𝟒𝟏. 𝐈𝐥 𝐬𝐮𝐟𝐟𝐢𝐫𝐚 𝐝'𝐮𝐧 𝐬𝐢𝐠𝐧𝐞

𝓑𝓪𝓼𝓲𝓵𝓮

Assis derrière mon bureau, les yeux perdus dans le vague, je cherche des réponses alors que je ne sais même pas quelles sont les bonnes questions. Autour de moi, ce vide m'aspire avec tellement de puissance que je crois n'avoir plus la force de lutter. Peut-être devrais-je simplement accepter ma part de responsabilité dans tout ça. La meilleure chose à faire serait sans doute de disparaître à nouveau, de leur foutre la paix ; essayer de trouver ma place quelque part dans ce vaste monde, si tant est qu'elle existe. J'ai joué au con et j'ai perdu. Encore. J'ai corrompu ma légitimité d'entraîneur. J'ai laissé filer ma chance de renouer avec Léah. J'étais prêt à courir vers la lumière sans m'imaginer une seule seconde que c'est elle qui ne voudrait plus de moi. Les ombres n'abandonnent personne, jamais. Les démons sont toujours là pour écouter, conseiller, briser le silence et apaiser la solitude. Je leur donnerais bien mon âme, si cela permettait d'expier mes torts.

Une vibration me sort de ma torpeur. Mon téléphone vissé dans ma paume, je le relève et détaille l'écran. C'est Ori qui m'envoie un texto.

[Tu croyais vraiment que ce serait aussi simple ?]

Un rire nerveux m'échappe tandis que je me redresse. Ses mots font échos à mes pensées ; je pourrais presque y voir un signe, si je ne lui avais pas raconté ma tentative échouée de récupérer mon élève et de reprendre là où nous nous étions arrêtés.

Sans savoir que dire, j'observe la conversation sur mon téléphone en poussant un long soupir. Je la connais assez pour savoir qu'elle va insister sitôt qu'elle aura aperçu le mot « lu » sous le message. Les petits points recommencent rapidement à danser sur l'écran, j'en étais sûr.

[Tu sens cette bonne odeur de gâteau au citron ? Ramène tes fesses et viens manger, c'est très bon pour ce que tu as ! ]

J'hésite à lui demander ce qu'elle sous-entend, mais au fond, je ne crois pas avoir envie de le savoir. Curieusement, de délicieux effluves sucrés parviennent jusqu'à mes narines, se fraient un chemin vers mon estomac vide, qui grogne d'insatisfaction. Ma petite sœur est un as de la pâtisserie ; elle a toujours préféré rester derrière les fourneaux avec mon père pendant que moi, je passais mon temps dans le jardin avec ma mère.

Je chasse ces vieux souvenirs édulcorés, cherche à me défaire de ce poids qui m'écrase et lui répond enfin, sans grande conviction :

[J'arrive]

***

— Arrête un peu de geindre et demande-toi plutôt ce que tu pourrais faire pour arranger les choses.

J'avale de travers, me précipite sur mon verre d'eau pour m'aider à reprendre mes esprits.

Tiens, bouffe ça, Basile !

— Tu crois quoi, que j'ai été chez eux pour faire mumuse ? ironisé-je une fois ma toux calmée. Qu'est-ce que je peux faire de plus ?

Elle hausse les épaules en léchant sa cuillère.

— Laisse passez un peu de temps. Il changera peut-être d'avis.

— Son père ? Aucune chance. C'est un con qui ne pense qu'à sa petite entreprise.

— Et sa mère ?

— Je crois qu'elle n'a pas son mot à dire...

Elle marque une pause, les sourcils froncés et la bouche tordue dans une moue désapprobatrice.

— Elle n'a pas son mot à dire sur l'avenir de son fils ?

— Je te le répète : c'est un con.

— Si tu veux mon avis, poursuit-elle la bouche pleine, c'est un problème qu'ils doivent régler entre eux. Tu n'as rien à voir avec ça.

J'aimerais la croire, ce serait plus simple. Mais la culpabilité me ronge.

— Tout est ma faute...

Par-delà la brume de mes pensées, le visage de Léah m'apparaît. Mon cœur s'affaisse davantage dans le fond de ma cage thoracique ; la douleur me fait manquer d'oxygène. Je n'ai pas seulement perdu mon statut d'entraîneur, j'ai également vu s'envoler tout espoir de retrouver notre complicité et ça me fout en l'air.

— Je ne comprends pas pourquoi tu te flagelles autant. Tu as vécu un drame, tu as eu besoin de t'éloigner, n'importe qui devrait pouvoir l'entendre.

Tu ne sais pas tout, Ori...

Je vais pour lui répondre, lui parler de tous les tourments qui m'incombent, les mensonges et les sentiments, mais elle poursuit :

— Tu veux que je te dise ? Son père aurait trouvé n'importe quelle excuse pour faire arrêter Ben. Si vraiment c'était toi le problème, il aurait simplement pris un autre entraîneur. C'est à sa mère de s'imposer, maintenant. C'est à eux de régler ça, pas à toi.

Je ne peux pas lui dire. Avouer que Benjamin m'en veut sûrement d'être parti, et ce, bien avant la mort d'Andrea. J'avais en tête de me venger, de tuer Cobra. J'étais prêt à passer ma vie en tôle, à l'abandonner, si c'était le prix à payer.

Mais rien ne s'est déroulé comme prévu. J'ai déjà fait trop de mal autour de moi, je ne veux pas lui faire de la peine à elle aussi.

— Tu as certainement raison, approuvé-je pour mettre un terme à la discussion. Et toi, comment tu vas ?

— Moi ? Tout va pour le mieux. J'ai dépassé les 70k followers sur Instagram, je me suis gavée avec ce gâteau, c'est une tuerie, et j'ai accepté de devenir l'égérie d'une très grande marque de cosmétiques... la routine quoi.

Un sourire mutin plaqué sur le visage, elle m'observe ingurgiter toutes ses infos et les analyser avec difficultés. Je fronce les sourcils, pas certain d'avoir tout compris, ni du comportement que je suis censé arborer face à tout cela.

— Quoi ? Attends... quoi ? L'égérie d'une grande marque de cosmétique ? C'est-à-dire ?

— Oh, tu sais, poser pour des affiches, tourner des publicités, ce genre de choses.

L'éclat dans ses yeux ne trompe personne, et surtout pas moi. Elle fait la fille blasée, qui prend les choses avec détachement et légèreté mais en réalité, elle a envie de hurler de joie. Et moi aussi, putain !

— Ori, c'est un truc de dingue !

— Oui, je sais !

Son corps bondit contre le mien tandis que sa fourchette retombe lourdement dans son assiette. Mes bras entourant sa taille, je la presse contre moi et respire son odeur à pleins poumons. C'est si bon de l'avoir près de moi.

Comment ai-je pu prendre autant de risque, alors que j'avais tout pour être heureux ?

— Je suis tellement fier de toi.

Elle renifle et s'éloigne, les larmes au bord des cils.

— Arrête, tu vas me faire pleurer. D'ailleurs, j'organise une soirée vendredi soir pour fêter ça. Je prépare un truc à manger à l'appart et ensuite on sort faire la fête. Ça te dit ?

— Évidemment. Léah sera là ? lancé-je sans trop réfléchir.

Elle tique un court instant, mais s'active à ranger la table sur laquelle nous avons mangé.

— Je ne lui ai pas encore demandé, mais je vais le faire. Ça lui ferait du bien à elle aussi, je crois qu'elle n'est pas très bien en ce moment.

Ouais, je sais. Je crève de lui avoir fait tant de mal. De l'imaginer dans les bras d'un autre. De l'avoir perdue pour de bon.

— Elle va venir seule, tu penses ?

Cette fois, ma petite sœur se fige, une assiette dans chaque main, et me lance un regard incrédule.

— Évidemment, avec qui tu veux qu'elle vienne ?

D'après ce que j'ai pu lire sur ce foutu bout de papier, son « amoureux ».

— J'ai entendu dire qu'elle avait rencontré quelqu'un.

— Léah ? Euh... la dernière fois qu'elle m'a parlé d'un mec, elle m'a vaguement dit que ça s'était mal passé.

Coupable...

Mais depuis, reprend-elle après une courte réflexion, je n'ai pas connaissance d'un nouveau petit copain. Mais bon... Elle ne me dit plus grand-chose depuis quelque temps.

Je vais chercher l'éponge pour nettoyer la table tandis qu'elle dépose la vaisselle dans l'évier. Après un moment de silence, pendant lequel je croyais m'en être sorti sans éveiller de soupçon, elle se retourne et m'étudie de ses deux rayons X.

— Pourquoi tu veux savoir ça ?

— Pour rien.

Involontairement, j'ai grogné cette réponse en fuyant son regard. Mal à l'aise, je frotte la table avec un peu de trop d'engouement, usant de tous les prétextes pour changer de sujet.

— Très jolie, cette table. Tu l'as achetée où déjà ?

— Basile ? insiste-t-elle le bras croisé sous sa poitrine, pas dupe quant à mon petit manège.

Je souffle, me mords la lèvre pour m'empêcher de dire une connerie. La vérité, c'est que j'ai envie de me confier et que j'ai besoin de conseils, mais j'ai peur. Peur qu'elle m'en veuille d'envahir son monde, de faire du mal à ses amies ; d'avouer tout haut ce que j'ai encore moi-même du mal à accepter.

— Tu peux tout me dire, tu le sais ça ?

— Je m'inquiète pour elle, laché-je en glissant une main nerveuse dans mes cheveux.

Je l'entends soupirer lourdement mais ne la regarde pas. J'appréhende qu'elle puisse lire en moi, découvrir que je ne lui révèle pas tout.

Je suis rassuré quand elle enchaîne sans poser plus de questions :

— Ouais, moi aussi. J'ai dû passer par Jo pour avoir de ses nouvelles. Elle s'est complétement renfermée sur elle-même et j'ai du mal à comprendre pourquoi.

— Je l'ai vue, hier, lui avoué-je en plantant mon regard dans le sien. J'ai essayé de lui parler, mais elle n'a rien voulu savoir. Je ne sais pas comment m'y prendre.

— Elle t'en veut d'être parti ?

Sans attendre ma réponse, elle poursuit sa réflexion, comme si je n'étais pas là.

— Non, elle t'en voudrait pas pour ça. Léah, c'est quelqu'un de compréhensif. Il s'est passé un truc entre vous ? demande-t-elle en se rappelant ma présence. Je croyais que vous vous entendiez bien, non ?

Je sais très bien que, lorsque Oriane parle d'un « truc », elle n'envisage pas une seule seconde la signification réelle de ce « truc ». Elle fait encore mine de réfléchir et j'en profite pour prendre une grande bouffée d'oxygène. Il est temps d'en parler, je crois. D'avouer l'inavouable. D'accepter l'inacceptable.

— En fait, il se pourrait que...

— Oh bordel ! me coupe-t-elle en pointant son index vers moi.

— Quoi ?

— C'était toi ?

L'énorme boule d'angoisse qui pesait sur mon estomac remonte dans ma trachée, coupant net toutes tentatives de riposte. Je ne suis pas certain de ce qu'elle veut dire, mais à sa façon de me dévisager, j'en déduis qu'elle ne doit pas être loin de trouver la définition exacte de ce fameux « truc ».

— Le connard qui lui fait du mal, c'était toi !

Aucune question dans sa phrase. Je me contente de souffler en baissant les yeux vers mes chaussures, honteux.

— Je vais tout t'expliquer, Ori.

— T'as plutôt intérêt, oui.

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