𝟑𝟏. 𝐂𝐢𝐦𝐞𝐭𝐢è𝐫𝐞

𝓑𝓪𝓼𝓲𝓵𝓮

Je relève enfin les yeux embrumés en direction de la silhouette trouble qui tient toujours l'arme. La mienne. Celle que j'ai posée sur le sol et que j'ai abandonnée sans même m'en rendre compte. L'homme se dessine plus nettement. Ce visage, je le connais par cœur. Il partage ma vie depuis longtemps. Un homme que j'ai aimé.

Celui pour qui j'aurais donné ma vie.

Celui que je n'imaginais pas un jour détester à ce point.

Andrea.

— Pourquoi ? Pourquoi tu as fait ça ?

— C'était le seul moyen, tu le sais... Il ne nous aurait jamais laissés en paix !

— Tu ne comprends pas ! Il était sur le point de...

— Oh mon Dieu ! intervient une voix féminine que je reconnais aussitôt. Est-ce qu'il est...

— ...mort, termine Andrea. Il le fallait.

Terrorisée, Léah place une main sur sa bouche tandis que des larmes inondent ses yeux café. Je me lève d'un bond, furieux, et me hâte de les rejoindre.

— Bordel, mais qu'est-ce que vous foutez ici tous les deux ?!

— Je suis venu régler mes comptes, assène-t-il d'un ton chargé de colère.

Léah s'interpose entre nous, tremblante et paniquée.

— Il faut partir ! On ne peut pas rester ici !

Andrea secoue la tête à la négative. Je ne sais pas ce qu'il a en tête mais tous mes sens se mettent en alerte lorsque mon attention tombe sur le flingue qu'il resserre entre ses doigts.

— Qu'est-ce que ça veut dire ? demandé-je, déstabilisé.

— Je veux savoir depuis quand vous baisez ensemble.

Je ne pensais pas cela possible, pourtant l'ambiance s'assombrit davantage alors qu'il désigne Léah d'un coup de menton. Andrea me fixe avec une haine froide qui contraste avec la lave en fusion circulant sous ma peau. Son visage ne présente aucune faille dans laquelle je puisse m'engouffrer. Aucun doute. Aucune hésitation. Putain, je n'aime pas ça. Il est trop sûr de lui. Je le connais suffisamment pour savoir que mentir ne ferait qu'empirer son état. Mais la vérité entraînera forcément des conséquences désastreuses.

— Tu crois vraiment que c'est le moment de parler de ça ?

— Oh, le grand Basile Gauthier n'est pas à son aise, peut-être ? Qu'est-ce que t'en penses ma jolie ? poursuit-il d'une voix faussement douce à l'intention de Léah, on va prendre un petit café pour en discuter ?

Mal à l'aise, cette dernière baisse les yeux, incapable de lui répondre. Soudain, j'ai peur pour elle ; du mal qu'il pourrait lui faire. Je dois agir. La protéger. Désamorcer cette bombe humaine qui semble prête à exploser. À tout détruire sur son passage.

— Ce n'est pas ce que tu crois.

— TU ME PRENDS POUR UN CON EN PLUS ?!

Il hurle en appuyant le bout du canon fumant sur mon front. Je frissonne sous la morsure du métal, terrifié de voir autant de haine dans ses iris sombres ; autant de rage dans son timbre brisé.

Mes paupières se referment. Je voudrais remonter le temps. Effacer mes fautes. Annihiler les souvenirs. Oublier la chaleur qui m'étreint chaque fois que je pense à elle. Balayer les éclats de rire et les hurlements d'extase. Redevenir le battant, le conquérant, celui pour qui Andrea – et beaucoup d'autres – vouait un profond respect.

Mais il est trop tard. Il n'y a plus de retour en arrière possible. Il ne subsiste que le présent. Le présent qui sent la poudre et goûte le sang. Le présent qui sonne le glas de mes espoirs et de mes illusions.

La sensation de brûlure sur mon front disparaît soudain. Un soupir profond viole le silence suffocant de ses dernières secondes. J'ouvre les yeux et plonge dans ceux de mon ex. La colère n'a pas disparu, mais c'est la tristesse qui domine à présent. Les larmes. Le désespoir, que je sais tout aussi dangereux.

— Je vous ai vus, Basile. J'ai encore les clés de chez toi je te rappelle. Vous étiez nus, l'un contre l'autre. Vous aviez l'air si bien...

— Elle et moi ça ne voulait rien dire, lui assuré-je sans trembler.

L'instinct de survie est une chose que j'ai apprivoisée depuis bien longtemps. Je dois profiter de cette accalmie pour reprendre le dessus. Il le faut.

— Prouve-le, me défie-t-il en redressant l'arme en direction de Léah.

Toujours debout, incapable d'esquisser le moindre battement de cils, la jeune femme me lance un regard ampli d'une terreur qui manque de me faire perdre pied.

— Comment ça ?

— T'as cinq secondes pour choisir qui de nous deux va se prendre la prochaine balle, m'explique-t-il calmement.

Comme si tout cela l'amusait.

— Attends... T'es malade ou quoi ?

Ça ne peut pas être vrai. Andrea est capable des pires bassesses de l'univers pour se sortir du pétrin, mais jouer ainsi avec la vie des gens... Non, c'est impossible. Il bluffe !

— Quatre.

Je jette à nouveau un coup d'œil vers Léah, comme si j'espérais qu'elle puisse s'éclipser, se mettre à l'abri du danger juste en claquant des doigts. Mais seul un hoquet de surprise s'échappe de ses lèvres tremblantes et noyées dans ses larmes.

— Aucun de vous ne mérite de mourir, je ne peux pas choisir !

— Trois.

— Arrête tes conneries. Maintenant.

J'ordonne. Je supplie. Je ne sais plus. Ce décompte est une torture. L'idée même qu'il puisse s'en prendre à elle me détruit. De plus, j'ignore s'il aurait le courage de mettre fin à propre vie. Ses tentatives de suicide n'étaient que des appels au secours... mais est-ce toujours le cas ? Ce n'est pas ce que je souhaite. Non. J'ai besoin de temps. De calme. De faire taire cette cacophonie dans mon crâne et ma poitrine pour enfin être capable de réfléchir. Trouver un moyen de nous sortir de là. Mettre fin à la folie meurtrière d'un homme rongé par le chagrin. Retrouver un semblant de contrôle au milieu de ce cauchemar.

— Deux, poursuit-il, plus déterminé que jamais.

— Je te jure que si tu lui fais du mal...

J'en viens aux menaces, dernier espoir de le faire flancher. Le sang bout si fort dans mes veines que j'ai la sensation de cramer à l'intérieur. Ma rage est à son paroxysme mais n'atteint pas Andrea, qui poursuit son décompte morbide.

— Un.

— Bordel... Je choisis de la sauver, elle ! hurlé-je en la pointant du doigt. Léah n'a rien à voir là-dedans. Maintenant laisse-la partir, pose ce flingue et discutons tous les deux. S'il te plaît.

L'écho de mes supplications résonne dans l'air froid de la nuit, se mêlant au grondement lointain de la circulation. Décontenancé, Andrea me dévisage en fronçant les sourcils. Je suis perdu, probablement autant que lui. Mais s'il y a un moyen pour que tout cela ne finisse pas dans un bain de sang, je dois tout tenter pour la saisir.

— Dis-moi ce que tu veux, Andrea. On a traversé tellement de choses, on peut surmonter ça aussi.

Mes mains gantées et humides du sang de Cobra tremblent légèrement, trahissant mon anxiété.

— Ce que je veux ? répète-t-il d'un air détaché qui n'a rien de rassurant. Que tout redevienne comme avant. Avant Cobra. Avant elle.

Sur ses derniers mots, il se retourne entièrement vers celle qu'il considère comme un obstacle à notre histoire, l'arme toujours braquée sur elle. Il est prêt à tirer. Je le sens. Léah recule de quelques pas en agitant les mains devant sa poitrine dans un ultime espoir d'éveiller la pitié qu'il manque à son agresseur.

— Andrea, non ! supplié-je, incapable de reconnaître ma propre voix.

Mon cœur bat à tout rompre, étouffant le bruit de ma propre respiration. Je revois les promesses de vengeance, la haine qui m'a consumé. Je regrette. Mes sentiments incontrôlables pour cette femme se heurtent violemment à la colère qui me dévore depuis tant d'années. Sans hésiter, je me jette devant Léah, interposant mon corps entre elle et la menace de ce canon tremblant. Je refuse de la laisser payer pour mes erreurs.

— Ne te trompe pas de cible. Le coupable, tu l'as devant toi. Si tu m'en veux à ce point, alors tue-moi.

— Tu me dis que ça ne comptait pas et t'es prêt à mourir pour elle...

Il me parle mais son esprit est ailleurs, comme déconnecté de la réalité. Sombrant dans un délire de plus en plus terrifiant, Andrea semble perdre pied avec le monde qui l'entoure. Je ne sais plus quoi tenter pour mettre fin à cette folie. L'arme toujours braquée sur moi, il ne nous regarde plus, murmure des choses que je ne saisis pas. J'aimerais dire à Léah de s'enfuir, de sauver sa peau au prix de la mienne, mais l'inquiétude me paralyse.

Et puis, sans prévenir, Andrea porte l'arme à son front. Son sourire est doux, résigné. Il a l'air si calme, si résolu. Mon cœur fait une embardée. Je crie à m'en déchirer les cordes vocales tout en me précipitant vers lui afin de l'empêcher de faire cette connerie. Léah hurle, une note aiguë de pure terreur. Mais Andrea ne semble pas l'entendre. Il ferme les yeux, inspire profondément et appuie sur la détente.

Le coup de feu résonne dans l'air, un écho brutal et définitif. J'ai la sensation terrible que le monde s'est arrêté de tourner. Andrea s'effondre, son corps inerte s'écrase sur le sol de béton froid. Le silence qui suit est assourdissant. Je reste là, figé, incapable de bouger, incapable de penser. Léah pleure. Ses sanglots poignants remplissent l'espace. Et tout ce que je peux faire, c'est regarder le corps sans vie de mon premier véritable amour, le visage déchiqueté, une tache sombre se répandant autour de cet amas de chair gisant dans son propre sang.

Ce parking ne ressemble plus à un cimetière abandonné. Il en est bel et bien devenu un. Et je me retrouve au milieu de ce chaos, impuissant et brisé.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top