𝟕. 𝐔𝐧 𝐩𝐞𝐮 𝐦𝐨𝐢𝐧𝐬 𝐬𝐞𝐮𝐥𝐞
𝓛é𝓪𝓱.
Je ne saisis pas très bien ce qui se passe, là, tout de suite. L'anxiété ne disparaît pas totalement, mais quelque chose de plus fort coule dans mes veines. Sa présence et son soutien me portent un peu plus haut, plus loin que je ne l'aurais cru. Mon cœur affolé change de fréquence, s'accorde à la sienne, au bruissement des feuilles et au chant des oiseaux. Ses lèvres se retroussent en un sourire sincère, irrésistible ; je me sens mieux. Mes mains continuent de trembler, mais plus pour les mêmes raisons. Je ne sais pas si ce truc existe entre nous ou si j'aime à l'imaginer pour me rassurer, mais je crois que je m'en fiche. Il est là, il est resté pour moi et grâce à lui, je redécouvre le plaisir de me sentir appréciée, épaulée.
Un peu moins seule.
— Oh, venez-vous asseoir près de Maman, il reste une place ! s'écrie ma sœur à Basile, d'un ton enjoué.
Je ne capte pas tout de suite ce qu'elle vient de dire. Mais quand ses mots parviennent jusqu'à mon cerveau, mes sourcils se hissent au milieu de mon front, le choc est difficile à contenir.
À la place de Papa ?
Cette question doit probablement se lire dans sur mon visage puisqu'elle me répond d'un haussement d'épaules, accompagné d'un petit sourire mutin. Depuis toujours, Isabella et moi nous comprenons sans avoir besoin de prononcer un mot. Là, par contre, j'ai l'impression qu'on a changé ma sœur juste avant son mariage. Le fait qu'elle propose à Basile de s'asseoir sur cette chaise vide, prévue pour notre père, c'est... inattendu. Vraiment. Je me rappelle encore le dernier repas de famille, quand Caramel, le petit teckel de maman, s'était assis dans son fauteuil. Isa en était malade. Elle l'avait récupéré pour le prendre sur ses genoux, s'acharnant à ne pas laisser les larmes venir tenir notre après-midi. L'équilibre est difficile à maintenir depuis qu'il est parti, il était notre pilier de sagesse, de sécurité. Et son départ soudain rend notre deuil encore plus difficile à faire.
— Léah ?
Isabella. Encore.
Tout me revient. Le discours, la pression, l'absence de mots et les murmures asphyxiants.
J'inspire profondément afin de remplir mes veines d'oxygène et de courage, trouvant refuge dans un regard océan qui me fascine autant qu'il me désarme.
— Ceux qui me connaissent bien savent que je ne suis pas à l'aise de m'exprimer devant autant de monde. Mais ne dit-on pas qu'il faut parfois prendre des risques dans la vie ? Isabella et Anthony n'ont pas hésité à gravir chacune des marches qui les ont portés jusqu'au sommet, jusqu'à l'un des points culminants de leur histoire : celui de leur mariage. La promesse d'une vie pas toujours toute rose, ni toute lisse... mais aux nombreuses nuances et aux multiples saveurs. Je n'aurais pas pu rêver mieux pour ma sœur qu'un homme si doux et attentionné. Et je n'aurais pas pu espérer mieux pour Anthony qu'une femme aussi explosive, drôle et aimante. Deux êtres si différents, mais tellement complémentaires. Un amour si fort est sincère dont le monde entier devrait s'inspirer, car c'est là la plus belle chose que je puisse souhaiter à chacun d'entre vous : de trouver cet amour, de le chanter, de le danser, de le célébrer chaque nouveau jour. Mais surtout, de le chérir dès les premiers instants, et jusqu'à la dernière seconde.
***
— Votre discours était très beau, me lance Basile alors que nous venons tout juste de rejoindre le bar pour la suite des festivités.
— Merci. Pour ça et... d'être revenu. Elles se sont un peu emballées à votre sujet.
— J'ai cru comprendre, oui, sourit-il, le haut de ses joues recouvert d'un léger voile rougeâtre.
Il est vraiment craquant...
— Andrea ne risque pas de vous en vouloir ?
Comme d'habitude, je n'ai pas réfléchi avant d'ouvrir la bouche. Tous ses regards que nous échangeons me donnent l'impression d'être bien plus proche de lui que je le suis en réalité. Il m'est étranger. Difficile d'accepter que je ne puisse pas tout savoir de lui, tout de suite. Que je ne connaîtrais probablement jamais ses secrets, ni cette partie de sa vie trop intime pour être abordée ici, avec moi. Basile n'avait déjà pas envie de parler d'elle tout à l'heure, alors maintenant...
Il ne relève même pas la tête, se contente de soupirer en jouant avec une serviette déposée sur le comptoir en pierre.
— Andrea s'en remettra. Vous buvez quelque chose ?
— Je veux bien une coupe, merci.
Le silence entre nous se charge d'un certain malaise, mais j'accepte qu'il préfère clore le sujet. J'implore ma curiosité maladive de cesser toutes tentatives avant de le faire fuir définitivement, me promettant de ne plus remettre le sujet « petite copine » sur le tapis.
— Votre sœur et vous êtes très proches, n'est-ce pas ? m'interroge-t-il en l'observant de loin, l'air songeur.
— Oui. Depuis toujours, mais plus encore depuis la mort de notre père.
Son attention se pose à nouveau sur moi ; je tente à mon tour de fuir son regard. Je déteste paraître fragile devant les autres, mais mentionner cette douleur trop récente, virulente et profonde, me donne l'impression de m'effondrer de l'intérieur. Je ne sais pas comment la dompter. Ça me terrifie.
— Je suis désolé, se contente-t-il de me répondre en récupérant nos boissons. À l'amour, et aux absents.
Un sourire triste anime ses lèvres lorsque je claque mon verre au sien, rempli d'un liquide ambré, et je n'ai d'autre choix que de plonger pour me perdre dans l'ivresse infinie de ses iris couleur tempête. Une tempête semblable à celle qui fait rage dans chacune de mes cellules. C'est bouleversant, tout ce qu'il éveille en moi alors qu'il n'a prononcé que quelques mots. J'ai conscience que ce jour est particulièrement difficile pour moi, émotionnellement parlant. Ma sœur se marie, je suis heureuse mais j'ai l'étrange sensation de la perdre un peu. Papa n'est pas là pour partager ça avec nous, et je réalise davantage à quel point ma mère doit se sentir seule depuis son départ. Et puis... il y a cet homme, juste en face de moi, dont je ne connais rien mais qui, indéniablement, ne me laisse pas indifférente.
J'avale une gorgée de champagne pour taire ses pensées absurdes qui prennent beaucoup trop de place. Puis une deuxième, réalisant que ça n'a pas l'effet escompté.
— Vous savez bien plus de choses sur moi que je n'en connais sur vous, lui fais-je remarquer après avoir finalement sifflé l'intégralité de ma flûte.
— Qu'est-ce que vous aimeriez savoir ?
— Tout ce que vous pourrez me dire. Je ne sais pas, parlez-moi de vous ; de votre famille.
Accoudé au bar, il se relève en souriant, imite mon geste en vidant son verre cul sec et frotte sa paume droite contre sa nuque. Sa gêne est palpable, elle ne fait qu'attiser mon désir d'en savoir plus.
— J'ai une sœur, Oriane. Elle a 23 ans. C'est à elle qu'appartient la robe que vous portez.
— Oh ! Je comprends mieux. C'est tellement gentil de sa part !
— En fait, Ori n'est pas prêteuse. Mais elle me devait un service. Et je crois que si elle vous voyait, elle regretterait amèrement d'avoir cédé à ma demande.
— Vous croyez ? m'inquiété-je soudainement. Mais pourquoi ? Je vous promets d'y faire très attention !
Je détaille le tissu pour y déceler la moindre tache, le moindre accroc, mais rien. Et plus je me contorsionne pour chercher dans des endroits improbables, plus ça le fait marrer.
Contente de voir que ça l'amuse !
— Non, ça n'a rien à voir. C'est juste que... hésite-t-il en retrouvant son sérieux. Vous la portez divinement bien. On dirait qu'elle a été faite pour vous.
— Alors c'est ici que vous vous cachez ! s'écrie une voix familière, juste derrière moi.
Il me faut quelques secondes pour parvenir à décrocher des prunelles ardentes de Basile. Ses mots, sa façon si sensuelle de les prononcer... ça ne devrait pas me faire autant d'effet. Non, ça ne devrait pas affoler mes sens, faire vibrer mon âme et frissonner ma peau. Ça ne devrait pas non plus soulever autant de questions. Ni de désir.
— Venez, insiste ma sœur, on vous attend pour les photos !
Nous en avons fait. Des dizaines, peut-être même des centaines. En groupe, avec les mariés, puis rien que nous deux. Je suis passée par à peu près toutes les émotions possibles, de l'angoisse la plus totale à l'excitation la plus enivrante. Il semblerait que mon esprit se repasse un message en boucle, sans doute dans l'espoir que je l'imprime en lettres capitales sur chacun des rouages de mon cerveau : profite Léah. C'est maintenant ou jamais !
Mais le combat est rude, acharné. Face à la véhémence de ma libido qui donne l'impression d'être au bord de l'implosion, il y a celle qu'on nomme Raison, toujours là pour nous montrer la voie la plus sage, ou du moins, la plus éthiquement correcte : stop, il a déjà une petite amie.
Je suis beaucoup de choses. Une catastrophe ambulante, une éponge à émotion, un tourbillon de contradictions, mais certainement pas une briseuse de ménage !
Bien que celui-ci a l'air déjà salement amoché, la ramène un peu trop ma conscience diablotine.
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