𝟏𝟕. 𝐂𝐨𝐦𝐛𝐚𝐭𝐬 𝐝é𝐦𝐞𝐧𝐭𝐢𝐞𝐥𝐬
𝓑𝓪𝓼𝓲𝓵𝓮.
Le contrôle, c'est ce qui me tient depuis toutes ces années. Observer. Planifier. Ordonner. Je ne sais plus vivre autrement. Mais depuis quelque temps, tout fout le camp. Absolument tout. Mon cerveau bataille sans cesse contre mon corps quand mon esprit, lui, a déjà déclaré une guerre sans merci à ma raison. C'est un vrai cauchemar. La disparition d'Andrea m'a porté le coup de poignard de trop. Les premières heures, je l'ai détesté de me faire subir ça, mais quand elles se sont transformées en jours, une angoisse sans nom a pris le dessus. Ça ne lui ressemble pas de ne plus donner signe de vie, et après tout ce qui s'est passé, il n'aurait pas pu mieux s'y prendre pour me rendre complètement dingue.
— OK tout le monde, faites vos étirements et allez vous reposer, on arrête là pour aujourd'hui.
Mes six élèves s'exécutent en soufflant de soulagement, heureux de voir se terminer l'entraînement effréné qu'ils ont enduré. Je retourne à mon bureau-vestiaire, ne partageant pas le même que celui des gamins, et sors mon portable avec toujours ce maigre espoir de voir s'afficher un message d'Andrea. J'essaie une nouvelle fois de le joindre mais tombe directement sur sa messagerie. Comme toujours.
C'est désespérant.
— Merde, mais où es-tu ?
Le corps lourd et l'estomac noué, je rentre chez moi sitôt tout le monde parti. Je n'ai plus goût à rien, dévoré par cette culpabilité sans fin qui m'assaille depuis dimanche. Tellement de scénarios se jouent dans ma tête, dont un qui me frappe à grands coups de poing : il nous a vus, Léah et moi. Il a peut-être aperçu ce jeu auquel je me suis adonné sans honte, pratiquement sous ses yeux. Bordel, quel connard je suis ! Encore maintenant, trois jours après les faits, je ne sais pas ce qui m'a pris. Je ne trouve aucune excuse à ce comportement puéril et irrespectueux. Je me dégoûte. Tout ce qu'elle me fait ressentir me dégoûte.
Je m'arrête au Starbucks prendre un café, à défaut d'une bouteille de pinard qui m'aiderait pourtant bien mieux à oublier tout ce merdier. J'écris rapidement un message à Oriane pour lui signaler que j'ai fini ma journée, alors elle insiste pour que je la rejoigne, arguant qu'elle refuse de me laisser seul à ressasser mes idées noires. Je la reconnais bien là, toujours à faire passer le bonheur de ceux qu'elle aime avant tout le reste.
Je poursuis ma route sur quelques kilomètres en observant chacune des personnes se promenant sur le trottoir, comme s'il y avait la moindre chance que je croise Andrea. J'ai parfois l'impression de le reconnaître de dos, mais un simple coup d'œil dans le rétroviseur me rappelle que ce n'est que pure illusion.
Je me gare sur le parking, jette mon gobelet vide dans la poubelle de l'entrée et grimpe les marches deux par deux. Le voisin du dessous a encore laissé traîner des dizaines de paires de godasses dans le hall ; heureusement que je n'habite pas en face, j'ai horreur de ça. Je me rends directement dans l'appartement de ma sœur puisque cette fois-ci – Dieu merci – elle est au courant de ma visite.
— Baz ! crie-t-elle à peine ai-je franchi le seuil. Comment tu vas aujourd'hui ? Tu as du nouveau ?
Elle me serre dans ses bras, j'en profite une poignée de secondes avant de l'accompagner jusqu'au canapé.
— Non, toujours rien.
— Merde... et les flics ?
Je hausse les épaules en soufflant de frustration.
— Aucune nouvelle. Ils ne semblaient pas très inquiets quand je leur ai signalé sa disparition. Une énième dispute de couple, selon eux.
— Même après avoir vu la vidéo ? s'étonne-t-elle de la cuisine, en déposant un verre d'eau sur un plateau.
La chasse d'eau se met en route, je tique en fronçant les sourcils, remplaçant illico sa question par d'autres qui surgissent dans mon esprit.
— C'est Léah, m'informe ma sœur qui cerne rapidement mes interrogations. Elle vomit ses tripes depuis un bon quart d'heure.
— Qu'est-ce qu'elle a ? Tu ne l'as pas emmenée voir un médecin ?
Elle hausse les épaules.
— Non. Elle m'a dit que c'était psychologique. Après son rendez-vous avec Jo, la pression est redescendue... et voilà.
— La mort de son père a vraiment dû l'affecter... pensé-je à voix haute.
— C'est le cas, me répond faiblement la concernée, nous dévoilant ainsi sa présence.
Son visage est blême, ses cheveux entortillés à la va-vite en un chignon flou. Un bordel monstre fait rage dans ma poitrine tandis qu'elle m'observe de ses yeux rougis, puis se mordille la lèvre inférieure en s'avançant lentement dans le salon. Je note que Léah préfère garder ses distances lorsqu'elle s'installe sur l'autre canapé. Bonne initiative. Je détourne le regard, m'interdisant de laisser libre cours à cette indésirable envie de prendre soin de cette fille. Ce n'est pas mon rôle.
Ça ne doit pas le devenir.
— Ça va mieux ? s'enquiert Oriane en lui tendant le verre d'eau.
— Ouais, je crois que tout est sorti cette fois.
Elle boit tout le liquide d'une traite avant de lâcher un énorme soupir. Une certaine tension est palpable entre nous, mais je crois être le seul à la ressentir. J'espère, du moins, malgré cet énorme poids qui pèse sur mon thorax. Je voudrais m'excuser pour mon comportement, mais la présence de notre hôte m'en empêche.
Le courage aussi, sans doute.
— Alors Baz, tu comptes faire quoi pour Andrea ?
Je me positionne plus confortablement sur le canapé, histoire de trouver le moyen d'articuler des mots qui refusent de sortir. J'y parviens, non sans mal, après avoir inspiré une grande bouffée d'air.
— Honnêtement, j'en sais rien.
— Tu pourrais commencer par visiter les endroits où il a l'habitude d'aller. Peut-être que quelqu'un l'aura vu ?
Je réfléchis un instant, considérant sa remarque avec beaucoup d'intérêt.
— Le problème, c'est qu'il me cachait pas mal de choses. Je sais qu'il jouait régulièrement au poker mais la plupart du temps, ça se passait chez lui.
— Et avant votre rencontre ?
— Il m'a parlé de ce bar, le Cuba Libre. Je crois qu'ils organisaient des rencontres entre joueurs. Mais ça date, je ne sais même pas s'il existe encore.
Oriane s'appuie contre le comptoir en bois clair de la cuisine tout en pianotant énergiquement sur son portable. Léah, immobile et silencieuse, semble perdue dans les méandres de ses pensées. Que j'aimerais bien connaître, d'ailleurs.
— Tu devrais aller y faire un tour, me conseille-t-elle. Apparemment, il est encore en activité. Les soirées poker ont lieu le jeudi. Demain, donc.
— C'est une bonne idée, tu es dispo pour m'accompagner ?
Une petite moue contrariée naît sur ses lèvres ; elle soupire.
— Désolée, je pars demain matin pour la Sicile avec Micael...
— Pas de problème.
— Mais tu pourrais y aller avec Léah ! enchaîne-t-elle, trop enthousiaste.
Cette dernière, n'ayant pas daigné lever le nez pour se joindre à la conversation, est soudain happée par son prénom qui résonne dans un silence de mort. Son regard perdu navigue entre nous, sûrement à la recherche du pourquoi nous l'avons citée.
Afin d'éviter une nouvelle tentative de ma sœur, je m'empresse de répondre :
— Laisse tomber, Ori. Je ne veux pas l'ennuyer avec ça.
Et je n'ai pas la moindre envie de passer une autre délicieuse soirée en sa compagnie.
— Arrête ! me contre-t-elle. Je ne voudrais pas avoir l'air d'insister, mais ça vous ferait du bien à tous les deux.
— Qu'est-ce qui nous ferait... du bien ? s'intéresse maintenant Léah, dubitative.
— De sortir un peu ! Prendre un verre, vous détendre... et glaner quelques infos au passage !
Les sourcils relevés, la jolie brunette m'épie avec intérêt. Durant un court instant, j'ai peur de la voir lire dans mes pensées. Là où se déchaîne le combat démentiel que je mène contre mon propre corps. Elle ne doit jamais l'apprendre.
Ni elle ni personne.
— Après tout ce que vous avez fait pour moi, je serais heureuse de pouvoir vous aider à mon tour.
Sa voix est faible ; son sourire aussi. Mais son regard se fait trop intense. Tout en elle me désarme, me touche, me pousse à m'approcher alors que je devrais me tenir le plus loin possible.
— Super ! conclut joyeusement ma sœur. Espérons que vous trouverez quelque chose d'intéressant.
Espérons surtout que je sache me tenir, cette fois.
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