𝟏𝟖. 𝐉𝐞 𝐬𝐮𝐢𝐬 𝐥𝐞 𝐬𝐞𝐮𝐥

𝓑𝓪𝓼𝓲𝓵𝓮.

[Je suis là.]

C'est toujours la même chose chaque fois que je lui écris. Mes mains tremblent et mon cœur bat la chamade à un point que je n'aurais osé l'imaginer. J'en ai marre d'être incapable de contrôler toute cette agitation qui m'anime alors qu'elle ne devrait pas.

Garé au pied de son immeuble, je jette un œil rapide aux dizaines de balcons qui ornent cette grande bâtisse moderne, essayant de deviner dans lequel Léah profite de son temps libre. Je me demande si elle est du genre à suspendre des fleurs à la balustrade ou à accrocher un voilage pour se protéger des regards indiscrets. Peut-être se contente-t-elle simplement de s'asseoir au soleil et de se nourrir des rayons venus embrasser sa peau délicatement dorée. Je l'imagine bien se prélasser sur sa chaise, pieds nus sur la table et ses écouteurs vissés dans les oreilles, la brise d'été parcourant ses courbes pendant qu'une goutte de sueur s'échappe quelque part entre ses petits seins ronds ; étonnement attirants.

Magnifique, voilà que tu ne trouves rien de mieux à faire que penser à ses seins...

J'aperçois une silhouette en mouvement qui traverse le parking et se dirige vers ma voiture. Je détourne les yeux pour fuir ce que je ressens. L'appréhension. L'impatience. La colère de ressentir cette excitation déplacée. Tous ses sentiments contradictoires que j'aimerais voir s'éteindre, mais subsister à la fois.

— Bonsoir, lance-t-elle timidement après avoir ouvert la portière côté passager.

Léah se penche vers l'avant pour me gratifier de son plus beau sourire. Elle est divine, ses billes chocolat soulignées de noir et ses lèvres épaisses colorées d'un rose mat. Involontairement, mon regard dévie plus bas, vers son décolleté très – trop – plongeant que laisse apparaître sa longue robe dorée. Elle se faufile dans la voiture et moi, toujours incapable d'aligner le moindre mot, je suis submergé par son parfum sucré, aux notes de bonbon acidulé.

Bordel, elle sent bon.

— Je pense qu'Oriane a raison, poursuit-elle sans se soucier de mon silence. On pourrait peut-être se tutoyer, non ?

— Bien sûr.

— Cool !

Le tutoiement, c'est bien. Encore faut-il avoir quelque chose à se dire. Surtout que je ne suis pas particulièrement enclin à y mettre du mien. Je n'ai jamais apprécié les blablas futiles et discussions sans intérêt. Une perte de temps considérable. Je suis plutôt du genre à agir que de me perdre dans des débats stériles ; je laisse ça aux politicards.

Et puis, parler avec Léah, c'est la connaître un peu plus. C'est aussi prendre le risque de l'apprécier un peu plus.

Comme d'habitude quand ma casse-couille de frangine s'en mêle, les choses tournent de façon, disons... inattendue. C'est vrai, quoi. Je n'aurais jamais pensé partir à la pêche aux informations avec la seule femme au monde capable de me faire bander !

Tu parles d'une idée de merde !

— Alors... ancien numéro un mondial, hein ? Rien que ça ?

Sa remarque soudaine, couplée au ton faussement étonné qu'elle emploie, m'arrache un sourire.

— Je suis démasqué.

— Pourquoi tous ces mystères ? m'interroge-t-elle en se retournant sur son siège.

Ses iris inquisiteurs me scrutent à m'en brûler la peau. Je les sens partout sur moi et putain, je mentirais si je disais que ça ne me plaît pas.

Nous nous engouffrons dans le centre-ville de Bordeaux et je me force à garder mon attention sur la route. La circulation est dense, les touristes ont déjà envahi les lieux depuis plusieurs semaines, apportant avec eux un vacarme que j'ai bien trop hâte de voir se dissiper.

— C'est du passé tout ça, m'expliqué-je en haussant les épaules. C'est une partie de ma vie que je souhaite laisser derrière moi.

— Une chance que personne ne t'ait reconnu au mariage de ma sœur, alors.

— Je sais me faire discret. Et puis, tous les regards étaient posés sur toi, Léah.

Dans mon champ de vision, j'aperçois ses lèvres s'étirer en un sourire timide. Encore une fois, elle balaie toutes mes bonnes résolutions du simple fait de sa présence. Je m'en veux de ne pas savoir taire ce que je ressens, de laisser cette trop grande place aux sous-entendus alors que les choses devraient être limpides entre nous. Mais force est de constater que cette femme me trouble et qu'elle brouille l'intégralité de mon jugement.

— Comment tu as su pour le « h » de mon prénom ? lance-t-elle après un court instant de silence. Tu es le seul à l'avoir écrit correctement du premier coup.

Je suis le seul.

Je ne savais pas à quel point il pouvait être grisant de l'entendre me dire ces quelques mots. J'aurais aimé ne jamais en prendre conscience.

— Ce soir-là, au mariage, ton nom était écrit sur un petit carton. Le mien portait celui de ton père.

— Je vois. Tu es plutôt du genre... très observateur. Et tu te balades toujours avec des pansements sur toi où ça fait partie du package « maniaque du contrôle » ?

L'éclat de rire qui m'échappe et résonne dans l'habitacle me surprend moi-même. Je ne sais pas si c'est son culot, sa franchise ou sa perspicacité qui m'amuse le plus, mais je déteste ça autant que je l'apprécie.

— Tu poses trop de questions, Cookie.

Ses joues prennent une teinte rosée, je le sais mais n'ose la regarder. C'est inutile tant sa beauté rayonne dans la pénombre de cette ruelle à peine éclairée. Heureusement pour moi, elle opte finalement pour le silence pendant tout le reste du trajet.

Après une recherche minutieuse, nous trouvons une place près de la porte Saint-Jean, à quelques minutes du pub. Je contourne la voiture et l'invite à me suivre, mais elle reste campée au pied du véhicule, comme paralysée. Le lampadaire qui illumine son visage me dévoile alors sa mine triste, pensive, bien différente de celle qu'elle arborait jusqu'alors. Son regard humide est rivé vers le monument à l'architecture gothique ; ses pensées semblent bien loin de l'instant présent.

— Tout va bien ? m'enquiers-je d'une voix douce.

Sans réponse, elle s'avance, traverse la rue et s'approche de la Grosse Cloche. L'endroit est bondé de monde mais je ne vois qu'elle. Dos à moi, j'en profite pour l'observer plus en détail : ses cheveux soyeux chatouillent sa nuque et ses épaules graciles. Sa robe satinée près du corps laisse deviner ses hanches aux courbes sensuelles ; elles me font voyager vers des contrées inexplorées.

— Tu sais qu'elle ne sonne qu'à de rares occasions ?

Son timbre ému me parvient tout juste, peinant à se frayer un chemin parmi le brouhaha ambiant. Je m'approche pour me placer à ses côtés.

— Non, je n'en savais rien.

Évidemment que si. J'ai grandi ici et je connais les moindres secrets de cette grande métropole. Mais quelque chose dans son attitude me donne l'impression qu'elle est sur le point de se livrer, je ne veux pas gâcher ce moment.

— Nous venions toujours pour l'écouter, avec mon père, ma mère et ma sœur. C'était comme un rituel qui s'était mis en place naturellement. Quoi que nous fassions, où que nous soyons, nous ne manquions jamais de nous retrouver ici. Et puis... tout s'est arrêté.

— Depuis sa mort ?

— Oui. Mais c'est de ma faute. J'évite tout ce qui se rattache de près ou de loin à mon père. J'en viens même à ignorer ma propre famille, autant que faire se peut.

Elle soupire. Je crois apercevoir une lueur de culpabilité à travers ses traits tendus. J'ai de la peine pour elle. Un sentiment que j'ai du mal à réprimer. Putain, si j'avais le courage de la prendre dans mes bras, c'est ce que je ferais, là, tout de suite.

— Perdre un proche n'est jamais simple, me contenté-je d'émettre en glissant mes mains dans mes poches. On a tous une façon différente de faire son deuil, mais fuir n'est jamais la solution.

— C'est pourtant ce que tu fais, toi, avec ton passé. Non ?

Touché.

Je ricane pour cacher mon malaise. Et parce que je ne sais pas quoi faire ni dire d'autre.

— Je pose encore trop de questions, c'est ça ?

— Dans le mile, comme à chaque fois.

— OK, très bien. Allons boire un verre et ne posons pas de questions. Tu en profiteras pour m'expliquer en quoi consiste le plan.

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