𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐕𝐈
— S A N S M A N I E R E S —
負けるが勝ち
LA NUIT N’EST PAS NOIRE, illuminée par les lampadaires orangés et néons blanchâtres des magasins. Les vitrines, montrant le chemin telles des guides, orientent les pas des passagers tardifs.
La voiture progresse doucement. A ma gauche, Sieg observe les rues, cherchant une place où se garer. Moi, appuyée contre la portière, ne pipe mot. Mes entrailles se tordent étrangement depuis que j’ai accepté de diner avec lui. Pourtant, même si une chaleur enivrante et presque douloureuse me prend, similaire à de la faim, j’avoue apprécier l’atmosphère légère dans ce lieu confiné.
La température est agréable, le moteur ayant tourné pendant que le blond me conduisait jusqu’au restaurant qu’il a en tête. Je suis légèrement anxieuse à l’idée de découvrir de quel genre d’endroit il va s’agir. Après m’être renseignée sur sa biographie, avoir parcouru des paragraphes entiers où la richesse de sa famille était décrite en long, en large et en travers, je sens venir le moment où il va débarquer, moi à ses côtés, dans un restaurant de luxe.
Seulement, avec ma tenue adaptée à un club de striptease, un maquillage coulé sur le visage et une épaisse couche de sueur résultant du stress lié à la découverte du cadavre, je ne suis pas sûre de vouloir me confronter aux regards de travers et murmures moqueurs.
Alors, tandis qu’il tourne dans le quartier, me faisant voir les bâtisses aux moulures élaborées nous entourant, les intenses lueurs des lampadaires, néons et intérieurs de restaurant, je suis ravie de le voir piétiner et peiner à trouver une place. Car, même si tout est silencieux autour de nous, que nous ne parlons pas, cela en reste reposant.
Ainsi, je suis presque déçue de sentir le véhicule s’immobiliser et le bruit long du moteur que j’avais presque oublier se couper soudainement.
— Nous y sommes, résonne la voix calme et chaude de Sieg à ma gauche.
Je me redresse à peine de la portière. Je n’ai pas envie de sortir d’ici, dans le froid de l’extérieur puis de découvrir un restaurant que je ne vais peut-être pas aimer.
Même si je n’apprécie pas le professeur, je dois avouer que sa compagnie a pu m’être agréable au cours des dernières heures. Bien qu’il soit insupportable, élitiste et que notre accord faisant de moi son assistante va sans nul doute m’agacer très vite, là, maintenant, j’aimerai que l’on reste assis côte à côte dans ce lieu encore de longues minutes.
— Si vous m’emmenez dans un cinq étoiles, je vous préviens que j’ai pas les moyens.
Je ne le regarde même pas mais entend son faiblement gloussement.
— Trois étoiles, dit-il simplement.
Dans un froncement de sourcils, je me retourne et le vois remonter d’un doigt ses lunettes rondes le long de l’arête de son nez.
— Comment ?
— Trois étoiles, reprend-t-il. C’est le maximum accordé aux restaurants par le Michelin. Les cinq, c’est pour les hôtels.
Je sens aussitôt une chaleur se répandre sous la peau de mon visage et fait de mon mieux pour garder celui-ci statique, ne voulant esquisser une expression faciale qui pourrait trahir mon embarras. Et j’avoue que, lorsque je remarque son sourire en coin, la température ne fait que croitre.
Nous deux l’avons saisi dès notre première rencontre, je le sais. Chacun de nous s’estime plus intelligent, manipulateur et anticipateur que l’autre. Ainsi, même si des formats comme la soirée plutôt détendue que nous avons passée ont pu gommer la dimension de duel existant entre nous, nul dans cette voiture n’est sans savoir que chacun de nos mots, gestes et airs s’insère dans un combat.
Alors, aussi stupide cela puisse-t-il paraitre, ici, le simple fait qu’il en sache plus que moi sur le système d’étoile fixé par le Michelin est une victoire pour lui.
Ma mâchoire se contracte. Son rictus en coin, là, à ma gauche, que je m’efforce d’ignorer…Il m’agace déjà. Bon sang, je me doutais que nous n’allions pas tarder à nous chercher de nouveau mais j’en suis déjà sûre.
Je vais gagner quelque chose aussi, ce soir.
— Je le savais, je réponds alors simplement, mentant éhontément.
— Mais oui, bien sûr. Alors pourquoi vous parliez de cinq étoiles ? me chambre-t-il sans quitter son sourire. Votre langue aurait fourchée ?
Je soupire.
— Je croyais que vous m’emmeniez vraiment dans un hôtel, je rétorque simplement. Histoire de rester fidèle à vos habitudes et coucher avec moi comme je suis une élève.
Aussitôt, je vois sa mâchoire se contracter et ma lèvre s’étirent en un rictus, inversant les rôles. La voilà, ma victoire. Dans ses pupilles se dilatant, ses lippes se pinçant, ses lunettes s’abaissant et son souffle se coupant, je peux voir ma petite revanche.
Et je n’ai pas fini.
— Cette soirée a failli me faire oublier que vous aimiez semer la zizanie.
— Ne confondez pas semer la zizanie et remettre un idiot focaliser sur son reflet à sa place.
Il ne rétorque pas tout de suite, ses yeux se plantent dans les miens au travers du rétroviseur fixé au-dessus du pare-brise. Nous nous fixons quelques instants, ne voulant être le premier à rompre ce contact visuel.
Cela ne résulte que d’une bataille d’égo qui peut être considérée comme stupide, mais j’y tiens.
— Je vais avoir du mal à vous déléguer certaine tâche, mademoiselle (T/N), cingla-t-il du plat de sa langue. Comprenez qu’il faut avoir un minimum de confiance en l’être qui nous fait face. Et de respect.
— Si la tâche consistait à se pencher en avant et remonter ma jupe, je ne suis pas réellement contrariée, je rétorque, acerbe.
— Surveillez votre langue, mademoiselle (T/N).
— Surveillez votre pénis, professeur Jäger.
Au travers du rétroviseur, je vois nettement ses pupilles se dilater ainsi que sa mâchoire se contracter. Je sens ses mains faire de même.
— Vous tendez à aller trop loin et, même si je sais que ça vous plait, n’oubliez pas votre place.
— Ma place ? je souligne avec un rictus plutôt furieux. C’est ce que vous avez dit à Esther avant sa mort ?
Je le sais aussitôt que ces mots franchissent ma bouche, je suis allée trop loin. Et je n’ai d’ailleurs le temps de remarquer ses yeux s’écarquillant brutalement qu’une main saisit mon visage, me tournant brusquement vers la gauche.
A présent face à Sieg, mon cœur rate un battement. Son visage est tout près du mien, tant et si bien que sa barbe fournie chatouille mon menton et que ses lunettes touchent presque ma pommette. Derrière leurs verres brillent ses yeux bruns, tirant sur le vert, parsemés d’éclats esthétiquement assemblés.
Sa main est ferme sur mon visage, son annulaire longe ma tempe tandis que son pouce soutient mon menton en pressant ma gorge dans un geste menaçant.
— Surveillez sérieusement votre langue, petite sotte. Et que je n’entende plus jamais son nom dans votre bouche, vous en êtes indigne.
La chaleur du contact de ses membres sur moi est incandescente. Mais je ne me démonte pas. Malgré notre position à l’étroit, son torse presque pressé à ma poitrine, je garde les yeux rivés sur lui.
— Indigne ? je répète, un rictus amusé sur les lèvres.
Je vois le vacillement dans ses yeux.
— Est-ce par amour ou par pitié que vous dites ça, professeur ?
Sa main sur mon crâne se raffermit, la chaleur de sa paume est dense. Mais je poursuis, déterminée.
— Si vous voulez mon avis, vous vous sentez minable d’avoir conduit cette abrutie au bord du gouffre, je lâche. Et ce n’est pas son nom que vous voulez défendre mais le vôtre, tenter de réparer votre faute.
— Arrêtez, crache-t-il entre ses dents.
— Vous enterrez sa carrière et, le jour suivant, elle meurt. Quelle coïncidence affligeante, je murmure simplement.
— Vous ne savez pas de quoi vous…
— Parler ? je le coupe. Mais je me fiche de cela.
Malgré ses mains sur mon visage, son faciès juste devant le mien, son souffle sur mes lèvres et son torse se pressant presque à mon buste, je le sais, j’en suis consciente autant que lui…
…Je suis en position de supériorité. Et, qu’importe si cela lui fait mal, juste pour me venger de tous les hommes dans son genre, de tous les abrutis élitistes qui ont essayé de me tailler en pièce, de me détruire, je ne vais m’empêcher de remuer le couteau dans la plaie.
— Je me fiche de votre relation avec elle, je me fiche que vous ayez si peu confiance en vous que vous vous sentez obligé de coucher avec vos élèves, je me fiche que votre égo soit si bas que vous aillez du vous rabattre sur une abrutie qui a développé une obsession folle pour vous, je me fiche que vous soyez vous-mêmes si obnubilé par votre propre personne que vous ne vous soyez pas rendu compte qu’elle était malade et, plus que tout…
Ses mains quittent mon visage que j’avance un peu plu du sien, prenant définitivement le pouvoir. Mes yeux ne le lâchent plus.
— …Je me fiche que vous ne soyez pas attristé par sa mort et sa souffrance mais simplement par votre rôle dedans.
Délicatement, je penche la tête sur le côté, comme pour l’observer sous un angle nouveau, mieux le comprendre.
— Car c’est bien cela, en fin de compte, pas vrai ?
Je fulmine.
— Vous vous fichez pas mal du sort de cette femme, je prononce d’une voix étonnamment douce. Vous ne vous dites pas : « mais comment a-t-elle pu souffrir autant ? ». Vous vous demandez plutôt « mais comment, moi, Sieg Jäger, ma petite personne, mon seul intérêt dans la vie vais vivre avec cela sur la conscience » ?
Il ne répond pas. Il sait que j’ai raison. Et son silence me dégoûte encore davantage que la situation d’origine.
Car il s’agit-là d’un aveu.
— De toute façon, c’est toujours la même chose avec les connards élitistes dans votre genre. Vous ne vivez que pour ce qu’on pense de vous. Et, en l’occurrence, vous en avez rien à battre qu’elle soit morte.
Ma main se pose sur la poignée de la portière que j’actionne. Le froid se fait dans la voiture quand je l’ouvre.
— Alors, je prononcerai le nom d’Esther Andrews quand j’en aurais envie. Ce n’est pas parce qu’elle est morte que vous devez la sacraliser. Vous l’avez traitée comme une merde de son vivant, il est trop tard pour changer les choses, je crache avec agressivité. A demain.
Là-dessus, je sors. Et, claquant la portière dans un bruit sec, pars sans un regard ni un mot de plus. Il ne m’en aura pas fallu beaucoup avant de craquer et me jeter dans une bataille avec lui.
Mais j’avoue qu’il m’a particulièrement agacée, ce soir. Car je vois en lui les personnes que je hais le plus, les intellectuels moralisateurs qui, le cul vissé dans leur fauteuil, s’imaginent avoir mieux compris le monde qui quiconque et être en droit de dicter aux autres comment vivre.
Ces soi-disant élites qui croient être observateurs de tout et ne savent en réalité que se regarder elles-mêmes, je les vomis.
Esther Andrews me tapait sur le système. Sincèrement, s’il n’en avait pas été de mon image que je me devais de préserver pour perpétuer mes stratagèmes, ma main aurait sans doute fendu l’air pour atterrir dans son visage depuis un petit moment déjà.
Mais elle était malade. N’importe qui s’en serait rapidement rendue compte. Surtout un homme partageant son lit. Alors, si le professeur n’en a rien fait, cela traduit une grande négligence de sa part. Et se permettre de me saisir de la sorte parce que j’ai prononcé le nom de la défunte, tout cela pour oublier ce qu’il lui a fait, lui, la veille de sa mort, est révoltant.
Qu’il balaye devant sa porte.
Me tirant de mes pensées, une vibration fait trembler ma poche.
Mes sourcils se froncent, je tire mon téléphone de celle-ci. L’écran s’allume, me dévoilant la notification d’un message entrant.
« Numéro Inconnu à 01 : 16.
Soyez présente demain à huit heures, je ne tolèrerai aucun retard. »
Je lève les yeux au ciel et ne prend pas la peine de répondre. Le jour va se lever et je deviendrais officiellement l’assistante du professeur Jäger, travaillant chaque jour à ses côtés et le supportant au cours de ces heures interminables.
Je soupire longuement.
Je sens que ce boulot va être éprouvant.
負けるが勝ち
2070 mots
désolée chapitre plutôt
court !
mais dites-vous qu'on les
verra bosser ensemble
dans les prochains
chapitres :)
j'espère que ça vous a tout
de même plu
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