𝐏𝐑𝐎𝐋𝐎𝐆𝐔𝐄
— S O U S L E S C A R T E S —
郷に入っては郷に従え
…LES SOURCES DIVERGENT quant à la provenance de ces créatures. Là où certains situent leur naissance dans le folklore amérindien, d’autres parlent de vieilles rumeurs datant de l’Europe du XIIIème siècle. Pourtant, on retrouve des représentations similaires à leurs silhouettes atypiques sur des vases remontant à la Grèce Antique. »
Je soupire, incapable de me concentrer plus longuement et ferme les yeux. La légère brûlure que je ressens en exécutant cette action me mène à réaliser combien ils étaient secs. Je ne les ai pas clos depuis trop longtemps, absorbée par la lecture de cet épais livre de cuir relié.
Je ne sais réellement ce qui m’a poussée à le saisir. Peut-être que, parmi les étagères de cette vieille bibliothèque truffée de livres à la reliure moderne tranchant avec le décor, ce bouquin a été le seul semblant appartenir vraiment au lieu. Entre les tranches blanches, petites, souvent usées, parfois rafistolées avec du scotch noirci trainant sur les planches de bois bruns vernis, sa beauté authentique a attiré mon regard.
Souvent, je viens dans cette bibliothèque. Que ce soit pour lire des mangas, regarder des séries avec mes écouteurs ou même progresser sur quelques projets, j’aime à m’assoir dans ce lieu. Il est similaire à l’archétype des vieilles académies que l’on peut croiser dans les films et me donnent ainsi l’impression d’être une héroïne, un protagoniste.
Avec son parquet lustré, ses tables de bois circulaires posées çà et là entre les vastes couloirs faits de meubles remontant jusqu’au plafond et tapissés de livre, le tout illuminé par des chandeliers et décoré par de vieux vases et portraits austères, cette merveille est si dépaysante que la simple idée qu’elle soit gratuite me gonfle de bonheur.
Alors j’aime m’y rendre quotidiennement. Depuis ma découverte de ce lieu, une certaine routine s’est installée pour moi. Et j’avoue que je ne m’attendais pas à la briser aujourd’hui.
Mes soirées sont simples. Je m’assois à l’une des seules tables rectangulaires du lieu — celles situées sous les longues fenêtres se finissant en demi-lune qui tapissent les murs. Puis, sortant mon ordinateur, je boucle quelques importants papiers avant de me détendre devant deux ou trois épisodes d’animes. Enfin, me baladant dans les rayons de ce vaste lieu, là où se situent les mangas, j’en saisis une dizaine que je dévore jusqu’à la fermeture de la bibliothèque où je me lève, range mes trouvailles en rayon et plis bagage.
Parfois, je m’oriente vers d’autres ouvrages. C’est plus rare, cela dit. Mes pensées après une longue journée sont si denses que je ne veux pas me compliquer trop l’esprit avec des phrases alambiquées datant du XIXème siècle.
Oui. Une certaine routine s’est installée pour moi ici. Un rituel plaisant qui me détend.
Seulement, aujourd’hui, je l’ai brisé.
Avant même que je ne songe à ouvrir mon ordinateur portable, au moment où j’ai posé mon sac sur la table de bois brune partiellement illuminée par le timide soleil filtrant au travers de la haute fenêtre à ma droite, mes yeux se sont trouvés attirés par l’étagère devant moi. Sans même que je ne réalise pour quelle raison, ils se sont écarquillés. Et, naturellement, je me suis dirigée vers l’objet de mon attention.
Jamais je ne l’avais remarqué jusqu’à aujourd’hui. Parmi ces bouquins longs et fastidieux sur la philosophie, sa reliure de cuir tranchait magnifiquement fort avec celles, blanchâtres ou même jaunâtres, de ses voisines. Et je me suis sentie obligée de le saisir.
Le cuir de la cote, bien que travaillé, ne laissait voir aucun titre. Et j’ai dû regarder la première de couverture — elle aussi parcouru de délicats reliefs — pour lire en lettres dorées le nom de cet épais ouvrage de plusieurs centaines de pages :
« Les Silences ou les Créatures de Sous les Cartes. »
Perplexe, mes sourcils se sont froncés face à ce titre particulier et je me suis assise à mon habituelle place, feuilletant les pages et parcourant rapidement les lignes. Quelques gravures imprimées recouvraient le papier par endroit, représentant de vieux tableaux visant à dépeindre quelques moments cruciaux du passé.
L’introduction de ce livre a été si fastidieuse que l’envie de le ranger m’a prise quelques fois. Durant une cinquantaine de pages, l’auteur — d’ailleurs non précisé sur la couverture ni ailleurs — ne fait que citer quelques dates-clés comme l’invasion de l’Amérique par les colons, la Peste Noire du Moyen-Âge, l’éruption de Pompéi ou encore la période du royaume de Silla unifié, actuelle Corée. Un nombre vaste de moments décisifs de l’Histoire qui ne semblent pourtant pas le moins du monde liés les uns aux autres.
Pourtant, malgré mon profond ennui, quelque chose m’a poussée à m’accrocher, à continuer de tourner les pages, à laisser mon esprit s’enfoncer un peu plus entre ces lignes. Là, tapis au fond de moi, une volonté, un besoin que je ne me soupçonnais pas m’a guidée durant cette soirée et je me trouve là maintenant.
Depuis une vingtaine de pages, le mystérieux auteur ne traite plus d’évènements que je connais mais d’un peuple — ou même d’un Ordre, j’avoue être assez perplexe face à ces informations — qui m’est inconnu. Différentes personnes toutes reconnaissables par leurs atypiques accoutrements et liés les uns aux autres de cette façon.
Car, à l’exception de leurs tenues, rien ne peut pousser qui que ce soit à les considérer comme membres d’un même groupe.
Ils n’ont pas été aperçus se déplaçant en meute, ni même vivant ensemble. Les témoignages de rencontre avec ces individus datent de toutes les époques et proviennent de différents endroits sur la carte.
Différents noms leur était attribué. Au Japon, « yami », signifiant « ténèbres » se disait pour parler d’eux. Durant l’Antiquité, « abyssos » se traduisant par « sans fond » était le terme employé. Au Royaume de Silla, le terme « akmong », « cauchemar » est trouvé dans des rouleaux. Et, parmi les premiers textes imprimés en Europe à l’ère de Gutenberg, les historiens ont conclus que le terme « angst », à savoir « peur », était souvent utilisé pour désigner, non pas la notion de peur, mais bien des personnes.
Eux.
Si les chercheurs les plus investis dans ces recherches peu populaires auprès des scientifiques sont parvenus à comprendre que tous ces termes ne désignaient en réalité qu’une catégorie de personnes — ils ne savent pas encore s’il s’agit d’un peuple, d’un culte ou d’un Ordre — cela a été grâce à des dessins effectués dans ces différentes régions du monde au cours de différentes périodes et représentant tous la même silhouette.
Une silhouette que je connais moi-même très bien pour l’avoir aperçue lorsque j’étudiais la Peste Noire du XIIIème siècle.
Tapissant les pages du livres, différentes gravures représentant des peintures, vases, décorations murales, esquisses sur parchemin illustrent toutes la même silhouette. Une figure sombre encapuchonnée. Du tissu noir couvrant sa tête jaillit un masque en forme de bec. Au niveau des yeux, deux trous blancs laissent penser qu’une vitre opaque se trouvent à cet endroit précis sur les vrais costumes.
Les yeux toujours clos, je frissonne au simple fait de repenser à ces dessins. Jamais je n’ai été très à l’aise avec cet accoutrement que j’assimilais, jusqu’à maintenant, aux médecins durant la Peste Noire. Mais, maintenant qu’ils me donnent l’impression d’avoir envahi le monde sans que nul ne s’en rende compte, se faisant remarquer durant l’Antiquité puis au Silla du VIIème siècle et même du XIIIème au XVIème siècle en Europe, un goût acre se répand dans ma bouche.
L’inconfort.
Il est temps pour moi de refermer ce livre. Ce que j’ai lu me gêne bien trop. La sensation d’avoir ouvert les yeux sur des mystères que j’aurais préféré laisser invisibles à mon esprit m’inquiète.
Je prends une profonde inspiration, tentant de me rassurer. Après tout, ce ne sont que des témoignages stipulant des apparitions çà et là de ces silhouettes, celles-ci n’ont rien de fait de mal. Si ça se trouve, toutes ces personnes ont même confondu de simples animaux avec ces étranges humains à bec de corbeaux.
Oui. C’est sans doute cela.
A quoi bon croire à des affabulations de vieux grimoires ne comportant même pas de nom d’auteur ni d’indication de lieu de presse ? Le livre ouvert devant mes yeux clos a beau être particulièrement soigné, il ne m’a pas l’air d’une source fiable.
Mieux vaut ignorer ces contes à faire froid dans le dos et rentrer chez moi. Il doit se faire tard.
Contente de cette décision, j’ouvre enfin les yeux. Aussitôt, la luminosité me surprend. Même si je me doute qu’il n’est plus tout à fait tôt, le ciel visible derrière la vitre est particulièrement sombre, à peine illuminé par la lueur jaunâtre des lampadaires à l’extérieur. De ma position, je ne peux voir que la cime des arbres à travers cette haute fenêtre. Je me situe au premier étage des lieux.
Jetant de nouveau un rapide regard au livre, je le referme. Un frisson me prend malgré moi quand, le bruit du bouquin se repliant sur lui-même retentissant particulièrement fort dans le silence de ce vaste lieu, je réalise que je suis seule. Vraiment seule.
Auraient-ils fermé la bibliothèque en m’oubliant à l’intérieur ? Je peine à le croire. Il m’est arrivé de m’endormir ici et, qu’importe l’endroit où je me trouvais, la main d’un gardien a toujours su trouver mon épaule pour me secouer.
Non. Il y a forcément quelqu’un.
Tout de même, je ne suis pas rassurée. La lecture que j’ai faite me trotte encore dans la tête et, quand je remets ma veste et saisi mon sac d’une main, usant de l’autre pour replacer le livre en rayon, ce n’est pas sans un soupir appréhensif.
Je me retourne vers l’allée menant à celle qui me conduira aux escaliers. Marchant précautionneusement entre les deux longues étagères parcourues de livres et montant jusqu’au plafond qui m’entourent, je me crispe en réalisant combien mes chaussures sur le parquet sont bruyantes ainsi que mon souffle.
C’est stupide, je ne devrais pas avoir autant peur de faire du bruit dans une bibliothèque. Au pire, un « chut » particulièrement appuyé et sonore me serait lancé. Et j’avoue même que, étant donné l’atmosphère pesante qui a pris place dans les lieux, entendre la voix de quelqu’un, même si c’est pour me rappeler à l’ordre, me ferait le plus grand bien.
Soudain, cela me frappe. Je réalise. La raison pour laquelle je suis aussi anxieuse n’est pas la nuit tombante ni même le silence assourdissant autour de moi. Non. Je me fige dans mes pas.
Les lumières. Elles sont éteintes.
Ma respiration se coupe. Ce n’est pas normal. Les employés de la bibliothèque restent quelques heures encore après la fermeture pour traiter les registres, je le sais car j’ai travaillé un bref moment ici durant un été.
Je frissonne. Quelle heure est-il ? Mes jambes sont raides, mes yeux écarquillés et mes épaules quelques peu tremblantes. J’ai tellement froid et l’angoisse m’étreint avec tant de force qu’il me faut de longues secondes pour diriger ma main vers ma poche et en tirer mon téléphone portable.
Prenant une profonde inspiration, j’allume l’écran. Et je ne sais pas vraiment pour quelle raison, peut-être à cause de l’intense pression qu’exerce cette atmosphère pesante, je sens soudain mes yeux s’humidifier en voyant l’heure affichée.
Ou plutôt l’absence d’heure.
Mon écran est tout à fait similaire aux autres fois où je l’ai allumé. Mon fond d’écran, une image par défaut que je n’ai pas encore pensé à changer, est parcouru de quelques informations comme la barre de réseau — affichant d’ailleurs que celui-ci n’est pas disponible — ou même le pourcentage de ma batterie. Mais, là où l’information que je cherchais devrait être se situe un vide.
Qu’il s’agisse des chiffres s’affichant généralement en gros caractères sur l’écran où ceux plus petits, visibles en haut à droite, l’heure à tout bonnement disparu.
Je dois être en train de rêver, c’est pas possible ! je songe avec force tandis que mes yeux, chauds et imbibés de larmes, fixent avec désespoir cet écran allumé. La nuit tombante, ce vaste lieu ancien, le silence pesant, les lumières éteintes, le livre que je viens de lire et l’absence d’indices temporels sont trop pour moi.
Cette atmosphère est trop lourde. Quelque chose ne va pas. Tant et si bien que ma main tremble outrageusement trop lorsque je replace mon téléphone, dépitée, dans ma poche. Et, lorsque je redresse ma tête en direction du fond de l’allée, j’ai l’impression de sentir mon monde s’effondrer autour de moi.
Là, debout à une dizaine de mètres de moi, discernable seulement grâce à la lumière des lampadaires filtrant dans mon dos, une silhouette terrifiante se découpe au bout des étagères parcourues de livres.
Haute, enveloppée dans une cape dissimulant son corps, son visage disparait sous un masque noir en forme de bec de corbeaux qui dépasse du tissu sombre l’enveloppant. Et, seule touche de lumière de sa tenue, deux billes blanches semblent avoir remplacer ses yeux.
Mes jambes se figent et j’écarquille les yeux. Tremblante, je sens ma mâchoire se décrocher tandis que mon menton tremble violemment. Suis-je en train de devenir folle ? Une vague de sueurs froides coule le long de ma colonne. Il est là. Devant moi. Je ne rêve pas.
Ce yami, cet abyssos, ce akmong, angst ou qu’importe comment les écrits le qualifient.
Car je me fiche pertinemment de son nom maintenant que sa sinistre figure se découpe devant mes yeux. Et, même s’il ne fait rien, qu’il se contente de me fixer, qu’il ne penche pas la tête sur le côté ou n’esquisse de geste en ma direction, je me sens trembler violemment et des larmes coulent le long de mon visage.
Je suis terrifiée. La peur me paralyse. Tant et si bien qu’il me faut de longues secondes avant que je ne parvienne à trouver la force de laisser filer le moindre mot.
— Q…Qu…Qui…
C’est la seule syllabe qui parvient à filtrer entre ma gorge serrée par la peur. Mon estomac se soulève et je me sens presque nager dans ma sueur mais je n’en ai que faire. Je veux que quelqu’un se manifeste, me fasse savoir que je ne suis pas seule avec cette obscure créature.
Car je ne suis pas sûre que mon cœur parvienne à tenir la cadence si la suite des évènements se déroule autrement.
Toujours immobile, la créature me fixe. Ses deux billes blanches — qui ne sont pourtant que les fentes de son masque — semblent me transpercer de part en part, voir au plus profond de mon âme, déterrer mes secrets les plus enfouis. Je me sens impuissante devant elle. Faible.
Alors qu’il n’a pas bouger d’un centimètre.
Réalisant peu à peu cela, je sens une montée de courage naitre en moi. Pour l’instant, une éternité semble s’être écoulée mais mon côté rationnel parierait plutôt sur une poignée de secondes. Tout de même, il est étrange que cette mystérieuse créature n’ait fait le moindre geste en ma direction.
Avant que mon élan de bravoure ne s’éclipse, je tente un pas en arrière. Mon cœur rate un battement lorsque je le fais et ma tension est si élevée que je crois bien, le temps d’un instant, frôler l’inconscience. Mais je tiens le coup et, une autre larme roulant sur mon visage, laisse une vague de soulagement étreindre ma poitrine lorsque je ne le vois pas faire le moindre mouvement pour se rapprocher de moi.
Il ne tente pas de réduire la distance entre nous. Peut-être est-ce parce qu’il sait que je vais devoir passer là où il est pour m’en aller ?
Qu’importe. C’est déjà ça de pris.
Contente de ma victoire, je m’autorise un nouveau pas à reculons. Il ne fait rien. Je m’exécute à nouveau, sachant pertinemment que mes déplacements ne mènent nul part mais souhaitant juste mettre un maximum de mètres possibles entre cette créature et moi. Il reste immobile. Un autre pas. Ma fesse rencontre une surface dure et plane que je devine être la table que j’occupais, quelques minutes auparavant. Je me décale pour l’éviter et continue ma marche.
Ce qui n’était, à l’instant, que quelques pas timides et attentifs deviennent maintenant une véritable course face à l’inconnu duquel je m’éloigne. Mes pas sont rapides et je me recule en toute hâte. Me déplacer, faire une action concrète me permet d’avoir légèrement moins peur.
Face à moi, maintenant à une vingtaine de mètres de ma position, l’invité indésirable n’a pas bougé. Cela me rassure un peu.
Du moins, jusqu’à cet instant qui me glace le sang.
Contre mon dos, une surface lisse et dure vient soudain percuter celui-ci. Et, comme si elle s’était brusquement fragilisée au moment d’entrer en contact avec mon corps, un bruit de verre brisé retentit soudain alors que je sens l’objet plane et résistant rompre contre mes omoplates.
Mes yeux s’écarquillent. Mon cœur remonte le long de ma gorge. Ma vision bascule. J’ai à peine le temps de réaliser que la vitre dans mon dos a cédé et que suis en train de chuter dans le vide que la collision survient.
Anormalement rapide.
Je grogne de douleur, ma peur subitement envolée tant je suis secouée. Contre mes fesses sur lesquelles je suis tombée, une brûlure cuisante s’anime et je suis soudain parfaitement consciente du sol sous moi. Mes yeux se crispent à cause de l’appréhension.
Mes sourcils se froncent. Je ne devrais pas être dans cet état. Pas après avoir basculé depuis le premier étage de la bibliothèque sur le béton de la rue. Mon corps est anormalement bien portant pour ce qu’il vient de se passer.
Mes traits se détendent. J’ouvre les yeux. Au-dessus de moi se dessine un ciel noir parsemé de paillettes, des étoiles. Cette vision m’apaise après les dernières minutes. Mais ce qui me calme d’autant plus sont les voix qui me parviennent soudain.
— Mademoiselle ! Vous allez bien ?
— Bon sang ! Vous avez vu cette chute ? Ça a dû faire mal !
— Quelqu’un sait d’où elle est tombée ?
— Non, je me suis retournée au bruit mais j’avoue que j’ai pas bien remarqué d’où elle sort. Tu penses qu’on devrait appeler un médecin ?
— T’as les moyens ?
Je ne suis plus seule.
Devinant les inquiétudes des passants, je me hâte et me redresse difficilement sur mes deux pieds. Puis, me retournant avec un large sourire, j’ouvre la bouche pour les rassurer, touchée par leurs mots. Mais ma voix meurt dans ma gorge lorsque je réalise la teneur du paysage sous mes yeux.
Ce n’est sûrement pas la rue bordant la bibliothèque. A vrai dire, je suis même sûre que ce qui s’étend sous mes yeux ne bordent aucune bibliothèque d’aucun pays de ce monde.
Devant mes yeux, une femme rondelette au visage particulièrement adouci par de jolies boucles blondes me dévisage avec des yeux écarquillés, visiblement inquiète quant à ma santé. Plus loin, légèrement en retrait, deux visages identiques me toisent avec un peu plus de mépris tandis que, à la gauche des jumeaux, un vieil homme particulièrement court sur pattes, hausse un sourcil en ma direction derrière ses lunettes rondes.
Qu’il s’agisse de leurs créoles dorées, leurs bandanas de différentes couleurs ou même leurs sabres solidement fixés à leur taille, ces quatre individus ne ressemblent absolument pas à des passants lambdas. A vrai dire, ils semblent tout droit sortis d’une soirée costumée ou d’une reconstitution historique.
La deuxième option me semble la plus plausible lorsque je repère les passants autour d’eux. Non seulement aucun ne s’attarde sur leur accoutrement mais tous semblent porter des vêtements similaires. Des robes cintrées par des corsets, des revolvers ouvragés, des sabres acérés et même des cache-œil.
Ces tenues me rappellent la piraterie. Et mon impression n’est que renforcée par la puissante odeur de poisson envahissant mes narines. Je suis à côté d’un port.
Fronçant le nez, je me tourne vers la rue nous entourant pour mieux l’observer. Malgré l’obscurité de la nuit, de fortes lumières se dégageant des boutiques à ma droite permettent de voir son chemin. La devanture de ces enseignes attire d’ailleurs mon regard. Pas de néons, de PVC ou d’annonces illuminées de LED comme j’ai l’habitude d’en voir. Loin de là.
Des portes de bois, des murs de pierres et du lierre grimpant sur les murs, couvrant presque des noms de magasins peints, gravés ou même accrochés à l’aide de lettres d’or. Rien de très commun. A vrai dire, je n’ai vu cela que dans les films fantastiques.
Seulement, même si j’apprécie l’ambiance, la réalité me frappe soudain. Il y a une seconde à peine, je me trouvais face à une terrifiante créature, dans la bibliothèque vide que je fréquente habituellement. Et, maintenant, j’ai non seulement basculé à travers de la vitre mais dans une rue qui n’existe sans doute même pas dans mon pays.
Trop de choses. D’un coup. Mon cerveau surchauffe. Je sens le mal de tête venir.
A ma gauche, je vois divers navires plus ou moins grands, tous de bois bruns ou peints me rappelant mes cours d’histoire. Ils flottent sur l’eau calme qui nait à quelques mètres de moi, là où la route s’arrête pour donner naissance au bassin.
— Elle n’a pas l’air d’aller bien…
— Tu penses qu’elle nous comprend quand on parle ?
— Je sais pas, regarde ses vêtements, c’est tout de même pas commun.
— C’est peut-être une étrangère.
Ignorant les visages perplexes des quatre passants devant moi, je me retourne brutalement afin de voir la bibliothèque dans mon dos. Mais, non seulement je ne tombe que sur le restant de cette longue rue pavée entourant le port, toute trace du bâtiment ayant disparu. Mais autre chose me glace le sang.
Il faut croire qu’il a finit par se rapprocher de moi, en fin de compte.
Là, à peut-être trois pas de moi maintenant, sa silhouette se découpe encore. Haute, enveloppée d’une cape, masquée par ce bec de corbeaux, elle me dévisage de ces billes noires. Et, si la présence de ce groupe dans mon dos aurait pu m’apaiser, les mots que j’entends par la suite ne font que me glacer le sang.
— Tout va bien ? demande la blonde d’une voix laissant sous-entendre qu’elle sourit.
— Qu’est-ce que tu regardes comme ça ? lance l’un des jumeaux.
Je me fige. Ils ne le voient pas. Cette créature debout devant moi, menaçante dans sa façon d’être mystérieuse, elle est invisible à leurs yeux. Nul ne peut m’aider à l’affronter ou tout simplement m’en protéger.
Je sens mes épaules trembler. Je suis accompagnée mais tellement seule en même temps.
L’invité indésirable n’a pas bougé. Le groupe derrière moi attend patiemment que je réponde. Mais l’urgence de la situation me pousse à me mouvoir sans considération pour eux. Ma peur est telle que je ne réfléchis pas un instant et laisse mon corps parler pour moi.
Mon pied droit cogne le sol avec force à côté de moi tandis que je m’élance dessus. L’autre le rejoint avec d’autant plus de vigueur de rapidement. Mon pas de côté en direction du port effectué, je m’arrache définitivement à la contemplation de cette vision d’horreur et me tourne vers l’eau à présent devant moi.
Je ne sais pas réellement ce que je fais à part écouter mon instinct.
Mon cœur tambourine avec violence dans ma poitrine et des larmes de panique menacent de couler le long de mes joues. Ignorant les cris des quatre passants qui continuent de m’interpeller, je cours avec force en direction de la mer, sentant la panique m’envahir tandis que des gémissements apeurés quittent ma gorge. Je dois m’éloigner de ce monstre.
J’ai détourné les yeux de lui. Et s’il en avait profité pour se mouvoir et s’approcher ?
Réduisant davantage la distance entre moi et le bord du bassin, je jette un regard par-dessus mon épaule pour vérifier qu’il n’a pas bougé. Mes pupilles se dilatent et je sens mon cœur rater un battement. Il n’est plus là. Cette découverte me heurte de plein fouet. Où est-il passé ?
Me reconcentrant sur ma route, je tente de faire abstraction de la panique croissant en moi et courir plus loin. Mais mes jambes m’abandonnent brutalement et, alors que j’étais élancée si violemment, mes genoux se plient et je m’effondre au sol lamentablement.
Mes bras tentent de me protéger de ma chute mais se râpent contre les pavés parsemés de débris tandis que mon menton heurte de plein fouet le sol. Le goût métallique du sang se répand dans ma bouche mais je n’en ai que faire et me redresse brutalement sur mes genoux.
Il est là. Juste devant moi. Les pieds posés juste devant la limite du bassin, dos à l’eau et face à mon visage tordu par l’effroi. Il me fixe.
Comment a-t-il fait pour bouger aussi vite ? Et pourquoi personne ne semble être capable de le voir ? Quel est cet endroit, si différent de la rue bordant la bibliothèque ? Qu’est-ce qui le pousse à me suivre ainsi ?
Mille questions traversent mon esprit à mesure que je fixe cette silhouette debout devant moi. Je sens le regard de quelques passants tournés vers moi, interpellés par ma chute mais je n’en ai que faire.
Et mes épaules tremblent lorsque je lâche, des sanglots secouant ma voix :
— Qu’est-ce que tu me veux ?
Je sens mon nez couler quelque peu et ma tête commence à me faire mal tant mes larmes sont abondantes. Mon crâne est en feu mais mon corps grelotte de froid. La peur et le désespoir me transpercent tandis que cette silhouette demeure immobile devant moi.
Silencieuse à ma détresse.
— RÉPONDS-MOI ! je hurle, mes nerfs me lâchant complètement. POURQUOI TU ME SUIS !
Trop de choses se sont déroulées en cette soirée.
— DIS-MOI CE QUE TU ME VEUX ! je sens mes cordes vocales me tirailler tant ma voix est forte. OÙ SUIS-JE !?
Il ne répond pas et demeure immobile. Les deux billes blanches de son regard me fixant avec intensité.
Je sais qu’il m’entend et me comprend. Je ne sais pas comment l’expliquer. En revanche, ce que je ne sais pas c’est s’il est incapable de me répondre ou s’il éprouve juste une espèce de plaisir sadique à me voir couverte de larmes et déchirée ainsi par la peur.
— Réponds-moi, je répète d’une voix suppliante, presque plaintive.
Soudain, comme un murmure, je sens un mouvement à ma droite. Un froissement d’étoffe à peine perceptible dans la fraicheur de la nuit qui m’indique la présence de quelqu’un venant à moi. Des pas qui s’approchent. Un nouveau venu qui s’élance en ma direction.
Et je ne sais réellement pourquoi, malgré la peur me terrassant face à l’être devant moi, en dépit de la terreur me déchirant, mon visage se tourne soudain naturellement vers cette présence nouvelle.
Peut-être car elle renferme quelque chose de rassurant. Peut-être car une douce torpeur se propage soudain en moi après la glace de la peur. Peut-être car les battements de mon cœur s’apaisent d’eux-mêmes. Peut-être car je ressens en ce nouveau venu une telle puissance mais aussi une telle bienveillance que le protecteur que je désespérai de trouver, il y a encore quelques instants, me parait être lui.
Peut-être pour toutes ces raisons. Ou alors pour aucune d’entre elles.
Quoi qu’il en soit, à l’instant-même où j’amorce le geste de tourner ma tête, à la seconde où les muscles de mon cou se mettent en action, à l’exact moment où mes yeux quittent la créature devant moi pour se poser sur l'inconnu, la nuit déjà noire se fait complète.
Je n’ai le temps de voir cette troisième personne qui s’élançait vers moi.
L’obscurité m’envahit. Je ne vois plus rien. La température redevient stable. Le vent cesse de fouetter mon visage. Les murmures des passants autour de moi s’évanouissent.
J’ouvre les yeux brutalement. La luminosité est beaucoup plus forte. Le contact d’un papier rugueux se fait contre ma joue. Celle de la bordure d’une table de bois compresse quelque peu mes poumons.
Je mets quelques instants avant de comprendre qu’une voix douce et particulièrement gentille s’adresse à moi.
— Madame, veuillez m’excuser mais la bibliothèque va fermer.
Battant des paupières à multiples reprises, je tente de m’habituer à la soudaine luminosité tranchant avec celle plus tenu de la nuit qui m’entourait, quelques secondes auparavant. Il fait de nouveau jour.
— Je suis vraiment désolée de perturber votre sommeil mais je n’ai pas le droit de vous laisser ici et…
Soudain, je me redresse, arrachant un hoquet de surprise à la femme qui s’interrompt dans sa phrase. Rapidement, je parcours les étagères garnis de livres devant moi, la longue vitre se finissant en demi-lune et encore intacte à ma droite ainsi que le vieux livre en cuir encore ouvert sur ma table.
La délicieuse torpeur de soulagement se répand en moi et je pose soudain la main sur ma poitrine pour mieux sentir mes battements de cœur s’apaiser. Ce n’était qu’un cauchemar. Je me suis endormie en lisant cette introduction barbante.
Rien de tout cela n’était réel.
Je mets quelques instants avant de me tourner vers les deux grands yeux ronds à ma gauche. Et je me sens soudain embarrassée par la gêne déformant les traits doux de celle que je reconnais comme étant l’une des bibliothécaires.
— Navrée, j’ai fait un mauvais rêve, je tente de me justifier.
— Il n’y a aucun problème, mademoiselle, prenez le temps qu’il vous faut, répond-elle avec un sourire si sincère et gentil que je me sens tout de suite apaisée.
A vrai dire, après les évènements que je viens de vivre et l’état dans lequel je me suis retrouvée, un rien pourrait m’apaiser.
— Je vais ranger ce livre et m’en aller, j’ajoute après un bref silence face à sa posture légèrement penchée vers moi en signe d’inquiétude.
— Vous devez vous tromper, madame, me répond-elle aussitôt avec un sourire. Ce livre ne vient pas de notre bibliothèque.
Mes sourcils se haussent et je baisse les yeux vers les pages encore ouvertes. Comment ça, cet ouvrage n’est pas d’ici ? D’un côté, j’ai peine à croire qu’elle connaisse toutes les œuvres présentes dans ces étagères. De l’autre, il n’y a pas l’habituelle étiquette sur la cote de l’objet, ce qui laisse effectivement penser qu’il est étranger à cette bibliothèque.
Au moment où je m’apprête à lui affirmer que quelqu’un a dû l’oublier ici et lui demander si je peux le déposer à l’accueil, mon regard est soudain attiré par un faible miroitement sur la manche de mon sweat-shirt noir.
Scintillant légèrement comme une paillette, un faible éclat me pousse à froncer les sourcils. Et, levant mon poignet à hauteur de mes yeux, je réalise soudain en ratant un battement de cœur qu’il s’agit d’un éclat de verre.
La sensation de mon corps traversant la fenêtre me revient. Je me tourne vers celle-ci pour m’assurer qu’elle est belle et bien intact et elle l’est.
Mais, étrangement, cela ne me rassure pas le moins du monde.
Non. Car la certitude que ce que je viens de vivre avait l’air trop réel pour n’être qu’un cauchemar commence à s’installer en moi.
Mes yeux se reconcentrent sur les pages encore ouvertes devant moi. Le bec de corbeaux semble toujours aussi sinistre sur le vieux papier. Mes muscles se raidissent tandis que je le fixe avec intensité.
Que me veux-tu ?
郷に入っては郷に従え
5206 mots
je me lance et, même si
j'ai un peu peur étant
donné que je ne pense
pas connaître encore
assez de choses sur
shanks, j'espère
que ça vous plaira !
pour l'instant, on ne l'a
pas vraiment vu comme
il s'agit du prologue
mais patience, tout
cela va bientôt
changer
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