𝟐𝟑. 𝐋'𝐞𝐬𝐩𝐨𝐢𝐫 𝐟𝐚𝐢𝐭 𝐯𝐢𝐯𝐫𝐞 (𝟏)
𝓛é𝓪𝓱.
Dire que la nuit a été longue est un doux euphémisme. Je ne saurais dire depuis quand je n'avais pas vu défiler chaque minute de chaque heure sur cette antiquité qui me sert de radio-réveil. Évidemment, l'unique message que j'ai envoyé hier soir à Basile est resté sans réponse. Je n'aime pas la façon dont nous nous sommes quittés – comprendre ici : la façon dont il m'a chassé – et encore moins qu'il me laisse à présent sans nouvelle. La moindre des choses aurait été qu'il me rassure. Un petit « je vais bien, merci » aurait suffi. Mais non. Monsieur se mure dans le silence et me laisse à mes tourments qui n'en finissent plus de ronger mes intestins.
Comme tous les matins quand le temps y est propice, je prends mon café sur le balcon. Ce qui a changé, en revanche, c'est qu'au lieu de contempler la vue magnifique, j'ai le nez scotché à mon téléphone. Les cheveux en bataille et le mascara de la veille picorant mes rétines, je ne sais plus quoi imaginer pour me rassurer. Il pourrait tout aussi bien avoir passé la nuit avec Andrea qu'à l'hôpital. Et pour être franche, aucun de ses deux scénarios ne m'apporte le moindre réconfort. Il y a un truc chez ce type qui ne me plaît pas. Depuis notre rencontre au restaurant, j'ai du mal à comprendre ce que Basile lui trouve. C'est peut-être la jalousie qui parle, mais tout me porte à croire que leur relation bat de l'aile. Mes doutes se sont d'ailleurs renforcés hier soir, quand j'ai eu un aperçu de ses relations, visiblement peu recommandables.
Mon portable vibre dans ma main et fait trembler tout mon corps. Le nom du destinataire m'apparaît et je crois qu'à ce moment précis, mon cœur s'est arrêté de battre.
[ Tu es chez toi ? ]
Aucune réponse claire à mon précédent message, mais je suis bien trop contente d'avoir des nouvelles de Basile pour m'en formaliser.
[ Oui. ]
Soulagée – au moins je sais qu'il est toujours vivant –, je me positionne plus confortablement sur ma chaise et inspire une grande bouffée d'air. Je laisse glisser mes doigts sur le satin de ma nuisette, sentant mes lèvres s'étirer en un sourire que je ne saurais réprimer. J'ai hâte de le voir, de lui parler encore. Cela m'a fait du bien de me confier, j'ai même réalisé à quel point ma sœur me manquait. Alors, ce matin, avant de m'extirper du lit, je lui ai écrit pour le lui dire. Nous avons convenu d'un dîner, ce soir, entre frangines.
Et puis, je percute.
Ma nuisette. Mon reste de maquillage. Ma tignasse sens dessus dessous. L'arrivée imminente de mon apollon.
— Oh bordel !
Je cours jusqu'à la salle de bain, me cogne le genou à la table basse au passage, râle sur ce foutu karma qui n'a visiblement pas décidé de me foutre la paix et saute dans la cabine. Un cri m'échappe lorsque l'eau glaciale me mord la peau, mais je n'ai pas le temps de jouer les princesses. Une douche froide est préférable à pas de douche du tout. Je me tartine de savon le visage, le corps et les cheveux. À peine rincée, je me sèche et parcours le hall d'entrée jusqu'à ma chambre. J'enfile des sous-vêtements en coton, puis hésite un instant. Ne devrais-je pas miser sur de la dentelle ?
OK, arrête de déconner Léah !
En coton, donc. Une petite robe émeraude, un coup de peigne et de démaquillant : me voilà fin prête à le recevoir. C'est idiot, pourtant je suis nerveuse. Je sais que je ne devrais pas m'accrocher à lui, mais je crois qu'il est malheureusement trop tard pour les mises en garde. C'est terrifiant de constater à quel point je me suis attachée à Basile en si peu de temps. C'est d'autant plus déstabilisant de ne pas savoir ce que lui pense de tout ça.
Au fond, je préfère rester dans l'ignorance pour l'instant. Il paraît que l'espoir fait vivre ; je suis d'accord. Je ne me suis jamais sentie plus vivante que depuis le jour de notre rencontre. Autant en profiter encore un peu avant la – probable – désillusion.
Après avoir sillonné mon appart de long en large une bonne dizaine de fois, la sonnette retentit enfin. Je me précipite sur la poignée, tentant d'ignorer la cacophonie qui fait rage dans ma poitrine.
— Bonjour Léah ! Je ne sais pas si tu te souviens de moi, je suis Diane, la gérante de la boutique aux 4 Pavillons.
Figée sur le seuil de la porte, la surprise doit probablement se lire sur mon visage. J'observe la femme sublime qui me sourit timidement en remplaçant une mèche de ses longs cheveux auburn derrière son oreille. Des dizaines de questions engloutissent mon esprit tel un raz de marée.
— Oui, je... je me rappelle, articulé-je péniblement, embrouillée par l'incompréhension. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
— Excuse-moi de te déranger, je suis seulement venue récupérer les clés de Basile.
Malgré moi – et sans doute parce que je ressens le besoin urgent de me protéger –, je cherche une raison à son absence. S'il n'est pas là, c'est peut-être que quelque chose s'est mal passé hier soir et qu'il n'est pas en mesure de se déplacer.
— Est-ce qu'il va bien ?
— Ça va, acquiesce-t-elle en détournant le regard, gênée. Il avait beaucoup de choses à faire alors il m'a demandé de lui rendre service.
Voilà pourquoi rester dans l'ignorance est parfois préférable. Mes aspirations se meurent aussi brutalement qu'un verre éclate au contact du sol. Il n'a pas le temps. Pas l'envie. Ni de répondre à un texto ni de venir me voir. En moi, c'est tout un monde florissant qui s'écroule sous le poids de la déception. Le message est clair, monstrueusement douloureux : Basile ne viendra pas.
Je ne lui réponds pas, perdue dans mes songes les plus obscurs. Je peux comprendre qu'il ne souhaite pas poursuivre cette étrange relation qu'est – était – la nôtre, mais j'aurais aimé qu'il m'en parle directement. En face à face, et pas par l'intermédiaire de quelqu'un d'autre.
Encore un qui n'a pas de couilles !
La colère grimpe en flèche. Mes mâchoires se resserrent à m'en faire mal aux dents. Pourtant, je refuse de la déverser sur Diane, qui n'a rien à voir avec tout ça. Rapidement, je récupère le trousseau dans ma corbeille fourre-tout et les lui tends, impassible. Pas dupe, elle les récupère en soupirant, puis tente de justifier son comportement :
— Basile est un homme complexe. Il a des périodes plus sombres qu'il préfère traverser seul. Mais il tient à toi, j'en suis sûre.
— Ça n'a aucune importance, mens-je en haussant les épaules. Il n'a pas de compte à me rendre.
— Bien, conclut-elle, réalisant sans doute qu'elle n'arrivera pas à me convaincre. Prends soin de toi, Léah.
— Merci. Toi aussi.
Je me force à sourire mais le cœur n'y est pas. Je ne pensais pas que la désillusion arriverait si vite. Qu'elle serait si dévastatrice. Si la force que Basile a perçu en moi existe bel et bien, il est temps d'apprendre à l'apprivoiser, car il avait raison sur un point : je dois avancer.
Même si c'est sans lui.
***
— Alors, cette nouvelle vie de jeune mariée ?
Isabella relève le nez de sa salade César et me sourit, des étoiles plein les yeux.
— Notre lune de miel était incroyable. J'avais peur que la magie s'estompe dès notre retour, tu sais ce qu'on dit... Mais Anthony est toujours aussi merveilleux.
— Ouais, t'as trouvé l'homme idéal quoi. C'est d'une niaiserie !
— Jalouse !
Je ricane même si au fond, elle n'a pas tout à fait tort. Qui de sensé ne souhaiterait pas trouver son âme sœur ? Une histoire basée sur la confiance et le respect mutuel ? Une relation inaltérable, malgré le temps qui passe ?
Évidemment que je suis jalouse !
— Je suis contente pour toi, déclaré-je plus sérieusement, après avoir avalé une bouchée de mes spaghettis au pesto.
— Et toi, avec Basile, comment ça se passe ?
Je me doutais bien que, tôt ou tard, elle aborderait le sujet. J'essaie de paraître le plus détachée possible afin que la conversation ne s'éternise pas.
— Ça n'a pas fonctionné. Il n'y avait rien de très sérieux entre nous, on était trop différents.
— Peut-être que son homosexualité a pesé son poids dans la balance aussi, non ?
Tout sourire, ma grande sœur s'essuie le coin des lèvres avec une serviette en tissu, à l'affût de mes réactions. Justement, je me décompose sur ma chaise.
— Comment t'es au courant de ça ?
— Un invité a cru le reconnaître, mais je lui ai affirmé qu'il se trompait. Heureusement, il avait un coup dans le nez donc il a lâché l'affaire. Pas moi.
— C'est... une longue histoire, soupiré-je en attrapant mon verre d'eau.
— Ça tombe bien, nous avons plusieurs heures devant nous.
J'ai finalement tout raconté à Isa. Enfin, presque tout. Dans les grandes lignes. Notre rencontre, sa précieuse aide le jour J et la facilité avec laquelle j'étais capable de me confier à lui. Je mentionne aussi Oriane, ma nouvelle copine et propriétaire de la sublime robe que j'ai souillée, ainsi que son voyage en Italie. Évidemment, je n'ai pas parlé de mon attachement pour son frère. À quoi bon ?
— Mais pourquoi tu nous as fait croire que vous étiez ensemble ? m'interroge-t-elle, les sourcils froncés.
— Je n'ai pas vraiment réfléchi. Vous aviez l'air tellement contentes avec maman que je n'ai pas voulu vous décevoir encore.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Tu ne nous as jamais déçues, Léah !
Sa main se pose tendrement sur la mienne, je ravale un sanglot. J'en ai marre de pleurer, de m'apitoyer sur mon sort et de paraître aussi faible. Je ne veux plus.
— Depuis la mort de papa, je vous fuis, toi et maman, parce que j'ai peur d'affronter la réalité et d'admettre qu'il ne reviendra jamais. Je me sens tellement coupable.
— Mais coupable de quoi ? Ce n'est pas ta faute, Cookie ! Tu as fait tout ce que tu as pu.
— Je me dis que si tu avais été là, il serait sûrement encore vivant.
Elle tique à cet aveu. Un mouvement de recul traduit son étonnement avant qu'elle reprenne, la mine contrariée :
— Tu te trompes. J'aurais été incapable de garder mon sang-froid, encore moins de lui faire un massage cardiaque. Même les médecins n'ont pas pu le réanimer, tu n'as rien à te reprocher.
Elle cherche à capter mon regard fuyant, m'oblige à lui faire face par la simple force de son esprit.
— Maman et moi ne te reprochons rien, ajoute-t-elle avec toujours plus de conviction. Si tu savais depuis combien de temps j'attends que tu m'appelles...
— Je suis désolée.
Je m'en veux tellement de m'être isolée si longtemps, de n'avoir pensé qu'à ma petite personne et provoqué cette attente interminable chez elles.
— Ne t'excuse pas. On a parfois besoin de prendre son élan pour rebondir. Et donc... ajoute-t-elle après un bref instant de silence. Tu n'as plus de nouvelles de Basile ?
— Non, il traverse visiblement une mauvaise passe et juge nécessaire de me mettre à l'écart.
— Il a sans doute besoin de rebondir, lui aussi.
Sans le savoir, elle redonne vie à des éventualités que je croyais décimées. Nous ne sommes peut-être pas si différents, lui et moi. Si tel est le cas, je devrais probablement laisser le temps faire son œuvre, mais sans trop m'y accrocher.
Espérer sans trop y croire.
— Il y a quelque chose que j'aimerais savoir, reprend-elle d'un ton faible.
— Oui ?
— Pendant tout ce temps, j'ai respecté ton silence parce que je ne savais pas si tu me repousserais... Est-ce que tu l'aurais fait ?
— Probablement, la rassuré-je en percevant les regrets dans sa voix. Tu n'as rien à te reprocher toi non plus.
Je ne lui en veux pas. Pas du tout. J'ai instauré cette distance parce que je la jugeais nécessaire. Aujourd'hui, je me rends compte que c'était plus pour me punir d'une chose que je ne maîtrisais pas. Seule, je n'arrivais pas à en prendre conscience. Bien sûr, si quelqu'un avait su me mettre un bon coup de pied au cul quand il le fallait, j'aurais sûrement réagi plus tôt.
Comme il l'a fait hier soir.
Respecter sa volonté ou lui faire savoir que je veux être là pour lui ? Foncer tête baissée ou attendre un signe totalement hypothétique ?
Un choix cornélien qui mérite réflexion. Surtout si je risque d'y laisser des plumes.
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