𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐗𝐗𝐕













—    S  A  N  S    M  A  N  I  E  R  E  S    —









負けるが勝ち















             AU LOIN, LE SON des cuillères et fourchettes tintant, ponctuée par l’eau du robinet résonne jusqu’à la chambre que j’occupe. Sieg doit être en train de laver la vaisselle. Il est actuellement huit heures du matin. En temps normal, je serais à l’université, un gobelet de café noisette à la main en train de le chambrer sur son emploi du temps de la journée.

             Mais je suis aujourd’hui dans son appartement, habillée d’un jogging et d’un sweatshirt, atrocement embarrassée à l’idée de poser le pied dehors. Surtout après les évènements d’hier.

             D’une voix ferme, Sieg a mis Agnès et Olympe à la porte. Encore sous le choc d’avoir découvert le lien de la première avec Han, je me suis partiellement effondrée. Le professeur m’a alors rattrapée, me soulageant au travers de quelques mots doux et, une chose en entrainant une autre, j’ai eu un orgasme alors que j’étais assise sur sa cuisse.

             Il s’est montré doux, patient. Depuis que je le connais, il n’a eu de cesse de tenter de m’aider. Malgré nos disputes et nos désaccords, je ne compte plus le nombre de fois où sa main s’est tendue vers la mienne.

             Hier encore, après avoir atteint le septième ciel, il m’a laissée me réfugier dans ses bras, embrassant mon crâne. Les minutes se sont écoulés tandis qu’il me tenait contre lui et, lentement, j’ai réalisé mon geste. Notre geste.

             La brûlure du désir a lentement laissé place à la froide sensation de la honte. Moi. Son élève. Son assistante. Son amie. Une personne qui s’est tant reposée sur lui, a tellement compté sur lui, je me suis laissée aller à me frotter contre lui comme une chienne en chaleur et sans aucune pudeur.

             Je n’ai pas pu le supporter. Quand bien même la sensation avait été exquise, que son corps chaud me rassurait, que l’idée d’être si proche de lui me réconfortait, quelque chose n’allait pas. Et sans doute est-ce cela qui m’a poussée à me relever précipitamment de son étreinte pour me réfugier dans ma chambre, gênée.

             S’il a tenté de toquer à ma porte pour s’enquérir de mon état, il m’a relativement vite laissée en paix. Le soir-même, il a toqué à nouveau avant de s’en aller sans me laisser le temps de répondre. Quand j’ai ouvert la porte, intriguée, j’ai découvert un plateau-repas sur le sol.

             Je suis perdue.

             Lorsque j’ai rencontré Sieg, je peinais à maintenir ma tête hors de l’eau. Mon travail m’épuisait, me faisant finir mes nuits jusque très tard, mes dettes envers la clinique de désintoxication où avait séjourné Ymir me poussaient à me rationner en nourriture et, quand Esther est décédée, la perte de cet emploi a bien failli m’emporter.

             Mais il m’a tendu la main. Lui. Malgré nos disputes, il s’est assuré que je perçoive mon salaire d’assistante ainsi qu’une compensation pour ses recherches. Puis, alors que mon état se dégradait, que je dormais de moins en moins, que la solitude me grignotait et que je réalisais combien celle que j’étais devenue me dégoutais, il a aussi été là.

             En sa présence, je devenais une femme que je pouvais tolérer. Dans ses yeux se dessine le visage d’une personne qui mérite d’être aimée. Et peut-être est-ce pour cela que je me suis tellement plus à ses côtés.

             Que je ne supporte pas l’idée de ne pas être sans lui.

             Mais hier… Hier était à la fois plaisant et terrifiant. Il s’agissait-là de l’aboutissement de mes plus dévorantes envies mais aussi l’accomplissement de mes peurs. Ce n’est pas simplement le fait d’avoir hurlé de plaisir, jouis contre lui. Non.

             A vrai dire, c’est surtout que je prends maintenant conscience que j’aimerai recommencer. Eternellement. Rester avec lui. Ne jamais le quitter. Que même s’il lui arrive d’être insupportable, contrairement à bien d’autres avant lui, rien ne me pousserait à couper les ponts et tourner les talons.

             Je suis le genre de femme qui n’aime pas et que l’on n’aime pas. Une personnalité difficile à vivre et qui ne souhaite pas changer. Une personne sans amie ou amour car, à la moindre inconvenance, elle prend la poudre d’escampette. Je n’aime pas les disputes, je trouve cela éreintant. Or aucune relation ne peut exister sans dispute. Alors il faut les endurer. Mais j’ai toujours préféré m’en aller définitivement.

             Plus maintenant. Je pourrais lui hurler dessus pendant des heures, me prendre une pluie de remarques insupportables que je n’arrêterai pas. Je le veux. Alors que l’orgasme me submergeait, je l’ai réalisé.

             Je l’aime. D’une façon qui ne pouvait exister que dans les fictions, selon moi.

             Et tout cela est terrifiant.

             Avant, je ne craignais pas que l’on m’abandonne. Avant, je n’avais aucune attache. Avant, je riais de ceux qui croyaient me faire chanter en menaçant de quitter ma vie. Avant, rien ne m’importait. Avant, tout était différent.

             Avant lui.

             Me tirant de mes pensées, deux coups sont frappés à ma porte. Secs, doux. Presque imperceptibles, ne voulant me déranger. Je me détourne de la bibliothèque garnie de livres à laquelle je faisais face, troublée.

             Il est là, juste derrière cette porte.

— Le petit-déjeuner est prêt, tu préfères que je te l’apporte ou tu veux aller dans le salon ?

             Ma gorge est serrée. Hébétée, je fixe la porte sans rien faire. Incapable du moindre geste ou son, je me contente de dévisager le surface lisse et brune.

             Mon cœur bat avec ardeur. Il soupire, de l’autre côté.

Ecoute, (T/P), je suis navré que ce qu’il s’est passé te blesse ou te gêne. Je veux bien faire comme si rien ne s’était déroulée si ça te met plus à l’aise et je te laisserai le temps qu’il te faudra mais quand tu seras prête, parle-moi, s’il-te-plait.

             Malgré moi, mes yeux s’humidifient. L’envie de m’autoflageller me prend à cette sensation. Depuis quand suis-je aussi faible ?

— J’ai des courses à faire, bon appétit.

             Fermant les paupières, j’attrape mes lèvres entre mes dents pour lutter contre l’envie d’hurler. J’aimerai ouvrir cette porte, sauter à son cou et le retenir en lui expliquant le plus profond de ma pensée. Mais tout est tellement désordonné que même lorsque j’essaye de me l’expliquer, je ne saisis pas entièrement ce qui me fait tellement peur.

             Qu’il m’abandonne ? Que nous n’ayons pas les mêmes attentes ? Qu’il ne m’apprécie pas autant que moi, je le fais ?  Que je ne sois qu’une autre Esther Andrews ?

             Mon cœur se serre. Pourquoi cela doit-il être si compliqué ? Ma vie était bien plus simple avant son arrivé.

             Non, c’est faux. Enfin, pas entièrement vrai.

             Il m’a aidé à résoudre certains de mes problèmes. Puis m’en a créée d’autres. Sans même le faire exprès, avec aucune intention de vraiment me causer du tort, simplement car il est lui, que je suis moi. Et que je me retrouve à le chercher où qu’il soit.

             La porte de l’appartement se ferme. Il est parti. Mes épaules s’affaissent.

— Je suis vraiment une abrutie.

             Sortant enfin de ma chambre, j’emprunte le couloir avant d’arriver dans le salon. Au fond, le comptoir donnant sur la cuisine se dessine. Je marche jusqu’à celui-ci tout en regardant les assiettes disposées dessus.

             Mon cœur se serre en voyant l’effort qu’il a fourni. De la viande, des œufs, des fruits, des céréales, des jus, du café… Il s’est décarcassé pour être sûr de m’offrir un repas plaisant. Et moi, je n’ai fait que l’ignorer depuis hier.

— Je suis vraiment, vraiment, une abrutie, je répète en m’asseyant sur l’un des tabourets de bar.

             Il cuisine vraiment bien. Mes yeux roulent dans leurs orbites à divers moments tandis que je savoure les goûts se mélangeant dans mon palais. Et mon embarras ne fait que grimper à mesure que je dévore le buffet et réalise combien il a travaillé pour le constituer.

             Au bout de nombreuses bouchées, je m’immobilise, hésitante.  Peut-être devrais-je lui envoyer un message ? Enfin, sans doute reprendre contact avec lui avec un « merci pour la bouffe, c’est sympa » après avoir jouis contre sa cuisse n’est pas l’approche la plus élégante ni la plus subtile.

             Mes sourcils se froncent. Levant les yeux pour les poser sur le plan de travail où mon téléphone charge depuis hier — m’ayant condamnée à passer une soirée seule sans autre forme de distraction — je remarque la forme jaune et carré d’un post-it. Me levant de ma chaise, je contourne le comptoir le saisit.

             Nous sommes deux dans cet appartement et il a collé cette feuille à côté de mon portable, il s’adresse sans doute à moi.

« Une soirée est organisée ce soir entre quelques sociologues et collègues chercheurs. Ce n’est pas des plus passionnants et je peux déjà entendre tes remarques sur le balai enfoncé dans le fondement des élites intellectuelles mais cela me ferait vraiment plaisir d’y aller avec toi. J’ai laissé quelques tenues sur le canapé. »

             Le sourire qui germe sur mes lèvres à sa remarque sur l’anus des intellectuels fane devant sa proposition. Moi ? A son bras lors d’un évènement pour gros cerveaux ?

             Mes yeux s’arrêtent sur la fin du post-it.

« J’avais prévu de t’en parler de vive voix mais je préfère ce format. Car tu es libre de ne pas venir et si tu ne le souhaites pas, tu auras juste à ne pas descendre à dix-neuf heures pour grimper dans le véhicule qui passera te prendre. »

             Mon cœur bat avec force. Je lève les yeux vers le canapé.





             Que faire ?






































             Le froid de cette soirée naissante m’engourdie. Le soleil est couché depuis une heure maintenant, ne laissant que les lampadaires illuminer ma silhouette de leurs lueurs orangées. Et cela confère au tissu noir de la robe que m’a choisie Sieg une allure des plus flatteuse.

             Sur mes épaules, deux bretelles mènent à un décolleté en « V ». Puis, depuis ma taille, une large jupe s’étend jusqu’à mes pieds, fendue devant pour laisser le soin de voir ma jambe droite. Le tout souligne mon allure, dessinant élégamment chaque trait de mes mouvements.

             Parmi toutes les toilettes qu’il a laissé à ma disposition, celle-ci a vraiment retenue mon attention. Malgré ma nervosité à l’idée de le revoir, je suis surtout excitée de découvrir sa réaction. J’espère que je lui plairais. Soit, j’ai passé la matinée à me terrer dans une chambre.

             Mais ce soir, mon cou est enduit d’un parfum hors-de-prix, mes chaussures résonnent avec vigueur sur le sol, ma tenue scintille et mon maquillage complimente le moindre de mes traits. Je me sens irrésistible. Les quelques regards des passants alentour lorsque j’ai franchi le portail de son immeuble m’ont suffi à réaliser que ce n’est pas qu’une impression.

             Cela fait longtemps que je n’ai pas autant eu confiance en moi.

— Mademoiselle (T/N) ?

             Je me tourne vers un homme brun légèrement rond habillé d’un costume et dont les mains sont parées de gants. Derrière lui, une large voiture noire aux contours stylisés me rappelant une limousine se trouve.

             Sieg ne s’est pas foutu de moi. Il ne s’agit pas d’un taxi, comme je m’y attendais mais d’une limousine.

             M’ouvrant la porte, il m’invite à prendre place à l’intérieur. Aussitôt m’assois-je sur les sièges de cuir que la chaleur du moteur ayant tourné me réchauffe. Un sourire me prend. Mon estomac se tord peut-être à cause du stress mais je suis excitée à l’idée qu’il me découvre.

— Où va-t-on ? je demande en me penchant entre les sièges.

— Un restaurant a été privatisé pour l’occasion. Le Rossignole, vous connaissez ? me demande-t-il tandis que le véhicule tressaute et que nous nous mettons en route.

— Le Rossignole !? je répète, abasourdie. Mais c’est pas hors-de-prix, là-bas ?

— Oh, vous savez, quelqu’un qui paye aussi cher une limousine peut bien s’offrir un repas de luxe de temps en temps. D’autant plus que l’hôte invite, si je ne dis pas de bêtises.

— Mais c’est que vous vous y connaissez, je le taquine tandis que nous nous éloignons du quartier.

— Je sers la famille Jäger depuis vingt ans, mademoiselle.

             Mes yeux s’écarquillent.

— Vingt ans ?

             Dans le rétroviseur, il m’offre un sourire fier.

— Et oui, ma petite dame, vingt ans que Georges est là. J’ai connu Sieg durant toutes les périodes de sa vie. Des études en passant par le baseball et le professorat. Une sacrée tête, celui-ci.

             En prononçant ces paroles, il suscite mon intérêt. Un instant, j’hésite à sombrer dans une tactique très basse, très sournoise et mauvaise. Non. Ce n’est pas bien. Je ne peux pas me permettre de me montrer aussi intrusive et utiliser un employé du professeur pour soutirer des informations sur lui.

             Mais l’intéressé semble deviner mes préoccupations.

— Vous savez, jamais Sieg ne m’avait parlé d’une femme avant ni ne m’avait envoyé la chercher. Je suis plutôt ici pour les déplacements familiaux, à l’ordinaire.

— Et qu’est-ce qu’il change de d’habitude ? je demande, intéressée mais assez inquiète.

— Il n’était pas à l’aise à l’idée de vous savoir avec un chauffeur inconnu ou même dans les transports en commun, aussi tard.

             Une certaine chaleur plaisante monte en moi. Je ne peux pas nier qu’une telle information me flatte particulièrement.

— Il n’a jamais fait ça pour les autres femmes qu’il emmenait à ces soirées, alors ? je fais remarquer tout bas.

— Il ne les emmenait pas, souligne Georges en m’entendant.

             Mes sourcils se haussent.

— Jamais ? Vous voulez dire que je suis la première personne à se rendre à ces côtés dans ce genre de soirée ?

— Si je puis me permettre et d’après ce qu’il m’a raconté sur ses recherches, c’est surtout parce que vous êtes quelqu’un de très intelligent !

             Il a lancé cette phrase dans un sourire particulièrement gentil, me regardant avec tendresse et joie au travers du rétroviseur. Mais ces mots me font l’effet d’une claque. Ses recherches… Evidemment.

             Il veut sans doute exhiber sa trouvaille, celle qui se plait à manipuler autrui. Et je ne serais peut-être qu’un artefact à brandir devant ses collègues. Nous nous ferons un plaisir de rejouer le Diner de Cons.

             Je suis l’abrutie qu’il montre et il n’est qu’un professeur que je crois m’estimer réellement.

             Dépitée, je m’enfonce à nouveau dans les sièges.

— Tout va bien, mademoiselle ?

— Oui, oui, je réponds aussitôt, ne voulant l’embarrasser.

             La voiture ralentit avant de s’arrêter. Au travers de la vitre teintée, je distingue le façade chic et peinte, traversée de lettrine dorée et à l’intérieur de laquelle une vaste salle épurée déjà parsemée de serveurs en costards et personnes bien habillés se tiennent.

             La soirée a à peine commencé mais la plupart discutent dans des rires, une flûte de champagne à la main.

— Tant mieux, lance-t-il, car nous sommes arrivés.

             Je n’ai pas le temps de réaliser ses paroles, Georges est déjà sorti de la voiture. Mes yeux le suivent jusqu’à ce qu’il atteigne ma hauteur et ouvre ma portière, laissant le vent frais s’engouffrer. Un sursaut me prend. Le trajet est allé trop vite, je suis encore dévorée par ma propre nervosité.

             Mais Georges se tient galamment à côté de moi. Je ne peux pas le faire attendre. Alors, même si ma gorge est nouée et mes paumes, moites, je pose un escarpin sur le bitume. Puis le deuxième tandis que je jaillis du véhicule.

             Ma gêne ne fait que croitre lorsque les regards des passants, quelques fumeurs en terrasse et personnes dans la salle se tournent tous sur moi. Evidemment, il n’est pas anodin de voir quelqu’un débarquer en limousine et chauffeur durant une soirée qui, quoique chic, demeure tout de même assez décontractée — dans le langage coincé du cul, évidemment.

— Madame, puis-je vous aider ? m’interpelle soudain une voix, à quelques mètres.

             Un homme d’une trentaine d’années, les cheveux bruns coupés courts et ses yeux noisette plissées en une moue rieuse se tient juste derrière Georges, une coupe de champagne à la main et un sourire étincelant aux lèvres. De sa paume libre, il m’invite à m’accrocher à son bras.

             Je n’ai même pas le temps d’être embarrassée.

— Non, tu ne peux pas, Adam.

             La voix de Sieg m’interpelle. Me tournant vers l’entrée du restaurant, je le vois. Juste devant moi. Son regard sévère est posé sur le dénommé Adam, regard qui s’illumine quand il le pose sur moi.

             Mon cœur s’accélère tandis que ses yeux détaillent mon corps. Mes épaules, mon décolletée et la jupe passe sous son analyse silencieuse. Mais l’éclat dans son regard qui se réverbère sur les verres de ses lunettes me saisit.

             Approchant, il saisit ma main qu’il porte à ses lèvres tout en glissant sa paume libre dans le bas de mon dos pour me rapprocher de lui. Un spasme me prend et une dense chaleur montent en moi. Ses iris ne quittent pas mon visage quand il ajoute à l’attention d’Adam :














— Madame est avec moi.













負けるが勝ち

















2824 mots

j'espère que ça vous
aura plu !

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