𝟏𝟏. 𝐂𝐨𝐮𝐩 𝐝𝐮 𝐬𝐨𝐫𝐭 ?
ℒé𝒶𝒽.
Mon portable dans une main et la carte de ce fameux « Basile G. » dans l'autre – l'homme sublime qui m'a hanté toute la nuit et qui, visiblement, ne semble pas vouloir me laisser en paix –, j'enregistre d'une main tremblante son numéro dans mes contacts avant de rédiger un message, mûrement réfléchis durant mes longues heures d'insomnie :
[ Bonjour Basile, je tiens à m'excuser auprès de votre sœur pour l'état déplorable de la robe qu'elle m'a si gentiment prêtée. Où pourrais-je la rencontrer ? Merci encore pour tout.]
En appuyant sur la touche d'envoi, je ne suis tout à coup plus très sûre de moi. Un texto que je voulais le plus détaché possible pour lui laisser le loisir de décider si, oui ou non, il voulait me revoir. Parce que je n'oublie pas qu'il a une petite amie, ce qui représente une valeur de poids dans l'équation. Mais plus je me relis, plus j'ai l'impression d'avoir laissé sous-entendre : votre présence n'est pas désirée, au revoir, merci.
Quelle idiote !
De toute façon, il est trop tard pour faire machine arrière. Après trois bonnes minutes à regarder l'écran de mon téléphone n'afficher aucune nouvelle notification, je décide qu'il est temps d'arrêter de me ronger les ongles et de ressasser tout ce qui s'est passé. Je dois tout mettre en œuvre afin de poursuivre ma petite vie comme avant notre rencontre. Avant son regard doux, troublant. Avant son sourire charmeur, parfois insolent. Avant ses caresses furtives, son baiser innocent ; ma joue en porte encore le sceau divin.
Je me traîne jusqu'à la salle d'eau, les épaules voûtées et le cerveau battant la mesure contre mon crâne endolori.
OK, je n'aurais pas dû boire autant, hier soir...
Évitant soigneusement mon reflet dans le miroir, je règle une température décente avant de me glisser dans la cabine de douche. J'y reste une bonne dizaine de minutes, sans bouger, juste à laisser les jets un peu trop puissants me fouetter la peau. C'est tout ce que je mérite, à craquer sur un mec pas libre.
J'entreprends de me laver, les cheveux d'abord, histoire de laisser poser un soin pendant que je m'occupe du reste – option bain de pieds grâce au siphon encore bouché. Les mains et le visage pleins de shampoing, c'est à ce moment précis que mon portable me signale l'arrivée d'un nouveau message.
Oh, bon sang !
Mon impatience sans faille fait encore des siennes : je ferme le robinet, ouvre la porte en Plexiglas et attrape l'objet posé sur le coin du lavabo. La mousse se glisse sous mes paupières, que je tente d'ouvrir au maximum pour décrypter la réponse de Basile.
[ Bonjour Léah. Vous trouverez Oriane à Lormont, quartier de la Ramade, bâtiment C, 3e étage à gauche.
J'espère que vous... ]
— Non ! Putain, non non non !
Le savon picore mes rétines, mais la douleur n'est rien. Un problème bien plus grave se présente quand l'appareil me glisse des doigts et finit sa course à mes pieds. Au fond du bac en céramique. Dans la petite piscine que l'eau stagnante et mousseuse a formée.
— Pitié, dites-moi que ces machins-là sont étanches, prié-je en cherchant mon vieux Samsung à tâtons.
Mon Graal enfin retrouvé, je me décompose. L'écran reste désespérément noir malgré toutes mes tentatives pour le rallumer.
— Allez, tu ne peux pas me faire ça ! Pas maintenant !
Plus rapidement qu'Usain Bolt lors de son dernier sprint, je me rince et me précipite vers l'imprimante, d'où je récupère une feuille afin d'y noter quelques précieuses informations avant que mon esprit brouillé ne les laisse s'envoler. Nue comme un ver et trempée jusqu'aux os, je vide mes poumons d'un long soupir, lassée de constater à quel point tout peut partir en vrille en un quart de seconde. Et à quel point je n'y suis que trop habituée.
Un léger sursaut de motivation m'aide à trouver le courage d'enfin me sécher et m'habiller. Je consulte mon ordinateur pour chercher un moyen de me rendre à Lormont par mes propres moyens. Le plus rapide étant d'aller jusqu'à Cassagne, d'embarquer dans le bus 32 jusqu'à l'avenue de Paris et de continuer à pied sur environ cinq-cents mètres. Rien de sorcier, en sommes. Pour une personne lambda, du moins.
Espérons que, pour une fois, tout se passe bien.
***
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur le troisième étage. Satisfaite – mais pas complètement rassurée non plus – de ma petite virée sans accrocs, je resserre la housse en plastique contre ma poitrine et ajuste la lanière de mon sac à main avant de faire claquer mes spartiates sur le carrelage immaculé. Porte de gauche, m'indiquent mes récents souvenirs sans que j'ai besoin de vérifier mon pense-bête.
Je lui fais face. Trois, peut-être quatre secondes me sont nécessaires pour trouver la force de m'annoncer. J'appréhende la réaction d'Oriane tel un coupable face à sa sentence durement méritée. Dans l'attente d'une réponse, mon estomac se tord dans tous les sens et mon palpitant s'affole.
— Oh, bonjour Léah ! m'accueille-t-elle joyeusement. Je suis Oriane, ravie de te rencontrer ! Entre, je t'en prie.
Je découvre en elle beaucoup de points similaires à Basile. Ses yeux azur et ses longs cheveux caramel, aux sublimes nuances dorées, sont ceux qui me percutent en premier.
— Bonjour, Oriane, lui réponds-je un peu moins enthousiaste, mais feignant un sourire que j'espère avenant.
— Je t'offre quelque chose ? Thé, café, jus de fruits ?
Sa proposition me tente, mais je décline malgré tout. Je ne voudrais pas profiter de son hospitalité alors que je m'apprête à lui rendre son précieux bien en piteux état.
Elle m'invite à m'installer dans l'un des deux grands canapés beiges, moelleux à souhait. D'un regard circulaire, je fais rapidement un tour du propriétaire, de l'écran plat accroché au mur, parmi quelques tableaux en rapport à l'astrologie – je crois –, jusqu'aux moulures du plafond qui donne un certain cachet à la pièce. J'admire ce petit nid douillet aux couleurs chaudes et à l'odeur musquée, apaisante.
Elle dépose son verre d'eau sur la petite table basse en bois brut, trônant sur un grand tapis rond à l'imprimé mandala, puis frotte légèrement ses mains sur ses jambes recouvertes d'une jolie jupe aux tons pastel. J'inspire une grande bouffée d'air avant de me lancer ; inutile de faire durer le suspense plus longtemps.
— Merci pour la robe, tu m'as sauvé la mise hier soir.
— Tu devrais remercier mon frère plutôt, c'est lui qui s'est porté garant, s'amuse-t-elle en agrémentant ses paroles d'un clin d'œil mutin.
Je tente, tant bien que mal, de court-circuiter le pétillement naissant dans mon bas-ventre à la simple mention de Basile et me concentre sur le vrai sujet.
— Oui, justement... à propos de ça...
— T'inquiète, je suis au courant que tu l'as assassinée au vin rouge, me coupe-t-elle sur le ton de la plaisanterie.
Quelque peu déstabilisée par sa confession, je me fige. J'avais préparé tout un speech, prévu de me confondre en excuses – quitte à en perdre le peu de dignité qu'il me reste –, mais je n'avais certainement pas envisagé qu'elle serait déjà au courant. Encore moins qu'elle le prendrait si bien !
— Je suis tellement désolée... Je te rembourserai le pressing, et s'ils n'arrivent pas à rattraper le coup je...
Incapable de terminer ma phrase, je réalise qu'il me serait financièrement impossible de lui payer l'intégralité du vêtement. Sans doute remarque-t-elle mon trouble, puisque la jeune femme s'empresse de préciser :
— Aucun souci. Je t'assure, on a déjà réglé ça avec Baz.
Quoi ? Comment ça ?
— Bon, reprend-elle en se relevant. File-moi la bête que j'aille voir si j'ai un produit miracle. Je vais essayer d'atténuer la tache en attendant d'aller la faire nettoyer demain.
Sans me laisser le temps d'en placer une, elle attrape sa robe, s'éclipse dans ce que je suppose être une salle de bain et me plante là, toute seule, au milieu du salon. J'en profite pour détailler la photo qui décore le petit meuble, en bois également, juste sous la télé. Elle avait déjà attiré mon attention quelques minutes plus tôt mais jusqu'ici, je me forçais à ne pas la regarder. Mon niveau de concentration frise le zéro pointé, inutile d'en rajouter. Cette fois, je profite de ce moment d'intimité pour la saisir et l'observer de plus près. Basile et sa petite sœur, aux portes de l'adolescence, vêtus de salopettes en jean et posant en plein cœur d'un jardin éclatant de couleur et de vie. Leurs attitudes diamétralement opposées m'émeuvent : le sourire lumineux d'Oriane, arborant fièrement son bouquet de marguerites, contraste avec la tête d'enterrement de Basile, cramponné à son râteau comme à une bouée de sauvetage. Leur ressemblance est d'autant plus frappante lorsqu'ils sont si proches l'un de l'autre. Des questions surgissent par dizaines, dont une qui se démarque des autres : depuis quand garde-t-il autant de tristesse et de colère en lui ?
— Bonjour Léah.
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