Chapitre 3 : Colère, prestigieux alcool
Le silence tomba dans la grande salle comme une sentence commune. Les jeux s'étaient soudainement arrêtés et toutes les cartes avaient été posées sur les tapis, maintenant délaissées pour un sujet bien plus intéressant. Qu'ils le voulaient ou non, chacun était conscient de ce qui était en train de se passer et de l'ampleur des évènements. Avec très peu de discrétion, la foule observait du coin de l'œil, une coupe de champagne à la main et les bras croisés, dans un geste inconscient de protection pour sa propre petite personne. Après tout c'était toujours ce qui comptait le plus en ce monde. C'était bien la chose qu'il fallait faire dans cette situation : la colère dans les yeux de Daniel Erwin était telle qu'elle aurait pu enflammer tout le manoir si elle avait pris vie. Ses mains tremblaient, autant à cause de la haine que de l'alcool tandis que ses pupilles étaient aussi noires que les abysses. Sûrement pensait-il être protégé s'il s'attaquait à la fille Karnal.
Gavriel retint un rire. La colère était un sentiment qu'il adorait observer, sous toutes ses coutures. Il s'en délectait comme le plus prestigieux des alcools, c'était son oxygène.
Mais avant qu'il ne puisse en rajouter pour y prendre plus de plaisir encore, une main ferme se posa sur son épaule, à un point qu'il en eut presque mal. Ces ongles qui se plantaient dans sa veste, il les reconnaissait. Il ne se retourna même pas, perdant tout de suite son petit air amusé alors que la voix de sa très chère sœur brisait le silence pesant. Il détestait quand elle venait l'interrompre, avec ses convictions de grand chevalier blanc.
— Monsieur Erwin, veuillez pardonner mon frère. Il ne sait pas se tenir en public.
— Disons plutôt que je n'aime pas voir des petits plaisantins penser qu'ils en ont dans le pantalon alors qu'ils n'ont que de graines de pavot qui se battent en duel au fond de leur caleçon, corrigea le jeune homme du tac-au-tac.
— Gavriel !
Gabrielle lui jeta un regard noir, elle en avait assez. C'était peut-être son aîné, mais cela n'allait pas l'empêcher de le tenir en laisse le temps qu'il se tienne correctement. Elle voyait parfaitement dans son regard que s'il pouvait récolter ne serait-ce qu'encore un peu de désastre, il le ferait. Elle avait vu depuis bien longtemps ce dont il était capable pour son propre plaisir.
Diana, qui était toujours contre le corps du frère, sortit de sa torpeur avec l'intervention de Gabrielle et posa subitement sa main sur celle du Michaëlis afin de la faire glisser et se libérer de son emprise. Son contact était doux et chaud et quand elle le quitta, un frisson la parcourut, comme si elle était maintenant exposée à tous les maux du monde. Mais en contrepartie ses pensées furent plus claires. Elle devait régler un problème à la fois.
Sans se retourner, elle inspira et leva son regard vers Daniel qui se tenait toujours face à elle, luttant visiblement contre son envie de coller son poing dans la figure de Gavriel. S'il le faisait, c'était le scandale assuré.
— Ne reposez plus jamais le pied ici, commença Diana d'une voix glaçante. Si je vois votre face de rat dans ces couloirs une nouvelle fois, je vous ferais perdre tout ce que vous possédez.
— Tu penses me faire peur, Diana ? cracha Daniel en ne pouvant pas se retenir de rire. Tu n'as aucun pouvoir ici. Et tout le monde dans cette salle le sait !
Il écarta les bras dans un geste théâtral en cherchant ensuite l'approbation de tous par le regard. Certains souriaient simplement, d'autres détournaient les yeux. Sûrement parce qu'ils ne savaient pas encore que la jeune Karnal n'était pas quelqu'un d'important dans la famille et que s'opposer à elle n'engageait aucune conséquence. Mais Diana n'en avait que faire, de ce que les autres pensaient. Elle en avait assez de laisser passer toutes ces humiliations. Sa vie en avait été remplie. C'était d'ailleurs étrange, elle avait toujours été patiente alors pourquoi choisir cet instant pour laisser libre court à ces sentiments sauvages ? Elle se disait que cette existence n'était que de passage, pourtant. Et aujourd'hui elle avait cédé à la colère. Etait-ce à cause de Gavriel Michaëlis ?
Sans répondre aux provocations, elle dépassa Daniel pour quitter la salle des jeux. Diana avait besoin de s'éloigner d'ici, avant que son père ne débarque. Elle devait rapidement aller se calmer pour reprendre contenance. Mais c'était sans compter sur la voix de Gavriel qui la stoppa dans sa marche.
— C'est impoli de ne pas remercier celui qui nous aide.
Diana se stoppa. Avec l'échange auquel elle avait assisté, la brune avait vite compris quel genre de personnage il était. Il ne l'avait pas défendu parce qu'il avait pitié d'elle, mais plutôt parce qu'il y voyait une occasion de se quereller avec Daniel. Mettre la vivacité de son esprit à l'épreuve était sûrement une chose qui le faisait frissonner de bonheur. Il avait envie de provoquer, titiller, comme il le faisait maintenant avec elle. Et entendre sa voix si grave prononcer des mots à son encontre allumait en elle un feu brûlant. Le feu de la colère. Elle ne savait pas comment c'était possible de changer du tout au tout à cause d'une seule personne mais apparemment, Gavriel Michaëlis était capable d'une telle magie. Comme s'il faisait ressortir le plus mauvais d'une personne.
Brutalement elle tourna les talons pour lui faire face. Et c'est là qu'elle le vit pour la première fois.
Des cheveux blonds comme les blés encadraient son visage anguleux alors que son regard aux iris sombres tombait directement dans le sien. Les mains dans les poches de son pantalon, il pencha la tête, faisant trembler le pendule en obsidienne à son oreille. Sa peau pâle et immaculée le rendait presque irréel. Diana repensa au discours de son père, lorsqu'il avait décrit Gavriel. Et sur le coup, elle pensa que tout ce qu'il avait pu dire ne lui rendait pas justice.
Diana avança d'un pas vers lui. Puis deux. Et trois. Sans quitter son regard et en contrôlant sa respiration, elle réfléchissait en gardant la tête haute. Elle avait oublié les spectateurs autour d'elle parce qu'à cet instant, seul l'homme en face d'elle l'occupait. Elle obtenait des réponses tout comme des énigmes. Les lèvres de Gavriel s'étirèrent d'un soupçon quand il constata que sa petite phrase avait fait mouche. Bien entendu, qu'il en était satisfait. C'était un jeu pour lui.
Elle se planta devant lui. Il la dépassait bien d'une tête mais elle ne se laissa pas impressionner pour autant. Son air malicieux, sa beauté, sa carrure imposante et ce regard... Diana comprenait parfaitement que le commun des mortels ne le supporte pas. Mais elle, c'était différent. Et quelque chose dans l'ombre de ses iris lui disait qu'il le savait aussi.
— Ça ne marchera pas avec moi. Ce jeu, cette mise en scène...
Diana coula un regard vers Gabrielle qui par réflexe regarda ailleurs, sentant qu'elle était prise sur le fait. Oui, Diana avait compris à présent. Elle avait compris que leur rencontre n'était pas le fruit du hasard, que tout était calculé pour qu'en cette soirée, il se fasse face. Et encore une fois, elle avait été approchée par intérêt. La brune était épuisée des faux-semblants. Pour une fois, elle avait eu envie de croire que Gabrielle n'était pas là pour son nom, mais simplement pour elle.
— Sortez de chez moi. Et que je ne me répète pas, gronda Diana.
— Nous nous reverrons. Et tu le sais.
Il posa une main sur son épaule avant de se pencher vers son oreille. De nouveau, son parfum vint entourer Diana d'un châle ardent alors qu'elle fermait les yeux en expirant bruyamment, les poings serrés. Il avait ce charisme qui donnait l'impression d'être en présence d'un véritable aimant. Son autre main écarta les cheveux bruns de la jeune femme et ses doigts s'entremêlèrent à ses boucles avec une délicatesse toute calculée.
— Je ferai en sorte que ce soit le cas, souffla-t-il.
Sans qu'elle ne s'y attende, le blond déposa un baiser au creux de son cou, sous les yeux de la foule. Ce fut comme un coup de fouet pour Diana qui sursauta en sentant la brûlure de la luxure sur sa peau. Qu'est-ce qui lui prenait ?! Frissonnant et les joues rougies, elle écarta brutalement Gavriel et plaqua sa main à l'endroit même où il avait posé sa bouche. Il se contenta de sourire et elle fit volt-face, décidée à sortir d'ici et se réfugier dans ses appartements.
Elle sentit le regard du blond la suivre jusqu'à ce qu'elle franchisse la porte.
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