𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐕𝐈𝐈𝐈

















—    S  A  N  S    M  A  N  I  E  R  E  S    —












負けるが勝ち















             AVEC UN SOUPIR de soulagement, je franchis le seuil de ma dernière salle de cours. La journée a été longue, éreintante. Mes muscles endoloris me tirent quand j’exécute une rotation de la nuque, massant de la même façon la naissance de celle-ci.

             Il est maintenant 18h00 et, après tant d’heures à me débattre avec des cours interminables, des prises de notes à rallonges au cœur des mille et unes conversations sur le décès d’Esther Andrews, je sors enfin.

             Car ce matin, au travers d’un e-mail, des hommages ont été rendus au professeur avec une invitation à se recueillir, demain soir, devant l’entrée de l’université, rendant son décès public. Là a été le point de départ de nombreux commérages et ouï-dire qui m’ont bien plombé le moral.

             Dorénavant, je suis lasse et ne souhaite qu’une seule chose : m’envelopper dans des draps et dormir profondément.

             Seulement, tandis que je progresse dans le couloir où s’éparpillent mes camarades de classes, tels des tâches noires sur les murs orange criards, un tintement sonore doublée d’une vibration dans ma poche attire mon attention. Alors, d’un geste las et dans un soufflement exaspéré, je tire l’objet.

             Je ne veux que quelques secondes de paix, pour une fois.

             Alors c’est non sans un froncement de sourcils que j’allume mon écran et prend connaissance de ma nouvelle notification.

« De : Connard Jäger.

A : 18h05

Passez dans mon bureau, s’il-vous-plait. »

             Je lève les yeux au ciel en me retournant, prenant le couloir dans le sens inverse du restant de mes camarades. Cet abruti va me gonfler jusqu’au bout. J’ai faim, froid, suis fatiguée et n’ai sûrement pas la tête à faire mumuse avec lui.

             Mais un contrat est un contrat et, compte tenu de ce qu’il s’est passé au club hier, je vais devoir faire de mon mieux en tant qu’assistante si je souhaite garder une certaine source de revenu.

             Mon trajet me prend dix minutes durant lesquelles je dévale des marches, tourne dans des couloirs, marche le long d’allées. Les différents bâtiments sont éloignés les uns des autres et celui des respectés professeurs d’université, ancien et à l’architecture fort travaillée, se situe plus loin du reste pour bien marquer l’opposition entre les élèves entassés dans des salles modernes et dysfonctionnels et les inestimés intellectuels évoluant dans ce qui ressemble à un musée.

             Au terme de cette course effrénée, j’entre en sueur et encore plus énervée que d’habitude dans le bâtiment. Je hais bien des choses dans les facultés. Mais les hiérarchies instaurées entre professeurs et élèves sont encore les pires.

             Combien de fois ai-je fait face à un connard qui n’a            vait que cinq ans de plus que moi, se permettait de me tutoyer et m’appeler par mon prénom en refusant que je fasse de même ? Cela semble peut-être anodin mais nos rapports sont constitués de minuscules détails menant à des déséquilibres.

             Là est peut-être la seule chose que je reconnaitrais au professeur Jäger. Il me vouvoie et je sais, pour avoir vu son ancienne assistante agir ainsi, qu’il ne m’en tiendrait pas rigueur si j’en venais à l’appeler par son prénom.

             Néanmoins, il demeure plus con que la moyenne nationale.

             Enfin devant sa porte, je toque à trois reprises et n’attend aucune réponse pour entrer. Je suis légèrement trop agacée pour perdre du temps en futiles politesses. Alors, brutalement, j’entre dans la pièce.

             Il est assis à son bureau. Derrière la monture de ses lunettes rondes, ses yeux se posent avec un certain agacement sur les deux silhouettes assises devant lui que je n’ai aucun mal à identifier. Mon sang se fige d’ailleurs dans mes veines face à ce spectacle.

             Sur le siège de droite se découpe la silhouette du châtain que j’ai rencontré hier, Farlan Church et qui est en charge de l’enquête sur Esther Andrews. Sur la chaise de gauche, une brune aux cheveux noués en un imposant chignon se tourne vers moi à mon arrivée. Je la devine comme étant la collègue du premier.

— (T/P) (T/N), je suppose ? retentit une voix à ma droite.

             Me tournant vers les canapés disposés devant la cheminée, je croise le regard clair d’une femme aux cheveux coupés courts, à hauteur de la nuque. Ceux-là sont châtains et violets par endroit, notamment au niveau de sa frange.

             A sa taille, je distingue aisément un insigne compte tenu du fait qu’elle est allongée, ses pieds pointant ma direction.

— Vous supposez bien, je réponds.

— Nous avons quelques questions à vous poser, retentit la voix du lieutenant Church à l’autre bout de la salle.

             Je me tourne vers lui. Mon regard croise celui du professeur Jäger. Il ne semble pas bien à l’aise. Et moi non plus, à vrai dire. Quoi que je ne sois pas autant agacée par la présence des policiers que je ne le suis pas le fait que le blond n’ait rien laissé dans son message pour me prévenir de ce qui m’attendait ici.

             Car j’aurais volontiers éclipsé ce rendez-vous simulacre ce guet-apens si j’avais su que trois connards — non, quatre — m’y attendaient de pied ferme.

— Faites vite, j’ai fini ma journée et je veux rentrer chez moi, je lâche d’un ton brutal.

— Oh mais c’est qu’elle est agressive, chantonne la femme à ma droite.

             Mes poings se serrent et ma mâchoire se contracte. Je n’apprécie déjà pas le châtain, mais sa collègue présentement affalée dans le bureau d’un suspect promet d’être encore plus exaspérante que lui.

             Je la fusille du regard, agacée :

— Le côté décalé et détendu, ce doit être pour détendre les suspects, les pousser plus facilement à la faute, je me trompe ? je demande en haussant un sourcil en sa direction.

             Se redressant sur ses coudes, elle écarquille légèrement les yeux, visiblement surprise.

— On m’avait pourtant venté vos qualités d’observatrice hors-pair ? commente-t-elle en retour. Vous me décevez.

             Prise de court, je réalise alors relativement rapidement mon erreur. Cette femme n’est pas intelligente, mettant au point une technique de manipulation de ceux qu’elle interroge, elle est juste grossière. Très grossière.

             J’observe la position de ses jambes. L’une est anormalement raide.

— Ce n’est pas parce que vous êtes blessée que vous devez nous imposer une conduite pareille, je me corrige sèchement.

— Ah ! Là elle a bon, la Sherlock ! chantonne-t-elle avec un sourire victorieux, dodelinant de la tête.

             Je me contente de lever les yeux au ciel avant de reporter mon attention sur les trois autres individus qui ont observé la scène en silence.

             Les seuls humains qui m’agacent davantage que les idiots que j’arrive à manipuler sont les idiots qui se fichent de l’être. Et celle-ci semble avoir bien compris ce qui la menaçait et ne pas m’en tenir particulièrement rigueur.

— Que voulez-vous ? je demande simplement.

— L’autopsie et le rapport toxicologique ont révélé qu’Esther Andrews avait été empoisonnée au cyanure et les vidéos de caméra surveillance montre qu’elle est venue boire un cocktail à votre bar, déguisée, aux côtés d’Ymir, Sieg et vous, lance la brune qui était demeurée silencieuse jusqu’à présent.

             Je me souviens vaguement de cette femme. Je ne lui ai, honnêtement, accordé aucune attention. Si ce n’est quand elle m’a payé la somme exacte qu’elle me devait pour le cocktail sans laisser le moindre pourboire.

             Là, je me suis dit que j’avais affaire à une connasse.

             Et, visiblement, je n’avais pas tort.

— Qu’est-ce que ça peut me faire ? je rétorque.

— L’heure de la mort correspond au moment où vous lui avez servi ce verre, reprend la femme. Seuls vous trois aviez l’opportunité de tuer Esther et seuls vous et Jäger en ont le mobile.

— Moi ? J’ai un mobile ? je m’étonne.

             Church est celui qui me répond :

— Vous n’avez, disons, pas caché votre mépris pour elle…

— En même temps, si on devait lister tous ceux qui la trouvaient conne on y serait encore demain, lance la voix de la femme sur le canapé.

— Olympe, la reprend à l’ordre le châtain d’une voix ferme.

             Je me fige en entendant ce nom. Olympe ?

Il m’est étrangement familier. Comme si, sans même l’avoir déjà entendu auparavant, j’ai conscience de ce qu’il signifie.

— Olympe Loreen ? je demande, me tournant vers la femme.

             Celle-ci, à présent assise sur le canapé et sa jambe blessée tendue à sa droite, masse celle-ci. Puis, avec un sourire complice, acquiesce à ma remarque.

— Elle-même, répond-t-elle.

— Est-ce qu’on se connait ? je demande, prise par l’incongrue sensation d’avoir des liens à cette femme. Peut-être êtes-vous intervenue sur une autre affaire à la télévision où je vous aurais vue, ou quelque chose comme cela ? Votre visage m’est familier.

— Mademoiselle Olympe Loreen n’est pas policière mais consultante, retentit la voix de Church, me poussant à me tourner vers lui. Mais l’heure n’est de toute façon pas à cette discussion.

             Je n’ajoute rien, ne voulant éveiller quelconque soupçon en insistant trop. Mais, tout de même, cette sensation étrange de connaitre la personne assise sur ce canapé me reste. Je secoue mentalement la tête, tentant d’y faire abstraction.

             Car le châtain dit vrai. Il y a un temps pour tout et, aujourd’hui, je dois me concentrer sur le fait que je sois visiblement une suspecte de premier ordre dans une affaire pour meurtre.

             Je réalise à peine cela. Sans doute est-ce pour cette raison que je ne m’alarme pas forcément même si je suis consciente que je devrais paniquer. Le choc m’anesthésie peut-être, m’empêchant de comprendre pleinement la gravité d’une telle situation.

— Moi, Agnès et Olympe sommes simplement venus vous dire que l’enquête avance à grands pas et que, si vous avez quelque chose à avouer, le plus tôt sera le mieux. Le juge ne sera pas clément si on trouve la solution avant que vous ne la révéliez, reprend Church.

             Là-dessus, il nous observe durant une poignée d’instant, comme pour nous enjoindre à parler. Ses yeux passent successivement de moi au professeur. Je regarde ce dernier. Derrière sa monture dorée, il semble épuisé.

             Il vient de perdre une amie et se voit en plus accusé de son meurtre. Je ne peux qu’imaginer sa détresse.

             Quelques instants s’écoulent sans qu’aucun de nous ne prononce le moindre mot. Comprenant qu’il ne tirerait rien de deux innocents, le châtain finit par se lever, visiblement résigné. Agnès le suit automatiquement mais se permet un regard noir à mon attention qu’elle promène le long de mon corps, comme pour me détailler et me signifier ma laideur.

             Croit-elle sincèrement que je vais la laisser tenter d’assoir un ascendant sur moi de façon aussi bourrine et puérile ?

             Quel boulot d’amateur.

— Quand on est pas foutu de repasser son tee-shirt, on remballe de genre de regard, je lâche d’un ton cassant en haussant un sourcil.

             Un rire me parvient depuis mon dos.

— J’adore cette nana, lance la voix d’Olympe. Bon, la morue, tu rejoins Farlan et moi dehors ?

             Après la méchanceté avec laquelle Agnès a pu m’observer, j’avoue être légèrement grisée par ce que je viens d’entendre. Bien que faisant preuve d’une politesse laissant à désirer, la consultante que je viens de rencontrer me semble bien plus cordiale que ses deux collègues.

             Ceux-là sortent d’ailleurs de la pièce. Leurs pas résonnent sur le parquet quelques instants et la porte se ferme derrière eux.

             Le silence revient. Je mets une poignée de secondes avant de relever les yeux vers Jäger. Ses coudes sont posés sur son bureau et ses mains, jointes devant ses yeux. J’avoue être assez mal à l’aise en voyant l’air soucieux sur ses traits.

             Malgré sa disposition plus que poussée à me taper sur le système, je n’apprécie pas la vision de sa tristesse.

— Bon, allez, je lance. On va manger.

— Manger ? répète-t-il, pris de court en levant les yeux vers moi.

— Oui et pour de vrai, cette fois-ci. Je connais un japonais génial à deux rues d’ici. Il fait aussi quelques plats thaïlandais. Ça vous tente ?

             Il semble un peu pris de court par mon inhabituelle chaleur. Et, à vrai dire, je pense être aussi surprise que lui par celle-ci. A l’ordinaire, qu’importe l’interlocuteur me faisant face, j’aurais feint de ne pas comprendre son mal-être et serait retournée me reposer dans l’inconfort de ma maison.

             Alors je ne sais pas trop ce qui me pousse maintenant à agir ainsi, surtout envers l’abruti dont il est question.

             Peut-être que je me sens encore coupable de mes propos d’hier sur Esther.

             Nous voulant affronter son regard sur moi ni baisser les yeux, je marche en direction de la patère disposée à côté de son bureau et en ôte les quelques vêtements dessus. Un manteau noir et une écharpe crème.

             Je ne peux me permettre de me montrer trop avenante, cela salirait l’image réservée qu’il a de moi et qui m’est très chère — car il me fiche ainsi la paix. Alors, je me contente de jeter les objets sur son bureau.

— Allez, on se bouge les fesses ! je lance.

             Me retournant, je le vois saisir les tissus, en léger sourire sur les lèvres. Il lève les yeux vers moi, mes entrailles se soulèvent quand je réalise avec quelle sincère gratitude il me regarde.








— Un vrai diner, alors ? Ça me va très bien.






































             L’ambiance est chaleureuse dans ce restaurant. Malgré les murs sombres illuminés çà et là par des néons et aquariums jalonnés de lampes LED dans les tons rosées et rouges, il semble bien différent du lieu où j’ai pour habitude de travailler. Les serveuses sont souriantes et aucune femme n’est suspendue à des barres de plusieurs mètres. Par ailleurs, la plupart des banquettes sont occupées par des familles.

             Le professeur et moi sommes assis ensemble dans un coin légèrement isolé. De ma position, je peux voir l’intégralité du bar et restaurant. J’ai préféré occuper ce siège, ne dérogeant pas à mes vieilles habitudes d’observer le monde m’entourant.

             Le blond, lui, semble bien moins absorbé par l’idée d’épier les passants. Quoi que, cela faisant maintenant quelques minutes que nous attendons nos plats, je devine chez lui une certaine volonté de savoir ce qu’il se trame dans mon esprit.

             Après tout, je suis surtout un de ses sujets d’expérience.

— Que remarquez-vous ? me demande-t-il au bout de quelques instants.

             Malgré moi, un rictus étire mes lèvres. Il est l’une des rares personnes — avec Livai Ackerman — à s’être rendu compte de mes capacités de manipulation plutôt développées. Mais il est l’unique individu à s’en trouver fasciner.

             Le noiraud, pour sa part, se contente d’hausser un sourcil réprobateur quand il me surprend, dans les couloirs, à jouer l’étudiante éplorée à des fins plutôt…immorales.

             Qu’importe.

—Rien de bien important. Deux amateurs de BDSM en action. Un adultère. Une serveuse qui pique dans la caisse et un ancien alcoolique sobre depuis trois ans.

             Ses sourcils se haussent. Je devine qu’il souhaite que j’étaye mon propos. Et j’avoue être touchée par l’intérêt dénué de jugement qu’il porte à mes méthodes.

— Vous voyez cette femme au bar ? je demande.

             Il se tourne et remarque aussitôt de qui je parle. Une splendide cliente aux longs cheveux blonds qui se crispe à intervalles réguliers, ne regardant pas une seule fois derrière elle, raide comme un piquet. Plus loin, à la table la plus proche du bar, une autre dame pianote sur son téléphone depuis deux dizaines de minutes, un sourire en coin.

             Et ses yeux se portent sur la femme assise au bar juste avant et à chaque fois qu’un spasme quasiment imperceptible la prend.

— La brune là-bas utilise en vibromasseur connecté à son téléphone sur la blonde et celle-là fait de son mieux pour échapper à l’humiliation de s’épancher un public. C’est une pratique assez taboue mais on-ne-peut-plus classique.

             Les sourcils de Sieg s’haussent violemment.

— Quoi, mais nous devons prévenir les gérants ! C’est un restaurant familial ici !

— Croyez-moi, c’est bien le cadet de leurs soucis. La nourriture est excellente en ces lieux donc je vous y emmène mais ils sont bien trop avares pour chasser la moindre source de revenu.

— Vous les connaissez ? demande-t-il.

— Vous voyez la serveuse qui pique dans la caisse ?

             Il se tourne vers la splendide femme typée asiatique qui, discrètement, range un billet dans son tablier à pourboire.

— C’est une amie. Je lui ai enseigné l’art de voler afin que nous puissions retrouver les deux salaires qu’ils ont « oublié » de me payer avant de me renvoyer.

— Oublié ? C’est tout à fait illégal, vous pourriez vous plaindre.

— Ils m’ont renvoyé car j’ai planqué l’herbe d’un proche dans une de leurs hideuses statuettes donc je pense que je vais me passer de défiler devant les juges, je réponds avec un faible sourire sans joie.

             La réaction du professeur est immédiate.

— Vous avez fait quoi ? lâche-t-il, abasourdi, après avoir jeté un coup d’œil aux poupées russes entreposées à côté des bouteilles du bar.

— Arrêtez de tout dramatiser, je n’ai pas non plus sniffé de la cocaïne sur le postérieure d’une de mes collègues du club de striptease.

— Encore heureux ! s’exclame-t-il de façon légèrement virulente, abasourdi, avant de reprendre plus bas. Vous êtes en train de me dire que j’ai engagé en tant que personne qui s’apprête à paramétrer les moindres détails de ma vie une femme qui cache de la drogue dans les effets personnels de ses patrons !?

             Je lève les yeux au ciel. Ce qu’il peut être dramatique.

             Heureusement que je n’ai pas été honnête au point de déclarer qu’il s’agissait en réalité de pilules et non simplement d’herbes.

— Un proche avait besoin de moi, je réponds simplement.

— Ah oui ? Et après cette petite affaire vous l’avez aidé à se défoncer ? lâche-t-il. Ou peut-être vous êtes-vous mise minable en sa compagnie ? Plus on est de fous, plus on rit.

— Non, ce n’est pas ce qu’il s’est passé, je rétorque simplement, me redressant. Nos plats arrivent, maintenant, calmez-vous.

             Soo-Young s’arrête à ma hauteur et dépose quatre bols sur notre table. D’un léger mouvement de tête, elle acquiesce en ma direction avant de me faire un clin d’œil. Je ne peux empêcher un faible rire de franchir mes lèvres à cette vision.

             Cette abrutie est sans doute convaincue que je suis en plein rendez-vous galant.

             Le professeur Jäger, de son côté, ne décolère visiblement toujours pas du fait que j’ai pu agir de la sorte. Qu’importe, il s’agit d’une histoire bien différente de celle à laquelle j’ai à faire aujourd’hui.

— Je n’arrive même pas à croire qu’ils vous laissent manger ici après vos actes.

— Je vous l’ai dit, ils sont avares. Et je laisse de généreux pourboires.

— Que votre amie ramasse et vos redonne ensuite, quelle générosité, raille-t-il.

             Un faible sourire étire mes lèvres. Il semble bien grognon, ce soir. Mais, au moins, ses pensées s’arrachent de celles concernant le décès du professeur Andrews.

             Et, aussi étrange cela puisse-t-il paraitre, je préfère le savoir agacé contre moi que coincé seul avec ses états d’âmes. Surtout que, pour une fois que je suis celle le faisant tourner en bourrique et non l’inverse.

             Le silence se répand durant quelques instants où il boit quelques cuillères de sa soupe miso. Puis, tandis que j’ingurgite moi-même mes premiers plats, il s’éclaircit la gorge.

— J’ai lu votre dissertation sur la tangibilité des systèmes démocratiques, leur capacité à tenir réellement debout.

             Je hausse les sourcils. Ce papier date de quelques années maintenant mais je réalise soudain la véritable signification derrière la scène à laquelle j’ai assistés, ce matin.

             Tandis que, légèrement rongée par la culpabilité, j’ai tenté de donner un café au professeur, mon cerveau était alors trop engourdi par mon propre embarras pour me permettre de m’adonner à mes observations habituelles.

             Et si j’ai tout à fait remarqué l’incongruité de le voir tenir une copie d’une dissertation, me disant qu’avec le nombre d’élèves qu’il avait, mettre en guise d’examen des dissertations était se demander bien trop de travail à soi-même, je comprends maintenant qu’il ne s’agissait en aucun cas d’une copie qu’il corrigeait.

             Simplement un manuscrit qu’il examinait. Le mien.

— Mmmmh, je lâche simplement en retour.

— Votre quatre était amplement mérité.

             Je lève les yeux au ciel. A quoi m’attendais-je ? Cet homme aime tellement me mettre en boite que cela mériterait d’apparaitre sur son curriculum vitae.

— Entendez-moi bien, votre analyse était pertinente et même assez constructive mais en tant qu’élève d’université, et surtout une brillante, qui-plus-est, je ne vois pas pourquoi vous vous êtes sabotée de cette manière.

— Me saboter ?

— Qu’importe la justesse et la pertinence de vos propos, écrire qu’Adorno était un abruti, que l’Ecole de Francfort était un ramassis de connards élitistes et que…

             Il marque une brève pause, se contenant visiblement. Il souhaite de toute évidence me hurler dessus.

— …Et que le « professeur Jäger ferait mieux de régler ses problèmes familiaux qu’importuner la sphère des sciences politiques avec des telles inepties » c’était…

             Il n’a le temps de finir que je laisse échapper un rire bruyant. Je ne me souvenais pas le moins du monde de mes propres écrits sur le blond. Quoi que, parmi la variété d’auteurs que j’ai pu lire, son nom a sans nul doute dû se noyer dans le flot d’informations que j’ai capté.

             Voilà pourquoi il m’a semblé familier la première fois qu’Esther Andrews me l’a donné.

— Ça vous fait rire ? lâche-t-il, abasourdi devant mon hilarité décomplexée.

             J’acquiesce vigoureusement face à ses joues rouges et son regard noir. Le rendre furieux a quelque chose de grisant.

— Et bien moi, non !

             Je reprends assez vite mon calme.

— Toujours la même chose avec les intellectuels. On ne peut rien dire sur vous alors que vous passez votre temps à critiquer le monde vous entourant, perchés sur votre piédestal. Vous publiez tous des centaines d’écrits expliquant aux pauvres comment être moins bêtes, convaincus de mieux valoir qu’eux alors qu’en réalité, ce sont les actions concrètes plus que vos livres à la con qui ont apporté de véritables changements dans notre société, je lâche avec une grimace de dégoût avant d’avaler d’une traiter le verre d’alcool posé à ma table.

             La chaleur me revigore.

— J’en ai vu plein, des gars comme vous. Des connards élitistes convaincus de faire parti des meilleurs de la société, ceux à garder, sûrs que leurs livres changeraient la face du monde. A vous entendre, ce serait vos thèses et non les émeutes de Stonewall qui ont permis à la communauté LGBT+ de se faire accepter. Pareil pour les progrès liés à mai 68 ou même ceux émanant des manifestations Black Lives Matter.

— C’est donc de là que vient votre haine des professeurs et autres intellectuels, déclare-t-il en haussant les sourcils comme s’il venait de réaliser un fait essentiel.

— En parti, oui.

             Il acquiesce, apportant son verre à ses lèvres et ingurgitant lui aussi son alcool. Les autres plats et bouteilles arriveront bientôt et ce ne sera sans nul doute pas pour nous déplaire.

— Et c’est donc aussi de là que vient le fait que me haïssiez.

             Je souris.

— Non…, je réponds évasivement, enivrée par les vapeurs de l’alcool.

— Non ? répète-t-il.

— Je ne vous hais pas, je lance en plantant mes coudes sur la table.

             Sans doute l’éthanol parlant — je dois en être à mon quatrième verre —, je pose soudain ma main sur le col de sa chemise et, d’un geste brutal, tire sur sa cravate. Aussitôt, il bascule vers l’avant se rapprochant brutalement de moi.

             Son visage n’est plus qu’à quelques centimètres du mien. Je peux voir ses iris derrière ses lunettes dorées et les quelques boucles blondes tombant sur son front. Je les écarte d’un geste tendre de la main.









— A vrai dire, j’ai la sensation que je suis loin de vous haïr et ça m’énerve.

 


















負けるが勝ち











mots

désolée d'avoir publier avec
tant de retard

j'avais écris un chapitre
mais j'ai préféré rajouter cette
partie au restaurant pour
qu'il y est un minimum
de sieg x reader

j'espère que ça vous a plu

:)

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