𝟏𝟗. 𝐋'𝐚𝐫𝐭 𝐝𝐞 𝐬𝐞 𝐦𝐞𝐭𝐭𝐫𝐞 𝐞𝐧 𝐝𝐢𝐟𝐟𝐢𝐜𝐮𝐥𝐭é
𝓛é𝓪𝓱.
Tandis que nous marchons vers le Cuba Libre, Basile observe absolument tout ce qui se passe autour de nous. Les arrêts de bus, les moindres recoins sombres et, par leurs grandes vitrines, l'intérieur de chaque restaurant qui se dresse sur notre chemin. Il semble tellement concentré qu'après m'avoir expliqué le pseudo plan qu'il a mis au point, je n'ai pas osé lui en demander davantage. Objectif de la soirée : comprendre les actes d'Andrea. Dans son discours, c'est comme s'il omettait complètement la possibilité que nous puissions rentrer bredouilles. Là encore, je n'ai pas eu le courage de le lui faire remarquer.
À l'angle d'une ruelle animée, je distingue enfin la devanture du pub, avec sa grande toile rouge et ses quelques tables parsemant le trottoir. Une lumière douce filtre au travers des fenêtres, les ombres qui s'y dessinent nous donnent le ton sur l'ambiance festive qui règne à l'intérieur. L'endroit est déjà bien rempli, j'avoue que cela me rassure un peu. L'intimité avec cet apollon est beaucoup trop dangereuse ; et lui beaucoup trop attirant.
— Je vais jeter un œil à l'arrière, je reviens tout de suite.
— OK, je t'attends ici.
Basile s'éclipse dans l'allée étroite qui longe le côté du bar. J'en profite pour tenter de mettre mes idées au clair. Depuis que je suis rentrée dans cette voiture, je ressens comme une chaleur étouffante qui s'étend de ma poitrine à mon bas ventre. Au début, je trouvais cette sensation plutôt agréable, mais plus les minutes se succèdent plus ma libido devient ingérable. Je ne cesse de me rappeler mes dernières soirées passées à fantasmer sur lui, à tout ce que je j'aimerais qu'il me fasse. Me dise. J'ai l'impression de ne plus pouvoir penser à cet homme sans me consumer de la tête au pied. L'imaginer est une chose. Mais l'avoir en face de moi, c'en est une autre. Il est sublime ; si mystérieux. Vêtu d'un simple t-shirt gris, ses jolies fesses moulées dans un jeans brut, j'ai bien du mal à ne pas le bouffer des yeux – à défaut de le bouffer tout court. Son odeur musquée s'imprime dans mon organisme et ne semble plus vouloir me laisser de répit. C'est perturbant et fatigant de se battre en permanence contre son propre corps.
— Sa voiture est là ! se réjouit-il après avoir ressurgi, m'arrachant un cri de surprise. Il y a un parking privé de l'autre côté, il est là, j'en suis certain.
— Génial, vous pourrez enfin vous expliquer.
Il acquiesce en s'approchant de la porte. Je me demande s'il sent que je ne partage pas son enthousiasme, mais si c'est le cas, Basile n'en montre rien. J'ai un mauvais pressentiment, c'est plus fort que moi. Ma raison me somme d'être prudente ; elle s'acharne à vouloir trouver une explication logique au comportement d'Andrea. Je m'inquiète de la tournure que pourraient prendre les événements si sa disparition était volontaire.
Après tout, s'il décide de rompre avec Basile, devrais-je m'en plaindre ?
— Tu viens ?
Il me tend une main que je m'empresse de saisir. Ce geste, beaucoup trop agréable et naturel, résonne comme l'écho d'une évidence à laquelle j'ai peur de m'accrocher.
Quand nous entrons, la chaleur me frappe le visage aussi fort que le bruit assourdissant emplit mes oreilles. Un groupe de musique cubaine fait danser des dizaines de personnes, tandis que d'autres s'amassent devant le bar rouge vif. Nous nous engouffrons dans la foule, à la recherche d'une table, mais aucune n'est disponible. Basile jette alors son dévolu sur la seule chaise haute libre et m'invite à m'y asseoir.
— Je ne pensais pas qu'il y aurait autant de monde ! hurle-t-il en s'accoudant au comptoir. Il va falloir être patient !
— Laisse-moi faire ! Ce n'est pas parce que tu es insensible à mes charmes que tous les hommes le sont aussi !
Je ne peux retenir le sourire espiègle que je sens naître sur mes lèvres. Moi, de nature si réservée et catastrophiquement maladroite, je prétends pouvoir séduire un serveur d'un simple regard. Qui plus est, sous le nez de celui pour qui j'éprouve une réelle attirance – et chez qui j'aimerais bien déceler ne serait-ce qu'une infime trace de jalousie, en vain.
Amusé, Basile ricane en secouant légèrement la tête. Ses doigts glissent le long de ses mâchoires, dans sa barbe douce, là où je rêve moi aussi de faire voyager mes mains. Et ma langue. Et tout le reste.
Calmos, Léah. Regarde ailleurs et pense à autre chose.
Je bénis cette distance respectable entre nous et parviens à garder bonne figure, malgré le liquide en combustion qui tambourine dans mes veines. Mais voilà qu'il se penche vers moi. Beaucoup trop près. Sa bouche se colle pratiquement à mon oreille pour me murmurer dans un souffle rauque :
— Montre-moi tes talents, Cookie.
Reste. Calme.
Son timbre chaud se répercute directement entre mes cuisses. Des milliers de frissons me parcourent la chair, si bien que je ne sens plus mes vêtements. Durant une fraction de seconde, je crains que l'atmosphère torride les ait fait fondre. À fleur de peau, j'use de mes dernières forces pour ne pas me laisser submerger. Par un automatisme de protection que je découvre moi-même, mes paumes se posent sur son torse afin de le repousser avec douceur. Du moins, c'était l'idée de base. Mais elles s'y plaisent plutôt bien, ces traîtresses. Plus encore lorsqu'elles distinguent les battements frénétiques de son cœur et les muscles bandés de ses pectoraux.
Alerte !
D'un geste monstrueusement lent, Basile se redresse, place son visage à quelques centimètres du mien. L'intensité de son regard me foudroie, annihilant toute raison, bon sens et réflexion. Seule une envie subsiste et me dévore, comme l'unique point d'ancrage auquel je puisse encore me raccrocher : capturer ses lèvres.
— Ce sera une bière pour moi, déclare-t-il dans un rictus à peine dissimulé.
La reprise de conscience est brutale. Il s'écarte et scrute les alentours, visiblement à la recherche de quelque chose.
De quelqu'un.
Un quart de seconde m'a suffi à oublier la raison de notre présence ici, mais il ne m'en faut pas moins pour que tout m'éclate au visage.
Son petit ami, idiote !
Je me concentre alors sur la tâche qu'il me reste à accomplir, et pas des moindres : les boissons. Impressionnée par l'amas d'inconnus qui se couchent littéralement sur le bar pour pouvoir commander, je m'octroie un instant de réflexion sur la meilleure façon d'obtenir ce que je veux.
Les consos, j'entends, puisque mon apollon est hors d'atteinte.
Préférant une autre approche, plus subtile, je me contente d'essayer de harponner le regard d'un des deux serveurs. Sagement assise sur ma chaise, je les fixe avec insistance, à tour de rôle. Le maigre espoir d'arriver à mes fins s'amenuise à mesure que les minutes s'écoulent, sans résultat. Aux grands maux, les grands remèdes : je renouvelle l'expérience en tirant le tissu de mon décolleté, afin de le rendre un peu plus plongeant. Un des barmen, celui qui a la crinière blond cendré – et clairement le plus mignon des deux – s'approche de moi. Sans perdre une seconde, je saute sur l'occasion.
— Bonsoir ! Il me faudrait...
— J'arrive, me coupe-t-il sèchement en attrapant un saut à glaçon avant de repartir.
Et merde !
Étant donné que Basile n'est toujours pas revenu, il est temps pour moi d'utiliser les grands moyens. Au diable la subtilité ! Comme tout le reste du groupe, je m'allonge sur le comptoir en agitant ma carte de crédit. Les seins écrasés contre le bois peint, je mise cette fois sur la vue indécente de ma poitrine, additionné d'un sourire que j'espère irrésistible. Et à dire vrai, je ne m'étais pas posé la question de ma position très suggestive avant de sentir des mains m'agripper les hanches, ainsi qu'un corps se serrer contre mon postérieur.
— Besoin d'un peu d'aide, ma jolie ? me propose une voix que je ne reconnais pas.
Les yeux ronds comme des soucoupes et les muscles tendus à l'extrême, je reste un instant tétanisée sous le poids du choc. Heureusement, mon instinct de survie ne tarde pas à se manifester et me donne la force de réagir. Je me retourne, hors de moi, puis repousse violemment mon agresseur. Sans me préoccuper ni de son physique plutôt plaisant ni de sa carrure imposante qui en aurait impressionné plus d'une, je le toise d'un air mauvais avant de balancer, pleine de rage :
— Me touche pas, espèce de gros pervers. Dégage !
Il ricane en recoiffant ses cheveux gominés vers l'arrière, un sourire carnassier aux lèvres, une lueur malsaine dans son regard tempête.
— Oh, mais c'est qu'elle mordrait ! J'adore quand les femmes ont du caractère. Je t'offre un verre ?
Sidérée et quelque peu déstabilisée par son aplomb, je vais pour répliquer quand Basile réapparaît, accompagné d'un gars de la sécurité. Ce dernier se positionne entre nous et tente de désamorcer la situation, tandis que mon partenaire de ce soir reste en retrait, silencieux, le visage déformé par une colère sourde.
— Allez Fred, tu sais très bien que t'as pas le droit d'être ici, déclare l'armoire à glace d'un ton posé.
— Ça va, je faisais rien de mal ! réplique-t-il, manifestement vexé.
— Écoute, soit tu sors gentiment et sans faire de vagues, soit c'est moi qui te fous dehors par la peau des fesses.
Sans demander son reste, le jeune homme rebrousse chemin en direction de la sortie. Je suis rassurée de constater à quelle vitesse les vigiles réagissent. C'est toujours bon de se savoir soutenue en cas de problème.
— Merci, lui adressé-je dans un sourire sincère.
— À votre service.
Il retourne à son poste tandis que je me fais happer par une voix, juste dans mon dos.
— Veuillez nous excuser madame. Qu'est-ce que je peux vous offrir ?
Mon père me disait toujours qu'il faut tirer le positif de chaque situation. Au moins, maintenant, j'ai toute l'attention du barman.
— Une bière et un mojito, s'il vous plaît.
Il s'exécute et, comme si Basile attendait son départ pour sortir de son mutisme, m'interpelle :
— Je ne peux pas te laisser seule plus de deux minutes, c'est dingue !
— Parce que c'est ma faute, peut-être ? Et puis regarde, je les ai eues nos boissons, non ? Et gratis en plus !
Plus détendu, il soupire avant d'enchaîner :
— J'ai réussi à récolter quelques infos. Tu vois le panneau, là ? me demande-t-il en pointant l'objet lumineux, au-dessus du bar, ça veut dire qu'une partie de poker est en train de se jouer. Dès qu'il s'éteint, nous irons à l'arrière du bâtiment, les joueurs sortent par là.
— Bien, chef ! ris-je en prenant la position du garde-à-vous. On peut quand même s'amuser un peu en attendant ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top