Chapitre 5 : Je désire
C'était la pluie que Diana observait avec lassitude à travers la vitre de l'Audi A3 conduite par Joshua, l'homme qui l'accompagnait partout où elle allait depuis qu'elle avait six petites années. Avec le temps il avait pris de l'âge et des cheveux blancs venaient s'entremêler à ses cheveux bruns tandis que quelques ridules soulignaient ses yeux, mais le chauffeur gardait toujours cette élégance exigée par la famille Karnal. Ses mains gantées de cuir noir manipulaient le volant avec calme. Après tout, il connaissait les rues de cette ville sur le bout des doigts, cela faisait plusieurs années qu'il était habilité à emmener les membres de la famille à chacun de leurs rendez-vous. D'un coup d'oeil dans le rétroviseur, il observa sa protégée qui flânait sur la banquette arrière sans rien dire. Joshua devait bien être le seul dans l'entourage de la jeune femme à ne pas la considérer comme un jouet. Avec le temps, il s'était même surpris à la considérer comme sa propre fille.
— Avez-vous une journée chargée aujourd'hui ?
— Ai-je l'air aussi fatiguée que ça ?
— Disons que je vous ai déjà vu plus en joie. Ces derniers temps semblent compliqués pour vous.
— Effectivement.
Malgré tous les efforts du monde, Diana n'arrivait pas à cacher sa faiblesse. Elle ne dormait pas, car les ronronnements des caméras cachées dans sa chambre étaient trop bruyants. Elle soupçonnait son père d'en avoir ajouté après que l'une d'entre elle n'ait « étrangement » succombé, il y avait quelques nuits de cela. En plus de tout ceci, Diana avait été congédiée et n'avait plus le droit de sortir de sa chambre, à part pour se rendre à ses cours. Elle passait donc ses journées à lire et relire les romans qu'elle possédait, devant sa fenêtre pour profiter des quelques rayons de soleil qu'elle était autorisée à percevoir. C'était une façon de vivre bien étrange qui ne lui convenait pas, mais avait-elle même le choix ?
Distraitement, elle posa sa main sur le plat de la fenêtre glacée. De la buée se forma autour de sa peau et un sourire lui échappa sans aucune véritable raison. Elle pouvait enfin respirer, à l'extérieur, loin de ses parents. Pendant ces quelques heures, elle retrouvait une liberté qu'elle avait perdu depuis bien longtemps. Même si Diana savait qu'au bout du chemin, les chaînes la retrouveraient, elle ne pouvait s'empêcher d'apprécier chaque instant.
— Nous sommes arrivés. A quelle heure dois-je venir vous chercher ?
— Le plus tard possible.
Joshua eut un petit sourire, saisit le parapluie sur le siège passager puis sortit avant d'aller ouvrir à sa maîtresse. Quand l'air frais frappa les jambes nues de la jeune femme qui était en jupe, un frisson la parcourut mais c'était aussi un frisson de plaisir. Le chauffeur lui transmit le parapluie puis lui fit un signe de tête poli avant de retourner en voiture, la laissant seule sur le trottoir face à la grande bibliothèque. Avec un sourire en coin, elle observait le grand bâtiment de verre dont les lumières chaleureuses tranchaient dans la colorimétrie sombre qu'apportait la tempête qui se préparait. Diana ne perdit pas une seconde de plus pour s'engouffrer à l'intérieur.
— Madame Karnal, bonjour !
— Bonjour Marie.
— Laissez moi votre parapluie, vous allez être trempée.
Avant même que Diana puisse répondre, l'objet n'était déjà plus en sa possession. Marie était chargée de l'accueil de la bibliothèque. Elle était celle qui prodiguait tous les renseignements et qui s'occupait des emprunts et retours. C'était une jeune femme agréable au sourire éclatant. En pleine tempête, elle restait un petit soleil que l'on adorait retrouver. Diana ne se laissait pas souvent influencer par les mots doux et les visages agréables, mais il fallait bien avouer que la bienveillance de Marie avait réussi à l'attraper.
Sans un mot, elle laissa donc Marie d'un signe de tête et se dirigea vers les ascenseurs avant de consulter le papier qu'elle avait glissé dans sa poche avant de partir du manoir. Elle y avait listé tous les ouvrages qu'elle avait décidé d'emprunter et de commencer aujourd'hui. Lentement, elle les repassa en revue pour être sûre de n'avoir rien oublié et quand l'ascenseur émit un bruit pour signifier qu'il était arrivé, elle redressa la tête avant de pâlir. Les portes s'ouvrirent sur une horde d'hommes en costume qui visiblement ne l'avaient pas remarqué puisqu'ils sortirent sans même prendre la peine de l'esquiver. Diana serra les dents en encaissant quelques coups puis se faufila entre les corps pour pénétrer dans l'ascenseur qui finalement, une fois vide, referma ses portes.
La brune soupira et passa sa main dans sa chevelure maintenant en vrac, maudissant silencieusement les impolis qui apparemment étaient trop occupés à être plongés dans leur travail pour faire attention à ce qu'il se passait autour d'eux.
— Tu m'as l'air bien énervée.
Diana sursauta et releva subitement la tête en reconnaissant cette voix. Appuyé dans le fond de la cage d'ascenseur, Gavriel se tenait là, les bras croisés et le visage neutre. Habillé d'un trench noir recouvrant une chemise blanche et un pantalon de costume sombre, il semblait être prêt à partir affronter la pluie à l'extérieur de la bibliothèque alors que ses cheveux blonds étaient parfaitement plaqués en arrière. Pourtant il ne bougeait pas.
— Tu ne sors pas ?
— Quel étage ?
— ... Septième.
Gavriel haussa un sourcil puis sans la quitter des yeux, appuya sur le bouton de l'étage correspondant. L'ascenseur se mit à monter avec lenteur et soudain Diana sentit qu'elle était piégée. Le parfum de Gavriel commençait à emplir l'espace, tout comme sa présence. La brune restait droite sur ses jambes, la tête haute pour affronter son regard, mais il était impossible pour elle de cacher sa fatigue et sa détresse intérieure. Elle sentit la peur s'insinuer en elle, comme celle d'une proie face à un prédateur qui avait conscience que la pauvre bête n'avait aucune échappatoire.
— On ne dort pas bien la nuit, lady Karnal ?
— En quoi cela te regarde ?
— Tout me regarde.
Diana haussa un sourcil à son tour avant d'aller s'appuyer sur une autre paroi de la cage d'ascenseur, croisant ses bras. Elle voulait éviter de lui parler, de le regarder. Le blond eut un rire.
— Je t'avais dit qu'on allait se revoir.
— Qu'est-ce que tu veux ?
— Je veux que tu me dises ce que tu ressens. Ce que tu ressens quand tu me vois, Diana.
L'interrogée était tout bonnement outrée par la confiance qui émanait de Gavriel. Il insinuait que le revoir provoquait en elle un quelconque sentiment et ce qui la frustrait, c'était qu'il avait raison. Sans pouvoir l'expliquer, la présence du blond réveillait en elle des sentiments qu'elle avait enfoui depuis bien longtemps. Cette existence l'avait convaincu d'éteindre quelconque manifestation émotionnelle, les étouffer pour ne plus souffrir. Et voilà qu'aujourd'hui, cet homme décidait d'extirper de son coeur la colère, la haine, la brûlure de la passion et d'une excitation nouvelle.
Diana ouvrit la bouche pour lui faire comprendre qu'il n'en était rien quand brutalement, l'ascenseur se stoppa dans sa course et les lumières du bâtiment entier s'éteignirent. La brune s'était appuyée contre le mur de la cage pour ne pas tomber alors qu'à l'extérieur, des employés criaient pour faire évacuer les personnes à l'intérieur de la bibliothèque. Ils pensaient que c'était à cause de la tempête mais Diana savait que ce n'était pas ça. La cause de tout cela, elle était en face d'elle et elle la regardait avec avidité.
— Alors Diana, dis moi. Nous avons tout notre temps.
— Ca suffit.
Elle se redressa lentement, les jambes tremblantes alors qu'elle le sentait approcher. Bloquée entre la paroi et le corps du blond, elle se concentrait pour garder les idées claires alors que le souffle de son vis-à-vis s'échouait sur ses lèvres.
— Je sais ce que tu essaies de faire. Sache que ça ne fonctionnera pas avec moi.
— Et pourquoi cela ?
— Parce que je ne suis pas comme toi.
Diana avait dit cela d'un ton ferme et convaincu qui fit tiquer Gavriel. D'une main peu délicate, il attrapa la mâchoire de la brune en face de lui et l'obligea à relever la tête pour qu'elle le regarde droit dans les yeux. Sa soeur lui avait dit la même chose, à ce propos, et à l'instant où il l'avait entendu s'opposer à lui, des pensées destructrices s'étaient nichées dans son esprit. Cependant, maintenant que c'était Diana qui lui faisait part de ces mots, c'était un tout autre sentiment qui le captura. Il se sentait mis au défi et quelque chose lui disait que la récompense allait être délicieuse.
— De quoi as-tu peur ? As-tu peur d'être rejetée ?
— Mon existence entière est rejetée ici bas. Ici, je suis indésirable.
Un sourire carnassier prit place sur les lèvres de Gavriel dont les yeux pétillaient dans l'obscurité. Il se pencha jusqu'à l'oeille de Diana qui serra les dents, posant par réflexe sa main sur le torse du blond pour le garder à distance, bien inutilement. Les ténèbres qui les entourait créait un voile d'intimité qui faisait tordre le ventre de la pauvre jeune femme. Le souffle de l'homme contre sa peau l'empêchait d'avoir les idées claires, malgré toute sa concentration.
— Si je te disais que moi je te désire ? Si je te disais que je ne désire que toi ? Pas celle que tu es aujourd'hui, pas celle que tu seras demain ou celle que tu étais hier mais celle que tu es à travers le temps tout entier. Si je te disais que je désire ton âme et ta fureur ? Ta colère, et les sentiments que tu as enterré durant toutes ces années ?
— Arrête ça tout de suite.
— Tu sais qui je suis, tu le sais depuis l'instant où tu as croisé mon chemin en cette vie, alors tu devrais savoir que je n'abandonne jamais ce que je convoite.
— Et c'est bien la raison pour laquelle toi et moi sommes différents.
Diana souffla longuement et d'un geste brusque, elle empoigna la chevelure blonde de Gavriel qui retint un grognement, plaquant sa main sur le mur, à côté du visage de la brune qui le fixait droit dans les yeux, un sourire amusé ornant son visage. L'homme n'avait jamais vu une telle expression, c'était quelque chose nouveau pour lui.
— Tu veux que je fasse un pacte avec toi ? C'est ça que tu désires de moi, hm ?
Gavriel la laissa approcher son visage du sien. Diana se surpassait : ses forces étaient minimes, elle avait du mal à garder les pieds sur terre quand l'aura de son interlocuteur la caressait ainsi, avec toute la chaleur et la puissance qui allait avec. Mais elle ne devait pas se montrer à la merci de cet homme. Surtout pas lui.
— Tu dis que tu n'abandonneras pas. Toi, celui qu'on dit être l'être le plus beau, le plus fort et le plus intelligent au Ciel. Et pourtant tu es aussi têtu qu'un enfant.
Soudain, toutes les lumières revinrent, éclairant les faciès aux joues rouges de Gavriel et Diana qui se fixaient intensément, pris dans une bulle hors du temps et hors de ce monde qui n'était finalement pas le leur.
— Apprends à abandonner tes idéaux idiots. Apprends à plier le genoux face aux choses qui sont trop grandes pour toi. Et un jour, peut-être, tu arriveras à me tenir dans le creux de ta main, Lucifer.
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