Deux semaines plus tard.

C'était un jour comme un autre, un quelconque vendredi, un banal jour d'été. Et alors que la même chaleur étouffante ravageait la ville, on aurait pu croire que rien n'avait changé.

Mais tout avait changé.
Oui, absolument tout.

Debout devant sa propre porte, Taehyung avait l'impression de se rendre chez un inconnu. Il avait l'impression de ne plus reconnaître l'endroit, de ne plus être chez lui, devenu étranger de sa propre vie. Oui, c'est comme si c'est sa vie entière qu'il avait décidé de laisser derrière lui. Une vie et tout un passé qu'il avait finalement, malgré tout et après tout, réussi à accepter, comprenant que c'était la seule chose à faire. Et alors, chaque jour, il apprenait à vivre avec.

Et c'était de loin son plus grand défi.
Le défi de sa vie.

Ce n'était pas facile. C'était un processus long, ardu, difficile, lui semblant même parfois, être tout simplement impossible. Il lui arrivait encore d'être angoissé, paniqué, tétanisé au point de ne plus pouvoir bouger, comme paralysé d'une angoisse constante. D'une peur permanente. Une peur dont il ne pourra jamais réellement se débarrasser, une peur qui sera toujours là. Une peur qui le réveillera en sursaut pendant la nuit, une peur qui l'obligera à toujours vérifier derrière lui. Une peur qui l'encerclera, l'étouffera, une peur qui lui collera à la peau, au corps, au cœur et à l'entièreté de son âme.

Mais pas pour toujours, non.

Au début les secondes seront longues alors que les minutes paraîtront interminables. Il aura cette impression constante de couler avant de remonter à la surface. De perdre son souffle avant de le retrouver, de tourner en rond, de se perdre, de tomber. Les jours ne seront qu'une succession de hauts et de bas, de joie, de peur, de rire, de pleurs. Une succession d'émotions si forte et si tenace que Taehyung aura du mal à simplement y faire face.

— Ça va bien se passer..., ne pouvait-il s'empêcher de murmurer, comme essayant de calmer son propre cœur agité. « Ça va bien se passer... », des murmures qui résonnaient comme une prière au ciel, comme une requête à lui-même alors que Taehyung dévisageait le dos de sa propre porte. Maltraitant ses lèvres abîmées sous ses dents, sous la tension qui s'entassait dans le creux de son ventre, le châtain tremblait. Il se coupait du monde sans même s'en rendre compte, retournant dans sa bulle, se faisant terrasser par ses idées sombres. Oui, il retombait dans ses vieux démons, « Ça va bien se - ».

— Respire, chuchota alors Jungkook en resserrant ses doigts autour de ceux du plus jeune.

Taehyung détourna alors brusquement la tête, comme s'il venait de se réveiller d'un rêve, d'un rêve beaucoup trop long. Et ses yeux d'abord écarquillés s'attardèrent sur le visage du brun alors que son cœur se calmait doucement. Et alors que les secondes s'écoulaient calmement, il rabaissa la tête, fixant la main de Jungkook qui entourait la sienne. Un touché qu'il ne sentait d'abord pas, mais qui, plus son cœur se calmait, plus se mettait à exister. Et alors que ses souffles étaient à présent réguliers, la chaleur de Jungkook lui semblait plus vraie que jamais.

Il ferma les yeux.

Redressant le dos, relevant la tête, il faisait plus que jamais face à son passé. Et alors qu'il pouvait entendre les talons de sa mère résonnaient de l'autre côté de la porte, il resserra naturellement sa main dans celle du brun, inspirant une énième fois. Mais alors qu'il levait la main, s'apprêtant à ouvrir cette porte qu'il redoutait tant, il s'arrêta subitement. Comme brusquement plongé dans son monde, cristallisé, figé dans le temps. Les yeux perdus dans le vide et sa main toujours immobile, il baissa la tête en un souffle lourd.

— Dis..., commença-t-il d'une voix pensive alors que Jungkook se détourna naturellement vers lui, « Comment une journée peut devenir la pire et en même temps la plus belle de toute ta vie ? ».

Surpris, perdu, confus, Jungkook mis quelques secondes à répondre. Fixant silencieusement le plus jeune alors que le soleil tapait sur leurs corps, donnant aux cheveux du châtain de magnifiques reflets or. Et alors que sa main vint naturellement caresser la nuque de Taehyung ce dernier le devança, reprenant d'une voix douce, comme pour se bercer lui-même.

— C'est surprenant... Non ?, et alors qu'il relevait doucement la tête, il vint plonger ses yeux brillants dans le regard du brun, « Parce que le jour où Namjoon m'a fait du mal, ce jour où j'ai cru mourir. C'est aussi le jour... où je t'ai parlé pour la première fois. ».

Oui, tout avait changé.

Jungkook ne répondit rien à ça, il ne pouvait rien répondre. Il se contenta alors d'expirer à son tour l'air de ses poumons tout en regardant le châtain comme s'il était la personne la plus forte de ce monde. Et pour lui c'était le cas. Il l'était à tel point que Jungkook ne pouvait s'empêcher de l'admirer, de le contempler, de le respecter un peu plus à chaque seconde. Il applaudissait sa force, son courage mais surtout son animosité, sa volonté de vivre et ce cœur qu'il avait constamment sur la main.

Un cœur qui battait même pour des personnes, qui, d'après lui, n'en valait pas la peine.

— ... Tu crois qu'il va bien ?, demanda alors la voix quelque peu hésitante du plus jeune, comme s'il n'avait pas le droit de demander ça, comme s'il n'avait pas le droit de le savoir. Comme si c'était écrit, gravé sur son front. Comme si c'était son devoir de le détester, de ne pas s'inquiéter. Comme si c'était une obligation pour lui de ne plus jamais reprononcer son nom.

Et ça avait été le cas. Oui, il l'avait haï au point de vouloir le tuer de ses propres mains, il l'avait haï au point de ne plus jamais vouloir le revoir. Il l'avait haï à tel point que cette haine était devenue quotidienne, constante. Une haine qui le consumait doucement, lui faisait perdre la tête sans même qu'il ne s'en rende compte. Mais il avait compris maintenant. Il avait comprit que le haïr n'arrangerait rien, et puis de toute façon... Il n'y arrivait pas. Il avait vraiment essayé, tentant d'oublier leur histoire, leur amitié, ce lien qui les avait liés. Et il avait essayé encore. Il s'était répété en boucle que c'était un monstre, qu'il ne voulait plus jamais le revoir, qu'il ne voulait plus jamais lui parler. Et il se l'était répétait encore.

Mais il n'y arrivait pas.

Il ne pouvait s'empêcher, comme une pulsion, comme un instinct, il ne pouvait s'empêcher de se demander où il était, s'il allait bien. Il aurait vraiment voulu le détester, arriver à le haïr au point où tout le monde semblait le détester... Mais c'était plus fort que lui, il n'y arrivait pas. Peut-être qu'au fond il avait un problème, qu'il n'était pas normal, qu'il était malade. Il en était arrivé au point même d'en avoir honte, honte de vouloir encore prononcer son nom.

Mais c'était comme ça, il préférait y croire. Il préférait penser qu'un jour ils se retrouveront, ils reparleront. Il préférait penser qu'après être arrivé à aller mieux, Namjoon y arriverait à son tour. Les jours étaient passées, les semaines s'étaient écoulées et beaucoup de mois passeront sûrement encore avant qu'il ne puisse lui refaire face.

Mais malgré son cœur lourd, Taehyung était rempli d'espoirs. Il l'avait toujours été.

Et même si pour l'instant la simple idée de le revoir lui nouer l'estomac et même si maintenant la simple idée de lui reparler lui faisait mal. Et même s'il n'était même pas sûr, d'un jour, pouvoir lui refaire face. Il préférait y croire, parce que c'est justement cet espoir infini qui lui permettait de se lever, d'avoir l'envie de continuer. Un espoir qui lui murmurer doucement à l'oreille qu'un jour, il sera heureux.

Soufflant doucement à cette simple pensée, le châtain releva doucement les yeux vers le brun. Un brun qui le regardait sans ne rien dire pour autant, se demandant, hésitant à cette question. Une simple question, oui, mais qui l'avait laissé sans voix car lui, connaissait bel et bien la réponse. Bien sûr qu'il le savait, il l'avait su à la seconde même où il avait laissé le blond derrière lui. Comme un instinct, une conviction inexplicable. Comme si quelqu'un lui souffler à l'oreille que c'était la fin. Oui, il le sentait, mais il n'en fut sûr que le lendemain, lorsque la voix de cette femme s'était mise à résonner hors de sa télévision :

« Le corps d'un lycéen retrouvé sans vie ce matin [...] L'enquête suit son cours même si la piste du suicide est privilégiée. ».

Et il s'apprêtait à lui dire, bien sûr qu'il allait lui dire, et même si ça allait complètement le détruire. Il allait lui dire parce qu'il lui avait promis, il lui avait promis d'être sincère, de ne plus jamais lui mentir, de ne plus rien lui cacher. Et même si ça allait complètement le déchiré, lui faire perdre pied, le rendre fou. « Je... », commença-t-il alors. Mais il n'y arriva pas, s'arrêtant subitement à la seconde même où les yeux du châtain croisèrent les siens. Ses yeux si brillants, ses yeux remplis d'espoirs... Ses yeux que Jungkook n'arriva pas à décevoir. « Je serais toujours là, tu sais ? ». Sa voix douce résonnant dans le cou du châtain, Taehyung ne dit d'abord rien, se contentant de profiter de cette douce étreinte. Et puis en seule réponse, en unique réponse, il se recula d'un pas, juste assez pour que le brun puisse apercevoir son visage, ce visage qui aujourd'hui était orné de son sourire, ce sourire rempli de rêves et d'espoirs. Ce sourire dont Jungkook ne se lassait pas, dont il ne se lassera jamais, l'admirant jusqu'au dernier jours de sa vie, et encore dans sa vie d'après - Éternité.

Une éternité qui ne faisait que commencer lorsque Taehyung poussa la porte de chez lui.

« Maman... »

Et même s'il tournait le dos au brun, et même s'il ne le voyait plus de ses propres yeux. Et même s'il venait de lâcher sa main pour pouvoir attraper celle de sa mère. Il savait que tout irait bien. Il savait que Jungkook serait toujours là, juste derrière lui, et qu'un jour...

« J'ai quelque chose à te dire. »

Oui qu'un jour, il irait mieux.