'est difficile, mais... tu n'as rien à craindre ici. Pas avec nous. »

Mais sa gentillesse ne fait que renforcer ma peur. Ma réalité est tissée de la colère et de la douleur infligées par Jack. Soudain, je suis transporté à nouveau dans cette cave, en train de continuer ce que je pensais être un jeu mais qui était en réalité un combat pour ma vie. J'ai vécu en pensant que la sécurité ne pouvait s'obtenir que par la soumission, par la rigidité des règles.

« Je vais être puni, » répète-je, mes mains tremblant sous la pression des sentiments instables, la peur palpablement accrochée à ma voix. Je sens l'abandon envahir mes pensées, et je cherche un point d'ancrage.

« Non, non, non, » murmure ma mère, la panique dans la voix. « Taehyung, ce n'est pas comme ça ici. Nous t'aimons. Tout va bien se passer... »

Mais la force de mes règles intérieures est implacable. En moi, quelque chose se brise. Je continues de fixer l'horloge, où chaque seconde semble intolérable. Chaque mouvement des autres semble être un rappel de ma vulnérabilité.

Une douceur inexplicable se forme dans le regard de mon père, quelque chose que je n'ai pas eu l'occasion d'apprécier depuis tant de temps. « Écoute, Taehyung, nous allons dîner ensemble. Tu peux relever tes mains lorsque tu es prêt. Tu n'as pas à rester dans cette posture. Je t'en prie, fais-moi confiance. »

Mais comment puis-je faire confiance ? Comment puis-je accepter qu'il n'y a plus de coups à craindre, plus de chagrin sur la table, lorsque des années de captivité m'ont convaincu que seul l'angoisse et le contrôle prédominaient ?

Dans ma tête, un cri désespéré s'élève. Ce cri est à la fois celui de l'enfant qui a survécu et de l'adolescent qui ne sait plus où il se trouve. Je me redresse. Chaque fibre de mon être hésite entre la soumission et la rébellion. Ma vie ne sera pas juste un enchaînement de règles imposées, mais à quel prix ? Je suis à la fois la victime et l'artefact des blessures infligées à mon âme.

Les mains de mes parents, pleines d'amour, cherchent à me rassurer, mais je reste là, paralysé, prisonnier des décombres de mes propres souvenirs. Et chuchotant dans le fond de mon cœur, la petite voix qui murmure encore à chaque instant : « tu dois obéir. » C'est ce que j'ai appris à faire pendant huit années qui me paraissent infinies.

°

Il est environ 20h lorsque le dîner est finalement servi. L'odeur des plats qui se mêlent m'enivre, mais une vague de stress s'empare de moi. J'ai souvent réfléchi à la façon dont j'en viendrais à m'adapter à la normalité, mais ce soir, c'est comme si le temps ne m'appartenait plus, comme si chaque seconde n'était qu'un rappel cruel de mes règles passées.

Ma famille est là, assise autour de la table, leurs visages illuminés par la lumière douce des chandeliers. Mes parents échangent des sourires et plaisantent avec Saejin, leur voix créant une mélodie de normalité que je peine à saisir. J'essaie de me concentrer sur mon assiette devant moi, mais les souvenirs affluents m'étouffent. En quelques minutes, je sais que je vais devoir retourner à cette ombre qui me hante, celle de Jack.

Je commence à manger nerveusement, avalant chaque bouchée presque mécaniquement. L'anxiété monte tandis que je surveille l'horloge comme si ma vie en dépendait. Je termine mon assiette en moins de cinq minutes, allant jusqu'à laisser une trace de rouille sur la surface du plat. Le regard étonné de ma famille me dérange. Je sais qu'ils sont abasourdis, ne comprenant visiblement pas pourquoi je me précipite ainsi. Mais je suis déjà perdu dans mes pensées, déconnecté de ce qui m'entoure. La notion de temps me fait défaut, et je suis tiraillé entre ce que je dois faire et ce que je veux.

Une fois que j'ai fini, je ne peux pas rester assis encore une seconde de plus. J'essaie d'ignorer les regards de mes parents, leur préoccupation palpable, mais c'est dans leur silence que je trouve l'espace pour agir. Je me lève rapidement. « Excusez-moi, » dis-je avec une voix tremblante, presque inaudible. J'essaie de garder la tête haute, malgré la tempête qui rage en moi.

Mon père me regarde, l'ombre d'une interrogation sur son visage. « Où vas-tu ? Tu peux rester un moment, Taehyung. Nous ne sommes qu'au début du dîner. »

Je me tourne vers lui, désespéré. « Je dois... je dois partir. » L'urgence dans ma voix surprend même mes propres oreilles. J'essaie de rassembler mes pensées, mais la peur me submerge.

« Qu'est-ce qu'il y a ? » demande ma mère avec une inquiétude croissante. « Tout va bien ? »

« Non ! » La colère et l'angoisse se mélangent dans ma réponse frénétique. « Je dois être au lit à 20h00. Sinon, je vais être puni ! » Ces mots me semblent étranges et familiers en même temps, un écho déformé d'un passé que j'aimerais oublier, mais qui continue de me ronger.

Les visages de ma famille se figent, et je vois leur incompréhension évoluer lentement en inquiétude. « Taehyung, tu n'es plus chez ce... Jack, » dit SeokJin, en s'avançant vers moi. « Tu n'es plus en danger ici. Tu n'as pas besoin de vivre selon ses règles. »

Mais ses mots ne parviennent pas à percer la carapace de terreur qui m'entoure. « Vous ne comprenez pas, » dis-je, ma voix se brisant sous le poids de ma panique. « Les punitions n'étaient jamais bon signe. Je dois me conformer aux règles. Je le sais. »

Tout mon corps tremble alors que je lutte pour garder mon calme, et l'image des journées passées dans la cave réapparaît, celle du chagrin et de la douleur qui se mêlent sous le joug inexorable de Jack, un homme qui avait tout pouvoir sur ma vie, non seulement par la force, mais aussi par la manipulation de mes peurs, de mes désirs. La terreur de son regard, le moment où il déterminait si j'avais échoué ou non à respecter les règles. Ces souvenirs sont gravés dans ma chair, tout comme l'angoisse de ce qui pourrait arriver si je ne me pliais pas à ses exigences.

Je me fige, écrasé par le torrent des émotions, et ma mère porte une main à sa bouche. « Taehyung, on ne va pas te punir ici. Ce n'est pas comme ça que ça se passe. Je te promets. »

Dans ma tête, un cri retentit. Comment cela peut-il être vrai ? Mon corps régit selon d'anciennes lois, celles que Jack a imposées, et chaque mot qui sort de leur bouche semble détraqué. Je ne peux pas me laisser emporter par leurs promesses.

Une onde d'angoisse parcourt mes membres alors que mes yeux se déplacent vers l'horloge. 20h32. Je déglutis difficilement. « Je dois partir. Maintenant. » Je fais un pas en arrière, mais ma mère se rapproche de moi, la voix sourde de créativité.

« Attends, Taehyung. Pourquoi ne pas rester juste un instant ? Regarde, nous pouvons en parler ensemble. Ce n'est pas comme avant. Tu es en sécurité, je te promets. Tu es notre fils. »

Mais je secoue la tête, luttant contre les souvenirs oppressants. « Je suis désolé, mais je... je dois partir. » Un mouvement réflexe, et je tourne les talons, mes pieds m'entraînant hors de la salle à manger.

Je sens leurs regards sur moi, leur confusion, leur douleur. Mais je ne peux pas me permettre de rester. Je me rends compte que l'horloge tourne, et chaque seconde qui passe me rapproche de mon propre jugement. Je file dans le couloir, mes tongs claquant contre le sol. L'espace est trop grand, trop vide, et chaque détail me rappelle ma captivité.

Arrivé dans mon refuge, je claque la porte de ma chambre. L'espace est décoré à neuf, mais il me semble être un étrange spectre du passé, un lieu qui meurt d'une vie que je voudrais sentir, mais que je ne peux pas régénérer. J'ignore ce que je fais. Mon cœur bat la chamade, le besoin de précision résonne alors que je cours vers mon lit, là où j'essaie de me blottir dans mon propre cocon, pour échapper à la douleur, pour remonter les murs qui se sont effondrés.

J'ai cru naïvement un instant que j'étais libre. Mais chaque regard, chaque voix, chaque ricanement auparavant agréable redevient une menace. Je serre mes mains autour de mes genoux, mes orteils cloîtrés dans le doux tissu du drap, tandis que des larmes commencent à s'échapper, brûlantes et incontrôlables. J'aimerais tant crier pour libérer cette douleur, mais je ne fais que pleurer. Je suis là, perdu dans les méandres de mes pensées, refermé sur moi-même, incertain de quoi faire pour fuir les chaînes invisibles qui m'entourent.

Ici, je n'ai plus peur des murs, mais ces murs me rappellent chaque instant, chaque besoin, chaque condition, tout ce qui n'appartient qu'à moi. Je dois croire qu'il y a une différence entre le passé et le présent. Que la douceur des mots de ma famille n'est pas une illusion, que la liberté me tend la main. Mais encore une fois, les souvenirs m'enserrent dans leurs griffes, me laissant dans un silence assourdissant.

Il y a des murs dans ma tête...

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Voilà le chapitre 5 j'espère qu'il vous a plu✨

/!\C'est un double update du chapitre 5 et 6

La suite en bas⬇️

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