𝟒𝟐. 𝐁𝐞𝐬𝐨𝐢𝐧 𝐝𝐞 𝐫é𝐩𝐨𝐧𝐬𝐞𝐬

𝓑𝓪𝓼𝓲𝓵𝓮

C'est ainsi que, pendant plus d'une vingtaine de minutes, je lui raconte toute l'histoire. Tout ce qui concerne Andrea, mais également ce qui la touche, elle. Notre rencontre, puis la façon dont je me suis incrusté au mariage de sa sœur pour lui rendre service. Au fond, je crois que c'était aussi pour moi que je l'ai fait. Je ne voulais pas que ce sentiment de bien-être disparaisse. Je cherchais un moyen de faire durer l'instant, sans penser au reste. Des frissons parsèment ma peau lorsque je mentionne notre nuit, car même sans entrer dans les détails, ça ne les empêche pas de tourner dans ma tête à plein régime. Je l'observe, scrutant son visage par peur d'y voir naître un quelconque jugement. Je lui explique ma maladresse, mon besoin de l'éloigner de moi afin de la protéger. Les mots terribles que je lui ai crachés au petit matin par pur égoïsme, je m'en rends compte à présent. J'avais besoin d'être libre, seul, sans chaînes, dans l'unique but de mettre en place ma petite vengeance personnelle. Et sans l'avoir réellement voulu, Léah est devenue une entrave ; je tenais à elle bien plus que je ne voulais l'admettre. Ses murmures sensuels ont éveillé le sentiment que j'avais vu s'évanouir mes rêves pour rien. Je ne suis pas prêt à affronter ça.

Le serais-je, un jour ?

Lorsque je mentionne la mort d'Andrea, sa présence, la manière dont les choses se sont déroulées, j'aperçois la couleur quitter son visage un instant, ses yeux s'écarquillent, puis se voilent de tristesse. Peut-être même de colère.

— Tu l'as abandonnée ? me demande-t-elle sur le ton du reproche.

— Non, je... Je croyais que c'était la meilleure chose à faire. J'ai dû mentir aux flics, je ne voulais pas qu'elle soit mêlée à tout ça.

— Mais tu l'as abandonnée.

Elle répète ça en boucle, furieuse, comme si c'était la seule chose qu'elle avait retenue de tout ce que je lui ai raconté.

— Ori, j'étais censé faire quoi ?

— C'est quoi ton excuse pour être parti ? Tu étais où durant ces dix jours ?

Sachant pertinemment que je ne pourrais pas fuir cette conversation, je souffle en fermant les yeux, essayant de calmer mon palpitant affolé. La douleur frappe à nouveau, dans tous mes muscles. J'ai pourtant essayé de l'étouffer au plus profond de moi, mais elle finit toujours par réapparaître, plus redoutable, plus sournoise.

— J'ai été voir Vincent.

Les yeux ronds comme des soucoupes, elle ne dit plus un mot. Je crois même qu'elle a arrêté de respirer. Ses épaules se tendent, ses mâchoires aussi. Le silence s'éternise tandis que nos regards ne se quittent pas. Quand elle retrouve finalement la maîtrise d'elle-même, je décèle la souffrance et la rage avant même qu'elle ouvre la bouche.

— Pardon ? Tu te fous de moi, j'espère ?

— J'avais besoin de réponse.

— Ce mec est un putain de pédophile ! hurle-t-elle, la voix brisée.

— Je l'ai aimé, Ori.

Mon entraineur, que je le veuille ou non, comptera toujours pour moi, d'une certaine façon. Je ne peux pas changer le passé, mais pris au piège de mes démons, j'étais incapable de me tourner vers l'avenir. J'avais espoir qu'une confrontation me permettrait de tourner la page une bonne fois pour toutes ; ça ne s'est pas vraiment passé comme je l'espérais.

— C'était nécessaire, poursuis-je avec douceur tout en m'approchant d'elle. Quand j'ai su que quelqu'un avait payé Cobra, son visage m'est apparu comme une évidence. Une fois que la police m'a laissé tranquille, je me suis mis à sa recherche. Ça m'a pris du temps mais j'ai fini par retrouver sa trace.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Nous avons parlé. Beaucoup. Trop. Quand j'ai compris qu'il n'avait rien à voir avec cette histoire, je me suis rendu compte que j'avais besoin... de plus.

L'aversion déforme ses traits. Ses lèvres tremblent, mes mains aussi. Dans ma poitrine, quelque chose se brise ; les éclats m'écorchent de l'intérieur et me prive d'oxygène. Oriane secoue la tête, me scrute de ses yeux humides.

— Tu... Vous... articule-t-elle avec difficultés. Non. Tu ne l'aurais pas laissé te faire encore plus de mal, n'est-ce pas ?

— Nous n'avons fait que discuter. Il fallait que je sache s'il m'avait vraiment aimé.

— Pourquoi ?

Sa voix n'est plus qu'un murmure imperceptible. J'ai si mal de la voir souffrir.

— J'étais perdu. Dévasté. J'avais besoin de savoir si oui ou non, j'avais compté pour lui. J'en voulais tellement à Andrea, à moi-même ; à lui aussi.

Je réduis la distance entre nous jusqu'à l'annihiler, puis la prends dans mes bras. Le nez dans ses cheveux caramel, j'inspire son parfum et le laisse m'apaiser un instant, se répandre en moi, adoucir cette aigreur qui tapisse le fond de ma gorge.

— J'ai grandi, je me suis construit avec la certitude qu'il avait raison.

— À propos de quoi ? sanglote-t-elle, comme si elle percevait la douleur dans ma poitrine.

— Que je ne méritais pas d'être aimé.

Elle me repousse brusquement, laissant apparaitre son visage abimé par le mascara qui s'est mélangé à ses larmes. Elle pointe son index vers moi, le regard dur, essayant tant bien que mal de masquer les trémolos dans sa voix.

— Je t'interdis de dire ça !

— Ouvre les yeux, Ori. Tu as souffert à cause de moi, papa et maman ont souffert à cause de moi, Ben souffre à cause de moi, Andrea a failli tuer Léah et s'est tiré une balle à cause de moi ! m'époumoné-je, incapable de m'arrêter. Je ne suis bon qu'à détruire tous ceux que j'aime !

— Basile... c'est des conneries, tout ça, affirme-t-elle avec douceur, en posant sa main sur mon torse.

J'ai l'impression que mon cœur va exploser. J'aimerais qu'elle frappe, m'ouvre la poitrine et m'arrache cet organe qui ne fait que répandre du poison dans mes veines. Partout autour de moi. Je ne veux plus rien ressentir. Oublier. Devenir quelqu'un d'autre.

Quelqu'un de bien.

Mon portable vibre contre ma cuisse. Je plonge ma main pantelante dans la poche de mon jean et jette un œil à l'écran. Je m'éloigne d'Oriane, déboussolé.

— C'est Nathalie, la maman de Ben, informé-je ma sœur, comme si j'avais besoin qu'elle me dise quoi faire.

— Vas-y, réponds !

Je me racle la gorge, tentant de débarrasser toutes traces de notre conversation animée, et décroche sans la quitter des yeux.

— Basile Gauthier.

— Bonjour Basile, c'est Nathalie Lagadec. Je vous dérange ?

— Non, pas du tout. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

Je glisse une main nerveuse dans mes cheveux. Je ne sais pas pourquoi, mais après avoir vidé mon sac, je ne peux pas m'empêcher d'espérer une bonne nouvelle. Oriane me fixe sans sourciller, prisonnière de l'attente, tout comme moi.

— Je voulais m'excuser de la manière dont mon mari vous a reçu hier. Il s'est terriblement mal comporté avec vous.

— Ne vous en faites pas pour ça, Nathalie. Ce qui m'importe, c'est Benjamin. J'aurais vraiment voulu avoir l'occasion de me racheter.

Un silence étrange s'installe, je crois l'entendre soupirer mais je n'en suis pas certain. Après quelques secondes, elle reprend, hésitante :

— J'ai entendu ce que vous avez dit à Franck avant de partir.

Je ne dis rien. Je n'ai pas l'impression qu'elle s'attend à des excuses, et je ne compte pas les présenter.

— Ce n'était...

— Vous avez raison, me coupe-t-elle. Et je refuse que mon fils m'en veuille de ne pas l'avoir soutenu. C'est mon seul enfant et je ferai absolument tout pour qu'il soit heureux. S'il veut devenir un champion de tennis, alors je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'il le devienne.

— Merci Nathalie. Vous n'imaginez pas comme je suis soulagé ! Je connais de très bons entraîneurs qui sauront faire évoluer Ben dans les meilleures conditions possibles, sans que ça nuisent à son parcours scolaire.

Mes épaules s'allègent d'un poids énorme et je ne sais retenir le sourire qui étire mes lèvres. Savoir que Ben pourra poursuivre son rêve me fait un bien fou.

— Non, Basile, ricane-t-elle. Benjamin ne veut pas entendre parler de tennis si ce n'est pas vous qui le lui enseignez. C'est pour ça que je vous téléphone. Seriez-vous prêt à reprendre les entraînements de mon fils ?

Les yeux écarquillés, j'ouvre la bouche à plusieurs reprises mais aucun son n'en sort. Je cherche un point d'ancrage dans les billes océan de ma sœur, qui n'a toujours pas bougé depuis tout à l'heure. Je la soupçonne d'entendre la voix de Nathalie à travers le combiné, car son sourire s'est agrandi, il fend son visage lumineux. La lueur de fierté dans ses yeux répare un truc que je croyais brisé, quelque part dans ma poitrine. J'inspire profondément avant d'émettre une phrase que j'espère cohérente.

— Je... C'est... Évidemment ! J'en serais très heureux.

Une étrange chaleur se propage dans chaque parcelle de mon corps endolori. J'avais besoin d'un signe, d'un moyen d'y croire à nouveau, n'importe quoi pour me prouver que ça valait la peine de me battre.

Et je crois l'entendre enfin, cette petite voix qui murmure qu'il reste encore de l'espoir. 

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